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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Dans une petite ville du nord, un dimanche soir de juillet, M. Henry, jeune industriel de 26 ans
00:20qui fabrique du matériel agricole, est occupé dans la cuisine à lire les hauts de hurlevent.
00:26Alice, sa femme, vient de monter dans sa chambre. Une tante qui habite la ville vient de quitter la
00:34maison après s'être occupée des enfants. Quelques instants plus tard, dans cette petite
00:42ville où depuis des lustres on n'a jamais eu à déplorer le moindre incident, où les gendarmes
00:46ont renoncé à trouver un seul contrevenant, où le garde champêtre n'a jamais dressé un procès
00:52verbal, une véritable fusillade retentie, résonnant à l'infini sur les petites maisons de
01:00briques rouges éparpillées dans la forêt. L'incroyable dossier que nous propose aujourd'hui Jacques-Antoine commence.
01:22Comme vous allez le voir, chers amis, le personnage principal de ce dossier est une femme. Mais il
01:36faut d'abord parler d'Henry D. Un nerveul, des épaules tombantes mais une grosse tête intelligente
01:43sur un corps de gringalé adolescent, il a fait partie sous l'occupation et malgré son jeune âge
01:48d'un réseau du war office. Bien qu'il ait dû cesser très tôt ses études dès qu'il reçut des
01:54mains de son père les rênes de la petite entreprise familiale, il s'est révélé être un technicien et
02:00un homme d'affaires extraordinaire. En trois ans, la petite maréchalerie est devenue une usine qui
02:08emploie 60 forgerons, fondeurs et mécaniciens. Les usines de la maison D. et compagnie sont situées
02:16entre la grand route et la voie de chemin de fer. Au bout des ateliers se dresse un pavillon donnant
02:23sur la rue où Henry D. habite avec sa femme Alice et leurs deux enfants. C'est là, c'est là que
02:32quelques instants après la fusillade, le commissaire Perard va voir partir l'ambulance qui emmène
02:39Alice D. très grièvement blessée. Henry D. lui-même, blessé, vient d'enrouler autour de son bras une
02:47serviette éponge. Assis dans la cuisine, pâle, presque agarre, il fait au commissaire le récit que voici.
02:54J'étais en train de lire vers une heure du matin. J'ai entendu des pas dans le jardin et un grincement.
03:03Il faut vous dire monsieur le commissaire que dans la nuit du 12 au 13 juillet dernier j'avais été
03:08victime d'une agression au milieu de la nuit alors que j'étais couché. J'avais déjà entendu un bruit
03:13de pas. J'étais descendu dans la cour, j'avais essuyé deux coups de feu de la part d'un homme
03:17qui s'était enfui vers la voie de chemin de fer. J'ai donc pensé aussitôt que mon agresseur était
03:22revenu. J'ai ouvert la porte donnant sur l'escalier et appelé ma femme puis je suis passé dans mon
03:28bureau prendre mon revolver et je suis sorti dans la cour. À peine avais-je mis le pied dehors que
03:33je vis dans l'obscurité par deux fois la flamme d'un revolver. Alors j'ai tiré à mon tour et je
03:38pensais que comme la première fois mon adversaire allait battre en retraite vers la voie de chemin
03:41de fer. Alors je m'avançais et au moment où je longeais un des ateliers de l'usine, une nouvelle
03:47détonation retentit. Je ressentis un choc au bras. Cette fois j'étais atteint. Je revins vers la maison.
03:54En entrant dans la cuisine, je vis ma femme allongée au pied de l'escalier dans une mare de sang.
04:04Une des deux balles que le bandit avait tiré quand j'étais sorti l'avait atteinte à travers la vitre.
04:10C'est affreux. On n'ose pas me le dire mais je suis sûr que c'est très grave.
