Les monuments aux morts de 1914-1918 nous sont devenus tellement familiers qu'on ne les voit plus. C'est un musée invisible qui a fini par se confondre avec les paysages de France. Et puis un beau jour, une sculpture arrête le regard, ici un soldat monte à l'assaut, ailleurs une jeune femme pleure dans un champ devant un casque... une autre histoire apparait.
C'est le projet artistique le plus ample peut-être depuis les cathédrales, un grand chantier qui va s'étendre des années 20 aux années 30.
Les morceaux d'un récit en trois dimensions semblent avoir été dispersés à travers tout le pays, comme des rushes d'un film mis en scène dans la pierre, au moment même où le cinéma muet est en train de devenir cinéma parlant. Les plus étonnantes de ces statues nous font entrer dans un monde parallèle, là où continuent à vivre les fantômes de la Grande Guerre.
Durée : 62' / Année : 2023 / documentaire réalisé par Jérôme Prieur / Coproduction Mélisande Films / LCP-Assemblée nationale
C'est le projet artistique le plus ample peut-être depuis les cathédrales, un grand chantier qui va s'étendre des années 20 aux années 30.
Les morceaux d'un récit en trois dimensions semblent avoir été dispersés à travers tout le pays, comme des rushes d'un film mis en scène dans la pierre, au moment même où le cinéma muet est en train de devenir cinéma parlant. Les plus étonnantes de ces statues nous font entrer dans un monde parallèle, là où continuent à vivre les fantômes de la Grande Guerre.
Durée : 62' / Année : 2023 / documentaire réalisé par Jérôme Prieur / Coproduction Mélisande Films / LCP-Assemblée nationale
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00:01:01On ne fait plus attention à eux,
00:01:04pas plus qu'aux panneaux de signalisation ou aux poteaux électriques.
00:01:12Ils ornent les places de villages,
00:01:14ils sont aux pieds de la mairie,
00:01:17ils décorent le chevet des églises.
00:01:22Ces sentinelles, c'est comme un musée invisible,
00:01:26ouvert à tout vent.
00:01:30Deux ou trois fois l'an,
00:01:32on vient y déposer des gerbes de fleurs.
00:01:39Les monuments aux morts de la Grande Guerre
00:01:41ont fini par se mélanger au paysage.
00:01:47À ceux de 14, on a ajouté d'autres plaques.
00:01:51Les morts de 40,
00:01:53les résistants, les déportés,
00:01:55tous se confondent.
00:01:58Et puis ceux d'Indochine, d'Algérie, d'ailleurs.
00:02:05Il reste encore un peu de place,
00:02:07au cas où.
00:02:18Les pauvres soldats de l'armée morte
00:02:20ont donné leur vie,
00:02:22qu'au moins on vénère leur nom.
00:02:28Pour la première fois,
00:02:30c'est systématique.
00:02:32Les guerriers inconnus ont le droit d'être nommés,
00:02:35et pas seulement les chefs de guerre.
00:02:46Les simples soldats,
00:02:48les sous-officiers et les officiers
00:02:50sont logés à la même enseigne.
00:02:52Les paysans, les ouvriers,
00:02:54les citadins, les pauvres et les riches.
00:02:56Tous les contingents d'hommes
00:02:58envoyés au feu.
00:03:08Noms inoubliables,
00:03:10dont on ne se souvient pas.
00:03:12Les mêmes souvent,
00:03:14jusqu'à six ou sept fois.
00:03:16Les frères, les fils, les pères,
00:03:18les oncles, les cousins.
00:03:25La pierre est gorgée de sang.
00:03:42Danière à Salon de Provence,
00:03:44de Verdun à Pessac,
00:03:46de Nîmes à Amiens.
00:03:50Les héros ordinaires méritent maintenant
00:03:52d'entrer dans un panthéon
00:03:54qui doit se répandre partout
00:03:56à travers la France.
00:04:02C'est de la frénésie.
00:04:04Chacune des 36 000 communes
00:04:06veut son monument.
00:04:08Sauf que la France est exsangue.
00:04:16Le quotidien l'humanité
00:04:18se désolera en voyant que l'Allemagne
00:04:20se chigne à payer ses dommages de guerre.
00:04:22Nous n'avons ni pierre,
00:04:24ni mortier, ni argent,
00:04:26ni maçon pour construire des choses
00:04:28propres à abriter les vivants.
00:04:30Mais nous érigeons
00:04:32dans toutes les localités de France
00:04:34et de Navarre tant de monuments
00:04:36qu'on pourrait bâtir une ville
00:04:38avec ces matériaux gaspillés.
00:04:46Élève-t-on des monuments à la lèpre ?
00:04:48Se désespèrent certains camarades
00:04:50de tranchées, effrayés
00:04:52qu'on puisse glorifier la guerre
00:04:54et les grandes batailles.
00:05:10Pourtant, la majorité des associations
00:05:12d'anciens combattants poussent à la roue.
00:05:14Les poilus, démobilisés,
00:05:16demandent que l'on honore les morts
00:05:18mais aussi les vivants
00:05:20qui s'entraident
00:05:22et qui veulent être récompensés
00:05:24pour ce qu'ils ont fait.
