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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Je suis entré ce matin dans le bureau de Grégory Franck, Robert, pour mettre un peu le nez dans
00:16ses dossiers et savoir quel récit il était en train de préparer pour aujourd'hui. Je m'apprêtais
00:21à lui lancer quelque chose, je ne sais plus quoi, d'à peu près drôle, une de ses plaisanteries
00:25aimables qui servent à bien commencer la journée, mais j'ai vu aussitôt, parce que je le connais
00:30bien, que le ton joué ne serait pas admis. Je lui ai demandé, mon vieux Grégory, vous avez l'air
00:35sinistre, on peut savoir. Alors il a ouvert un carton contenant des coupures de journaux et
00:41on a sorti une photo. C'était un rectangle d'un format inhabituel, plus long que les photographies
00:48que l'on a l'habitude de voir aujourd'hui. En fait, il y avait deux photos carrées tirées
00:52côte à côte sur le même support. Grégory a simplement fait glisser ce double portrait sur
00:58la table entre nous, sans dire un mot, et j'ai compris. J'ai compris pourquoi il lui aurait été
01:04difficile de se réjouir de préparer cette histoire. C'était une tête d'enfant. Une tête
01:11d'enfant avec le cou et les épaules nues. La tête d'un enfant de six ans. La tête d'un enfant de six
01:18ans mort. L'un des clichés le représentait de face, l'autre de profil couché sur un carrelage blanc.
01:26Oh, j'aurais pu dire, comme on le fait souvent quand on parle d'un enfant, j'aurais pu dire
01:30quelque chose d'un peu poétique, quelque chose qui adoucisse la réalité, quelque chose du genre.
01:35Il avait des traits reposés et semblait dormir. Mais je vous ai dit, c'était un enfant mort. Car
01:44vraiment, cette photo glacée ne pouvait permettre d'autres interprétations. Ce gros
01:51plan pitoyable traduisait la sinistre réalité. Cette petite tête aux yeux fermés et aux cheveux
01:57en désordre ne pouvait être celle d'un enfant endormi. Je me suis efforcé de la regarder en
02:04détail. Le gosse avait dû être mignon, timide, affectueux. La vue de profil montrait nettement
02:11près du lobe de l'oreille droite une verrue assez apparente, un de ces défauts de la peau qu'une
02:15maman peut caresser affectueusement en disant « c'est ta petite marque de fabrique, c'est pour
02:20te reconnaître quand tu sors de l'école ». Les deux photos montraient aussi un carton avec des
02:25chiffres que l'on a déplacés pour qu'ils soient à chaque fois bien visibles de l'objectif.
02:30Il était écrit « corps numéro 1 » et une date « 1er janvier 1936 ». Qui était donc l'enfant
02:41nu de la Saint-Sylvestre ? J'ai levé un sourcil interrogatif et Grégory m'a tendu en réponse les
02:49pages du récit que je vais vous faire maintenant, à coup sûr, l'un des plus émouvants dossiers
02:56extraordinaires de la police. 1er janvier 1936 qui est de l'Arapée à Paris, un endroit sinistre
03:21par nécessité, la morgue. Y a-t-il, chers amis, un endroit plus sinistre qu'un dépôt mortuaire au
03:28bord de la Seine un premier jour de l'an ? Pourtant, là comme ailleurs, des fonctionnaires sont à la
03:34tâche et assurent la permanence car la mort travaille tous les jours de l'année, même le
03:381er janvier. Et chaque année, on inaugure en ce premier jour, comme dans beaucoup de services
03:43publics, un registre neuf. Sur ce registre recouvert de toiles noires, le greffier va
03:50inscrire au long des jours les entrées et les sorties de ces pensionnaires silencieux qui
03:55reposeront quelques heures dans les longs tiroirs réfrigérés avant de partir vers leur dernière
04:00demeure. Les pensionnaires sont inscrits sous un numéro avec quelquefois leur identité, si l'on
04:06a pu la déterminer. Et ces hommes, ces fonctionnaires, ces familiers de la mort finissent bien sûr par
04:13être plus ou moins blasés et s'éteurent car comment sans cela pourraient-ils mener à bien