04:18Le commissaire Perrard regarde le revolver que M. Day vient de lui remettre et s'adresse à l'un des
04:24agents qui l'accompagne. « Cherchez les douilles dans la cour, c'est un 7-65. Vous devez trouver aussi
04:30celle de l'agresseur. » Tandis que les agents, lampes électriques à la main, commencent à
04:36inspecter la cour, le commissaire regarde autour de lui. Une énorme flaque de sang au pied de
04:42l'escalier. Les vitres brisées. L'homme. Presque un jeune homme encore, assis à la table de la
04:50cuisine effondré, qui maintient sa serviette éponge autour du bras. « Croyez-vous, demande le commissaire
04:58Perrard, que l'agresseur ait voulu vous abattre ainsi que votre femme ? » « Je ne vois pas d'autres
05:04explications. » « Soupçonnez-vous quelqu'un ? » « Non. » « Vous connaissez-vous des ennemis ? »
05:12« Des adversaires peut-être, mais aucun capable d'un acte pareil. » « Voyons, vous avez été très actif
05:22pendant la guerre malgré votre jeune âge, vous êtes un résistant admiré dans la région, donc
05:27certainement détesté en secret par ceux que vous avez combattus. Pensez-vous qu'il va chercher dans
05:33cette direction ? » « Peut-être. » « Votre femme a été touchée pendant qu'elle descendait
05:40l'escalier, m'avez-vous dit ? » « Oui, je pense. » « Vous devez vous tromper. Il faudrait plutôt croire
05:48qu'elle tournait le dos à la fenêtre, sinon elle aurait été blessée de face au lieu d'être touchée
05:54dans le dos. » « Votre chien ? » « Vous avez entendu le criminel marcher dans la cour. Comment se
06:04fait-il que votre chien n'ait pas avoyé ? » « Le jeune homme a un geste vague et désespéré. » « Oui,
06:10c'est vrai. » « Vous savez, c'est une trop bonne bête, on ne l'entendra s'y dire jamais. »
06:16Le commissaire réfléchit. « Il y a peut-être une autre explication. » « Oui, le chien,
06:26vous connaissez peut-être votre agresseur. » « Peut-être. » « Vous ne trouvez pas que c'est
06:34un indice important ? » « Si. » « Bon, allez, allez vite vous faire soigner, votre serviette est
06:41pleine de sang. » « Vous êtes monté à la salle de bain ? » « Non. » « Alors, où avez-vous
06:47pris cette serviette ? » « Je l'avais autour du cou, je suis enrhumé. » Le commissaire traverse la
06:55cour, demande aux agents de bien noter l'emplacement où il recueille les douilles vides, monte dans sa
07:00voiture et s'en va. « Oui, il ne va pas loin. Au coin de la rue, une femme en larmes l'arrête. »
07:07Il baisse la vitre. « M. le commissaire, j'ai quelque chose d'important à vous dire. » « Vous
07:13savez quelque chose ? » « Oui. Je suis Mme Béguin, la maman d'Alice. J'étais la première avec le
07:19docteur à entrer dans la maison. Ma fille m'a dit avant qu'on l'emmène « C'est Henri, c'est lui
07:25qui a voulu me tuer. » « C'est tout ce qu'elle vous a dit ? » « Non. » Elle m'a dit aussi qu'Henri
07:31l'avait appelé pour qu'elle descende dans la cuisine en lui disant « Viens, quelqu'un te demande. » Le
07:37docteur l'a entendu aussi. « Oui. » Vous allez voir, chers amis, qu'à partir de cet instant, le
07:45personnage le plus important de ce dossier extraordinaire va devenir Alice, la femme d'Henri
07:50D. Car si vraiment elle confirme avoir entendu son mari l'appeler en ces termes, « Viens, quelqu'un
07:55te demande », alors que personne de toute évidence ne l'a demandé, c'est qu'il a voulu en effet la
08:00faire descendre pour la tuer. Malheureusement, le lendemain, lorsque le commissaire Perard se rend
08:06à l'hôpital auprès d'Alice, celle-ci est hors d'état de répondre à ces questions. La balle qu'il
08:11a frappée est dangereusement placée à quelques millimètres du cœur et l'on craint qu'elle n'ait
08:16sectionné la moelle épinière. Mais le commissaire reçoit la déposition du médecin qui croit avoir
