• l’année dernière
La Cosa nostra, la 'Ndrangheta, la Camorra...Ces mafias italiennes ont ensanglanté les régions historiquement pieuses du pays, notamment la Sicile, et ce pendant de nombreuses années. Elles ont instauré une loi du silence au sein même de l'Église catholique. Cependant, l'État italien parviendrait-il enfin à marquer des points dans sa lutte contre les mafias ?
Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit en plateau, l'historienne, Charlotte Moge, l'économiste, Clothilde Champeyrache et le spécialiste de la grande criminalité, Fabrice Rizzoli.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:18La Cosa Nostra, la Endrangheta, la Camorra,
00:00:21ce sont les mafias italiennes
00:00:23qui figurent au menu de ce débat d'octobre.
00:00:25Tout d'abord, le documentaire qui va suivre,
00:00:28Dieux de la mafia, un film qui s'interroge,
00:00:30vous allez le voir, sur le silence assourdissant
00:00:33longtemps observé au sein de l'Eglise catholique
00:00:36à propos des crimes mafieux qui, durant des décennies,
00:00:39ont pourtant ensanglanté des régions historiquement trépieuses
00:00:42de l'Italie, à commencer par la Sicile.
00:00:45Je vous laisse le découvrir et je vous retrouverai
00:00:48juste après sur ce plateau, en compagnie de l'historienne
00:00:51Charlotte Mauch, de l'économiste Clothilde Champérache
00:00:54et du spécialiste de la grande criminalité
00:00:56Fabrice Rizzoli.
00:00:58Nous nous demanderons si l'Etat italien
00:01:01parvient enfin à marquer des points décisifs
00:01:03dans sa longue lutte contre les mafias.
00:01:06Bon doc.
00:01:07Musique sombre
00:01:10...
00:01:20-"Les sept paroles que Jésus prononce sur la croix,
00:01:25devant lui, une foule de gens.
00:01:28...
00:01:41À cette foule, Jésus a donné du pain.
00:01:44Il a donné à manger avec la pêche miraculeuse.
00:01:48Il a guéri.
00:01:50Il a sauvé.
00:01:52Il a ressuscité.
00:01:55...
00:02:00Mais la foule le condamne.
00:02:02...
00:02:12Alors Jésus dit,
00:02:14Père, pardonne-leur,
00:02:16ils ne savent pas ce qu'ils font.
00:02:18...
00:02:19-"Spaventoso attentato questa sera in Sicilia,
00:02:22il y a 17h57 est saltato in aria un tratto d'autostrada
00:02:25che porta dall'aeroporto a Palermo.
00:02:27Les vittime sono Giudice Falcone, simbolo della lotta alla mafia."
00:02:31...
00:02:32-"Per decenni in Sicilia, la mafia ha vécu brazzu brazzu
00:02:36avec l'Eglise.
00:02:37Et l'Eglise a fait semblant de ne pas voir,
00:02:40de ne pas comprendre."
00:02:41...
00:02:42-"Non devo perdonare."
00:02:43-"Pourquoi ne devrais-je pas pardonner ?
00:02:46Pourquoi ne devrais-je pas aimer ?"
00:02:48...
00:02:54-"Si l'Eglise catholique avait pris position,
00:03:00vu le rôle important qu'elle a joué
00:03:03dans la formation culturelle des Italiens,
00:03:07l'histoire n'aurait sûrement pas été la même."
00:03:41...
00:03:56-"Nel casolare,
00:03:57sono state ritrovati oltre ai pizzini
00:03:59con il quale boss comunicava con gli altri mafiosi
00:04:02crocifissi numerosi santini e una bottiglia di acqua santa."
00:04:06...
00:04:15-"J'ai été, comme beaucoup d'Italiens,
00:04:21éduqué dans la culture catholique,
00:04:26sans jamais remettre en question la religion,
00:04:31parce qu'en Italie,
00:04:32ça n'est pas un choix, mais un destin culturel."
00:04:37...
00:04:41-"Ensuite, j'ai commencé mon activité de magistrat antimafia
00:04:46et je suis rentré en contact avec les mafieux."
00:04:49...
00:04:55-"Souvent, après l'interrogatoire,
00:04:57après avoir parlé des meurtres,
00:05:00je leur demandais quel était leur rapport avec Dieu,
00:05:04parce que je m'étais rendu compte
00:05:08qu'ils se revendiquaient tous, ou presque tous,
00:05:11catholiques pratiquants.
00:05:14Alors, je me suis posé la question,
00:05:16comment est-ce possible que ces mafieux qui tuent,
00:05:19qui extorquent, qui sont violents,
00:05:22puissent avoir ce rapport avec Dieu et avec la religion
00:05:26sans que cela ne leur pose de problème ?
00:05:28Dieu la corrigera."
00:05:30...
00:05:41Musique angoissante
00:05:44-"À Palermo, se déclenche une violence mafieuse sans précédent.
00:05:49La mafia commence à montrer son visage le plus sombre.
00:05:54Le plus néfaste, le plus négatif.
00:05:57Il y avait, en moyenne, un meurtre par jour.
00:06:01On courait d'une scène de crime à l'autre.
00:06:04...
00:06:07Parce que la lutte entre les clans palermitains
00:06:11et corléonais pour le pouvoir était sans merci.
00:06:14...
00:06:16Totovina, le chef des corléonais,
00:06:20ne vaille parmi personnes.
00:06:23C'est une guerre de pouvoir.
00:06:26Une guerre pour prendre le pouvoir."
00:06:29...
00:06:36-"Le journal nous appelle
00:06:40pour nous dire que quelque chose s'est passé.
00:06:43...
00:06:48On arrive sur place. Il fait nuit. C'est très sombre.
00:06:53Mais on distingue une ombre par terre.
00:06:57On se demande comment faire sans lumière.
00:07:03Puis la police arrive et ils allument les phares de leur voiture.
00:07:08Et là, on découvre un homme mort.
00:07:12...
00:07:17Le médecin légiste soulève le T-shirt
00:07:21pour voir où il a été touché.
00:07:24Et là apparaît ce visage du Christ.
00:07:31L'émotion était très forte.
00:07:34Parce qu'on aurait dit qu'il y avait deux Christs.
00:07:37Cet homme mort et cette image.
00:07:41Mais devant, ça se voit pas sur la photo, évidemment,
00:07:45il avait un autre tatouage qui disait
00:07:48-"Donne-moi ta chatte."
00:07:50Alors, tu vois ?
00:07:52C'est quoi, cette religion ? Je sais pas.
00:07:55...
00:07:59Un mafieux, dans une interview,
00:08:02raconte qu'il était croyant
00:08:05et qu'après chaque meurtre qu'il commettait,
00:08:08il allait à l'église pour demander à la sainte Vierge
00:08:11la force de continuer.
00:08:15Pas la force de s'arrêter.
00:08:18Il demandait pardon,
00:08:20mais aussi la force de pouvoir continuer.
00:08:26Il y a de nombreux cas de ce genre,
00:08:29car je pense que les mafieux ont besoin de l'aide de la religion
00:08:32pour ne pas devenir fous.
00:08:35...
00:08:40Moi, j'ai tué plusieurs personnes.
00:08:43Plus de 20.
00:08:46Et j'ai participé à de nombreux assassinats.
00:08:50Ca n'existe pas, un mafieux qui n'a pas tué.
00:08:53Mais les mafieux étaient croyants.
00:08:56...
00:08:59Ils portaient tous un crucifix
00:09:02ou avaient des images saintes chez eux.
00:09:05...
00:09:10On ne voyait pas le mal qu'il y avait à tuer quelqu'un.
00:09:14Pour nous, c'était une chose normale.
00:09:17Au contraire, même.
00:09:20On se sentait justiciés.
00:09:24Si quelqu'un se comportait mal,
00:09:27on le tuait.
00:09:30La foi, c'était autre chose.
00:09:33Le soir, quand on rentrait à la maison avec les enfants,
00:09:36on se sentait justiciés.
00:09:39...
00:09:42...
00:09:46...
00:09:49...
00:09:52...
00:09:55...
00:09:58...
00:10:01...
00:10:05Je m'appelle Alessandra Dino.
00:10:08Je suis sociologue et depuis les années 90,
00:10:11j'ai étudié le phénomène mafieux.
00:10:14En 2002,
00:10:17j'ai décidé de faire une enquête
00:10:20sur les paroisses du diocèse de Palerme
00:10:23pour comprendre le lien qu'il y avait
00:10:26entre la religion et la mafia.
00:10:30Pour faire cela,
00:10:33j'ai décidé d'adopter deux points de vue.
00:10:36D'un côté, qu'est-ce que la religion pour les mafieux ?
00:10:40Et de l'autre,
00:10:43comment l'Eglise a affronté cette question ?
00:10:46Parce que si pendant si longtemps,
00:10:49les mafieux ont pu se revendiquer religieux et catholiques
00:10:52sans que personne ne leur dise
00:10:55que l'on est fou,
00:10:59ça veut dire que quelque chose n'a pas fonctionné
00:11:02du côté de l'Eglise.
00:11:05Le résultat de notre étude a démontré
00:11:08que seuls 30 % des prêtres
00:11:11avaient conscience de la gravité du phénomène mafieux,
00:11:14de sa dimension criminelle
00:11:17et de l'importance de travailler main dans la main
00:11:21avec la justice.
00:11:24Pendant des décennies en Sicile,
00:11:27la mafia a vécu bras-dessus-bras-dessous avec l'Eglise
00:11:30et l'Eglise a fait semblant de ne pas voir.
00:11:38...
00:11:41...
00:11:44...
00:11:47...
00:11:51Pour comprendre les origines de cette déviance,
00:11:54il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale,
00:11:57quand l'antéchrist pour l'Eglise,
00:12:00c'était le communisme.
00:12:03...
00:12:06...
00:12:09...
00:12:12Jusqu'en 1989,
00:12:16dans le contexte bipolaire de la Guerre froide,
00:12:19le plus grand danger ne résidait pas dans les meurtres,
00:12:22la drogue ou la mafia,
00:12:25mais dans le risque de l'avènement des communistes,
00:12:28et ce, notamment aux yeux de l'Eglise catholique.
00:12:31...
00:12:35Et vu que la mafia a toujours été anticommuniste,
00:12:38du côté des propriétaires terriens et du pouvoir,
00:12:42elle a été utilisée
00:12:45comme un instrument contre l'expansion du communisme.
00:12:48La mafia a d'ailleurs assassiné de nombreux syndicalistes,
00:12:51des paysans
00:12:54et des représentants de la gauche.
00:12:57...
00:13:01En 1946,
00:13:04exactement un an après la guerre,
00:13:07le cardinal Ruffini est nommé à Palermo.
00:13:11...
00:13:14...
00:13:17...
00:13:20...
00:13:23...
00:13:26Il y restera 21 ans.
00:13:30...
00:13:33Pendant tout ce temps, le cardinal coopèrera avec la mafia.
00:13:36Et il y a des preuves.
00:13:39...
00:13:42...
00:13:45En 1963,
00:13:48il y a le premier attentat à la bombe par la mafia à Palermo.
00:13:52...
00:13:55...