04:18leur tâche ? La routine et l'habitude viennent charitablement à leur secours. Et ce jour-là,
04:26ce 1er janvier, le cadavre qui allait porter sur le beau registre neuf le peu enviable numéro 1 de
04:33l'année qui débute, ce cadavre-là ne pouvait pas laisser indifférent ceux qui le prenaient en
04:40charge qu'il y ait de la râpée. Pauvre gosse ! Ah ! le pauvre gosse ne cessait de répéter le
04:47morgueuil ! Si c'est pas malheureux, faisaient-en des colls greffiers qui inscrivient, numéro 1,
04:53reçu à 12 heures le 1er janvier un enfant nu du sexe masculin âgé d'environ six ans. Le corps a
05:01été trouvé ce matin à 7 heures dans un fossé de la route de Choisy-le-Roi à Versailles, à 100
05:05mètres environ de la gendarmerie et du carrefour de la Belle-Épine. L'enfant paraît avoir fait
05:11l'objet de sévices graves. La mort remonte à une semaine au moins. En donnant le coup de tampon
05:19officiel en face de cette inscription, le fonctionnaire ne put s'empêcher de penser « une
05:23semaine au moins ». Donc au tour de la Noël. Dire que j'étais peut-être en train de décorer l'arbre
05:31avec le mien à ce moment-là. Il y a donc des gens capables de faire ça. Oui, à coup sûr il y avait
05:40eu des gens capables de faire cela. Aucun de ceux qui purent entrevoir le petit corps, même quelques
05:45secondes au cours de son transport, aucun de ceux-là ne put douter que l'enfant avait été
05:51durement maltraité et que l'aboutissement de ces mauvais traitements avait été la mort. Qui donc
05:57avait, à la veille de la Noël, infligé cela à ce gosse pour le jeter ensuite tout nu dans un fossé
06:02où les herbes avaient été rendues cassantes par le gel ? Un fossé de la route de Versailles, au
06:08carrefour de la Belle-Épine, sur le sinistre plateau de Thiers où, à quelques centaines de
06:13mètres, les murs et les cyprès du gigantesque cimetière barrent l'horizon. Et surtout qui était
06:19cet enfant trouvé recroquevillé à sept heures du matin au bord de cette route par un brave homme,
06:24homme du pays ? Que dire de ses traits, charmants et doux, mais encore tout à fait flous et imprécis ?
06:30Peut-être cette verrue près de l'oreille droite n'était-elle pas cachée par les cheveux lorsqu'il
06:36était vivant et des voisins ou des camarades de jeu ont-ils pu la remarquer ? Peut-être à la
06:40rigueur pouvait-on dire que la plante des pieds était légèrement durcie par endroit comme si le
06:45gamin avait eu l'habitude de marcher pieds nus. Mais il était également possible qu'un gosse
06:50chaussé de galoche un peu dur porte les mêmes signes. Et comme, manifestement, le ou les assassins
06:57étaient venus abandonner le corps nuitamment dans cet endroit peu fréquenté, il était à peu près
07:02certain que l'enfant n'était pas originaire des maisons alentours. Alors il restait deux choses,
07:07deux voies possibles pour les enquêteurs. D'abord l'autopsie. Elle fut confiée au fameux docteur
07:14Paul, le célèbre médecin légiste. Et puis il restait aussi la publicité. Donner le maximum de
07:21retentissement à cette sinistre découverte, la diffuser le plus largement possible afin que
07:26quelqu'un, quelque part peut-être, reconnaisse l'enfant nu de la Saint-Sylvestre. Ce fut donc
07:32cette photo, la photographie même que j'ai sous les yeux, qui fut publiée au soir même du nouvel
07:38an par les quotidiens. Le lendemain, les journaux de la France entière l'a reprise et les enquêteurs
07:44commencèrent leur attente. Les premiers résultats furent désastreux. D'ordinaire, une pareille
07:49opération déclenche dans le public des dizaines voire des centaines de dénonciations plus ou
07:54moins anonymes et les policiers connaissent bien ce phénomène et espèrent toujours, au milieu des
07:59lettres de fous et de rancuniers, trouver l'amorce d'une piste. Or cette fois, le public fait mentir
08:04la tradition. Une journée passe, rien. Une seconde journée s'écoule, toujours rien. Le néant absolu.