08:22lui aussi entendu Alice accuser son mari. Par contre, l'examen de la blessure d'Henri D. confirme
08:28sa version de l'attentat. La balle a été tirée à une certaine distance et avec un autre revolver
08:33également à 7.65. C'est alors que le commissaire trouve un mobile qui aurait pu pousser ce jeune
08:39homme brillant à vouloir tuer sa femme. M. Henri D. a épousé Alice il y a cinq ans. Il se connaissait
08:47depuis l'enfance et s'aimait bien. Peut-être même se connaissait-il trop, car très vite le mari
08:54a semblé se détacher de cette femme jolie, parfaite, mais peut-être trop austère. Le commissaire Perard
09:01demande à entendre une jeune fille. Elle arrive, blonde, frêle, fraîche, mais insignifiante. Le
09:07commissaire se surprend à avoir en quelque sorte un sentiment de refus. Non, cet homme si jeune
09:13encore, si brillant, ne peut pas avoir tout détruit pour cette fille-là. Henri D. a connu la jeune
09:19fille au cours d'un voyage à Lille, il y a quelques mois. Elle avait dix-sept ans et demi. Il a tout
09:25de suite éprouvé pour elle une sorte de sympathie inavouée. Elle habite près de chez lui. Chaque jour,
09:30il trouve un nouveau prétexte pour la rencontrer. La jeune fille, vaguement effrayée, se défend d'éprouver
09:35pour lui autre chose qu'une certaine admiration, mais cela suffit à Henri D. qui, peut-être trop
09:41vieux pour son âge, aime avec une sorte de maladresse ridicule. La jeune fille est devenue
09:46sa secrétaire, mais il n'y a jamais eu, entre l'adolescente et l'industriel, autre chose que
09:51des serments de main et des demi-aveux. D'ailleurs, la jeune fille, en pleurant, propose au commissaire
09:57Perrard de se soumettre à un examen médical pour rétablir sa bonne foi. Le commissaire Perrard,
10:03embarrassé, regarde la gosse. Est-il utile de lui infliger ça? Non. Non, elle dit sûrement vrai.
10:13Le commissaire Perrard convoque alors le père d'Henri D. Celui-ci apparaît d'emblée comme le
10:20chef de la famille. Certes, son fils a réussi à transformer en trois ans son petit fond de
10:24maréchal Ferrand en une usine importante, mais il n'en est pas moins resté le propriétaire de la
10:28majorité des actions. — M. D., vous connaissez la grave accusation que votre belle-fille a portée
10:36contre votre fils avant qu'on l'emmène à l'hôpital. — Oui, mais c'est absurde.
10:41— C'est peut-être absurde, mais j'aimerais que vous nous disiez ce que vous savez des projets
10:47de votre fils. Ne voulait-il pas refaire sa vie avec une jeune fille? — C'était pour sérieux.
10:53— Ce n'est pas ce qu'on m'a dit. On m'a dit que sa femme et vous-même vous êtes aperçus il y a
10:59environ un mois qu'il éprouvait une passion pour cette jeune fille, que vous avez essayé de lui
11:02faire entendre raison, mais que votre fils n'a rien voulu savoir. — Mais allons-donc,
11:06à ce temps, cette passion serait passée comme tout le reste. — Vous savez très bien,
11:10M., que votre fils a peine sorti de l'adolescence d'avoir éprouvé un sentiment d'autant plus
11:15violent que son désir n'était pas satisfait. — Soit, je n'ai pas une raison pour tuer sa
11:21femme. Le divorce n'est pas fait pour les chiens. — Dites-ça maintenant, mais ce n'est pas ce que
11:28vous lui avez dit il y a un mois. Vous étiez très hostile à un divorce. Vous avez même laissé
11:33entendre que vous lui retireriez la direction de l'usine s'il quittait sa femme. — Il savait
11:38très bien que je ne l'aurais pas fait. — Oui, mais il savait aussi très bien que sa femme
11:43aurait refusé le divorce. Il savait très bien aussi que si elle avait accepté, il lui fallait
11:48partager avec elle. C'était la fin de l'entreprise, car dans une affaire en expansion, on a besoin de
11:55tout le capital. — Mais M. le Commissaire, vous semblez le tenir définitivement pour coupable.