00:13:587 carabiniers militaires italiens seront tués.
00:14:02...
00:14:05Le pape de l'époque, Paul VI,
00:14:08écrit alors au cardinal Ruffini
00:14:11pour lui demander ce qui était en train de se passer à Palermo.
00:14:14...
00:14:18Le cardinal lui répond qu'il n'y a rien.
00:14:21Que la mafia n'existe pas.
00:14:24...
00:14:27Que la mafia n'est qu'une invention des journaux
00:14:30et des partis de gauche.
00:14:33...
00:14:36...
00:14:40Les premières prises de position fermes
00:14:43de l'Eglise contre la mafia auront lieu au début des années 80.
00:14:46...
00:14:49...
00:14:52...
00:14:55...
00:14:58...
00:15:02En 1982,
00:15:05on a déjà eu une longue liste d'assassinats
00:15:08de personnages officiels qui ont secoué Palermo.
00:15:11Ils ont notamment assassiné
00:15:14le procureur Gaetano Costa,
00:15:17le juge Cesare Terranova,
00:15:21le président de la région sicilienne Piersanti Mattarella.
00:15:24Bref, on a connu une très longue série d'assassinats
00:15:27qui ont été très importants.
00:15:30...
00:15:33...
00:15:36...
00:15:39...
00:15:42A la suite de l'assassinat du général Dallachiesa,
00:15:46la ville de Palermo va prendre position et l'Eglise aussi.
00:15:49Le cardinal de l'époque, qui n'est plus ruffini évidemment,
00:15:52prononce une homélie très dure
00:15:55qui restera dans l'histoire
00:15:58sous le nom de l'homélie de Sagunto.
00:16:01...
00:16:04...
00:16:08...
00:16:11...
00:16:14...
00:16:17...
00:16:20...
00:16:23...
00:16:26...
00:16:30...
00:16:33...
00:16:36...
00:16:39...
00:16:42...
00:16:45Je me souviens que dans les prisons,
00:16:49nous avons manifesté.
00:16:52Quand le cardinal Papalardo venait pour célébrer la messe,
00:16:55on n'y allait pas.
00:16:58Il savait que certains
00:17:01auraient peut-être voulu y aller,
00:17:04mais l'ordre avait été donné en interne
00:17:07par la mafia de le boycotter.
00:17:11Pour cette homélie,
00:17:14le cardinal Papalardo a subi de fortes critiques
00:17:17au sein de l'Eglise catholique.
00:17:20Il ne s'est plus jamais exprimé sur ce sujet
00:17:23parce que les grands chefs du Parti politique catholique de l'époque
00:17:26avaient fait pression par peur
00:17:29que le cardinal crée un mouvement antimafia
00:17:33au sein de la communauté catholique.
00:17:36L'Eglise a toujours été embarrassée
00:17:39de s'exprimer au sujet de la mafia
00:17:42parce que les mafieux faisaient partie
00:17:45des confraternités religieuses
00:17:48et des quartiers populaires.
00:17:51Ils finançaient largement les églises et les paroisses,
00:17:55ils allaient à la messe tous les dimanches,
00:17:58ils étaient les plus respectueux des sacrements,
00:18:01et ça, ça suffisait largement à l'Eglise.
00:18:04Pour nous, le prêtre était quelqu'un de bien,
00:18:07qui faisait le bien,
00:18:10qui pouvait être un allié,
00:18:13mais on ne le voyait sûrement pas
00:18:16comme un adversaire.
00:18:20Quand il y avait des cérémonies religieuses,
00:18:23c'était les mafieux qui faisaient en sorte
00:18:26qu'il y ait l'argent nécessaire pour faire une belle fête.
00:18:29Si le prêtre avait besoin de quoi que ce soit,
00:18:32les femmes des mafieux s'occupaient de lui.
00:18:35On ne manquait jamais de respect au prêtre.
00:18:39Au contraire, on en prenait soin.
00:18:46C'est ce qu'il fallait faire.
00:18:50C'est ce qu'il fallait faire.
00:18:53C'est ce qu'il fallait faire.
00:18:56C'est ce qu'il fallait faire.
00:18:59C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:02C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:05C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:09C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:12C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:15C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:18C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:21C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:24C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:27C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:31C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:34C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:37C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:40C'est ce qu'il fallait faire.
00:19:43...
00:19:50Il serait absurde de dire qu'on n'a pas peur.
00:19:53Il y a des moments où on a peur.
00:19:57L'important, c'est qu'avec la peur, il y ait du courage.
00:20:01...
00:20:10Le souvenir le plus fort que j'en garde,
00:20:13c'est l'odeur, l'horrible odeur de l'explosion.
00:20:16...
00:20:20C'était une scène de guerre, de bombardement.
00:20:23...
00:20:28A la suite de l'attentat contre le juge Borsellino,
00:20:31la révolte des habitants contre la mafia va s'amplifier.
00:20:36...
00:20:41Applaudissements
00:20:44...
00:20:48Je me souviens avoir été très ému.
00:20:51Voir tous ces gens, de tous les milieux,
00:20:54pas les petites manifs anti-mafia qu'on avait l'habitude de voir,
00:20:58mais voir tous ces jeunes, ses pères, ses mères,
00:21:01toutes sortes de gens...
00:21:04...
00:21:07Les voir manifester, défiler, hurler.
00:21:11J'avais vraiment la sensation
00:21:14que les choses étaient en train de changer.
00:21:17...
00:21:20C'était au peuple de se rebeller.
00:21:23Et à l'Eglise ? Mais non.
00:21:26Elle est restée silencieuse.
00:21:29Après les événements de 1992,
00:21:33au congrès annuel des évêques,
00:21:37il n'y a pas eu une seule allusion aux attentats.
00:21:40...
00:21:43L'ordre du jour était la crise du Parti catholique italien.
00:21:46...
00:21:49Tout ça pour vous montrer
00:21:52à quel point l'Eglise était en retard sur la société civile.
00:21:56...
00:21:59...
00:22:02...
00:22:05...
00:22:08Je m'appelle Michela Buscemi.
00:22:11Je suis une des premières femmes
00:22:14à avoir témoigné contre la mafia,
00:22:18après qu'ils aient tué deux de mes frères.
00:22:21...
00:22:24...
00:22:27...
00:22:30...
00:22:33On était en train de manifester
00:22:36pour les attentats de Falcone et Borsellino.
00:22:40...
00:22:43C'était le 26 juillet.
00:22:46...
00:22:49Et là, on apprend la nouvelle
00:22:52qu'une jeune fille sicilienne s'était suicidée à Rome.
00:22:55...
00:22:58...
00:23:01...
00:23:05...
00:23:08Rita Atria était une jeune fille
00:23:11qui a dénoncé la mafia
00:23:14parce qu'ils avaient tué son père et son frère.
00:23:17...
00:23:20Elle avait été ensuite placée sous l'aile protectrice
00:23:23du juge Borsellino.
00:23:27...
00:23:30...
00:23:33Elle n'était pas soutenue par sa famille
00:23:36ni même par sa mère.
00:23:39Alors elle s'est sentie abandonnée
00:23:42quand ils ont assassiné Borsellino.
00:23:46...
00:23:49...
00:23:52...
00:23:55Nous n'avons connu son histoire
00:23:58qu'après son suicide.
00:24:01Alors, avec notre groupe de femmes féministes,
00:24:04nous avons décidé d'aller à ses funérailles.
00:24:08...
00:24:11Et nous avons porté son cercueil sur nos épaules.
00:24:14...
00:24:17...
00:24:20Nous avons décidé de porter son cercueil
00:24:23parce que personne ne s'était proposé.
00:24:26...
00:24:29Arrivée au lieu de sa sépulture,
00:24:33il y avait un prêtre qui a dit...
00:24:36...
00:24:39Moi, je suis ici contre la volonté de mes supérieures.
00:24:42Parce que Rita s'est suicidée
00:24:45et n'a donc pas le droit à une messe.
00:24:49Et à cause d'elle,
00:24:5250 personnes de ce village
00:24:55ont été arrêtées.
00:24:58Des innocents.
00:25:02Alors on lui a tourné le dos.
00:25:05...
00:25:08C'était un prêtre lâche,
00:25:11voilà ce que je pense.
00:25:14...
00:25:17...
00:25:20Applaudissements
00:25:23...
00:25:27Elle est morte parce qu'elle avait peur des mafieux.
00:25:30Et eux, par contre, on leur donne l'absolution.
00:25:33On les bénit sur leur lit de mort.
00:25:36Les mafieux sont bénis,
00:25:39mais pas une pauvre créature de 17 ans qui a peur.
00:25:42...
00:25:46C'est une histoire très triste.
00:25:49...
00:25:52Une histoire moche,
00:25:56qui nous afflige.
00:25:59...
00:26:02Mais vous savez,
00:26:05nous avons vécu beaucoup d'histoires moches
00:26:08dans cette ville, dans nos terres.
00:26:11...
00:26:14Un an plus tard, en mai 1993,
00:26:17Jean-Paul II déclare officiellement
00:26:21au peuple mafieux
00:26:24que l'Eglise ne veut plus rien avoir à faire avec eux.
00:26:27...
00:26:45...
00:26:48...
00:26:52Applaudissements
00:26:55...
00:26:58On est en 1993,
00:27:01c'est-à-dire 11 ans après l'homélie de Papalardo.
00:27:04...
00:27:07Et 50 ans après l'arrivée à Palerme
00:27:11du cardinal Ruffini, juste après la guerre.
00:27:14Donc l'Eglise,
00:27:17avant de prendre acte de la gravité de ce phénomène,
00:27:20a mis encore une fois un temps biblique,
00:27:23a été d'une lenteur exaspérante.
00:27:26...
00:27:29En fait, cette phrase n'était pas prévue
00:27:33dans son discours d'origine.
00:27:36Mais il venait juste de rendre visite
00:27:39aux parents du juge Livatino,
00:27:42le jeune magistrat tué par la mafia.
00:27:45Et pris par l'émotion, il a improvisé ce discours
00:27:48en s'écartant du texte original prévu.
00:27:51Mais ce que l'histoire ne dit pas,
00:27:55c'est que la Papamobile, qui a traversé la ville de Palerme,
00:27:58était conduite par un mafieux, Angelo Sina,
00:28:01que j'ai moi-même interrogé.
00:28:04...
00:28:07Applaudissements
00:28:11...
00:28:14Pour comprendre la gravité de l'homélie de Jean-Paul II
00:28:17et combien la mafia n'a pas apprécié,
00:28:20...
00:28:23il suffit de regarder les dates.
00:28:27Homélie de Jean-Paul II en mai 1993.
00:28:30...
00:28:33Juillet 1993,
00:28:36les attentats de la mafia
00:28:39sur le continent italien,
00:28:42à Rome, Milan et Florence.
00:28:46...
00:28:49...
00:28:52...
00:28:55...
00:28:58Trois attentats, dont deux qui vont frapper
00:29:01des symboles de la chrétienté romaine.
00:29:05Les églises de Saint-George au Vélabre
00:29:08et de Saint-Jean de Latran à Rome.
00:29:11...