08:11Par contre, les employés de la morgue voient défiler les unes après les autres des familles
08:16éplorées et tremblantes que, par autorisation spéciale, on laisse se pencher sur le tiroir où
08:21repose l'enfant. Et enfin, l'ombre d'un espoir surgit. Un habitant d'Ivry, qui loue en meublé
08:28les pièces de son immeuble, déclare ceci. « Une de mes locataires qui est partie avant-hier était
08:33une femme de moeur légère. Elle avait avec elle son gamin de six ans. Le jour de Noël, je fus
08:39étonné de ne pas voir sortir le petit, le lendemain non plus, pas plus que les jours suivants. Et le
08:4331 décembre au soir, monsieur l'inspecteur, une nuit où on pense à autre chose que voyager, elle
08:48m'a donné son congé en me disant qu'elle se rendait à Nice en automobile avec son ami qui est
08:54ingénieur. Elle a emporté comme seul bagage une grosse malle, très lourde. Et le carrefour de la
09:00Belle-Épine est sur la route du Sud quand on part de chez nous. Et le gosse, monsieur l'inspecteur,
09:05le gosse, on revient que c'est lui. Je vous le dis tout de suite, chers amis, et on ne pourra pas
09:11m'accuser de faire un suspense malvenu, je vous le dis, la piste était fausse. »
09:15Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
09:25Non, chers amis, la piste donnée par le logeur d'ivrie n'était pas la bonne. Il avait pourtant
09:31reconnu formellement l'enfant nu à un second examen, mais dès le lendemain on retrouva l'enfant
09:36vivant chez sa grand-mère en Auvergne. Il avait été envoyé là par sa mère et la grosse malle
09:40contenait simplement son linge et ses vêtements qu'elle lui expédiait. La maman avait pourtant
09:46menti au sujet de son voyage sur la côte d'Azur, un bien triste mensonge. Elle avait inventé cela
09:52pour donner son congé et elle était allée, triste et seule, se jeter dans la Seine pendant la nuit
10:01du nouvel an. Et vous allez voir que la mort aussi s'est fabriquée des coïncidences. C'était cette
10:10malheureuse qui occupait présentement le tiroir numéro deux aux côtés de l'enfant nu de la
10:17Saint-Sylvestre. Quant au petit bonhomme, lui, il n'avait toujours pas de nom. Les familles défilaient
10:25sans cesse dans le local glacial du Quai de la Rapée. On assista encore à de nombreuses reconnaissances
10:30formelles par des parents brisés, mais il s'avérait bientôt que ces familles se trompaient toutes.
10:35Il y eut des évanouissements quand des mères folles de chagrin pensaient se trouver en face de leur
10:40enfant disparu, mais là encore il s'agissait à chaque fois d'horribles méprises. Alors au bout de
10:47quelques jours, on dut enfin poser les scellés sur le cercueil et il ne resta plus comme espoir
10:52d'identification que la photo. Cette fameuse photo que j'ai sous les yeux. Entre temps, le docteur Paul
10:58avait donné le résultat de l'autopsie. L'enfant nu du carrefour de la Belle-Épine était vraisemblablement
11:04mort d'asphyxie après avoir subi toutes sortes de mauvais traitements qui avaient laissé des marques
11:09un peu partout sur le corps. L'asphyxie avait dû être provoquée à l'aide d'un objet volumineux sur
11:15lequel on avait dû peser lourdement puisqu'on avait relevé une fêlure de la boîte crânienne.
11:20On pencha pour un oreiller ou un matelas et l'on supposa que quelqu'un s'était assis ou couché dessus
11:27en maintenant fortement les membres du malheureux gosse, provoquant ainsi les marques relevées. Et
11:32cela avait dû durer un certain temps avant que l'enfant ne se compte étouffé. Ces déductions
11:40furent un aiguillon de plus à l'artor des enquêteurs et le commissaire chargé de l'affaire
11:44prenant le taureau par les cornes décida que puisqu'aucun familier de l'enfant ne se manifestait
11:49c'était à la justice de les dénicher. Une gigantesque enquête nationale est alors ordonnée,
11:55l'une des plus vastes mobilisations de ce genre que la police et la gendarmerie associée aient
12:01jamais déclenché. Dès cette décision prise, toutes les mairies de France, tous les commissariats,
12:06toutes les casernes de la garde mobile reçurent à la même heure la circulaire ordonnant l'enquête
12:11ainsi qu'un tirage de la fameuse photo. On visitait les écoles maternelles, les orphelinats,
12:16les patronages, on interrogea les enseignants, les directeurs de prison de femmes, les prêtres de
12:20toutes les paroisses et l'enquête s'étira, se perdit dans d'interminables méandres pendant
12:26dix mois. Mais dix mois au cours desquels, chers amis, les limiers de la police suivirent avec
12:32acharnement la moindre piste qui avait pu leur être fournie par la gigantesque enquête nationale
12:37et toutes ces pistes se terminaient invariablement en cul-de-sac. Les bureaux entiers étaient occupés
12:44par des tonnes de papiers où s'inscrivaient les rapports sur toutes ces démarches infructueuses.