11:59Enfin, vous ne croyez pas qu'il peut s'agir d'un attentat ? — Si c'était un attentat,
12:05pourquoi sa fable aurait-elle accusé ? — Je vais vous le dire, M. le Commissaire.
12:11Parce qu'hier matin, sa femme a trouvé une lettre de mon fils à cette jeune fille. Elle était folle
12:20de rage. Je suis sûr que cette nuit, c'est par vengeance qu'elle l'a accusée. — Mais
12:27tandis que le vieil homme s'en va, le Commissaire Perrard pense qu'il connaît enfin la vérité.
12:32Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
12:44Vers 21 heures de 12 juillet, donc le lendemain du crime, le Commissaire Perrard fait extraire
12:50Henri de l'hôpital où il est soigné pour le recevoir à la brigade mobile.
12:53— Dès que je suis entré dans votre cuisine, dit le Commissaire, plusieurs détails m'ont frappé.
13:00Cette serviette éponge que vous aviez autour du cou, se disant pour un rhume, au mois de juillet.
13:06Le chien, il n'a pas avoyé. Cette fenêtre à travers laquelle le meurtrier avait tiré,
13:12qui avait été débarrassé de tout ce qui pouvait l'obstruer. À ceci s'ajoutent d'autres détails.
13:17Personne n'a entendu de voiture cette nuit-là. Le meurtrier serait donc venu à pied.
13:22— Ne trouvez-vous pas que ce serait très imprudent de la part d'un homme qui a déjà
13:29échoué il y a un mois dans une première tentative de meurtre?
13:31Henri, les épaules ployées, paraît à garde et contenancé. D'une voix blanche,
13:38il demande au Commissaire où il veut en venir.
13:41— Vous allez le savoir. Ce matin, on a fini de ramasser toutes les douilles vides dans votre
13:50jardin. Dix, très exactement. Toutes sont du même calibre. Mais l'examen montre que
13:58huit ont été tirées avec le revolver que vous m'avez donné, et deux avec un autre revolver.
14:05Or, ces deux dernières auraient dû se trouver l'une devant la fenêtre à travers laquelle votre
14:14femme a été atteinte, l'autre à proximité de l'atelier où vous avez été blessé au bras.
14:21Or, toutes les deux se trouvaient au milieu de la cour, à des endroits d'où on ne pouvait
14:29ni tirer dans la fenêtre, ni vous atteindre là où vous prétendiez avoir été blessé.
14:34Henri se dresse sur sa chaise.
14:36— Et alors?
14:37— Et alors?
14:39— Alors c'est avec le revolver que vous m'avez donné que l'on a tiré sur votre femme.
14:47— Donc, c'est vous?
14:52— Vous pensez sans doute, chers amis, bon, et bien voilà une affaire réglée.
14:58— Il n'y a pas du tout. Je vous l'ai dit, le personnage principal dans cette affaire, c'est Alice.
15:04En attendant que ce personnage prenne toute son importance, voici les aveux qu'Henri passe au
15:11commissaire Perrard cette nuit-là.
15:13J'avais tout préparé pour faire croire à un meurtre commis par un cambrioleur. J'avais même
15:19coupé avec des cisailles la clôture de barbelés qui entoure l'usine. Ma femme était montée se
15:24coucher vers dix heures. J'étais resté à la cuisine, faisant semblant de lire. À une heure du
15:31matin, je me levais et ouvris la porte de l'an sur l'escalier. « Alice ! » criai-je. « Viens vite,
15:38quelqu'un te demande. » Je crois que ma voix tremblait un peu, mais ma femme ne se méfiait pas.