00:29:14C'est la première fois
00:29:17que la mafia s'attaque à l'église
00:29:20à main armée.
00:29:23...
00:29:26...
00:29:30...
00:29:33...
00:29:37...
00:29:41...
00:29:44...
00:29:47...
00:29:50...
00:29:53...
00:29:56...
00:30:00...
00:30:03pour Dieu et pour l'homme qui construit une société humaine et civile.
00:30:20Prions ensemble pour les familles en lutte,
00:30:23pour les blessés et pour tous ceux qui ont été touchés par ces tragédies et ces événements.
00:30:30Prions pour l'avenir de l'Italie.
00:30:40Mais ce n'est pas fini.
00:30:42En septembre 1993, c'est-à-dire deux mois plus tard,
00:30:47dans le quartier de Brancaccio à Palerme,
00:30:50le père Pulisi est assassiné.
00:31:00Don Giuseppe Pulisi a été tué à 9h15.
00:31:03Il est resté agonisant devant le portail du palais
00:31:06plusieurs minutes avant d'être aidé par un agent de la police.
00:31:11Peut-être que le prêtre pouvait avoir été sauvé
00:31:14et qu'aucun d'entre eux, à la plage Anita et Garibaldi, n'avait entendu rien.
00:31:19Je vais regarder dans le miroir pour voir si ça va.
00:31:50Nous étions amis avec père Pulisi.
00:31:53Il était un peu plus âgé que moi.
00:31:56Il me lait des actions concrètes et positives.
00:32:03Il voulait enlever les enfants des rues
00:32:06car il se rendait compte que la présence des familles mafieuses,
00:32:10des Graviano en particulier,
00:32:12et de la police,
00:32:14conditionnaient totalement la vie du quartier et celle des jeunes.
00:32:18Il devenait une main d'œuvre facile pour les mafieux.
00:32:24Alors, en faisant venir ces jeunes à l'église ou au centre social,
00:32:30il coupait l'herbe sous le pied des mafieux.
00:32:37Dans le quartier, il y avait des mafieux.
00:32:40Il coupait l'herbe sous les pieds des mafieux.
00:32:43Il y a déjà beaucoup de jeunes qui sont autour du centre social
00:32:48et certains sont déjà présents.
00:32:50La vie n'est pas simplement faite de violence, de dégradation,
00:32:54mais il y a des valeurs comme la paix, la fraternité et la collaboration.
00:33:00Ce sont nos espérances.
00:33:11Je m'appelle Domenico Delisi, mais tout le monde m'appelle Mimmo.
00:33:17J'ai grandi ici, à Brancaccio.
00:33:22Père Puglisi a changé ma vie.
00:33:28Parce que grandir dans ce quartier, c'était difficile,
00:33:31et ça l'est encore aujourd'hui.
00:33:35Imaginez qu'à l'époque, ici, il n'y avait même pas de lycée.
00:33:40Il n'y avait même pas de lycée.
00:33:48Et puis, il y avait beaucoup de criminalité.
00:33:51On comptait en moyenne un meurtre de la mafia tous les deux jours.
00:33:56Le quartier était très stigmatisé.
00:33:59Tu vivais ici et tu étais forcément mafieux aux yeux des gens,
00:34:02mais ce n'était pas le cas, évidemment.
00:34:05Père Puglisi voulait nous libérer de cette image, de ce stigmate.
00:34:11Il nous disait « Oui, il y a des problèmes dans ce quartier.
00:34:14Oui, il y a la mafia, c'est vrai.
00:34:17Mais il y a aussi plein de gens bien. »
00:34:20Ce discours m'a touché et ça m'a donné une envie de revanche.
00:34:25J'en ai pris conscience et je me suis battu.
00:34:27C'est grâce à ça qu'aujourd'hui, je peux être ici pour raconter mon histoire.
00:34:31J'y crois encore, même après 33 ans.
00:34:34Et ça n'a pas été facile.
00:34:44Il a commencé à recevoir des menaces, mais il n'a pas eu peur.
00:34:48Et dans ses homélies, de manière très tranquille, il disait
00:34:52« Si quelqu'un a quelque chose contre moi, qu'il vienne me parler
00:34:56au lieu de me menacer de manière agressive,
00:34:58je n'ai rien à cacher.
00:35:00Je travaille pour vos enfants, pour notre quartier et nos familles.
00:35:05Si ça ne vous plaît pas, dites-le-moi,
00:35:07mais ayez le courage de venir me le dire en face. »
00:35:12Les mafieux l'ont pris comme une provocation,
00:35:14parce que le mafieux n'accepte pas le dialogue.
00:35:18Les mafieux l'ont pris comme une provocation,
00:35:20parce que le mafieux n'accepte pas le dialogue.
00:35:47Lui, le prêtre d'église, s'est tourné et, avec un sourire,
00:35:52lui a dit « Je t'attendais ».
00:35:55Il n'avait pas compris qu'il allait mourir.
00:35:59« Je t'ai tiré à la nuque, je suis là ».
00:36:11Ce fut un moment de grande souffrance pour notre église.
00:36:18Le premier prêtre tué par la mafia,
00:36:21un affront public contre l'église.
00:36:25Et quelle église en plus ?
00:36:27Une simple église qui prêchait l'Évangile.
00:36:30Le Notre-Père, pas le parrain.
00:36:35La liberté, pas la soumission.
00:36:41Cette résistance, au nom de la liberté,
00:36:44c'est ce qui l'a donné de plus beau à notre église.
00:37:02Elevo la mia voce per deplorare
00:37:05che un sacerdote impegnato e l'annunciare l'Evangelo
00:37:09e nell'aiutare i fratelli a vivere onestamente
00:37:12ad amare Dio e il prossimo
00:37:15sia stato barbaramente eliminato.
00:37:19Che il sangue innocente di questo sacerdote
00:37:22porti pace nella cara Sicilia.
00:37:29A l'occasion du meurtre de Perpulisi,
00:37:32l'église avait décidé
00:37:35de faire beaucoup de plus.
00:37:38Par exemple, se constituer partie civile
00:37:41au procès des assassins de Perpulisi.
00:37:44Le magistrat qui était en charge du procès,
00:37:47Lorenzo Matassa, leur a demandé.
00:37:50Il espérait vraiment qu'ils le fassent,
00:37:53mais ils n'ont pas voulu.
00:37:56Pourquoi ?
00:37:59Parce qu'il n'avait pas le droit
00:38:03Pourquoi ? On ne sait pas.
00:38:06Encore aujourd'hui ça reste un point d'interrogation.
00:38:13Si tu luttes contre la mafia et que tu le fais sérieusement,
00:38:17on te tue.
00:38:20Donc si on veut comprendre pourquoi en Sicile
00:38:23de nombreux magistrats ont été tués
00:38:26et pas beaucoup de prêtres, à part Pugliesi,
00:38:29on a la réponse.
00:38:32C'est parce que l'église ne leur a jamais vraiment posé de problème.
00:38:50Je suis père Mario Frittita
00:38:53et je suis né en 1939.
00:38:59Le 19 mai.
00:39:02A 12 ans, je suis tombé amoureux
00:39:05des prêtres de mon quartier.
00:39:08Tout le quartier dépendait d'eux.
00:39:13Ils nous éduquaient, ils nous aimaient.
00:39:18Alors j'ai dit à maman, je veux devenir prêtre.
00:39:22La mission du prêtre,
00:39:25c'est de faire la volonté de Dieu.
00:39:30Et moi je suis amoureux de Jésus.
00:39:39Ayant travaillé pendant plus de 15 ans
00:39:42pour une télé qui se trouvait à quelques mètres
00:39:45de son église dans le quartier de la Calça,
00:39:48je connaissais très bien le personnage.
00:39:54Père Frittita, c'était en quelque sorte
00:39:57le gouverneur du quartier.
00:40:00On allait le voir pour tout.
00:40:03D'un vol de voiture à des affaires de cœur,
00:40:06d'un amour manqué ou d'une maladie.
00:40:09Il était considéré en quelque sorte
00:40:12comme un chamane.
00:40:15Pour les gens du quartier,
00:40:18il avait presque des pouvoirs surnaturels,
00:40:21ce qui faisait lui une figure intouchable.
00:40:38Un soir, on m'a appelé.
00:40:42Mon père, un gendarme est là.
00:40:45Il veut vous parler.
00:40:48J'y suis allé.
00:40:51Un gendarme.
00:40:54Dès que je l'ai vu, il m'a menotté.
00:40:57Et là j'ai compris.
00:41:05Alors j'ai dit,
00:41:08que la volonté soit faite, Jésus.
00:41:39Amico dei Boss,
00:41:42per i magistrati che lo accusano padre Frittita,
00:41:45avrebbe aiutato cosa nostra.
00:41:48Intercettazioni sarebbero là a provare
00:41:51che il Carmelitano non si occupava
00:41:54solo degli affari dell'anima dei padrini.
00:41:57Sarebbe stato più che un confessore
00:42:00per il boss Pietro Aglieri.
00:42:03Pietro Aglieri était en cavale.
00:42:06Il était un des plus grands chefs mafieux,
00:42:09très cruel,
00:42:12qui a exécuté et commandité
00:42:15des dizaines de meurtres,
00:42:18en pensant toujours pouvoir demander pardon au Seigneur.
00:42:21Vous savez,
00:42:24les mafieux ont cette folie.
00:42:27Ils pensent qu'avec une Bible dans une main
00:42:30et une arme dans l'autre,
00:42:33ils peuvent tuer le coeur en paix.
00:42:36Alors s'ils ont un prêtre comme père Frittita
00:42:39qui les conforte là-dedans,
00:42:42c'est la fin de toute logique.
00:42:48Un soir,
00:42:51un homme est venu
00:42:54proche de ce certain Pietro Aglieri.
00:42:57Il me dit,
00:43:00« Mon père, il a besoin de se confesser.
00:43:03Dans deux jours,
00:43:06je te donne une réponse. »
00:43:09J'ai demandé à mon supérieur
00:43:12et il m'a dit,
00:43:15« Vas-y,
00:43:18mais sache que tu risques de t'exposer
00:43:21à beaucoup de problèmes.
00:43:24Mais mon père, il s'agit de sauver une âme. »
00:43:32Quand je suis arrivé,
00:43:35il m'a emmené dans sa chapelle.
00:43:38Il y avait un tas de livres saints,
00:43:41des images de Sainte Thérèse,
00:43:44et je lui ai célébré la messe.
00:43:48Pourquoi ne pas le pardonner ?
00:43:51Il demande pardon.
00:43:54Il veut se rapprocher du Seigneur.
00:43:57C'était un séminariste de Montréal.
00:44:05Comment puis-je ne pas le sauver ?
00:44:08Il priait sept heures par jour.
00:44:11Je suis devenu pâle quand il m'a dit ça.
00:44:14« Mon Dieu Jésus,
00:44:17moi je ne prie que quatre heures et je suis fatigué. »
00:44:20Il est incroyable, vraiment incroyable.
00:44:29Totorina le respectait beaucoup
00:44:32parce qu'il parlait bien.
00:44:35S'il lui demandait un service, il le faisait.
00:44:38Aliéry était quelqu'un de bien, en somme.