00:05:28Qu'on ne les oublie pas.
00:05:40Il est vrai que les anciens combattants
00:05:42sont une force
00:05:44avec laquelle il faut compter.
00:05:46C'est près de la moitié
00:05:48du corps électoral.
00:06:12Seuls, les grands monuments érigés
00:06:14sur les champs de bataille
00:06:16le sont à l'initiative de l'État.
00:06:24Au contraire,
00:06:26la charge de la construction
00:06:28de tous les champs
00:06:30de bataille
00:06:32est à l'initiative
00:06:34de l'État.
00:06:36L'État se contente d'accorder
00:06:38une petite subvention.
00:06:40Elle est calculée en fonction
00:06:42du nombre de soldats morts
00:06:44par rapport au nombre d'habitants
00:06:46de la commune.
00:07:06C'est insuffisant.
00:07:08On organise des balles payantes,
00:07:10des séances de cinématographes,
00:07:12des concerts,
00:07:14des ventes de charité,
00:07:16une corrida,
00:07:18même la quête dans certaines paroisses.
00:07:28Il n'est pas rare
00:07:30que la presse locale publie
00:07:32le nom des bienfaits de la commune.
00:07:34La presse locale publie le nom
00:07:36des bienfaiteurs
00:07:38et le montant de leurs dons.
00:07:40C'est un encouragement certain.
00:08:00Un comité constitué spécialement
00:08:02dans chaque commune
00:08:04pour suivre les étapes du projet.
00:08:08Le maire doit négocier,
00:08:10défendre ses préférences,
00:08:12mais aussi obtenir l'assentiment
00:08:14du plus grand nombre,
00:08:16celui des familles.
00:08:18Les familles des morts pour la France
00:08:20comme celles des démobilisés,
00:08:22dont il faut éviter les jalousies.
00:08:26On est invité à aller voir
00:08:28les plans ou la maquette
00:08:30et à approcher l'épicier
00:08:32pour donner son avis.
00:08:34Car l'œuvre à créer
00:08:36doit être l'œuvre de tous,
00:08:38selon l'expression du maire
00:08:40de Châteauneuf-Laforêt.
00:08:42Le chantier qui s'annonce offre du travail.
00:08:58Il incite les différents corps
00:09:00de métier et les petits artisans,
00:09:02sans parler des intermédiaires,
00:09:04à se disputer le marché
00:09:06auprès des municipalités.
00:09:08Les bénévoles de Châteauneuf-Laforêt
00:09:10terrassiers, maçons, carriers, fondeurs, ferronniers, tailleurs de pierres et même architectes
00:09:21et sculpteurs pour les édifices plus originaux.
00:09:23Le bruit des marteaux et des ciseaux retentit à travers le pays tout au long des années
00:09:4320 et jusqu'à la fin des années 30.
00:09:51De nombreuses communes font de l'origine locale ou départementale des sculpteurs une
00:10:01condition de leur appel d'offre.
00:10:02Ainsi, Donzelli, artisan venu d'Italie avec ses fils, qui s'est installé pour trouver
00:10:13du travail dans les régions sinistrées de l'Est de la France.
00:10:17En rendant hommage aux soldats de la Croix-sur-Meuse et aux habitants morts pendant la guerre,
00:10:38le village a été presque intégralement détruit.
00:10:41Donzelli utilise peut-être aussi la pierre pour remercier le pays qu'il a accueilli
00:10:47et donner libre cours à sa gratitude envers les femmes et les hommes de la commune.
00:10:51Ailleurs, on est fier de solliciter des célébrités de la capitale, des sculpteurs prestigieux.
00:11:12Prix de Rome, membres de l'Académie des Beaux-Arts, anciens élèves de l'atelier
00:11:19de Frémiers, de Carpeaux, de Dalou ou de Rodin.
00:11:23Y-a-t-il eu un tel projet depuis les cathédrales ?
00:11:49Des entreprises qui s'étaient spécialisées dans les statues de la République ou les bustes
00:11:56de Marianne, le culte des grands hommes et des petits notables, se convertissent dans
00:12:01la production en série de monuments aux morts.
00:12:03Les marbrueries funéraires, les bronziers, les fonderies offrent sur catalogue des stèles,
00:12:14des obélisques, des colonnes tronquées, lauriers, palmes, couronnes, coques gaulois, etc.
00:12:22Des effigies sortent en quantité du même moule, près de 800 exemplaires du poilu modèle
00:12:31Camus, en une seule taille de 1m60, patinées imitation pierre de taille ou imitation bronze,
00:12:39en ciment dur, inaltérable, aussi résistant que le granit, ou peint en couleur naturelle,
00:12:46bleu horizon, à la demande.
00:12:48Les exemplaires produits en série sont bien meilleurs marchés que les œuvres originales.
00:12:58Dans son premier roman, le jeune Alexandre Vialat imagine en 1928 le personnage d'un
00:13:14représentant de commerce.
00:13:15Il y a encore plus de communes qu'on ne pense qui n'ont pas leurs monuments aux morts,
00:13:22mais on n'a pas compris ce qu'il leur faut.
