• la semaine dernière
Rembob'Ina rend hommage à l'astrophysicien disparu il y a un an, avec la rediffusion de l'émission de Bernard Pivot qui le révéla au grand public. Un numéro d'Apostrophes sur le thème du « Probable, possible ou certain » où Hubert Reeves côtoie d'autres illustres scientifiques, le biologiste et prix Nobel François Jacob, l'épistémologiste Pierre Thuillier et le botaniste Yves Delange, qui donne lieu à un passionnant débat.
En deuxième partie, c'est son émission culte des années 90 qui est mise à l'honneur, « La nuit des étoiles » un programme pédagogique sur l'astronomie qui enchanta petits et grands pendant 12 ans.

Invités :
- Marie-Odile Monchicourt, journaliste scientifique,
- David Aubin, Historien des sciences,
- Agnès Chauveau, Ina.

C'est une plongée dans l'histoire de notre pays au travers des trésors cachés de la télévision. Fictions, documentaires, magazines d'actualité, émission de divertissements, débats politiques...
Le dimanche, Patrick Cohen nous invite à jeter un coup d´oeil dans le rétroviseur de notre petite lucarne. En présence d´acteurs ou de témoins de l'époque, de spécialistes des archives de l´INA, Patrick Cohen revient sur les grandes heures de la télévision. Emblématiques ou polémiques, ces programmes ont marqué les esprits et l'histoire du petit écran.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:22Bienvenue à Rambobina, l'émission qui va redonner vie
00:00:25aujourd'hui à l'astrophysicien Hubert Reeves,
00:00:28à Bernard Pivot, à son émission Apostrophe
00:00:31et au prix Nobel de médecine François Jacob.
00:00:34Les deux premiers nous ont quittés ces derniers temps
00:00:37à quelques mois d'intervalle.
00:00:38C'est un numéro d'apostrophe de 1981
00:00:41que nous vous proposons de voir ou de revoir
00:00:44avec nous, une grande voix de la radio
00:00:46qui fut longtemps la voix des sciences,
00:00:49sur France Inter notamment.
00:00:50Bonjour, Marie-Odile Monchicot.
00:00:53Très heureux de vous retrouver.
00:00:54Vous avez participé avec Hubert Reeves
00:00:57dans la Nuit des étoiles,
00:00:58à vos côtés, un historien des sciences
00:01:01à Sorbonne Université.
00:01:02Bonjour, David Aubin, d'origine québécoise,
00:01:05comme Hubert Reeves.
00:01:06Il faut dire d'abord que c'est une émission importante
00:01:09dans la carrière d'Hubert Reeves
00:01:11parce que c'est une de ses premières télévisions.
00:01:15Il vient de présenter son livre Patience dans l'azur
00:01:19et je crois que c'est l'une des premières fois
00:01:23où l'on entend parler du Big Bang
00:01:25et du cosmos à la télé.
00:01:27Oui, c'est ça.
00:01:28Marie-Odile.
00:01:29C'est tout à fait historique, je dirais,
00:01:32parce qu'il est intervenu dans cette émission
00:01:36de Bernard Pivot, qu'il a complètement lancée.
00:01:39Cette émission est vraiment une émission
00:01:41qui a fait démarrer Hubert vers le grand public.
00:01:44Ce livre a eu un succès phénoménal
00:01:47parce que pour la première fois,
00:01:49le public français découvrait
00:01:52que l'univers avait un début,
00:01:55si on peut dire.
00:01:56Ils aimeraient pas ça.
00:01:57Il suffit qu'on dise ça.
00:01:59Mais on pouvait le faire partir d'un certain temps,
00:02:02il y a 14 milliards d'années,
00:02:05et qu'il n'arrêtait pas de se répandre.
00:02:09Moi, je sais que ça m'a fait un effet considérable
00:02:12quand j'ai appris que l'univers
00:02:14continuait à se répandre indéfiniment.
00:02:18Vous avez appelé l'une de vos émissions
00:02:20sur France Inter poussière d'étoiles ?
00:02:22C'est drôle d'histoire.
00:02:24Le livre d'Hubert, Poussière d'étoiles,
00:02:27c'était pas le premier.
00:02:28Le premier, c'était Patience dans l'azur.
00:02:31Et deux mois avant que son livre paraisse,
00:02:34je nomme mon émission Poussière d'étoiles.
00:02:38Et j'apprends qu'il va le donner,
00:02:41qu'il va le faire paraître, je savais pas.