15:44Je m'étais efforcé de parler sur un ton d'affolement pour qu'elle vienne rapidement. Je ne voulais pas
15:49que la scène traîne en longueur, je n'aurais pas été capable de tirer. J'entends ma femme
15:54descendre l'escalier. J'avais deux revolvers sur moi. Je sortis rapidement et j'allais m'agenouiller
16:00devant la fenêtre. Bientôt Alice apparut. Mon plan était de tirer dès que je la percevrais,
16:07pourtant j'hésitais. Ma femme fit le tour de la pièce comme étonné de ne pas m'y voir. J'avais
16:14pris soin avant d'écarter les rideaux. Je pouvais voir le moindre de ses gestes. Au bout de quelques
16:21secondes, constatant que j'avais disparu, elle se dirigea vers l'escalier pour remonter dans sa
16:25chambre. Alors je levais mon revolver et fis feu à deux reprises à travers la vitre, et ma femme
16:32s'effondra. Après, je me dirigeais vers le centre de la cour et tirais plusieurs autres balles,
16:38dont deux avec mon second revolver. Ensuite, j'entrais dans le hangar où j'avais monté la
16:44machine qui devait me permettre de me blesser sans que personne ne trouve la plaie suspecte. Je fis
16:50fonctionner l'engin, le résultat fut celui que j'escomptais, une balle me traversa le bras.
16:56Ma femme, cependant, n'était pas morte. Je l'entendais hurler. J'avais manqué mon coup.
17:03Je revins vers la cuisine, fou d'angoisse et déjà de remords. À ce moment-là,
17:09nos deux enfants s'étaient levés et ils étaient accourus vers leur mère.
17:13Entre parenthèses, chers amis, un journaliste fait remarquer à l'époque que si ses enfants
17:18n'avaient pas été là, l'industriel aurait peut-être achevé sa femme. J'étais affolé,
17:22continuant à rider. Tout mon plan s'écroulait. Je fus tout prêt de me suicider, mais je n'en
17:28ai pas eu le courage. Une tâche s'imposait, il fallait faire disparaître mon second revolver,
17:33alors sous prétexte d'aller chercher mon père qui habite à l'autre extrémité du bourg,
17:37je sortis de la maison et cachai l'arme dans un fossé le long de la route.
17:40Voilà le récit, finalement lamentable, de ce lamentable crime parfait. C'est alors qu'Alice
17:50devient le personnage fascinant qui justifie que nous ayons choisi ce dossier extraordinaire parmi
17:55tant d'autres. Le lendemain, le commissaire Perard va rendre visite à la malheureuse Alice
18:00dont l'état s'est amélioré. Mais la jeune femme adopte une attitude inattendue. Elle déclare que
18:07son mari a simplement prononcé cette phrase « Vient vite, il y a quelqu'un ». Pour le reste,
18:14elle prétend ne rien savoir, puisqu'elle n'est pas sortie dans la cour, elle n'a pas pu voir
18:18l'homme qui a tiré sur elle. De son côté, Henri D se rétracte. Il prétend devant le juge
18:25d'instruction qu'il n'a avoué que pour mettre fin aux supplices que lui infligeaient les policiers.
18:29Lorsque le juge d'instruction entend à nouveau Alice D, elle admet qu'elle a cru entendre son
18:36mari prononcer les mots « Vient vite, quelqu'un te demande », mais elle n'est absolument pas
18:42catégorique à ce sujet. D'ailleurs, elle ne veut pas s'expliquer sur les confidences qu'elle a
18:47faites au docteur et à sa mère. Enfin, elle déclare que tout était fini entre elle et son
18:52mari depuis plusieurs semaines. Ces déclarations sont évidemment sujettes à caution. Ignorant
18:59encore que son mari a été écroué, que de nombreuses charges pèsent sur lui plutôt que
19:04de l'envoyer en prison et déshonorer un nom que porteront plus tard ses enfants, sans doute a-t-elle
19:08choisi le pardon. Mais ce n'est pas fini. Lorsque s'ouvre, deux ans plus tard, le procès d'Henri
19:16D devant les jurés du Nord, on roule dans un fauteuil d'infirmes jusqu'à la barre des témoins,
19:22Alice définitivement paralysée des membres inférieurs. Étayée de coussins, assistée d'une
19:32infirmière qui lui fait respirer des selles, Alice, après avoir suffoqué sous le poids d'une
19:37insupportable émotion, promet de parler sans haine et sans crainte. Mais peut-elle parler sans haine ?
19:47Car depuis deux ans, il s'est passé bien des choses. Et la balle qui l'a blessée n'est pas
19:52extraite, elle est toujours dangereusement placée à quelques millimètres du cœur.