00:13:24On leur propose la France avec des ailes, la victoire avec des nichons pointus, des
00:13:30pyramides de casques, des faisceaux de baïonnettes et des tas de choses allégoriques.
00:13:35Et l'art, que je dis au maire en le regardant bien en face.
00:13:39Ils s'en foutent, ils veulent leur poilu.
00:13:42Alors voilà, je leur fais des poilus, en série.
00:13:46Suivant les villages, je leur colle le numéro du régiment dans lequel ils ont servi presque
00:13:53tous.
00:13:54Ils ne voient plus que ça dans la statue, ça leur fait plus de plaisir qu'une belle
00:13:58femme avec des cheveux comme les réclames pour le pétrole.
00:14:01Tu signales les moletières, les boutons, le sac, la musette, la grenade du casque,
00:14:09serviette chaude, c'est du pain vendu.
00:14:11Ils se reconnaissent, ça c'est nous, c'est comme ça que nous étions.
00:14:24J'appris ainsi pourquoi les villages s'ornaient inexcusablement d'une belle floraison de
00:14:30poilus, raides comme des tuyaux de gouttières et pimpants comme des mannequins.
00:14:35Si ce n'était pas un triomphe de la sculpture, c'était du moins une victoire de la psychologie.
00:14:41Majorité réactionnaire, j'offre le modèle numéro 4, le poilu debout, invincible, victorieux.
00:14:50Majorité rouge, je préconise le 4 bis, le soldat mourant, le cadavre, la guerre sans compensation.
00:14:58Dans la pierre ou la fonte, on donne des leçons d'héroïsme, on met en scène l'exaltation
00:15:20patriotique, les tambours et les trompettes, le vieux sang séché.
00:15:27On ne passe pas, crient les soldats aux bras tendus, qui, ainsi postés, auraient offert une cible parfaite.
00:15:41Ultime représentation du théâtre aux armées.
00:15:56L'ennemi est hors champ.
00:16:03Comme dans les tranchées, l'ennemi ne se montre pas.
00:16:06Au mieux, un casque à pointe, un casque pris dans les barbelés.
00:16:10Au pire, un aigle immense abattu au pied d'un soldat.
00:16:26Le temps est suspendu, le drap tombe d'un coup et la statue apparaît.
00:16:40L'inauguration est la fête rituelle de l'entre-deux-guerres.
00:16:49Année après année, les discours s'adressent aux monuments aux morts comme aux dieux protecteurs de la cité.
00:16:56Défilent les corps constitués et les enfants des écoles.
00:17:02Le monument devient le centre autour duquel gravite la vie locale.
00:17:09La victoire a lieu dans chaque commune.
00:17:16La République honore le sacrifice de ses soldats.
00:17:20La République console ses enfants en proclamant qu'ils ne sont pas morts pour rien.
00:17:29La presse nationaliste lance une virulente campagne en avril 1927 pour interdire l'inauguration du monument de Levallois-Perret.
00:17:39Elle s'insurge que la guerre y soit montrée comme une chose horrible.
00:17:45Le monument de Levallois-Perret n'est pas un monument.
00:17:51Le populaire, le quotidien dirigé par Léon Blum, se félicite au contraire d'y voir un des mutinés, fusillé pour l'exemple.
00:18:01Et que soit figuré un tirailleur des troupes d'Afrique, victime de la guerre,
00:18:07qui a fait l'objet d'une guerre qui n'a jamais eu lieu.
00:18:12Le populaire, le quotidien dirigé par Léon Blum, se félicite au contraire d'y voir un des mutinés, fusillé pour l'exemple.
00:18:19Et que soit figuré un tirailleur des troupes d'Afrique, victime de la colonisation.
00:18:26Au centre, un soldat gazé, à l'agonie.
00:18:32Le préfet de la Seine veut réconcilier les points de vue.
00:18:37N'est-ce pas plutôt sa compassion immense qu'exprime le sculpteur Charles Hirondi envers les tortures morales et physiques,
00:18:44enduré stoïquement par les poilus, au service de la patrie meurtrie, explique-t-il dans son discours ?
00:18:58Quant à l'ouvrier, qui attire toute la polémique, brise-t-il son glaive ?
00:19:04C'est l'une des armes de l'ennemi ramassée sur le champ de bataille, justifie encore le préfet.
00:19:11La paix retrouvée n'est-il pas temps de jeter ses armes ?
00:19:17L'artiste Hirondi, un ancien combattant valeureux, se défend de toute inspiration subversive.
00:19:25Il fut quand même bien imprudent, déplore le journal de l'Union nationale des combattants,
00:19:33d'en appeler à l'imagination des spectateurs, au risque de prêter son œuvre à toutes les interprétations.
00:20:03L'Union nationale des combattants
00:20:34Parmi les sculpteurs, beaucoup étaient en âge de partir combattre sur le front, ou de rejoindre des unités de camouflage.
00:20:46Maintenant, ils veulent témoigner pour leurs camarades.
00:20:51Les plus novateurs veulent simplifier, frapper.
