Interview ou reportage d'une émission cinéma produite par CANAL+ autour d'un film disponible sur CANAL+ ou sortant en salles, un événement ou une actualité du 7ème Art
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00:00J'ai décidé d'être optimiste, parce que je crois que l'optimisme aujourd'hui est une forme de résistance.
00:09Je serais ravi de recevoir d'autres prix.
00:15La réalité a besoin d'un peu de fiction pour être plus vivable.
00:24Dans les années 80, j'ai fait des films tellement explosifs que maintenant, je peux être un peu plus austère.
00:31Dans une vie antérieure, je devais être un paysan de la Mancha.
00:43Pedro, la chambre d'à côté a reçu à nouveau le lion d'or à Venise.
00:48C'est une pluie de récompenses qui s'est abattue sur vous au fil des ans.
00:52Est-ce que vous y êtes habitué ou bien est-ce que ça continue à flatter votre vanité ?
01:00J'ai déjà reçu beaucoup de prix, je dois l'admettre.
01:04Mais je serais ravi d'en recevoir d'autres.
01:08Et j'en serais reconnaissant de tout mon cœur.
01:12Mais on ne fait pas ce travail pour avoir des prix.
01:16Quand on fait du travail, on oublie la possibilité même d'avoir des récompenses ou du succès.
01:22Parce que le travail est très dur en soi et qu'on a chaque jour de nombreux problèmes à résoudre.
01:32Alors on oublie tous les petits trucs, on oublie même le spectateur.
01:36Le spectateur n'a pas de visage.
01:39Ce n'est qu'une fois le film terminé que je me demande si le film va intéresser quelqu'un.
01:44C'est l'incertitude absolue, toujours, au premier film comme au 23ème.
01:52Donc je ne m'attends pas à être récompensé.
01:56Mais quand je reçois un prix, j'en suis très heureux et extrêmement reconnaissant.
02:04Mais ces moments ne durent pas.
02:07Et ça ne te rend ni plus grand, ni plus beau, ni plus drôle.
02:11Ce sont des moments où l'on reçoit une joie intense.
02:16Mais comme toutes les bonnes choses, ça ne dure que quelques secondes.
02:22Vous êtes bon perdant quand vous n'avez pas le prix ?
02:26Parfois oui, parfois non.
02:29Il y a des fois où ça m'agace, je dois l'avouer.
02:32Je ne le montre pas mais...
02:35En fait, si le film qui remporte le prix me plaît, je suis tout à fait d'accord et j'applaudis le film.
02:45Mais si c'est un film que je trouve pire que le mien, intérieurement ça m'énerve.
02:51Mais je fais en sorte que ça ne se voit pas.
02:54Et je ne le dis à personne, sauf à mon frère.
02:58« The Room Next Door » est adapté d'un roman de Sigrid Nunez.
03:01Quel est donc ton tourment ? C'est le titre.
03:03Qu'est-ce qui vous a appé dans cette histoire, pour vous donner envie d'en faire un film ?
03:09Quand j'ai commencé à le lire, je ne pensais pas adapter ce livre.
03:13Mais il se passe quelque chose à la moitié du livre,
03:17quand la femme qui est le personnage central va rendre visite à son amie malade,
03:22et aussitôt après, elle se retrouve dans un café,
03:25et son amie lui demande de l'accompagner,
03:28en s'installant dans la chambre d'à côté, pour ses derniers jours de vie.
03:31Cette situation, d'un point de vue dramatique, est très forte, très puissante.
03:37Elle permet de réfléchir à la mort, et à l'amitié aussi.
03:42Elles ne se sont pas vues depuis des années, et elles renouent leur amitié.
03:45À l'accompagnement aussi.
03:48Je crois que c'est le grand sujet du film,
03:51en dehors de la mort, de la mortalité,
03:54et du droit de chaque être humain à décider de sa propre mort.
03:58Je pense que nous sommes maîtres de notre vie,
04:01mais que nous devons l'être également de notre mort.