00:44:41Non, non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
00:44:44Les choses sont allées ainsi.
00:44:47Il s'est trompé de chemin.
00:44:50Au lieu de prendre la rue à Loroz,
00:44:53il a pris Avenue Victorio Emmanuel.
00:44:59La question s'est alors posée.
00:45:02Est-ce juste qu'un prêtre
00:45:05se rende dans la cachette d'un fugitif
00:45:08pour le servir et lui porter la communion ?
00:45:11Alors le Cardinal De Giorgi
00:45:14a convoqué la faculté de théologie
00:45:17pour donner une réponse à cette question.
00:45:20Et j'étais un des trois qui ont été appelés
00:45:23en tant que théologien des sacrements.
00:45:26Et la conclusion était surprenante,
00:45:29mais très positive,
00:45:32malgré les critiques de nombreux religieux.
00:45:35Ils ont jugé que c'était une in debita cappellania,
00:45:38une aumône excessive.
00:45:43C'est-à-dire que Padre Fritita
00:45:46aurait dû convaincre Aliéry
00:45:49de sortir de sa cachette
00:45:52pour être confessé et recevoir la communion.
00:45:57Mais je lui ai dit,
00:46:00s'il te plaît,
00:46:04il m'a répondu,
00:46:07non, mon père, je ferai silence,
00:46:10car si je collabore pour être libre,
00:46:13je dois accuser les autres.
00:46:16Alors je lui ai dit,
00:46:19à ça non, tu dois être honnête,
00:46:22sinon la bénédiction que je t'ai donnée
00:46:25deviendra malédiction.
00:46:28Oui, mon père, je garderai le silence.
00:46:32Et lui ?
00:46:40Environ 70% des prêtres
00:46:43que j'ai interrogés
00:46:46considéraient les collaborateurs de justice
00:46:49comme des délateurs,
00:46:52des traîtres.
00:46:55Je me souviens de ce prêtre
00:46:58que j'ai rencontré dans un village
00:47:01près de Corleone
00:47:04qui m'a demandé,
00:47:07selon vous, quel est le péché le plus grave ?
00:47:10J'ai répondu, le meurtre.
00:47:13Non, non,
00:47:16c'est la trahison,
00:47:19le péché de Judas.
00:47:22Les repentis, car il ne les appelait pas
00:47:25des collaborateurs de justice,
00:47:28sont des êtres que Dieu méprise,
00:47:31ainsi que leurs amis.
00:47:56Bravo !
00:47:59Bravo !
00:48:24La réflexion de l'Eglise
00:48:27va commencer à mûrir avec l'affaire Fritita.
00:48:30En 2013, le cardinal de la ville de Acireale
00:48:33va rédiger un document
00:48:36qui dit que les cérémonies religieuses
00:48:39seront dorénavant refusées
00:48:42à tous les mafieux condamnés
00:48:45et qui n'ont pas collaboré avec la justice.
00:48:48C'est une prise de position forte
00:48:51qui sera peu à peu suivie par d'autres.
00:48:57Je suis Mgr Michele Pennisi.
00:49:00Je suis un évêque né en Sicile.
00:49:03Depuis 9 ans,
00:49:06je suis archevêque de Montréal.
00:49:09Pendant des années,
00:49:12je me suis confronté
00:49:15aux problèmes de la mafia,
00:49:18aussi bien d'Isla,
00:49:21où j'ai été menacé par la mafia,
00:49:24à Montréal,
00:49:27qui comprend des villages comme Corleone,
00:49:30considérés comme le berceau de la mafia.
00:49:33La mafia a depuis toujours
00:49:36imité les rites religieux,
00:49:39comme par exemple le serment fait
00:49:42avec une goutte de sang versée
00:49:45sur une figure d'un saint
00:49:48qui ensuite est brûlé.
00:49:51Les mafieux condamnés
00:49:54peuvent être parrains
00:49:57dans les baptêmes,
00:50:00ainsi que dans les confirmations.
00:50:03Je suis un évêque né en Sicile.
00:50:06Je suis un évêque né en Sicile.
00:50:09Je suis un évêque né en Sicile.
00:50:12Je suis un évêque né en Sicile.
00:50:15Je suis un évêque né en Sicile.
00:50:19Aujourd'hui, je pense
00:50:22qu'il y a une plus grande prise
00:50:25de conscience au sein de l'Église.
00:50:28Mais il y a encore
00:50:31beaucoup de problèmes à affronter.
00:50:34Je dirai qu'il y a encore
00:50:37beaucoup d'ignorance,
00:50:40sans vouloir faire de justice.
00:50:43Je crois qu'il faut
00:50:46sans vouloir faire de jugements,
00:50:50pas tant dans les hautes hiérarchies de l'Eglise
00:50:55qui prennent de plus en plus position dans leurs documents officiels.
00:51:11Mais c'est plutôt au niveau des prêtres, des paroisses
00:51:15où on ne perçoit pas de réelle prise de conscience
00:51:20et ça se voit au niveau des cérémonies religieuses
00:51:25qu'il n'y a pas de prise de position forte.
00:52:15...
00:52:29-"Le dieu de la mafia", documentaire réalisé par Anne Veyron,
00:52:32un film qui s'interroge, vous venez de le voir,
00:52:35sur le lourd silence longtemps observé au sein de l'Eglise catholique
00:52:38à propos des crimes mafieux
00:52:40qui, durant des décennies, ont pourtant ensanglanté
00:52:43la région historiquement trépieuse de l'Italie,
00:52:45avec nos invités, l'occasion pour nous maintenant,
00:52:48sur ce plateau de débats doc,
00:52:50de se demander si, pour sa part,
00:52:52l'Etat italien est enfin parvenu à marquer des points décisifs
00:52:55dans sa lutte contre les mafias.
00:52:58Charlotte Mauge est tout d'abord avec nous.
00:53:00Bienvenue à vous.
00:53:01Vous êtes historienne, maître de conférences en études italiennes
00:53:03à l'université Jean Moulin III à Lyon, bien entendu.
00:53:06C'est Lyon III et spécialiste du mouvement antimafia
00:53:09et des mafias italiennes.
00:53:11Fabrice Rizolit également avec nous.
00:53:13Bienvenue à vous.
00:53:14Vous êtes docteur en sciences politiques de l'université Paris 1,
00:53:17Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la grande criminalité.
00:53:20Vous êtes par ailleurs fondateur et président
00:53:23de l'association Crimes Altes
00:53:25et nous vous devons, entre autres,
00:53:27la mafia de A à Z, crimes organisés,
00:53:29mafias, antimafias,
00:53:31160 définitions pour un Etat des lieux,
00:53:34édité chez Timbouctou Éditions.
00:53:37Et puis enfin avec nous, Clotilde Champérache.
00:53:39Bienvenue à vous aussi, Clotilde Champérache.
00:53:41Vous êtes économiste et spécialiste de la mafia,
00:53:44maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers
00:53:48et vous êtes l'auteur, entre autres, de ce livre
00:53:50Géopolitique des mafias entre expansion économique
00:53:54et conquête territoriale,
00:53:56publié aux éditions Le Cavalier bleu.
00:53:59Et puis je signale également que tous les trois,
00:54:02vous avez écrit dans cette revue
00:54:04qui s'intitule Questions internationales
00:54:06avec ce titre pour cette revue
00:54:08pour laquelle vous avez collaboré,
00:54:10La gangsterisation du monde.
00:54:12C'est à se procurer auprès
00:54:14de la documentation française.
00:54:16Charlotte Moge,
00:54:18il faut toujours commencer peut-être
00:54:20par dire, après avoir vu ce film,
00:54:22qu'il n'y a pas une mafia en Italie
00:54:24mais quatre mafias principales.
00:54:26Regardez cette carte.
00:54:28Je vais peut-être vous laisser la commenter
00:54:30pour nous dire où se situent
00:54:32ces quatre principales mafias italiennes
00:54:34et pourquoi.
00:54:36Ces quatre mafias italiennes
00:54:38sont localisées dans le sud
00:54:40de la péninsule.
00:54:42Elles apparaissent pour les trois principales,
00:54:44les trois plus traditionnelles
00:54:46dans la moitié du XIXe siècle.
00:54:48On a donc Cosa Nostra en Sicile,
00:54:50Landrangheta en Calabre,
00:54:52La Camorra qui naît dans la région de Naples
00:54:54puis qui s'étend dans la province
00:54:56de Naples et les autres provinces
00:54:58de la compagnie
00:55:00et la Sacra Corona Unita
00:55:02qui apparaît dans les Pouilles
00:55:04plus tardivement, plus d'un siècle plus tard
00:55:06puisque la Sacra Corona Unita apparaît
00:55:08dans les années 80, en 1980
00:55:10dans les Pouilles.
00:55:12Vous l'avez dit, ces quatre principales
00:55:14mafias italiennes se trouvent au sud
00:55:16de la botte italienne.
00:55:18Est-ce qu'il faut comprendre par là
00:55:20qu'au nord de l'Italie, la mafia n'est pas présente
00:55:22ou l'une de ces quatre mafias n'est pas présente ?
00:55:24Toutes les mafias sont
00:55:26maintenant présentes dans le nord de l'Italie.
00:55:28Il est quand même significatif
00:55:30qu'elles apparaissent dans le sud,
00:55:32c'est-à-dire qu'il faut savoir
00:55:34que les trois mafias principales
00:55:36lient leur sort à la naissance de l'Etat italien,
00:55:38c'est-à-dire qu'elles vont
00:55:40exploiter les faiblesses de l'Etat unitaire,
00:55:42elles vont combler les lacunes du pouvoir,
00:55:44elles vont offrir à la population
00:55:46des services que l'Etat
00:55:48n'offre pas
00:55:50et elles vont assujettir
00:55:52les populations et conditionner
00:55:54le développement économique de ces régions.
00:55:56Maintenant, elles se sont expatriées,
00:55:58on va dire exportées,
00:56:00dans le nord, principalement
00:56:02dans les années du miracle économique,
00:56:04on parle des années 50-60, là où
00:56:06la Lombardie était
00:56:08la capitale économique
00:56:10du pays, mais c'est vraiment
00:56:12le moment où
00:56:14ces régions-là
00:56:16du nord-ouest de l'Italie
00:56:18étaient le moteur de l'économie italienne.
00:56:20D'abord Cosa Nostra, puis la Camorra,
00:56:22mais aussi la Ndrangheta,
00:56:24de manière beaucoup plus sournoise et à bas bruit,
00:56:26et on s'en est rendu compte, du coup,
00:56:28beaucoup plus tard, et c'est clairement la Ndrangheta
00:56:30qui est maintenant la plus implantée dans le nord de l'Italie,
00:56:32en particulier dans le nord-ouest,
00:56:34mais pas seulement.
00:56:36C'est vrai que dans l'imaginaire collectif, c'est plutôt Cosa Nostra,
00:56:38la Cosa Nostra,
00:56:40la mafia sicilienne,
00:56:42qui est la plus grande
00:56:44mafia italienne, c'est pas le cas,
00:56:46c'est la Ndrangheta, on en parlera tout à l'heure.