00:20:56Être moderne, c'est peut-être simplement refuser l'allégorie ou le style épique, chercher à être vrai.
00:21:26L'Union nationale des combattants
00:21:56L'art et la décoration
00:22:05L'on peut lire dans le numéro de juillet 1922 du magazine Art et décoration, ce compliment sur une statue de Meurthe et Moselle.
00:22:15Rien de brutal dans ce guerrier, dont la guerre n'est ni la profession, ni l'idéal.
00:22:22Il est viril sans violence, il reste alerte sous l'épaisse capote, et il garde, jusque dans la boue des tranchées, une élégance native.
00:22:32C'est presque toujours le soldat qui a abandonné son élégant képi en beau drap de l'été 1914 qui est représenté.
00:22:44Il n'a plus sa tenue bleue égarance, d'un rouge merveilleux, d'un rouge vert.
00:22:52C'est presque toujours le soldat qui a abandonné son élégant képi en beau drap de l'été 1914 qui est représenté.
00:23:00Il n'a plus sa tenue bleue égarance, d'un rouge merveilleux, pour les mitrailleuses allemandes.
00:23:08Il porte enfin l'uniforme, que l'on sait bleu horizon, et le casque adriant.
00:23:15Il a fallu attendre le printemps 1915 pour que sa tête soit un peu protégée.
00:23:22Il n'y avait pas de bidon de pinard ou de niol, ce qui aidait pourtant les fantassins à jaillir de la tranchée à l'attaque de celles d'en face, quelques dizaines de mètres plus loin.
00:23:32Benjamin Simonnet est capitaine d'un régiment d'infanterie.
00:23:52Chaque jour, ou presque, il écrit à sa femme depuis le début de la guerre.
00:24:00« Ma chérie, il a fallu d'abord franchir un terrain découvert d'environ 400 mètres battus par les balles. Ce n'était rien encore.
00:24:11Du point le plus dangereux, un boyau d'une centaine de mètres conduisait à la tranchée.
00:24:17Au fond, une boue épaisse dans laquelle nous enfonçons jusqu'aux genoux.
00:24:23Quelle supplice ! Ces 100 mètres m'ont paru des kilomètres.
00:24:29Enfin nous voici arrivés, jambes et pieds trempés, immondes, mais effets couverts d'une couche de boue collante, si vous m'aviez vu.
00:24:42Enfin, je prépare l'attaque, transmets mes ordres, juste à temps car bientôt, l'artillerie donna d'une façon intense.
00:24:53Nos hommes sont tassés, baïonnettes aux canons dans la tranchée.
00:24:57Malheureusement, aucun gradin préparé. Le talus est haut de près de 2 mètres, la terre glissante.
00:25:06Je donne un coup de sifflet à 7h45.
00:25:09Quelques braves, gradés en tête, grimpent d'une centaine de mètres.
00:25:14Aussitôt, des mitrailleux ennemis déclenchent leur tir.
00:25:18Quelques-uns tombent près de la tranchée, la plupart gagnent un talus à 30 mètres de là et s'y couchent.
00:25:27Ceci parti, l'élan est fini.
00:25:31J'ai beau supplier, crier, taper à coups de pieds, sortir mon revolver, les hommes ne veulent pas quitter la tranchée.
00:25:41Quelques-uns essaient, je les fais hisser par les pieds pour qu'ils aillent plus vite.
00:25:47À peine arrivent-ils au sommet pour prendre leur élan et courir, une balle les frappe et ils retombent, tués ou blessés.
00:25:57L'attaque est ratée. Toute la journée ainsi.
00:26:05Tu comprends pourquoi hier, je ne t'ai pas écrit.
00:26:17Les monuments sont la manière moderne de pratiquer l'alchimie.
00:26:21Ils transmutent en dur la chair.
00:26:24Ils solidifient les corps par le calcaire.
00:26:28Le calcaire est un élément de l'alchimie.
00:26:31Les monuments sont la manière moderne de pratiquer l'alchimie.
00:26:35Ils transmutent en dur la chair.
00:26:38Ils solidifient les corps par le calcaire.
00:26:42Ils transmutent en dur la chair.
00:26:45Ils solidifient les corps par le calcaire.
00:26:48Mais aussi le marbre blanc, la fonte ou le bronze, l'agglomérat de poudre de roche, le béton armé.
00:26:57Mais le fer à l'intérieur peut rouiller, il faut des aciers mêlés de cuivre et c'est plus cher.
00:27:03Le granit en Bretagne ou dans les Vosges, le grès rose en Alsace, la pierre de l'Ave en Auvergne.
00:27:13Rien ne doit provenir d'Allemagne, ni matériaux, ni main-d'œuvre.
00:27:29Les voici maintenant, les sculpteurs qui attrapent des choses vues.
00:27:34Les monuments fixent en volume et en relief ce que personne ne pouvait voir loin du front.
00:27:48Les sculpteurs stockent des gestes.
00:27:51Ils cachent des souvenirs au fond de leurs statues.
00:27:56De même que les offensives doivent être reconstituées pour les actualités filmées,
00:28:01la guerre est rejouée par les monuments.
00:28:05Le spectacle est contemporain de l'essor du cinématographe.