04:04Mais un grand sujet du film, c'est le fait d'accompagner, d'être aux côtés,
04:08sans forcément parler.
04:10Il suffit parfois de rester aux côtés de quelqu'un.
04:13Je crois que c'est très important, surtout aujourd'hui.
04:16Depuis « Douleur et gloire »,
04:19on a l'impression que vous avez moins peur de vous confronter à votre propre mortalité.
04:24Oui, c'est vrai.
04:26Il faut dire que le temps passe.
04:29Ah bon ?
04:32Et notre corps nous rappelle
04:35qu'il nous reste de moins en moins de temps à vivre.
04:38Mais c'est vrai que depuis quelques années,
04:41les sujets de la douleur et de la mort sont plus présents dans ma vie.
04:50J'ai une relation pas très adulte avec la mort.
04:56C'est pour ça que j'aime mieux l'aborder par le biais de l'écriture,
05:00pour voir où cela me mène et comment j'évolue.
05:04C'est vrai que je parle moins de plaisir que dans les années 80.
05:09Mais il faut dire aussi que dans les années 80,
05:12j'ai fait des films tellement explosifs
05:15que maintenant je peux être un peu plus austère.
05:19Explosif, c'est le mot que je cherchais pour définir.
05:22Pedro, je vous cite.
05:24Vous avez dit « Inspiré par mon athéisme,
05:27le scénario de ce film laisse s'immiscer la possibilité de la réincarnation
05:32ou l'éventualité qu'au-delà, il puisse exister autre chose que l'obscurité ».
05:37Ça veut dire que vous avez un fond de nature optimiste ?
05:42Eh bien, j'ai décidé d'être optimiste
05:46parce que je crois que l'optimisme aujourd'hui est une forme de résistance.
05:53Je suis totalement optimiste.
05:56Et pendant le tournage, surtout à la fin,
05:59pendant la deuxième partie du film,
06:01qui se déroule entièrement dans une maison,
06:04au milieu d'une forêt, dans une réserve naturelle,
06:08j'ai senti, quand on tournait,
06:11qu'il y avait Tilda Swinton, Julianne Moore,
06:15mais aussi un quatrième personnage, en plus de moi,
06:19qui était la mort.
06:21Et pendant au moins quatre semaines,
06:24on a vécu avec cette présence.
06:27Et ça a soulagé d'une certaine façon le personnage de Julianne.
06:32Ça lui a permis d'accepter plus facilement
06:35et de s'intéresser plus aux petites choses de la vie,
06:39qu'elle apprend à apprécier,
06:41en dépit du fait que son amie soit condamnée à mourir.
06:44Mais puisqu'on évoque l'hypothèse de la réincarnation,
06:47si vous, Pedro, vous deviez vous réincarner,
06:49vous choisiriez quoi ?
06:51Un homme, une femme, une girafe, un jambon ibérique ?
06:55Je n'y ai jamais réfléchi,
06:58mais je crois que je me réincarnerais
07:01en un phénomène atmosphérique,
07:03une brise d'été,
07:05cette brise que l'on sent aux alentours de 7-8 heures
07:08à la fin d'une journée du mois d'août ou de septembre.
07:12Mais vous, qui êtes une vieille âme,
07:15vous êtes profond, vous avez vécu,
07:18vous avez mille vies en vous.
07:20Vous imaginez comment, dans une vie précédente ?
07:24On a fait deux fois mon portrait à la peinture,
07:29à la peinture à l'huile.
07:32Et les deux peintres m'ont dit que mes traits
07:35ressemblaient à ceux des personnages de Goya.
07:39Alors, je crois que dans une vie antérieure,
07:42je devais être un paysan de la Mancha.
07:45Je voudrais un mot de vos deux actrices,
07:47Tilda Swinton et Julianne Moore.
07:49Tilda Swinton, avec qui vous aviez déjà travaillé
07:51sur un court-métrage il y a 3-4 ans,
07:53et Julianne Moore, qui rentre dans la famille Almodovar.