00:02:43C'est une coïncidence absolue.
00:02:46C'est dingue.
00:02:47Le hasard dans les sciences, et dans l'évolution,
00:02:50c'est justement l'un des sujets de l'émission.
00:02:53Moi, je dois dire que j'ai adoré cette apostrophe,
00:02:56qui, comme tous les apostrophes,
00:02:58doit beaucoup au talent de Bernard Pivot,
00:03:00à sa capacité à virevolter d'un invité à l'autre
00:03:03et à rendre accessibles des sujets complexes.
00:03:06Mais vous, David Aubin,
00:03:07qu'est-ce que vous diriez aux téléspectateurs
00:03:10pour les inviter à découvrir cette apostrophe ?
00:03:13Moi, je trouve que cet épisode,
00:03:15c'est un exemple fascinant
00:03:18des débats autour de la science.
00:03:20Et de sa prétention à dire la vérité sur notre monde.
00:03:23Et on a des intervenants
00:03:27qui sont parfois un peu à contre-emploi.
00:03:29Certains scientifiques sont prêts à admettre
00:03:32presque tout ce vaut,
00:03:34que le discours mythique, voire même religieux,
00:03:37pourrait avoir la même valeur que le discours scientifique.
00:03:40Et puis, il y a un épistémologue,
00:03:43un historien des sciences, Pierre Tuilié,
00:03:46qui remet en question...
00:03:48Qui cherche à remettre en question le pouvoir des scientifiques,
00:03:51ou plutôt à insister sur le pouvoir
00:03:54que les scientifiques ont dans la société contemporaine.
00:03:57Les scientifiques se rebiffent.
00:03:59Ils sont prêts à admettre que la science est très faible
00:04:02et ils ont du mal à admettre que la science est puissante.
00:04:05Ce débat est pour moi fascinant. Ca marque une certaine époque.
00:04:09-"Ca marque une époque", on ne dirait plus tout à fait ça.
00:04:12Un mot, Marie-Odile, sur Pierre Tuilié,
00:04:14que je ne connaissais pas, qui est formidable,
00:04:17qui joue le rôle de poil à gratter dans ce débat.
00:04:21Vous, vous l'avez connu et vous l'avez lu.
00:04:24C'était une intelligence, aussi, Pierre Tuilié.
00:04:28C'était vraiment quelqu'un qui voulait remettre en question,
00:04:31justement, le côté vérité.
00:04:36Ca l'agacait que la science soit absolument la vérité.
00:04:41Et c'est vrai qu'à ce moment-là,
00:04:44c'était un peu comme ça.
00:04:46Ca a changé depuis.
00:04:48Et...
00:04:49Mais il le fait admettre. Il arrive à...
00:04:52Oui, il arrive.
00:04:53Il arrive à faire dire qu'il n'y a pas de vérité intangible
00:04:56à la fois à François Jacob et à Hubert Reeves.
00:04:59On a le face-à-face, c'est formidable,
00:05:01on a le face-à-face de deux grands scientifiques
00:05:04très différents, qui sont François Jacob et Hubert Reeves.
00:05:09Et voilà, donc, il est question...
00:05:11Et d'un poil à gratter, il est question de l'évolution,
00:05:14du rôle du hasard, de la démarche scientifique,
00:05:16de bonne et de mauvaise science, du pouvoir de la science,
00:05:20puis des vérités et des doutes.
00:05:22Voici donc ce numéro d'apostrophe.
00:05:24Nous sommes le vendredi 23 octobre 1981.
00:05:27Il est aux alentours de 21h30 et vous regardez Antenne 2.
00:05:31Bonsoir à tous.
00:05:32Au fond, cette émission aurait pu avoir plusieurs titres.
00:05:35L'extraordinaire diversité du vivant
00:05:37ou bien encore l'irrésistible expansion du monde
00:05:40ou encore la science est-elle pure, nue
00:05:43ou bien enfin, question classique,
00:05:45qu'on pose après tous les discours scientifiques,
00:05:47probable, possible ou certain ?
00:06:14Les photos que vous venez de voir dans le générique de début
00:06:17sont extraites de cet album qui vient de paraître à la librairie Larousse,
00:06:20titre tout simple, Astronomie,
00:06:22dirigé par Philippe de la Cotardière.
00:06:24Je vais présenter mes invités.
00:06:26Je vais commencer par Hubert Reeves.