00:28:10Le passage du muséum.
00:28:12Le redescente du sol.
00:28:14Les étoiles de la rue, les sablés du jardin.
00:28:16Les troncheurs de l'église.
00:28:18Les peintures racines.
00:28:34La bande de la publicité.
00:28:36Le passage du muet au parlant.
00:28:39Les statues sont muettes, mais elles parlent.
00:28:51Si ce jeune soldat se bouche les oreilles, c'est que la guerre, en permanence, fait
00:29:03un boucan de tous les diables.
00:29:05Les statues sont toujours dressées, érigées.
00:29:18Seuls les bas-reliefs gravés sur le socle, comme des vues photographiques imprimées
00:29:25dans la pierre, montrent que les soldats ont vécu enfouis, enterrés, dans la terre.
00:29:31Tout y est, jusqu'au parapet, au panier en osier, au sac de sable.
00:29:58Le froid, le terrassement, le poste de guet, l'attaque des gaz, le souffle des tirs de
00:30:05canons, l'explosion soudaine, le compte à rebours juste avant l'assaut.
00:30:10Quelque chose d'implacable, la guerre réduite à l'essentiel, la vie, la guerre, la mort,
00:30:32l'attente, l'abrutissement.
00:30:40La guerre réduite à l'essentiel, la guerre réduite à l'essentiel, la guerre, la mort,
00:31:09l'abrutissement.
00:31:10En une suite d'instantanées, Gaston Broquet rend hommage à ses compagnons d'armes.
00:31:23Ils dispersent des bouts de récits entre Rangs-l'Étape, Bains-les-Bains, Commercy,
00:31:29Chalons-en-Champagne, Samogneux ou l'Hôpital du Val-de-Grâce à Paris.
00:31:40Marcel Bitsch, infirmier au 94e régiment d'infanterie, musicien dans le civil, raconte.
00:31:51Rosset me présente Gaston Broquet, sculpteur, soldat à la 7e.
00:31:58Grande discussion sur Balzac.
00:32:108 mai, le bataillon stationne à l'entrée du Ravin de la Houillette, voie d'accès à Bagatelle.
00:32:17J'ai l'impression qu'en pleine attaque, c'est imprudent.
00:32:20Rafale d'obus juste sur nous, pénétrant et fusant.
00:32:25Des obus qui tombent à toute vitesse.
00:32:28Tué, blessé, désordre, je me foule la cuisse.
00:32:33Un mort.
00:32:35Broquet, le sculpteur qui faisait ses débuts de bancardier, s'affale.
00:32:52De son côté, Louis Moffret, médecin auxiliaire, consigne, le même jour.
00:32:59Nous voyons alors que l'un d'entre nous ne s'est pas relevé.
00:33:02C'est Gaston Broquet, le sculpteur.
00:33:05Je suis touché, me dit-il. Je ne peux plus bouger.
00:33:10Apparemment, il a un shrapnel dans l'épaule et l'une de ses chaussures est déchirée.
00:33:15Je le confie à un brancardier pour qu'il l'emmène immédiatement.
00:33:33Que dire à ceux qui n'ont jamais rien vu ?
00:33:40Eugène-Emmanuel Lemercier combat aux éparges.
00:33:44Nos pertes sont effroyables, celles de l'ennemi, pire encore.
00:33:50Tu ne peux pas savoir, ma mère aimée, ce que l'homme a fait.
00:33:56Voici cinq jours que mes souliers sont gras de cervelle humaine,
00:34:01que j'écrase des thorax, que je rencontre des entrailles.
00:34:07Les hommes mangent à côté des cadavres.
00:34:13Le régiment a été éliminé.
00:34:17Je ne peux plus bouger.
00:34:21Le régiment a été héroïque.
00:34:52Le médecin auxiliaire René Prieur, le 25 février 1916, près de Verdun.
00:34:58Le canon de 75 fouche tout.
00:35:02Les bras, les têtes, les membres volent en l'air.
00:35:06Je suis éclaboussé de sang.
00:35:10Le ravin est comblé de morts qui s'amoncèlent.
00:35:14Je ne peux plus bouger.
00:35:19Le ravin est comblé de morts qui s'amoncèlent et vers quatre heures et quart,
00:35:24quand je me dégage de dessous ma tranchée et des arbres,
00:35:28je ne sais pas où je vais.
00:35:31Je n'ai rien vu de plus infernal.
00:35:35J'entendrai toute ma vie le son métallique du 75,
00:35:39les cris des blessés, le nombre inouï des morts.
00:35:49Le ravin est comblé de morts qui s'amoncèlent et vers quatre heures et quart,
00:35:55quand je me dégage de la tranchée et des arbres,
00:35:59je ne sais pas où je vais.
00:36:03Je ne peux plus bouger.
00:36:07Le ravin est comblé de morts qui s'amoncèlent et vers quatre heures et quart,
00:36:13quand je me dégage de la tranchée et des arbres,
00:36:18Je ne peux plus bouger.
00:36:22Je ne peux plus bouger.