00:56:48Voilà, cette mafia sicilienne
00:56:50qui a été magnifiée notamment par Hollywood,
00:56:52à travers des films comme
00:56:54Cosa Nostra, notamment signé par Francis Ford Coppola,
00:56:56vous nous dites,
00:56:58voilà, l'Etat italien
00:57:00a fait ce qu'il fallait pour combattre la mafia,
00:57:02il l'a fait assez tôt, et elle est dotée
00:57:04aujourd'hui de l'outil législatif
00:57:06le plus puissant du monde pour lutter
00:57:08contre les systèmes mafieux.
00:57:10Expliquez-nous pourquoi,
00:57:12de quand date cette législation,
00:57:14et de quoi est-elle faite pour être aussi puissante
00:57:16face à la pieuvre ?
00:57:18Il y a toujours eu des mouvements de résistance contre les mafias,
00:57:20vous parlez de la mafia sicilienne,
00:57:22des mouvements paysans, mais enfin souvent ils étaient assassinés.
00:57:24Il y a toujours eu
00:57:26aussi des procès, il y a des procès depuis deux siècles
00:57:28en Italie contre les mafias italiennes.
00:57:30Mais très clairement il y a eu une période très sombre,
00:57:32que moi j'appelle le monde bipolaire,
00:57:34c'est-à-dire où les mafias pour moi sont des alliés objectifs
00:57:36de la démocratie chrétienne qui restent au pouvoir,
00:57:38donc pour moi ils conditionnent le vote,
00:57:40et en échange il y a de l'impunité, pas tout le temps de l'impunité.
00:57:42Il y a une révolution
00:57:44qui commence à arriver au début des années 80
00:57:46avec deux outils très importants,
00:57:48le délit d'association mafieuse,
00:57:50pour condamner les mafieux pour appartenance à une organisation criminelle.
00:57:52Et là nous sommes au début des années 80, je crois.
00:57:54Nous sommes au début des années 80,
00:57:56c'est tout un processus,
00:57:58il va y avoir la confiscation obligatoire des avoirs du crime
00:58:00et de leurs complices, enfin des mafieux et de leurs complices,
00:58:02le maxi-procès,
00:58:04où l'État prend sa part
00:58:06en construisant le tribunal
00:58:08dans la prison,
00:58:10pour pas que les mafieux, les 370
00:58:12accusés, fassent des voyages
00:58:14en fourgon cellulaire, puissent s'évader,
00:58:16etc. Donc l'État, par une certaine puissance
00:58:18immobilière symbolique,
00:58:20fait le procès là, et en fait
00:58:22il faudra attendre le 31 janvier
00:58:241992 pour que la Cour de Cassation
00:58:26valide définitivement
00:58:28le maxi-procès, condamne des mafieux
00:58:30pour association mafieuse de la mafia sicilienne,
00:58:32et c'est précisément, il me semble,
00:58:34arrive un moment où il n'y a plus
00:58:36la menace communiste, où
00:58:38les pouvoirs sont libérés
00:58:40de ce contentment,
00:58:42et toute une série d'outils
00:58:44législatifs vont être complétés.
00:58:46Par exemple,
00:58:48depuis 1991, un statut officiel
00:58:50de collaborateur de justice...
00:58:52Ce qu'on appelle les repentis.
00:58:54Oui, alors moi je ne les appelle pas les repentis,
00:58:56parce qu'on n'est pas à l'église, comme on a vu dans le
00:58:58documentaire, ils n'ont pas à se repentir,
00:59:00ils ont à
00:59:02collaborer pour la manifestation de la vérité,
00:59:04avec la justice, ils doivent donner tout leurs avoirs
00:59:06et tous leurs complices, ils doivent renoncer
00:59:08complètement à
00:59:10leur vie criminelle, comparaison
00:59:12n'est pas raison, mais aux Etats-Unis où le procureur demande
00:59:14juste que le repenti,
00:59:16le witness protection,
00:59:18ils donnent
00:59:20simplement une affaire,
00:59:22ils ont énormément de récidive, ils ont 30%
00:59:24de personnes qui récidivent. Dans le système
00:59:26italien, il n'y a presque pas de récidive, c'est souvent
00:59:28des gens qui partent d'eux-mêmes, et non pas
00:59:30qui sont pris en défaut. Qu'est-ce que ça permet ?
00:59:32Ça permet de fracturer de l'intérieur
00:59:34le silence,
00:59:36l'omerta qui règne,
00:59:38le conditionnement des soldats
00:59:40dans la mafia, et y compris leurs alliés,
00:59:42et ça donne des résultats spectaculaires.
00:59:44Si on reprend l'exemple, par exemple,
00:59:46du documentaire avec l'assassinat de
00:59:48prêtres, car des prêtres ont été assassinés
00:59:50pour se rebeller contre la mafia,
00:59:52eh bien on doit les enquêtes
00:59:54à un collaborateur de justice,
00:59:56celui qui a tué Don Pugliesi
00:59:58en Sicile, qui l'a tué,
01:00:00son 49e homicide, il collabore,
01:00:02on résout toutes l'énigme, il y aura un deuxième
01:00:04par la suite assassin
01:00:06qui collaborera, et dans le cas
01:00:08de Don Pepe Diana,
01:00:10c'est un témoin, donc ce n'est pas un repenti,
01:00:12mais parce qu'on a réussi à protéger
01:00:14les mafieux, on va réussir aussi
01:00:16à protéger les témoins, qui ne sont pas
01:00:18impliqués, et résoudre massivement
01:00:20des assassinats de type
01:00:22mafieux, qui fait avec d'autres outils
01:00:24qu'aujourd'hui, il n'y a plus d'assassinats
01:00:26mafieux en Italie.
01:00:28Vous connaissez les mafias italiennes, pas seulement,
01:00:30vous connaissez l'ensemble des mafias
01:00:32aujourd'hui qui officient sur cette planète,
01:00:34est-ce que vous aussi vous dites aujourd'hui, oui, l'Italie
01:00:36a l'arsenal
01:00:38législatif le mieux équipé pour lutter
01:00:40contre les mafias ?
01:00:42C'est tout simplement le seul pays au monde
01:00:44qui a fait cet effort de définition
01:00:46juridique de ce que c'est que le délit
01:00:48d'association mafieuse, en
01:00:50précisant bien que
01:00:52toute organisation criminelle
01:00:54n'est pas forcément une mafia,
01:00:56et ça, c'est quelque chose qui n'est pas toujours compris
01:00:58hors d'Italie. Dans
01:01:00le code pénal italien, vous avez le délit
01:01:02d'association mafieuse depuis 1982,
01:01:04mais il y a toujours
01:01:06l'association de malfaiteurs.
01:01:08Donc c'est quelque chose qui est en plus
01:01:10de l'organisation criminelle
01:01:12plus standard.
01:01:14Donc effectivement, à partir de là,
01:01:16vous pouvez incriminer
01:01:18quelqu'un pour mafias que les autres pays
01:01:20de fait ne peuvent pas faire, et puis après
01:01:22ça s'est déployé effectivement dès 1982
01:01:24avec les enquêtes patrimoniales qui sont
01:01:26obligatoires, qui vont permettre
01:01:28de saisir les avoirs criminels
01:01:30et le faire massivement par rapport à ce qu'on peut
01:01:32faire en France, parce qu'en France on a aussi des
01:01:34enquêtes patrimoniales, mais
01:01:36on hésite à les faire. Il n'y a pas de caractère
01:01:38obligatoire à ça. Et puis je crois
01:01:40aussi qu'il y a un autre élément
01:01:42juridique qui est très important, qui caractérise
01:01:44l'Italie et que j'aimerais voir appliqué
01:01:46en France, c'est ce qu'on appelle
01:01:48le concours externe en association
01:01:50mafieuse. Il faut nous expliquer. Oui.
01:01:52Alors l'idée, c'est
01:01:54de comprendre
01:01:56qu'il y a les affiliés,
01:01:58les mafieux, qui peuvent être inculpés
01:02:00d'associations mafieuses, mais il y a aussi
01:02:02toute une partie du monde légale
01:02:04qui apporte sciemment,
01:02:06volontairement, son concours
01:02:08à l'organisation criminelle. Donc pas
01:02:10des personnes assujetties qui vont payer le racket
01:02:12parce que sinon il y aura
01:02:14un incendie sur le chantier, etc.
01:02:16Ce sont des personnes de la sphère légale
01:02:18qui se disent qu'ils ont intérêt à
01:02:20collaborer avec les mafieux et donc qu'ils les soutiennent.
01:02:22Donc ça, ça peut permettre
01:02:24de frapper des hommes politiques
01:02:26corrompus, des forces de l'ordre
01:02:28corrompus, des douaniers, mais aussi des
01:02:30avocats, des médecins, des comptables.
01:02:32Donc toute cette sphère qui crée
01:02:34une zone grise qui permet aux mafias de
01:02:36prospérer. Et puis vous l'avez dit, l'un et l'autre,
01:02:38il y a la saisie des biens mafieux.
01:02:40Ça a été un point important
01:02:42de cette législation et pour illustrer ça,
01:02:44je crois que celui qui a appuyé sur la bombe,
01:02:46qui a fait sauter l'autoroute
01:02:48en 1992, qui a
01:02:50tué le juge Falcon, non seulement lui
01:02:52d'ailleurs, mais sa femme et trois,
01:02:54je crois, de ses gardes du corps,
01:02:56eh bien lui-même a été
01:02:58ensuite un repenti
01:03:00et s'est vu saisir ses biens.
01:03:02On cultive des vignes aujourd'hui, je crois,
01:03:04en Italie, sur
01:03:06les terres de celui qui a
01:03:08assassiné le juge
01:03:10Falcon, rappelons-le, en 1992.
01:03:12Il y a eu un avant
01:03:14et un après-assassinat du juge Falcon
01:03:16en Italie concernant la lutte contre la mafia.
01:03:18Est-ce qu'on peut le dire très clairement ?
01:03:20On peut le dire très clairement, mais alors, c'est pas
01:03:22tant du point de vue de la législation,
01:03:24oui, mais avec déjà en 1982.
01:03:26Il faut savoir que la loi
01:03:28de 1982, elle fait suite à une
01:03:30montée de violence, alors
01:03:32interne à Cosa Nostra, c'est-à-dire
01:03:34une guerre des clans avec les corps léonais,
01:03:36on voyait tout à l'heure Tottorina,
01:03:38qui prennent le pouvoir sur les familles palermitaines,
01:03:40certes, mais les corps
01:03:42léonais se lancent aussi dans une guerre ouverte
01:03:44contre l'Etat, ils assassinent une quinzaine
01:03:46de représentants de l'Etat, on parle de
01:03:48carabiniers, de magistrats,
01:03:50de policiers, et
01:03:52ils assassinent Pio La Torre,
01:03:54le 30 avril 1982, qui est
01:03:56celui qui a imaginé cette
01:03:58loi du délit d'association mafieuse, et qui
01:04:00disait qu'il faut condamner les mafias
01:04:02pour ce qu'elles sont...
01:04:04Il a payé sa vie, cette loi.