07:56Pourquoi ces deux actrices ensemble ?
08:00Ce sont toutes les deux des actrices très particulières.
08:05Elles sont très peu représentatives
08:08des actrices hollywoodiennes à succès.
08:11Tilda a un physique tout à fait unique.
08:14Je crois qu'elle appartient à une autre espèce,
08:17animale, pas à l'espèce humaine.
08:20C'est le double de David Bowie.
08:23Tout à fait.
08:25Selon l'endroit où on place la caméra,
08:28elle ressemblait à l'identique à David Bowie.
08:31C'est incroyable. Elle lui ressemble totalement.
08:34En écrivant le scénario, je pensais déjà à elle.
08:38Et ensuite, une fois le scénario terminé,
08:41le nom de Julianne m'est aussitôt venu à l'esprit.
08:44Parce que je me souviens,
08:47la première fois que j'ai vu Julianne,
08:50c'était dans Shortcuts de Robert Altman.
08:53Dans une scène dans laquelle elle se dispute avec son mari
08:56parce qu'il croit qu'elle l'a trompée pendant une fête
08:59et qu'elle a embrassé un autre homme et tout ça.
09:02Donc elle se met en colère, elle prend un verre
09:05et elle le renverse sur la jupe du tailleur qu'elle porte.
09:08Donc elle retire sa jupe et continue de discuter
09:11avec son mari, entièrement nu,
09:14tout en essayant de faire sécher sa jupe.
09:17Donc on la voit dans le plus simple appareil,
09:20mais elle, elle continue à discuter avec son mari
09:23de façon tout à fait naturelle.
09:26Et j'ai trouvé que cette femme
09:29était une actrice parfaite pour travailler avec moi.
09:35Dans tous vos films, les femmes représentent le sexe fort.
09:38Moi je voudrais savoir quelles sont les qualités requises
09:41pour pouvoir rentrer dans l'almodoverse ?
09:46Il n'est pas nécessaire d'être né femme.
09:49Il suffit de vouloir en être une.
09:52C'est tout.
09:55Évidemment, c'est une bonne chose
09:58si en plus elle a le sens de l'humour
10:01et qu'elle est aussi à l'aise
10:04avec le drame qu'avec la comédie
10:07parce que la vie est une tragicomédie.
10:13Ensuite, j'admire beaucoup
10:16la beauté physique,
10:19mais j'admire également beaucoup
10:22les physiques atypiques
10:25qui ont quelque chose d'irrégulier,
10:28qui les rendent uniques.
10:31Autrement dit, je m'intéresse plus
10:34aux physiques qui expriment quelque chose
10:37qu'à la beauté en soi.
10:40La beauté peut être très ennuyeuse.
10:43J'ai mes chances ?
10:46Oui, oui.
10:49Je suis prêt, je me rase, j'arrive.
10:52Oui, oui, je vous imagine très bien.
10:55Vous publiez Le Dernier Rêve,
10:58qui est un recueil de textes
11:01que vous avez écrits depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui.
11:04Vous êtes un gros lecteur.
11:07De quelle manière est-ce que la littérature
11:10est-elle une littérature ?
11:13Mon cinéma est un cinéma oral,
11:16mais aussi littéraire,
11:19qui se base sur les mots.
11:22Par exemple, tous les personnages
11:25ont leur bibliothèque
11:28et je choisis spécialement les livres de chacun,
11:31même s'ils n'apparaissent pas au premier plan.
11:34Chaque personnage a des auteurs
11:37et des autrices spécifiques.
11:40Pour moi, c'est vraiment très important.
11:43C'est comme choisir les vêtements qu'on va porter.
11:46Et dans ma vie, la lecture est la grande compagne par excellence.
11:49Elle ne déçoit jamais.
11:52Et puis la lecture est quelque chose
11:55que l'on fait dans la solitude.