00:36:27Le ravin est comblé de morts qui s'amoncèlent et vers quatre heures et quart,
00:36:31quand je me dégage de la tranchée et des arbres,
00:36:35je ne peux plus bouger.
00:36:39Je ne peux plus bouger.
00:36:43Je ne peux plus bouger.
00:36:47Je ne peux plus bouger.
00:36:51Je ne peux plus bouger.
00:36:55« L'un est affalé sur le ventre, face contre terre.
00:36:59L'autre regarde sans plus rien voir.
00:37:13« Voyez ce soldat, explique à ses administrés le maire d'une autre commune
00:37:17située dans le puits de Daume.
00:37:21dôme. Voyez cette face convulsée par la douleur, ce n'est pas un héros victorieux,
00:37:28c'est un paysan de chez nous qui est allé jusqu'aux limites de ce qu'on peut souffrir.
00:37:32Ce corps affaissé, cette tête penchée, ce visage amaigri, ce regard qui s'éteint,
00:37:41cet épuisement, cette grande détresse, tout cela dit au passant les horreurs de la guerre.
00:37:46Certains sculpteurs sont les disciples de Goya, de Géricault. Ils sont embarqués sur le radeau
00:38:05de la méduse. Si l'on veut échapper au réalisme brutal, au tragique, aux scènes de la vie du
00:38:31soldat, comment concevoir une forme de monument à la mesure de la démesure de la guerre, à la
00:38:38hauteur de la mort de masse ? Comme à Lyon dans l'île du souvenir, certains adeptes de l'art
00:38:48déco en appellent en dernier recours à l'antiquité, à ses mythologies.
00:39:02Leurs sculptures sont proprement monumentales. Elles portent le poids de la catastrophe,
00:39:08le catafalque de la guerre.
00:39:10Mais les communes ne sont pas très inclines à se tourner vers les courants de l'avant-garde,
00:39:31qu'elles jugent souvent décadents. Et ces artistes redoutent de travailler sous contrôle.
00:39:38Maintenant, il faut refermer la lourde porte, ainsi à Vierzon. Pour faire que la grande guerre
00:39:55soit la der des ders, la dernière des guerres, il ne reste plus qu'à mobiliser les titans.
00:40:08Pendant qu'il travaille à la maquette en plâtre de son grand monument,
00:40:33Paul Landowski tient son journal.
00:41:032 décembre 1921. L'ami bouglé m'a donné trois heures ce matin pour la tête de l'homme
00:41:12à la pioche. Je n'ai pas perdu ces trois heures. Travaillé l'après-midi aux bras
00:41:17droits de l'homme à la pioche, avec le dréveau. Je fais apparaître un morceau de bras nu
00:41:23sous la manche de la capote déchirée.
00:41:257 décembre 1921. Fais mouler les mains du jeune soldat Leboeck pour l'homme fusil.
00:41:37J'y suis. Je prends de plus en plus possession de mon groupe. Et mon groupe prend de plus
00:41:47en plus possession de moi.
00:41:5315 novembre 1923. Je simplifie de plus en plus la présentation des fantômes. Quand
00:42:04on arrive à une solution simple, très simple, qui fait presque dire « ce n'était pas
00:42:09bien malin, il n'y avait pas autre chose à faire », on peut être content. Mais
00:42:15seuls les artistes peuvent se douter du mal qu'on a eu pour arriver à ce résultat,
00:42:19et par quel détour on y est arrivé.
00:42:20J'ai tout simplement aligné côte à côte, comme ils l'étaient dans leur vie de soldats,
00:42:31comme ils le sont maintenant dans les fosses où ils dorment, les morts. Ils se redressent,
00:42:38autour de ces grands spectres, la terre s'entrouvre, ils réapparaissent debout, un peu incertains.
00:42:46Les yeux clous, dit Paul Landovsky.
00:42:50Achevée enfin en 1935, le groupe des fantômes,
00:43:18chaque figure de granit atteint huit mètres de hauteur, orne la butte de Chalmont,
00:43:23où avait eu lieu la seconde bataille de la Marne à l'été 1918.
00:43:28Corps sans nom, noms sans corps, les disparus sont des morts qui n'ont pas laissé de traces
00:43:52de leur anéantissement. Des fantômes, ceux que l'on considère comme des demi-morts,
00:44:00n'ont aucune sépulture. Ils n'en finissent pas de rôder. Ces morts sont d'autant plus angoissants
00:44:09que l'on peut continuer malgré tout, envers et contre tout, à espérer leur retour à la vie,
00:44:14même défigurés, même inconscients, même amnésiques. Les faits divers de l'époque,
00:44:21comme les romans, en sont peuplés. Combien de soldats sont restés inconnus ? Rien que du côté
00:44:44français, un rapport parlementaire a évalué, au lendemain de la guerre, leur nombre à plus
00:44:48de 300 000. Mais en réalité, c'est bien plus. Un mort sur quatre, ou un mort sur trois, n'a pu
00:44:58être identifié. Comment être exact, alors que les soldats disparus ressortent, encore aujourd'hui,
00:45:08des entrailles de la terre ? Qu'attendre désormais ? Maxime-Réal Delsarte, le sculpteur,
00:45:27a perdu un bras aux éparges. Veut croire, lui, que la mort est un passage vers l'au-delà,
00:45:33le prélude à la résurrection des corps. Pas de symbole religieux en principe sur les monuments,
00:45:44pour ne pas risquer de raviver la querelle de la séparation de l'Église et de l'État. Mais
00:45:51beaucoup de ruses, y compris la croix de guerre, qui sert de croix de substitution.