00:06:28Vous êtes un Canadien de Montréal,
00:06:30ancien professeur de physique à Montréal,
00:06:32ancien collaborateur de la NASA.
00:06:34Et puis, depuis 1966, vous êtes en France.
00:06:36Vous êtes directeur de recherche au CNRS
00:06:39et vous travaillez au Centre d'études nucléaires de Saclay.
00:06:42Vous nous proposez un livre paru au Seuil sur l'évolution cosmique,
00:06:45c'est-à-dire sur la naissance des atomes, des planètes, des galaxies, etc.
00:06:49Patience dans l'azur, c'est un verre de Valéry.
00:06:52À côté de vous, Pierre Tuiliers.
00:06:54Vous enseignez l'épistémologie.
00:06:55L'épistémologie, c'est la critique des sciences.
00:06:58Vous enseignez aussi l'histoire des sciences à Paris 7.
00:07:00Vous êtes rédacteur à la revue La Recherche.
00:07:03Vous êtes l'auteur notamment d'un pamphlet
00:07:05contre la philosophie universitaire, Socrate fonctionnaire.
00:07:08Vous êtes là pour deux ouvrages,
00:07:10le Petit savant illustré aux éditions du Seuil.
00:07:12Les biologistes vont-ils prendre le pouvoir aux éditions complexes ?
00:07:16Yves Delange, vous êtes maître assistant
00:07:18au Muséum d'histoire naturelle de Paris.
00:07:20Vous êtes conservateur de collections végétales.
00:07:23Qu'est-ce que ça veut dire ?
00:07:25Conserver...
00:07:26Une accumulation de végétaux vivants.
00:07:28Vivants. C'est vous qui en êtes le conservateur.
00:07:30Comment on conserve des tableaux ?
00:07:33Alors, au Jardin des plantes à Paris et au Jardin botanique de Mentonge.
00:07:37Très bien. Et vous nous proposez, c'est votre premier livre d'ailleurs,
00:07:40chez la Thèse,
00:07:41Fabre, l'homme qui aimait les insectes.
00:07:43Et puis enfin, François Jacob,
00:07:44chef de service à l'Institut Pasteur.
00:07:46Vous êtes professeur de génétique cellulaire au Collège de France.
00:07:49Vous êtes l'auteur d'une histoire de l'hérédité,
00:07:51La logique du vivant.
00:07:53Il faut rappeler que vous avez obtenu le prix Nobel de médecine en 65
00:07:56avec André Le Voeuf et Jacques Monod.
00:07:58Et l'ouvrage qui paraît cette semaine chez Fayard
00:08:02s'intitule Le jeu des possibles.
00:08:04Et le sous-titre, c'est Essais sur la diversité du vivant.
00:08:07Au fond, j'ai l'impression que le maître mot de votre livre,
00:08:11c'est le mot diversité.
00:08:13Oui, en principe, c'est effectivement là-dessus
00:08:15que j'ai essayé de centrer un certain nombre de réflexions sur la biologie,
00:08:18et surtout pour essayer de montrer toute une série de phénomènes
00:08:22dans lesquels nous sommes tellement immergés
00:08:24que pour nous, ça représente le quotidien
00:08:27et qu'il est étonnant que les gens ne s'étonnent pas plus
00:08:31d'un certain nombre de phénomènes.
00:08:32Par exemple, on sait que toute une série d'organismes
00:08:35sont capables de se diviser par fission, de se reproduire de cette façon.
00:08:39Et la plupart des animaux, des plantes, et nous en particulier,
00:08:42ce n'est pas comme ça que ça se passe.
00:08:43Il faut se mettre à deux pour en fabriquer un troisième.
00:08:46Pourquoi ? Ce n'est pas absolument évident.
00:08:47Ce n'est pas absolument évident qu'on a un appareil...
00:08:50Vous me posez cette question intéressante.
00:08:51Vous dites, on se met à deux, mais au fond,
00:08:52pourquoi on ne se mettrait pas à trois ?
00:08:54Exactement, ou à quatre, ou à cinq.
00:08:55Oui, ce qui, d'ailleurs, je dois dire, m'a fait rêver.
00:08:57Ça me permet d'envisager un certain nombre de possibilités.
00:09:01Mais il semble, si on y réfléchit un peu, ça serait trop compliqué.
00:09:03Alors, il vaut mieux simplifier, se contenter de nos deux sexes.