11:58Je lis beaucoup, vraiment beaucoup.
12:01Pour moi, c'est très important.
12:04C'est très réconfortant par rapport à l'avenir,
12:07l'idée que je pourrais toujours lire.
12:10Le Dernier Rêve, c'est un recueil de taille raisonnable.
12:13Vous avez beaucoup écrit tout au long de votre carrière.
12:16Est-ce qu'un jour, on va découvrir des archives
12:19Pedro Almodovar avec des piles de manuscrits ?
12:22J'ai beaucoup écrit.
12:25C'est vrai que j'ai beaucoup écrit
12:28et que mon assistante a plusieurs classeurs remplis de récits.
12:32Mais je suis trop pudique pour les montrer,
12:35pour montrer tout ce matériel.
12:38Pour le moment, je lui ai demandé
12:41de ne pas mettre le nez dans ces classeurs.
12:47Il y a suffisamment de livres et d'informations sur moi.
12:52Mais je ressens l'appel littéraire à écrire.
12:55Un jour, un grand roman.
12:58C'est votre mère qui vous a appris que la réalité
13:01avait besoin de la fiction pour être plus vivable ?
13:04Oui. Je n'en avais pas conscience à l'époque
13:07parce que je n'avais que 10 ans.
13:10On a quitté la Manchap pour l'Extrémadura
13:13et on est arrivé dans une rue où les gens étaient analphabètes.
13:16Alors ma mère lisait les lettres aux voisines
13:19et moi, je les écrivais.
13:22Je l'accompagnais quand elle allait lire les lettres
13:25et je voyais ce qui était écrit dessus.
13:28Et je voyais que ma mère inventait certaines choses.
13:31Si la lettre ne demandait pas de nouvelles de la grand-mère,
13:34ma mère parlait de la grand-mère
13:37et parlait de tout ce qu'elle savait qui ferait plaisir à la voisine.
13:40Et moi, quand on rentrait à la maison, je lui disais
13:43« Mais maman, comment tu peux mentir comme ça en lisant les lettres ? »
13:46Et elle me disait « Tu as vu comme elle était heureuse,
13:49comme ça lui a fait plaisir ? »
13:52Et j'y ai ensuite repensé des années plus tard,
13:55une fois adulte.
13:58Je ne m'étais pas rendu compte que c'était la grande leçon
14:01que m'avait enseignée ma mère.
14:04Que la réalité a besoin d'un peu de fiction pour être plus vivable,
14:07plus agréable.
14:10Ça a été une leçon très importante.
14:13Pedro, nous avons parlé de deuil, de mort,
14:16des sujets pas très joyeux et pourtant cette interview était joyeuse,
14:19mais je ne peux pas vous le laisser partir sans évoquer Marissa Paredes
14:22qui nous a quittés au mois de décembre.
14:25Je voudrais savoir ce qui vous vient immédiatement à l'esprit
14:28quand vous pensez à celle qui a été une de vos égéries.
14:31Oui, Marissa Paredes est une actrice essentielle de ma filmographie.
14:34Les rôles qu'elle a incarnés dans « Dans les ténèbres »,
14:37« La fleur de mon secret », « Tout sur ma mère »
14:40et « La pielle qui habitaut »
14:43ont conféré à ses films et à son propre jeu
14:47quelque chose d'éternel.
14:50Et ça a été très douloureux
14:53parce qu'on ne s'attendait pas à ce qu'elle meure maintenant.
15:01J'avais reçu un message d'elle, tout à fait normal,
15:04le jour précédent.
15:07Donc ça a été un coup vraiment dur.
15:10Mais le cinéma, heureusement, nous survit.
15:16Et mes films et les autres films qu'elle a faits
15:19avec d'autres réalisateurs
15:22survivront bien évidemment à Marissa.
15:25Pour l'éternité, je l'espère.
15:28Une pensée pour Marissa.
15:31Merci beaucoup.
15:34Merci beaucoup, Antoine.