01:04:06Pour l'instant, elle est encore dans les tiroirs de l'Assemblée, quand il a été assassiné,
01:04:08mais il avait beaucoup combattu,
01:04:10et il disait
01:04:12qu'il fallait frapper les mafios au portefeuille,
01:04:14donc c'est pour ça que dans la loi du délit d'association
01:04:16mafieuse, on définit juridiquement la mafia
01:04:18et on instaure la confiscation.
01:04:20Mais c'est qu'après l'assassinat du
01:04:22préfet d'Allaquiez,
01:04:24trois mois plus tard, que cette loi est adoptée.
01:04:26Falcone et Borsellino,
01:04:28les deux, à
01:04:3057 jours d'écart...
01:04:32Borsellino, qui était l'adjoint, en quelque sorte,
01:04:34de Falcone, et qui a été assassiné
01:04:36deux mois après le juge Falcone.
01:04:38Avec cinq policiers d'escorte, un attentat à la bombe
01:04:40en plein Palerme...
01:04:42On parle de massacre en italien,
01:04:44que ce soit pour Falcone ou pour Borsellino,
01:04:46on utilise vraiment le terme massacre.
01:04:48Donc, évidemment, il y a des évolutions législatives,
01:04:50comme le statut du repenti qui arrive après,
01:04:52comme les mesures de rétention
01:04:54particulières, mais il y a surtout
01:04:56un mouvement de la société italienne
01:04:58qui est très important.
01:05:00C'est-à-dire que, vraiment, la société palermitaine
01:05:02puis italienne va se mobiliser,
01:05:04va verbaliser,
01:05:06va afficher sur la place publique son rejet
01:05:08de l'organisation mafieuse, son rejet
01:05:10des valeurs mafieuses, et
01:05:12vont naître plusieurs fondations,
01:05:14associations qui, maintenant,
01:05:16sont très actives,
01:05:18dont, en particulier, Libera,
01:05:20qui naît en 1995. On va fêter cette année
01:05:22les 30 ans de Libera, l'année prochaine,
01:05:24donc c'est quand même quelque chose à souligner.
01:05:26Et c'est Libera qui, par une pétition
01:05:28qui recueille un million de signatures,
01:05:30en 1996, fait ce qui s'appelle
01:05:32une loi d'initiative populaire
01:05:34pour la réutilisation sociale des biens
01:05:36confisqués. C'est ce qui permet de cultiver
01:05:38sur les terrains de Giovanni Brusca
01:05:40le vin qui, ensuite,
01:05:42après, peut être vendu,
01:05:44commercialisé...
01:05:46Celui dont vous parliez tout à l'heure.
01:05:48Qui a appuyé sur cette fameuse bombe
01:05:50qui a tué le juge Falcone.
01:05:52Vous dites, la criminalité
01:05:54mafieuse n'a pas
01:05:56disparu, aujourd'hui, contrairement à ce qu'on a vu
01:05:58d'ailleurs dans ce film. Vous disiez
01:06:00aussi, il y avait un homicide
01:06:02tous les jours dans les années 80 en Sicile.
01:06:04Et là, on parle de Cosa Nostra,
01:06:06bien entendu. Et vous dites, aujourd'hui, la criminalité
01:06:08mafieuse n'a pas disparu, mais elle
01:06:10est diminuée pour le bien des affaires.
01:06:12Et c'est là qu'intervient une autre mafia italienne
01:06:14que vous avez citée tout à l'heure, c'est la
01:06:16Endrangheta, qui était hors
01:06:18radar dans les années 80, qui est aujourd'hui
01:06:20de très loin la plus puissante de ces mafias italiennes.
01:06:22Mais c'est le contre-exemple de Cosa
01:06:24Nostra, d'une certaine manière.
01:06:26Attention, elle était hors radar, notamment, parce qu'il n'y avait pas des
01:06:28chaînes d'info continue, et que la France
01:06:30était la seule porte de
01:06:32regard sur les mafias italiennes. C'était la mafia sicilienne,
01:06:34voire la mafia italo-américaine, par Hollywood.
01:06:36En réalité, les mafias,
01:06:38les clans Calabrès, se sont entretués
01:06:40au cours de deux guerres, qui ont fait des
01:06:42milliers de morts. Donc je parle de choses
01:06:44où on tirait au fusil
01:06:46sur la tête du rival,
01:06:48après on jouait au tir au pigeon
01:06:50avec la tête du rival, c'était ça
01:06:52la Calabre des années 70 et 80.
01:06:54Mais les Italiens ne voient plus ces images
01:06:56qu'ils ont vues tout au long des années 80, et qu'on a
01:06:58revues dans ce documentaire, ces massacres dont
01:07:00vous avez parlé. Ils stoppent tout !
01:07:02La mafia Calabrès stoppe tout en 1991.
01:07:04Ils ont accumulé de l'argent
01:07:06par l'industrie de l'enlèvement, en enlèvement des
01:07:08centaines de personnes, et en prenant des
01:07:10de la rançon. Ils investissent
01:07:12massivement dans le
01:07:14terrassement, donc le BTP, ils vont construire
01:07:16le port de Gioia Tauro, et dans la cocaïne.
01:07:18Et ils vont bénéficier au début
01:07:20des années 80, début 90,
01:07:22du fait que la magistrature est extrêmement impliquée
01:07:24dans la lutte contre Cosa Nostra,
01:07:26et là il va y avoir, mais en fait les enquêtes vont commencer
01:07:28dans les années 90, et on va découvrir
01:07:30une mafia Calabrès très puissante, qui s'est mis
01:07:32sur le trafic de cocaïne, créant des
01:07:34narco-comptoirs, avec des personnes qui vivent
01:07:36en Amérique du Sud sans casier judiciaire,
01:07:38et quand on arrête les narco-brokers,
01:07:40les courtiers en cocaïne qui font le lien
01:07:42entre les cartels et les clans Calabrès,
01:07:44il y a toujours quelqu'un qui habite en Amérique
01:07:46du Sud pour recréer le lien.
01:07:48Encore aujourd'hui, ils déversent
01:07:50des tonnes de cocaïne en Europe, ils ne sont absolument pas
01:07:52les seuls bien sûr, mais ils sont forts là-dedans.
01:07:54Il y a pendant longtemps eu très peu de repentis,
01:07:56de collaborateurs de justice,
01:07:58c'est une mafia qui est faite autour de la cellule familiale.
01:08:00Il est plus difficile, au tribunal,
01:08:02de regarder son père dans les yeux,
01:08:04de lui dire tu m'as demandé de tuer,
01:08:06je t'envoie à la prison à vie.
01:08:08C'est plus difficile de le faire avec son père
01:08:10que de le faire avec un collègue.
01:08:12Aujourd'hui,
01:08:14la mafia Calabrès ne tue plus non plus,
01:08:16même si on a quand même eu des petits homicides un peu glauques
01:08:18dans les années 90, 2000, 2010,
01:08:20mais ça s'est vraiment calmé,
01:08:22et on a la découverte que même si elle ne tue plus,
01:08:24la corruption est dilagante,
01:08:26que encore dans le procès
01:08:28Rinachita Scott,
01:08:30récent maxi-procès,
01:08:32concernant cette fameuse mafia Calabrès,
01:08:34avec 300 accusés,
01:08:36notons que le procureur Grattery,
01:08:38qui a voulu absolument, quand il était à 4 ans de zéro,
01:08:40s'attaquer à cette mafia Calabrès
01:08:42du nord de la Calabre,
01:08:44s'est attaqué à ce qu'on appelle
01:08:46la bourgeoisie mafieuse, c'est-à-dire les complices,
01:08:48et donc il a permis la condamnation
01:08:50de policiers, d'hommes politiques,
01:08:52et ça, c'est très important.
01:08:54Alors ça, on va y revenir,
01:08:56et on va reparler de ce maxi-procès
01:08:58dont on connaît le verdict, puisqu'il est tombé
01:09:00en novembre de l'année dernière,
01:09:02la Ndrangheta,
01:09:04aujourd'hui aurait le quasi-monopole
01:09:06de la cocaïne,
01:09:08du commerce de la cocaïne
01:09:10en Europe, présent dans 40 pays,
01:09:12vous pouvez nous en dire un peu plus
01:09:14sur ce qu'est la Ndrangheta aujourd'hui ?
01:09:16Oui, alors, il faut
01:09:18éviter les généralisations, c'est-à-dire que
01:09:20le trafic de stupéfiants,
01:09:22c'est plusieurs organisations criminelles
01:09:24qui vont travailler ensemble,
01:09:26donc il n'y a pas une organisation
01:09:28monopolistique qui va gérer
01:09:30toute l'arrivée de cocaïne en Europe
01:09:32et en particulier en France,
01:09:34mais ce qu'on sait, c'est que
01:09:36la Ndrangheta, effectivement,
01:09:38est particulièrement bien placée
01:09:40pour ce qui est l'importation en gros
01:09:42de la marchandise, donc ils ont des contacts
01:09:44en Amérique du Sud...
01:09:46Ils ont des contacts avec les producteurs en Amérique du Sud...
01:09:48Voilà, et ils sont en contact avec les organisations
01:09:50criminelles qui vont acheminer à destination
01:09:52pour le consommateur final la drogue.
01:09:54Ça veut dire que techniquement,
01:09:56ils n'ont jamais la cocaïne dans les mains.
01:09:58Ils sont garants, ce qui est un peu leur rôle initial,
01:10:00quand ils apparaissent au XIXe siècle,
01:10:02ce garant de la transaction dans un monde
01:10:04où la confiance n'existe pas,
01:10:06puisque là, en plus, comme on est dans l'illégal,
01:10:08on ne peut pas faire recours devant un tribunal.
01:10:10Donc ils ont une position dominante là-dessus.
01:10:12Ils ne sont pas les seuls à opérer.
01:10:14Les Albanais sont très importants aussi,
01:10:16la criminalité albanaise, parce que
01:10:18ils ont travaillé avec la Ndrangheta.
01:10:20Donc là, ça change un peu le regard
01:10:22qu'on a sur la criminalité organisée,
01:10:24forcément violente.
01:10:26Ils savent aussi coopérer.
01:10:28Ils savent s'allier pour faire des affaires
01:10:30de façon encore plus massive.
01:10:32Ils le font à l'échelle internationale.
01:10:34Interpol parle tout de même,
01:10:36c'est une fourchette, je ne sais pas
01:10:38si vous êtes d'accord,
01:10:40d'un chiffre d'affaires réalisé
01:10:42par la Ndrangheta
01:10:44entre 40 et 60 milliards
01:10:46de dollars par an.
01:10:48Moi, sur les chiffres,
01:10:50pour une économiste,
01:10:52je suis quelqu'un qui n'aime pas
01:10:54donner de chiffres.
01:10:56C'est peut-être difficile d'en avoir aussi.
01:10:58Par définition, l'illégal est caché.
01:11:00Sur le stupéfiant,
01:11:02il y a un chiffre qui tourne en boucle,
01:11:04c'est qu'on saisit 10 % de la drogue
01:11:06qui arrive en Europe.
01:11:08Si on saisissait 10 % de la drogue,
01:11:10le prix aurait monté.
01:11:12La cocaïne, le prix est stable, voire il baisse.