00:09:07Mais pourquoi ? Eh bien, ces deux sexes,
00:09:10toutes les cultures essayent de les expliquer d'une façon ou d'une autre.
00:09:13Mais finalement, la seule façon de comprendre et d'envisager pourquoi,
00:09:17c'est dans la théorie de l'évolution.
00:09:19Et la raison pour laquelle il y a apparemment deux sexes,
00:09:22la raison pour laquelle il faut se donner tellement de mal
00:09:24pour mélanger ces chromosomes avec ceux de quelqu'un d'autre,
00:09:29pour laquelle il faut courir après quelqu'un d'autre pour en trouver un autre,
00:09:32c'est que tous les enfants sont différents.
00:09:34C'est pour faire autre chose, pour faire différent.
00:09:36Et nous sommes 4 milliards d'individus sur cette Terre.
00:09:39Et sauf les vrais jumeaux, nous sommes tous différents les uns des autres.
00:09:43Et c'est comme ça que fonctionne le système.
00:09:45C'est par l'extraordinaire diversité des êtres vivants.
00:09:48Le public, et là, je représente le public,
00:09:51le public demande souvent aux savants des réponses claires,
00:09:55précises et surtout définitives.
00:09:56Et puis, voilà que vous nous dites, les scientifiques ont renoncé
00:09:58à l'idée d'une vérité ultime et intangible.
00:10:01Et là, je vous cite.
00:10:02Alors, on est un peu déçus, finalement, quand un homme comme vous nous dit...
00:10:06Tout le monde est déçu, mais il faut arriver à se contenter
00:10:08du passé des provisoires.
00:10:10Jusqu'au 19e siècle,
00:10:12on estimait que la vérité se tenait au coin de la rue.
00:10:14C'est un peu la lettre volée d'Edgar Poe.
00:10:18Si on savait où la trouver, on saurait immédiatement sortir la vérité.
00:10:21Et bien, ce n'est pas tout à fait comme ça que ça se passe.
00:10:23En fait, une théorie scientifique, c'est une création d'imagination,
00:10:27c'est une création de l'esprit avec lequel on essaye d'intégrer
00:10:30un certain nombre de faits, avec lesquels on essaye de se représenter
00:10:34une part de la réalité, une part du monde.
00:10:36Et une théorie scientifique est vouée, tôt ou tard,
00:10:40à se faire remplacer par une autre
00:10:42parce qu'elle ne sera pas parvenue à expliquer des phénomènes nouveaux.
00:10:46Vous citez d'ailleurs ce mot que je trouve superbe de Jean Rostand,
00:10:49les théories passent, la grenouille reste.
00:10:50Oui, c'est un mot que j'aime beaucoup.
00:10:51Ah oui, c'est vraiment admirable.
00:10:53Absolument charmant.
00:10:54Mais vous allez même plus loin.
00:10:56Vous dites que l'un des titres de gloire de la science,
00:10:58c'est d'avoir contribué à l'idée
00:11:01qu'il n'y a pas justement de vérité intangible.
00:11:03Oui, parce que je crois que les gens les plus nuisibles
00:11:06sont ceux qui sont absolument convaincus,
00:11:08qui sont obsédés par une vérité intangible
00:11:11et qui sont prêts à massacrer la moitié de l'humanité
00:11:13au nom de leur propre vérité.
00:11:16Je crois que la plupart de ces massacres par la vertu,
00:11:19pour vouloir absolument évangéliser son prochain
00:11:21et pour pouvoir attaquer la vérité de l'autre,
00:11:25ça, c'est absolument épouvantable.
00:11:29Ce livre, au fond, je résumerais en deux mots.
00:11:31Je dirais que c'est un cri d'admiration,
00:11:35parce que vous êtes toujours aussi admiratif de vivant.
00:11:37C'est extraordinaire.
00:11:39Et en même temps, et ça, c'est quand même surprenant
00:11:41de quelqu'un qui a eu un prix Nobel, c'est un cri d'humilité.
00:11:44Oui, il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas
00:11:46et qu'on risque de ne pas savoir pendant longtemps.
00:11:48Oui, alors exemple, ça, c'est la troisième partie de votre livre.
00:11:50Vous dites, on ne comprend pas le mécanisme du vieillissement.
00:11:52Absolument pas.
00:11:53Ça, je veux dire, je suis un peu surpris quand même.
00:11:55C'est vrai, on ne comprend pas ?