00:45:56Jeanne d'Arc, la Vierge guerrière, a été canonisée en 1920 par le Pape, et puis par la République.
00:46:17De manière à peine voilée, le récit de La Passion offre un modèle parfait. Il sert à
00:46:24évoquer à mots couverts le martyr du soldat, sa descente de croix, sa déposition,
00:46:34d'innombrables piétats. Combien de mater Dolorosa ?
00:46:45Quelque chose de sacré en oublie le drame abominable.
00:46:54La Passion offre un modèle parfait pour évoquer à mots courts la mort du soldat, sa déposition,
00:47:02sa trompette.
00:47:24Dernière lettre d'Edouard Béga, lieutenant au 169e Régiment d'infanterie.
00:47:31Ma chère femme, les attaques, les contre-attaques de part et d'autre ne font que tuer les hommes.
00:47:41Dans de telles circonstances, nous n'avons plus qu'à attendre la mort.
00:47:47Tu embrasseras nos enfants.
00:47:51Je te recommande de veiller à leur éducation, si possible de leur faire apprendre un métier.
00:47:58Pour notre René, il faut lui faire avoir son brevet supérieur,
00:48:03pour le faire entrer dans l'école spéciale pour les fils des officiers tués devant l'ennemi.
00:48:11En ce qui concerne ta pension, les assurances, les mutuelles, ma solde,
00:48:16vois M. Chenet, surveillant de travaux à la mairie de Nancy, il t'aidera à régler tout cela.
00:48:25Quant à moi, qui vais reposer avec mes camarades au cimetière de Montauville,
00:48:30j'aimerais bien être rentré près de vous tous au cimetière de notre village.
00:48:36Eh bien, ma chère femme, je pense au moment de mourir que j'ai passé 14 années heureuses avec toi.
00:48:44Au revoir, ma chère femme.
00:48:47Embrasse bien mes pauvres petits.
00:48:50Ton mari tué, Édouard.
00:48:55Les monuments sont des mises en abîme, des tombeaux.
00:49:02Connus ou inconnus, enterrés dans les cimetières des villes de Montauville,
00:49:08les tombes d'enfants et d'enfants d'enfants,
00:49:12les tombes d'enfants et d'enfants d'enfants,
00:49:17les tombes d'enfants et d'enfants d'enfants,
00:49:22les tombes d'enfants et d'enfants inconnus
00:49:26enterrés dans les cimetières des champs de bataille,
00:49:31reposant dans leurs villages ou disparus corps et âmes.
00:49:36Le mort peut maintenant revenir à la maison.
00:49:52Celles qui n'ont jamais pu s'approcher, elles peuvent enfin arriver, les jeunes filles,
00:50:10les jeunes femmes, les marraines de guerre, les épouses, les veuves en noir et les fiancées
00:50:16que l'on appelle les veuves blanches.
00:50:47La famille peut voir son défunt une dernière fois.
00:50:53Le gisant est lavé, embaumé, paré, plus beau mort que vivant,
00:51:01comme s'il s'était éteint dans son lit.
00:51:17La pierre accorde des larmes, des caresses et des étreintes que le mort n'a jamais reçues.
00:51:30La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:51:47La pierre des monuments célèbres des funérailles
00:51:52La pierre des monuments célèbres
00:51:58La pierre des monuments célèbres
00:52:10A l'audeve dans les rots, en guise de pleureuses modernes,
00:52:14à l'époque où les femmes jouent un nouveau rôle et réclament en vain leur droit de vote,
00:52:19quatre élégantes sont habillées selon la mode des années folles.
00:52:26Leurs robes, leurs manteaux, leurs parures, leurs broderies sont taillées dans un calcaire coloré à l'acide.
00:52:48Il y a deux éléments qui dictent impérieusement les grandes lignes du monument.
00:52:53La lumière directe du soleil et la disposition du terrain, répond le sculpteur Paul Dardé au journal local.
00:53:08La question de la lumière est très importante.
00:53:12C'est elle qui fait jouer la perspective.
00:53:14Pour qu'elle ne soit pas détruite, cette perspective, il faut qu'elle possède une forte ossature,
00:53:19une masse qui ne soit pas déchiquetée par la lumière.
00:53:28D'où la disposition de ces quatre figures, sur lesquelles viendront battre les rayons du soleil.
00:53:35Ainsi disposées, l'ensemble prendra un beau caractère d'intimité.
00:53:48Un côté du visage est intact,
00:53:51l'autre, un peu déchiquetée,
00:53:54et l'autre, un peu déchiquetée.
00:53:57Un côté du visage est intact, comme chez les gisants,
00:54:01mais l'autre côté est défiguré, par exception.