19:58Alors Alice est devenue maintenant la principale accusatrice. Elle dit « Mon cœur qui battait
20:08pour lui, bat maintenant avec sa balle. À chaque mouvement que je fais, je la sens. Là. »
20:15Pour le juge, il faut des faits. A-t-elle vu quelque chose ? Non. Son mari, dans la nuit,
20:22l'a appelé. « Descends vite, il y a quelqu'un qui veut te parler. » Elle s'est levée, est descendue
20:28dans la cuisine, illuminée comme la baraque d'un tire-forin. Elle a ouvert la porte, interrogée
20:32la nuit. Ne voyant rien, elle s'apprêtait à remonter chez elle quand une balle l'atteignit
20:37dans le dos. Son mari s'est penché sur elle et lui a dit « J'ai été fou. Je n'aurais pas dû faire
20:44ça. » Cette fois encore, son témoignage n'est-il pas sujet à caution. N'est-ce pas la rancune d'une
20:52femme trompée ou sur le point de l'être qui l'a fait parler ? N'est-ce pas la juste amertume
20:57d'une femme aujourd'hui réduite à la misère car sa belle famille l'a complètement abandonnée,
21:01qui la pousse à se venger ? L'insistance qu'elle met à parler de ce flirte si banal, si commun de
21:08son mari avec sa secrétaire, l'âpreté avec laquelle elle dénonce la méchanceté de son mari,
21:13de sa belle-sœur, de son beau-père, tout en elle montre une femme animée par le désir de vengeance.
21:18Si Henry avait imploré son pardon, si ses parents avaient imité sa conduite, la justice n'aurait
21:27rien connu de ce témoignage-là. Elle aurait fait front comme toute la famille pour sauver Henry.
21:31Seulement, ils ne l'ont pas fait. Henry n'a pas eu un mot de regret et même encore,
21:36là, aujourd'hui, il regarde déposer sa femme avec un calme prodigieux et sans émotions.
21:41Un défenseur reproche à Mme Day d'avoir reçu de l'argent des journalistes et laissé
21:47publier des articles qui accusent son mari. « C'est vrai, dit-elle. Un firme pour la vie,
21:53abandonné des miens, mère de deux jeunes enfants, vivant de la charité de mes amis,
22:00j'ai accepté la proposition d'un hebdomadaire de monnayer mon pauvre roman. Cela a payé le
22:08fauteuil roulant où je suis désormais condamné à vivre. » Alors la défense s'abstient de poser
22:13d'autres questions à ce témoin hors série préférant répondre aux preuves accumulées
22:18par le commissaire Perrard, lui-même accusé par Henry Day d'avoir estorqué ses aveux par la force.
22:24« Nous n'avions pas besoin de ses aveux pour l'embarquer, dit le commissaire. Et nous l'avons
22:29interrogé comme nous interrogeons souvent les personnes dont la culpabilité ne fait pour nous
22:34aucun doute. » C'est laisser entendre beaucoup de choses en peu de mots. Mais il est vrai que la
22:42culpabilité d'Henry fait peu de doute. Aussi, lorsque le procureur général se lève, c'est
22:50pour réclamer la peine de mort. Alice, de son fauteuil, hurle « Henry, je n'ai pas voulu cela.
22:58» Il a malheureusement suppli les jurés d'être cléments, au moins pour ses enfants.
23:03Les jurés ne seront pas cléments. Henry est condamné aux travaux forcés à perpétuité.
23:11« Ce n'est pas logique, dit à ses avocats Henry Day, plein de sang-froid. Si on me
23:17croyait coupable, il fallait me condamner à mort. » Quinze millions d'anciens francs sont alloués à
23:25Madame Day, qu'elle ne touchera probablement jamais. L'usine est en liquidation, les soixante
23:34ouvriers sont à la rue.
23:55Vous venez d'écouter Les Récits Extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
24:05Réalisation et composition musicale, Julien Tarot. Production, Raphaël Mariat.
24:11Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
24:17Remerciements à Roselyne Belmar. Les Récits Extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
24:24Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.