00:11:56On n'a pas d'explication scientifique ?
00:11:58On n'a pas d'explication actuellement.
00:12:00C'est une chose extraordinairement compliquée
00:12:02de fabriquer un individu à partir d'une cellule,
00:12:05à partir d'un œuf.
00:12:06C'est vraiment un processus.
00:12:07C'est probablement la chose la plus stupéfiante
00:12:09qui se passe sur cette planète,
00:12:10c'est de faire un monsieur ou une dame à partir d'un œuf fécondé.
00:12:15Ça, c'est vraiment extraordinairement compliqué.
00:12:18Eh bien, il se trouve qu'on n'arrive pas à maintenir,
00:12:21après avoir donné autant de mal pour fabriquer un individu,
00:12:25on n'arrive pas à le maintenir en état.
00:12:26Ça, c'est stupéfiant et on n'a pas d'explication actuellement.
00:12:29On a cru longtemps que ça serait vraisemblablement
00:12:31quelque chose d'assez simple.
00:12:32C'est vraisemblablement un mécanisme qui était cassé.
00:12:34Par exemple, on s'est dit longtemps,
00:12:36vraisemblablement, c'est un défaut d'hormones,
00:12:39probablement un défaut d'hormones sexuelles.
00:12:41Et on s'est dit, par exemple,
00:12:43si on prend les testicules d'un jeune singe
00:12:45et qu'on les greffe chez un vieux monsieur,
00:12:46le vieux monsieur va de nouveau avoir des ailes.
00:12:48Ça ne marche pas.
00:12:49C'est dommage, mais ça ne marche pas.
00:12:51Mais vous, là, c'est une supposition,
00:12:53d'après ce que je vous dis.
00:12:54Il semblait qu'il pourrait y avoir,
00:12:56exister des gènes nocifs qui...
00:12:58Oui, ils ne sont pas véritablement nocifs.
00:13:00Ils sont des gènes qui, vraisemblablement,
00:13:01ça, c'est une des théories admises,
00:13:04mais qui n'est qu'une théorie qui dit que,
00:13:06vraisemblablement, les gènes font des choses
00:13:09qui ne sont pas ou très bonnes ou très mauvaises,
00:13:11mais des choses qui sont bonnes à certains moments
00:13:13et mauvaises, entre guillemets, à d'autres.
00:13:16Et que, par la mécanique de la sélection naturelle,
00:13:19la chose importante, dans une espèce,
00:13:21ce sont les jeunes.
00:13:22L'homme est en pleine forme à 15-20 ans.
00:13:26C'est là où il est le moins malade,
00:13:28c'est là où il meurt le moins,
00:13:29c'est là où il se reproduit le plus activement et le mieux.
00:13:33Donc, le système est agencé
00:13:34pour que ces gènes fonctionnent bien à 15-20 ans.
00:13:37Et puis, les effets mauvais sont accumulés,
00:13:40viennent s'accumuler plus tard.
00:13:41En fait, la vieillesse,
00:13:42c'est le prix à payer pour la jeunesse.
00:13:43Ça paraît un peu stupide de lire ça,
00:13:45mais c'est vraisemblablement comme ça que ça marche.
00:13:47Mais ceci n'est qu'une théorie.
00:13:48On ne sait absolument pas, pour le moment, comment ça marche.
00:13:51On n'a aucune idée.
00:13:52C'est l'humilité dont je parlais.
00:13:55Alors, on va voir des... On reviendra sur votre livre.
00:13:57On va voir des scientifiques qui sont beaucoup moins humbles que vous,
00:14:01qui sont plus imprudents, surtout.
00:14:03Ce sont ces personnages dont vous nous parlez, Pierre Tuiliers,
00:14:05dans ce petit ouvrage que j'ai trouvé très drôle,
00:14:08parce que vous êtes très pince en rire et assez ironique.
00:14:11C'est le petit savant illustré.
00:14:12C'est un album très bien illustré.
00:14:14Oui, alors, vous avez fait... Vous n'avez pas fait un glossaire,
00:14:17mais enfin, vous avez...
00:14:19Vous nous parlez de quelques erreurs scientifiques
00:14:21et quelques perversions scientifiques particulièrement remarquables.
00:14:25Oui, mais à mes yeux, ce ne sont pas seulement des perversions,
00:14:28c'est-à-dire des cas absolument pathologiques
00:14:31qu'il faudrait mépriser en disant, ne vous inquiétez pas,
00:14:33il y a les bons, les bons scientifiques,
00:14:35et puis quelques mauvais savants,
00:14:37complètement délirants, sur les bords.