12:48On pensa à une sorte d'obsédé, un vampire qui aurait dérobé dans la nuit de la Saint-Sylvestre
12:54un cadavre anonyme au cimetière de Thiers et qui l'aurait abandonné dans le fossé à quelques
12:58distances. Nouvelle échec. Et un camionneur, un routier qui aurait pu prendre en charge le
13:04macabre fardeau à l'autre bout du pays et le laisser sur son trajet aux abords de la capitale.
13:09La position recroquevillée de l'enfant, lorsqu'on le trouva, pouvait laisser supposer qu'il avait
13:13été transporté, sinon conservé un moment, dans une caisse de faible dimension. On dépouilla l'emploi
13:20du temps, les antécédents de tous les chauffeurs de poids lourd qui avaient pu emprunter la route
13:25de Versailles à Paris pendant la nuit du Nouvel An. Fort heureusement, cette nuit de fête, les camions
13:31avaient été moins nombreux qu'une autre nuit, mais il fallut quand même interroger des dizaines
13:35de suspects. L'un d'entre eux en particulier, dont le point d'attache était la ville de Caen,
13:40fut gardé à vue et longuement entendu par les policiers. Peine perdue, son allévie fut contrôlée
13:46seconde par seconde. La piste s'effondra encore. Les secrétaires dépouillaient attentivement le
13:52courrier accumulé pendant des mois. L'une des lettres disait « Ah, je ne peux reconnaître mon
13:57enfant d'une façon formelle, car je ne l'ai pas vu depuis deux ans. Je constate bien certaines
14:03particularités troublantes, notamment une petite verrue qu'il portait à l'oreille droite. » La
14:09lettre était signée Marie-Louise Tannot. Marie-Louise Tannot possédait une photo de son
14:16enfant photo, envoyée par une nourrice de la Somme qu'il avait gardée pendant un an. Le borbin y
14:23était représenté à l'âge de trois ans et demi, mais les policiers pensèrent instantanément qu'il
14:28s'agissait bien de l'enfant nu de la Saint-Sylvestre. Enfin une piste. La mère raconta alors sa pauvre
14:36vie et révéla qu'elle avait eu cet enfant, prénommé Maurice, avec un certain Frédéric Moïse,
14:43mais Moïse avec un Y, et Moïse est ce. La jeune femme décrivit ce Moïse comme un individu menteur
14:50sans scrupule. Il lui avait promis le mariage, mais il l'abandonna pendant sa grossesse pour se
14:56mettre en ménage avec une certaine Augustine Othermann, une grosse femme acariade de douze
15:01années plus âgée que lui. Marie-Louise Tannot fut obligée de confier l'enfant dès sa naissance à
15:07une nourrice du nord et de se placer comme femme de peine dans des maisons bourgeoises où elle
15:11touchait un maigre salaire qui lui permettait à peine de vivre en payant la pension de son enfant.
15:16Deux ans plus tard, elle rencontre par hasard Moïse qui lui fait de nouvelles promesses et
15:22reconnaît l'enfant, mais presque aussitôt la malheureuse apprend que son amant s'est en fait
15:27marié avec la dame Othermann, dont il a eu d'ailleurs deux filles. Désespérée, Marie-Louise
15:33Tannot déclare qu'elle va aller reprendre son enfant le 15 juillet, mais le 13, Moïse la précède,
15:39retire l'enfant à la nourrice et l'emmène à Paris. Moïse menait une drôle de vie, cet homme
15:46petit, au visage assez épais, s'était fait la réputation d'un donjant auprès des dames d'un
15:52certain âge, dames qui avaient tout un point commun de menus économiques que le galant trouvait
15:58toujours à utiliser. Alors pour faire la conquête de ces personnes esselées, il leur racontait qu'il
16:03était un ancien aviateur ayant fait le tour du monde ou bien un ancien toreador. Peut-être
16:07était-il aidé en cela par son poil brun et un certain accent qu'il devait à ses origines
16:13niçoises. Il oublie bien sûr de confier à ses conquêtes un peu mûres qu'il était en fait
16:18depuis longtemps marié à Bucarest avec une Roumaine qu'il faisait passer pour une princesse
16:24russe et qui était en fait serveuse dans un restaurant. Il oublie également de mentionner
16:30quelques petites condamnations et plusieurs renvois de ses emplois successifs, motif le vol.
16:35Il se vante d'être l'ami d'une star de cinéma et d'une société de la comédie française. Il a
16:41réussi à se faire admettre dans huit cercles parisiens, certains fort chics. Il dit aussi
16:47qu'il fait de la politique en fait. Il est devenu dans son arrondissement l'agent électoral d'un
16:52conseiller municipal et se livre nuit et ament à des collages d'affiches pour lesquelles il n'est
16:58pas inutile de se munir d'un solide manche de pioche pour le cas où l'on rencontre une équipe
17:03rivale. Cette manière assez spéciale d'envisager la politique lui permet présentement d'occuper
17:08avec sa femme et ses deux filles une loge de concierge dans un immeuble de la ville de Paris.