00:54:07Les gueules cassées, il faut les laisser errer dans les rues,
00:54:10ou les cacher dans les hôpitaux et les asiles.
00:54:13On ne les sculpte pas, ça suffit comme ça leur visage cubiste.
00:54:18Un amputé, très rarement.
00:54:20Aucun cul-de-jatte, alors qu'il y a un million d'invalides et d'hommes défigurés,
00:54:25d'êtres trafiqués par la guerre.
00:54:51Yvonne, 24 ans, apprend la mort de son mari, Maurice Retour.
00:54:58« Je suis brisée.
00:55:01Il me semble que je n'ai plus de cœur tant il est broyé dans ses fibres les plus intimes.
00:55:08Quand je songe aux longues années qui s'ouvrent devant moi,
00:55:12je suis prise de vertige.
00:55:14Il m'a abandonnée alors que je n'ai fait qu'entrevoir le bonheur de notre union.
00:55:20Du jour au lendemain, j'apprends que tout est fini,
00:55:23sans avoir pu donner un dernier regard à celui que j'aimais plus que moi-même. »
00:55:31Près de sept ans plus tard,
00:55:33Yvonne assiste à l'exhumation du corps de son mari
00:55:36pour son rapatriement dans la chambre d'hôpitaux.
00:55:39« Ah, si je le revoyais non pas vivant ! » s'exclame-t-elle.
00:55:43« C'est de la folie d'y songer.
00:55:45Mais seulement intact. »
00:55:54C'est lui, intact,
00:55:56le jeune officier de la chambre d'hôpitaux,
00:55:58qui a fait son exhumation.
00:56:02« C'est lui, intact, le jeune officier de la chambre d'hôpitaux,
00:56:06qui a fait son exhumation.
00:56:09» Il est aussi au visage de Héros qu'a sculpté Marcel Pierre
00:56:12à la ferté massée
00:56:14pour exaucer le vœu de sa jeune épouse.
00:56:39Quand ils arrivaient en permission,
00:56:41le plus souvent les soldats ne pouvaient rien raconter.
00:56:44Qu'aurait-on pu comprendre à leurs histoires ?
00:56:49Le fracas des explosions les poursuit,
00:56:51leurs rêves sont des cauchemars.
00:56:54Ils sentent un vide à la place de leurs pensées.
00:57:09Nombre de ceux qui sont revenus vivants
00:57:12font semblant d'être en vie,
00:57:14absents comme des revenants,
00:57:16comme des statues.
00:57:19Une part d'eux n'en reviendra jamais.
00:57:26Ils ne répondent pas aux questions,
00:57:28muets,
00:57:30comme des tombes.
00:57:33Les enfants portent l'empreinte de ces cieux.
00:57:37Les enfants portent l'empreinte de ces silences.
00:57:41Ils sont pétrifiés.
00:57:52Les petites filles et les petits garçons
00:57:54ont beau supplier,
00:57:56ils sont voués à fêter les héros
00:57:59pour faire oublier qu'ils sont des victimes collatérales.
00:58:07Il y eut 760 000 à 1 million d'orphelins,
00:58:12on le sait,
00:58:13qui s'ajoutent aux 600 000 veuves,
00:58:16aux parents, aux frères, aux sœurs,
00:58:19aux proches qui ont été atteints.
00:59:07Les monuments ne montrent pas que la guerre,
00:59:10ils ne font pas que célébrer les héros.
00:59:16Les statues contiennent l'endurance,
00:59:20la résignation,
00:59:22la colère,
00:59:25la douleur.
00:59:37Ce sont des sarcophages pour enfouir les chagrins,
00:59:43pour continuer à se souvenir,
00:59:47pour parvenir à oublier.
01:00:06Il y a des larmes dans les choses.
01:00:37André Pézard,
01:00:39Nous autres à Vauquois, 1918
01:00:44Mes amis, tout cela est fini,
01:00:46et maintenant vous êtes morts.
01:00:49Je m'égare dans mes souvenirs,
01:00:51et parfois je ne les reconnais pas tellement j'ai changé depuis.
01:00:55Mes amis, je vis encore à toute heure avec vous,
01:00:58et vous ne savez pas.
01:01:01Je deviendrai vieux,
01:01:03avec vous qui serez jeunes.
01:01:07Je m'en veux de voir en ma tristesse une chose qui est tellement mienne.
01:01:11Il faudrait oublier que c'est moi qui parle,
01:01:14car c'est vous qui en êtes le prix.
01:01:19Vous me rendez si triste que je ne voudrais même pas mourir maintenant,
01:01:23mais rester sans plus jamais changer.
01:01:27Car si je mourais,
01:01:29toute cette peine qui est votre chose serait perdue.
01:01:37Laissez-moi dire ceci lentement,
01:01:40comme est lente une pensée endolorie.
01:01:43Laissez-moi dire lentement,
01:01:45comme tombent à regret de chères syllabes meurtries,
01:01:50Adieu, ma pauvre guerre.
01:01:53Et c'est tout.
01:01:57Adieu, ma pauvre guerre.
01:02:06Adieu, ma pauvre guerre.
01:03:06La vérité, c'est qu'elle n'existe pas.
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