01:11:14Je pense qu'on saisit beaucoup moins
01:11:16que 10 % de la drogue.
01:11:18Donc chiffrer, ça n'est pas forcément
01:11:20très important.
01:11:22C'est la multiactivité des mafias.
01:11:24Toutes les mafias sont présentes
01:11:26dans plein d'activités illégales
01:11:28et dans plein d'activités légales.
01:11:30C'est important pour comprendre
01:11:32l'expansion à l'étranger.
01:11:34Je mentionnerais une enquête policière
01:11:36qui a eu lieu en Australie,
01:11:38qui s'appelle Ironside, en 2021,
01:11:40et qui a montré une présence calabraisse
01:11:42dans les stupéfiants, dans le BTP,
01:11:44dans la restauration et des débuts
01:11:46de tentatives de corruption politique.
01:11:48C'est la porosité avec ce milieu économique,
01:11:50voire le milieu politique, évidemment,
01:11:52qui est intéressant à disséquer
01:11:54peut-être un temps soit peu.
01:11:56Faisons-le, peut-être, à travers ce maxi-procès
01:11:58de cette mafia calabraise,
01:12:00dont on connaît le verdict, je l'ai dit,
01:12:02depuis novembre 2023.
01:12:04Il y avait 338 personnes dans le box des accusés,
01:12:06900 témoins entendus,
01:12:08dont une cinquantaine de collaborateurs
01:12:10de justice, les fameux reponses.
01:12:1238, très exactement,
01:12:14dont on a parlé tout à l'heure.
01:12:16Qui étaient ces personnes, ces 338 personnes
01:12:18présentes dans le box des accusés ?
01:12:20Alors, ce qui était très intéressant
01:12:22dans ce procès, c'est justement
01:12:24la théorie de Gratteri
01:12:26que nommait Fabrice tout à l'heure,
01:12:28c'est-à-dire la volonté d'avoir voulu
01:12:30renvoyer non pas seulement la famille
01:12:32mafieuse de Vibo Valencia,
01:12:34parce que, attention, c'est pas la mafia calabraise.
01:12:36Un clan.
01:12:38Plusieurs clans,
01:12:40mais d'une même province,
01:12:42qui est autour de Gioia Tauro.
01:12:44C'est clairement
01:12:46cette partie-là de l'Andrangheta
01:12:48qui a été frappée.
01:12:50Et Gratteri
01:12:52a voulu renvoyer tout un système
01:12:54à la barre.
01:12:56Gratteri, c'est le procureur qui a mené
01:12:58cette affaire jusqu'au bout.
01:13:00C'est aujourd'hui l'équivalent peut-être du juge Falcone
01:13:02dans la lutte antimafie en Italie.
01:13:04Oui, c'est un magistrat
01:13:06qui est très en vue, très médiatique,
01:13:08très bon aussi, parce qu'il a eu
01:13:10une intuition qui était...
01:13:12Maintenant, il est chef
01:13:14du parquet antimafia
01:13:16de Naples.
01:13:18Mais ce qui est intéressant,
01:13:20c'est qu'il a voulu renvoyer un système à la barre.
01:13:22Donc, il y avait non seulement les mafieux,
01:13:24qui d'ailleurs ont pris tous entre 22 et 30 ans,
01:13:26mais il y avait surtout
01:13:28tout ce qu'on appelle les cols blancs,
01:13:30c'est-à-dire tout ce système de la bourgeoisie mafieuse,
01:13:32tout ce qui aide le concours externe,
01:13:34donc qui a été renvoyé pour concours externe,
01:13:36tout ce qui va aider la mafia
01:13:38à prospérer.
01:13:40Alors, qui met-on dans ces cols blancs ?
01:13:42Il y a quand même un sénateur...
01:13:44Député en 2001, puis sénateur en 2006
01:13:46du parti Forza Italia,
01:13:48donc de Berlusconi,
01:13:50qui a fait aussi un bref passage
01:13:52chez Fratelli d'Italia
01:13:54il y a quelques années.
01:13:56Mais cette personne a quand même été membre
01:13:58de la commission de justice du Parlement italien,
01:14:00quand il siégeait à la Chambre des députés.
01:14:02Des représentants, j'imagine, économiques ?
01:14:04Oui, bien sûr.
01:14:06Des entreprises ?
01:14:08Pour m'arrêter juste sur cette figure-là,
01:14:10parce que c'est quand même important,
01:14:12il fait partie d'une loge maçonnique,
01:14:14de ce qu'on appelle la maçonnerie dévoyée.
01:14:16Et il faut savoir que l'andrangheta
01:14:18a cette particularité de tisser
01:14:20ses liens avec les institutions
01:14:22et avec le monde économique dans des loges maçonniques.
01:14:24Ça, c'est propre à l'andrangheta.
01:14:26Cosa Nostra le fait aussi, mais pas systématiquement.
01:14:28L'andrangheta le fait systématiquement.
01:14:30Cette personne-là, c'est vraiment
01:14:32la charnière entre deux mondes,
01:14:34entre le monde criminel
01:14:36et le monde légal.
01:14:38C'est ce qui est particulièrement important.
01:14:40Il incarne cette porosité qu'on évoquait tout à l'heure.
01:14:42Bien sûr.
01:14:44Il y avait des entrepreneurs,
01:14:46un ancien conseiller régional,
01:14:48des chefs de la police municipale,
01:14:50des chefs des carabiniers,
01:14:52et il y avait aussi,
01:14:54ce qui est à mon sens beaucoup plus dérangeant,
01:14:56un maréchal d'IA,
01:14:58de la Direction Investigative Antimafia,
01:15:00qui est le parquet
01:15:02national antimafia.
01:15:04C'est lui qui transmettait
01:15:06au clan Mancuso, je crois,
01:15:08les informations sur un des repentis
01:15:10qui était en train de se mettre à table.
01:15:12Le clan Mancuso,
01:15:14c'était le clan qui était au centre, en réalité.
01:15:16Un des clans qui était au centre.
01:15:18C'est un des clans les plus puissants,
01:15:20même dans la commission parlementaire antimafia
01:15:22de 2006 de Francesco Forgione.
01:15:24Le profil de ces personnalités,
01:15:26qui étaient dans le bloc des accusés,
01:15:28illustre à vos yeux parfaitement bien
01:15:30cette porosité et amène peut-être
01:15:32à s'interroger aussi
01:15:34sur la lutte antimafia
01:15:36aujourd'hui en Italie.
01:15:38C'est-à-dire qu'on se dit que ce n'est pas gagné.
01:15:40Ce n'est pas gagné et il ne faut surtout pas arrêter.
01:15:42Précisément, on voit dans ce procès,
01:15:44quand un procureur est allé chercher, gratter un peu
01:15:46l'impunité qui régnait dans la calabre du Nord,
01:15:48alors que les clans du Sud,
01:15:50lui, avaient déjà été condamnés plusieurs fois,
01:15:52il a découvert
01:15:54une corruption extrêmement importante.
01:15:56Le clan Mancuso, c'est quand même issu d'une ville
01:15:58qui s'appelle Limbadi, qui a 2500 habitants.
01:16:00Mais ça fait 30 ans,
01:16:02ils ont construit le port de Gioia Tauro.
01:16:04C'est eux qui avaient les camions pour aller amener
01:16:06la matière première, le port où aujourd'hui
01:16:08tout, énormément de marchandises
01:16:10qui vient d'Amérique du Sud,
01:16:12donc avec de la cocaïne, marchandises légales.
01:16:14Et d'Asie, donc Erwin,
01:16:16passe par Gioia Tauro avant de repartir,
01:16:18parce que le tirando de Gioia Tauro
01:16:20est très... des gros bateaux arrivent et ils peuvent repartir
01:16:22avec des plus petits bateaux ou repartir par terre.
01:16:24C'est ce clan qui a construit le port de Gioia Tauro.
01:16:26Une corruption,
01:16:28ça a été rappelé le maréchal de la garde des Finances,
01:16:30celui qui tenait le cimetière,
01:16:32des carabiniers, des politiciens.
01:16:34Pour la petite histoire, quand même,
01:16:36vous avez un avocat qui a été pris
01:16:38à la frontière suisse avec un chèque de 100 millions d'euros.
01:16:40J'ai dit 100 millions d'euros,
01:16:42parce qu'on rappelait les chiffres tout à l'heure.
01:16:44Donc je ne sais pas
01:16:46si cette Androgeta gagne à elle seule
01:16:4840 milliards d'euros. Là-dessus, il y a
01:16:50un vrai débat sur les chiffres.
01:16:52J'ai longtemps dit, moi aussi...
01:16:54C'est compliqué,
01:16:56mais en tout cas, elle est très riche.
01:16:58Et ça se voit dans sa manière de corrompre,
01:17:00ça se voit dans la dynamique économique.
01:17:02Ils possèdent tous, par des prêtenants,
01:17:04des entreprises de terrassement, des assurances,
01:17:06du blanchiment
01:17:08par des sociétés
01:17:10de téléphonie, où on ne fait
01:17:12que de la fausse facture et on blanchit l'argent
01:17:14de la drogue.
01:17:16Vous y êtes, le blanchiment.
01:17:18C'est notre sujet, évidemment,
01:17:20qui tombe
01:17:22de source.
01:17:24C'est le sujet, évidemment,
01:17:26qui découle de ce que vous venez de nous dire.
01:17:28C'est vraiment le blanchiment.
01:17:30Parce que l'ADN des mafias, finalement,
01:17:32c'est de faire des affaires illégales
01:17:34et de transformer l'argent qu'on en tire
01:17:36dans l'économie légale.
01:17:38Qu'est-ce qu'on peut en dire de l'évolution
01:17:40de ce blanchiment de l'argent des mafias
01:17:42aujourd'hui ?
01:17:44Le business des mafias, c'est de faire de l'argent
01:17:46dans la sphère illégale.
01:17:48Dès la naissance des mafias, ce qu'on observe,
01:17:50c'est ce positionnement à cheval
01:17:52sur le légal et l'illégal.
01:17:54Ils sont présents dans les deux sphères
01:17:56dès le début.
01:17:58Donc, ils ont aussi des sources de revenus
01:18:00de la sphère légale.
01:18:02Certains business ont rapporté
01:18:04énormément, notamment l'entrée
01:18:06dans le trafic de stupéfiants,
01:18:08mais qui n'est pas une activité qui est menée
01:18:10dès le début, ça vient après.
01:18:12Quand Cosa Nostra, par exemple,
01:18:14subit les condamnations
01:18:16par la justice avec le démantèlement
01:18:18de la Pizza Connection, ils ont perdu
01:18:20clairement leur ascendance sur ce trafic,
01:18:22mais elle subsiste parce qu'elle a justement
01:18:24d'autres revenus. Donc, l'argent sale
01:18:26va en partie revenir dans la sphère légale
01:18:28sans forcément être blanchi.
01:18:30Il ne faut pas perdre de vue que
01:18:32il n'y a pas toujours de la sophistication.
01:18:34Il y a de l'argent liquide qui circule.