17:13Voyez-vous quand on a des relations. Mais dans tout cela où est donc le petit Maurice qui est
17:19censé vivre avec son père ? C'est la première question que les enquêteurs vont poser à Frédéric
17:25Moïse lorsqu'ils vont l'appréhender. Moïse avec un Y refuse de reconnaître l'enfant nu de la
17:31belle épine dont on lui présente la photo et proteste. Oui le petit je l'ai repris de chez
17:36sa nourrice. On l'a gardé avec ma femme. Elle était bien soignée chez nous. En novembre sa mère,
17:41Marie-Louise Tannot, m'a écrit qu'elle voulait le reprendre et que je ne le reverrai plus. Alors
17:46j'ai voulu le cacher. J'ai rencontré dans un restaurant de la Porte Saint-Martin un voisin
17:50de table qui connaissait une certaine Conchita Martinez habitant à Oviedo en Espagne à laquelle
17:56il me proposa de convier le gamin. Cette histoire ne tenait pas debout. D'autant plus qu'Oviedo
18:03était une ville complètement bloquée par les événements qui s'y déroulaient et qu'on ne pouvait
18:07bien évidemment rien vérifier sur place. Nous étions en pleine guerre civile d'Espagne. C'est
18:14la même nuit que l'on procéda à l'interrogatoire de la femme légitime de Moïse. Elle commença par
18:20réciter la même leçon, très surdelle, presque arrogante. Mais c'est alors que toutes les
18:25lumières s'éteignirent et que partout des sirènes se mirent à mugilles. Dans la pièce voisine, les
18:32deux petites filles de Moïse hurlèrent de peur. C'était en fait un exercice pour la défense civile,
18:37mais il fut providentiel. Les nerfs de la femme traquaient. Oui, nous avons menti. Le cadavre de
18:47la blépine est bien celui de Maurice. Je vais vous dire la vérité. Il est mort subitement à la fin
18:56décembre, après avoir eu un gros rhume. Comme il y avait dans les journaux des histoires d'enfants
19:02martyrs, nous avons craint que l'on nous accuse. Alors mon mari a vidé la caisse de jouets des
19:07enfants. Il a mis le cadavre dedans et caché la caisse dans une petite cave. Quelques nuits plus
19:12tard, il est allé se débarrasser du corps dans un fossé. Alors je vous jure que c'est la vérité.
19:15C'était un mensonge, car Moïse, interrogé de son côté, donna la version suivante. J'étais
19:22descendu à la cave avec lui, chercher du bois. Il remontait derrière moi, il a glissé, déboulé les
19:28marches, il est tombé sur la tête. Il a juste dit « Papa, papa ! » et il est mort dans mes bras. Alors
19:33j'ai eu peur. Je l'ai mis dans la caisse à jouets des enfants et puis je suis allé le déposer au
19:40carrefour de la blépine quelques nuits plus tard. Entre ces deux versions, un seul point commun,
19:46l'horrible détail de la caisse de jouets. C'était la seule vérité contenue dans ses déclarations.
19:52En fait, le procès révéla que Moïse avait repris son enfant pour pouvoir demander à la mère de
19:58celui-ci une rançon quand elle voudrait le revoir. On apprit aussi qu'après avoir été le souffre-douleur
20:04de Moïse et probablement de sa femme, le malheureux petit avait été tué par son père lui-même qui lui
20:11avait coincé la tête dans le chambranle d'une porte avec un coussin et pesé sur le bâton jusqu'à
20:18ce que la mort eut fait son œuvre. Après avoir caché le cadavre dans la caisse à jouets de ses
20:24deux filles, il avait pris l'autobus à la porte d'Italie dans la nuit de la Saint-Sylvestre avec
20:29son macabre fardeau qu'il était allé jeter nu dans le fossé près du cimetière de Thiers. On
20:40n'a pu prouver la complicité de la marâtre qui s'en tira avec une condamnation de principe.
20:46Frédéric Moïse fut reconnu responsable par les médecins, condamné à mort pour l'assassinat de
20:56son fils qui restera pour nous l'enfant nu de la Saint-Sylvestre.
21:16Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
21:28d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale Julien
21:34Tarot. Production Sébastien Guyot. Patrimoine sonore Sylvaine Denis, Laetitia Casanova,
21:41Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur
21:48le site et l'appui Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
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