01:18:36On rémunère la main-d'oeuvre criminelle
01:18:38avec du cash. Les pots de vin qu'on verse,
01:18:40c'est du cash. Donc, il y a plein d'argent sale
01:18:42qui circule comme ça. Ensuite, il y a des entreprises
01:18:44qui peuvent servir
01:18:46vraiment de couverture et de blanchiment.
01:18:48Couverture, j'ai une situation sociale.
01:18:50Blanchiment, c'est typiquement le restaurant.
01:18:52Je déclare des couverts que je n'ai jamais
01:18:54servis. Comme ça, je blanchis
01:18:56en interne. En plus, c'est pratique.
01:18:58Mais il y a aussi une dimension
01:19:00de contrôle du territoire à travers
01:19:02ces entreprises légales.
01:19:04Et ça, c'est l'ADN de la mafia. Le contrôle...
01:19:06Le territoire.
01:19:08Le territoire et le contrôle sur la population,
01:19:10sur l'économie, sur la société, parce que
01:19:12quand vous avez une société légale,
01:19:14vous recrutez des gens, vous versez des revenus,
01:19:16vous créez un consensus social autour de vous.
01:19:18Et ça, ça peut être
01:19:20dans des secteurs qui ne rapportent pas grand-chose,
01:19:22surtout comparé à la cocaïne, mais au niveau
01:19:24du territoire, ça vous valorise
01:19:26et la population va prendre
01:19:28votre défense.
01:19:30Et en plus, certaines activités sont particulièrement
01:19:32intéressantes. Le BTP, parce que ça connecte
01:19:34à l'argent public. Et là, boucle est bouclé.
01:19:36On peut corrompre. Le politicien
01:19:38corrompu fait en sorte que les marchés
01:19:40publics tombent dans l'escarcelle des entreprises
01:19:42légales de la mafia.
01:19:44Et le système perdure.
01:19:46Et on a tout ce concours externe.
01:19:48J'ai vu, d'ailleurs, que vous disiez
01:19:50qu'à l'origine,
01:19:52on blanchissait surtout l'argent
01:19:54dans le tourisme, la restauration,
01:19:56l'immobilier, la construction.
01:19:58Le BTP, vous l'avez lu.
01:20:00Et qu'aujourd'hui, on se rend compte que les organisations
01:20:02diversifient beaucoup leur source
01:20:04de blanchissement, si on peut dire des choses comme ça,
01:20:06dans les pharmacies, les pompes funèbres,
01:20:08la santé, le matériel médical,
01:20:10les traitements des déchets.
01:20:12Il y a une diversification
01:20:14du blanchissement, aujourd'hui.
01:20:16Oui, bien sûr. C'est-à-dire que les mafias,
01:20:18pourquoi est-ce qu'elles ont une telle longévité ?
01:20:20Alors, certes, il y a le rapport avec le politique
01:20:22et le fait de faire élire des gens
01:20:24aussi, qui après permettent
01:20:26de renvoyer l'ascenseur.
01:20:28Mais elles ont
01:20:30toujours su s'adapter aux mutations
01:20:32économiques. On parle,
01:20:34pour Cosa Nostra, de la transformation d'une mafia
01:20:36dite agraire
01:20:38à une mafia urbaine.
01:20:40C'est surtout qu'elles voient que le secteur
01:20:42du BTP se développe dans les années du miracle
01:20:44économique, ces années 60, donc elles se lancent dans le BTP.
01:20:46Donc, du coup,
01:20:48ces mafias-là, les mafias,
01:20:50elles vont toujours suivre les évolutions.
01:20:52Et la pandémie a été
01:20:54pour eux... Enfin, pour elles,
01:20:56une aubaine, bien sûr.
01:20:58Et donc, elles étaient déjà insérées
01:21:00dans le secteur médical,
01:21:02en particulier, parce qu'il faut savoir
01:21:04qu'en Italie, la santé, c'est une compétence
01:21:06régionale, donc ce sont les régions
01:21:08qui ont la main
01:21:10sur le secteur de santé,
01:21:12sur les structures de santé, les centres de soins.
01:21:14Donc, les mafias,
01:21:16par l'infiltration des administrations publiques,
01:21:18elles essayent d'avoir la main
01:21:20sur les marchés publics des hôpitaux.
01:21:22Et donc, avec le Covid, évidemment,
01:21:24la Camorra, qui est la pointe pour la
01:21:26contrefaçon, s'est tout de suite mise à fabriquer
01:21:28des masques,
01:21:30des tenues de protection.
01:21:32Elle était déjà très investie
01:21:34dans le traitement des déchets, et du coup,
01:21:36elle s'est mise dans le traitement des déchets infectés.
01:21:38Évidemment, ça ne vous a pas échappé, il y a eu beaucoup de morts.
01:21:40Donc, du coup, elles étaient déjà bien
01:21:42implantées dans les pompes funèbres,
01:21:44mais on a vu une augmentation
01:21:46de l'achat d'entreprises de pompes funèbres.
01:21:48Et, évidemment, si on contrôle les pompes funèbres,
01:21:50c'est bien de contrôler aussi les cimetières.
01:21:52Et donc, du coup, tout est lié.
01:21:54Et en plus, la crise sanitaire a mis
01:21:56en difficulté un grand nombre d'entreprises
01:21:58qui n'avaient pas accès à des prêts
01:22:00facilement auprès des banques,
01:22:02qui étaient restissantes, et la mafia
01:22:04était là, avec son argent liquide,
01:22:06et il y a eu des passages de propriétés
01:22:08préoccupants en nombre,
01:22:10et puis, pour les sujets
01:22:12qui étaient à la base de ces transferts.
01:22:14Dans un article récemment paru
01:22:16dans la Stampa, notre
01:22:18confrère italien, il est dit que la mafia italienne
01:22:20s'infiltre aujourd'hui
01:22:22sur la Côte d'Azur en France.
01:22:24Vous confirmez qu'aujourd'hui, il y a des activités
01:22:26mafieuses calabraises
01:22:28de la Côte d'Azur française ?
01:22:30Il y a des activités mafieuses calabraises,
01:22:32par exemple, très certainement, autour des joint ventures,
01:22:34c'est-à-dire d'accord avec le crime
01:22:36organisé français pour la drogue,
01:22:38donc il y a déjà eu des enquêtes
01:22:40qui montrent que le milieu marseillais
01:22:42autour de la Côte d'Azur
01:22:44est capable d'importer du cannabis
01:22:46pour la mafia calabraise, qui, elle, importe
01:22:48de la cocaïne, et on se l'échange,
01:22:50ou on se le vend. Trafic d'armes aussi,
01:22:52on peut donner des arbres contre la drogue
01:22:54ou se le payer.
01:22:56Il y a l'idée que
01:22:58les mafieux italiens
01:23:00peuvent bénéficier de l'appui de la diaspora
01:23:02ici et depuis très longtemps,
01:23:04c'est depuis les années 70. On a un problème,
01:23:06la France n'a pas le délit d'association mafieuse,
01:23:08elle n'a pas trop envie de faire
01:23:10des enquêtes de blanchiment pour plein de raisons,
01:23:12manque de moyens, il manque 20 000 OPJ en France,
01:23:14jusqu'ici on faisait très peu de confiscations,
01:23:16c'est l'instrument pour lutter
01:23:18contre le blanchiment en réalité,
01:23:20il n'y avait pas la culture des enquêtes patrimoniales,
01:23:22et donc on lutte très peu
01:23:24contre le blanchiment, qui est difficile, qui est une infraction pénale,
01:23:26donc on ne va pas attaquer les Italiens
01:23:28qui font du blanchiment en Italie,
01:23:30par contre, quand un Italien est en cavale
01:23:32et que l'Italie le réclame, alors là,
01:23:34la coopération internationale joue, et on renvoie l'Italien chez lui.
01:23:36Beaucoup a été fait pour lutter
01:23:38contre la mafia en Italie, on en a parlé
01:23:40très longuement, avec un arsenal
01:23:42législatif particulièrement
01:23:44musclé, et le seul existant de cette
01:23:46sorte au monde, c'est ce que vous nous avez dit,
01:23:48est-ce que l'arrivée de Giorgia Meloni
01:23:50à la tête du
01:23:52Conseil italien a
01:23:54permis d'accentuer encore cette lutte contre la mafia,
01:23:56ou est-ce qu'au contraire vous avez le sentiment que
01:23:58l'Italie lève un petit peu le pied
01:24:00avec cette nouvelle présidente
01:24:02du Conseil italien ?
01:24:04Ça, c'est problématique.
01:24:06On a des déclarations politiques
01:24:08qui ne mettent pas le problème mafieux au
01:24:10premier plan. Clairement, le gouvernement
01:24:12Meloni, c'est la question migratoire qui
01:24:14focalise l'essentiel des débats.
01:24:16Ceci étant, ça ne veut pas dire que
01:24:18les personnes de terrain ont abandonné
01:24:20le combat. On a en permanence
01:24:22des affaires de mafia identifiées
01:24:24en Italie, la DIA
01:24:26dont parlait Charlotte tout à l'heure,
01:24:28la Direction d'enquête anti-mafia, produit
01:24:30deux fois par an une synthèse
01:24:32des enquêtes en cours
01:24:34et c'est dans les 500 pages.
01:24:36C'est quelque chose qui est en libre accès sur Internet.
01:24:38Je tiens à le souligner parce qu'on n'a pas
01:24:40cette transparence en France.
01:24:42Il y a
01:24:44systématiquement plein d'affaires, plein de procès
01:24:46dont on ne parle pas, parce que pour nous
01:24:48c'est les maxi-procès, c'est un peu ce qui
01:24:50capte les regards.
01:24:52L'activité d'enquête,
01:24:54l'activité judiciaire, l'activité de procès,
01:24:56elle est permanente en Italie.
01:24:58Le combat continue et ce que vont
01:25:00vous dire les carabiniers quand ils ont arrêté
01:25:02par exemple Matteo Messina Denaro
01:25:04en Sicile il y a quelques temps,
01:25:06c'est maintenant on cherche le suivant.
01:25:08Donc ils ne baissent jamais les bras.
01:25:10Ce sera le mot de la fin.
01:25:12Il est plutôt positif, côté italien
01:25:14en tout cas, à vous écouter. Merci vraiment
01:25:16à tous les trois d'avoir participé à cette émission
01:25:18après le documentaire que nous vous proposions
01:25:20aujourd'hui, qui touchait lui davantage
01:25:22aux relations entre l'église catholique
01:25:24italienne et ces fameuses
01:25:26mafias dont nous avons eu l'occasion de vous parler
01:25:28autour de ce plateau aujourd'hui.
01:25:30Merci aussi à Félicité Gavalda
01:25:32et Victoria Bellet qui m'ont aidé
01:25:34comme à l'accoutumé à préparer cette émission.
01:25:36Vos réactions, c'est important et à mon avis
01:25:38il y en aura quelques-unes sur ce sujet,
01:25:40ça sera sur hashtag débadoc. Nos invités seront
01:25:42d'ailleurs là pour réagir à ce que seront
01:25:44peut-être ces réactions. Moi je vous donne rendez-vous
01:25:46pour un prochain débadoc, ça sera bien entendu
01:25:48avec son documentaire et son débat.
01:25:50À bientôt.
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