00:14:41Je pense que beaucoup des cas qui sont là
00:14:43sont des cas qui constituent en quelque sorte de petites fables
00:14:48qui illustrent, même sous une forme caricaturale,
00:14:52des phénomènes qui ont lieu vraiment dans la science,
00:14:54enfin, dans la vraie science.
00:14:56D'ailleurs, il y a des gens là-dedans qui sont cités
00:14:58et qui sont des scientifiques parfaitement honorables et réputés,
00:15:01comme Cantor, le mathématicien.
00:15:03Il se trouve que Cantor,
00:15:05pour forger sa théorie du transfini, sa théorie des ensembles,
00:15:09une théorie mathématique en tout cas fondamentale,
00:15:11et très importante,
00:15:12et bien que Cantor éprouvait le besoin
00:15:15d'écrire à des théologiens, à des moines, à des cardinaux,
00:15:19et même au pape, parce qu'il voulait que sa théorie
00:15:21soit vraiment compatible avec la doctrine de l'Église catholique.
00:15:25Il y a là des choses qu'on peut trouver ridicules,
00:15:27mais qui ont sans doute un sens réel,
00:15:29à savoir que dans un certain nombre de cas,
00:15:31les scientifiques,
00:15:32qui sont parfois présentés comme des êtres absolument rationnels,
00:15:36ont besoin de se nourrir à certaines idées
00:15:40qu'on peut juger plus ou moins métaphysiques,
00:15:43voire pataphysiques.
00:15:45Il y a bien d'autres cas de ce genre.
00:15:46Celui que je préfère, il s'appelle Bernard Moulin.
00:15:49Son nom est facile, en revanche, son invention est difficile à prononcer.
00:15:53La phréniogénie.
00:15:55C'est formidable.
00:15:56C'est très intéressant et bien plus moderne qu'on ne pourrait croire,
00:15:59bien que je n'ai pas fait vraiment le rapprochement.
00:16:01La phréniogénie, c'était fondé sur la phrénologie,
00:16:05qui dit qu'on a des dispositions innées
00:16:08et qu'à chaque disposition innée,
00:16:10l'amour de la propriété, l'amour des enfants,
00:16:14la compétence en mathématiques, la curiosité,
00:16:17l'amour de l'argent, etc.,
00:16:18à chaque faculté correspond une bosse.
00:16:21Alors la théorie, elle est extrêmement simple.
00:16:23Il suffisait d'y penser et on va voir que ça va très loin
00:16:26parce que c'est la manipulation de l'homme qui est déjà en cause,
00:16:28même sous cette forme caricaturale.
00:16:31L'idée, c'est que la reproduction,
00:16:34ce n'est pas l'orthodoxie actuelle, je ne crois pas,
00:16:37ça fonctionne comme la photographie.
00:16:39C'est-à-dire que l'enfant est, au fond, la photographie,
00:16:44la moyenne, disons, des photographies des deux parents
00:16:47au moment de la copulation,
00:16:48ce qu'il appelle d'ailleurs la minute critique ou je ne sais quoi.
00:16:51Et alors, l'idée est toute simple,
00:16:54puisque l'enfant que vous allez faire
00:16:56est la reproduction de ce que vous serez vous et votre femme
00:17:00au moment où vous allez créer un être humain.
00:17:03Il suffit qu'à ce moment-là,
00:17:05vous ayez les bosses correspondant
00:17:07aux talents que vous souhaitez chez votre enfant excitées.
00:17:10Alors, si vous voulez, par exemple, un enfant qui soit bon musicien,
00:17:13il suffit de chanter pendant la minute critique.
00:17:16Comme votre enfant va être votre photographie, il sera doué.
00:17:19Ça pose des problèmes quand on veut faire un chef d'orchestre.
00:17:23Et il y a comme ça.
00:17:25Et il y a le plus fort,
00:17:27c'est que j'ai trouvé vraiment ce livre par hasard
00:17:29en fouillant dans une bibliothèque de province.
00:17:31Il y a des gens qui avaient expérimenté sur Moulin,
00:17:34en particulier, ils citent un notaire
00:17:36qui voulait un garçon, je crois, poète,
00:17:38ou une fille, enfin, douée pour la poésie.
00:17:40Et authentiquement, très sérieusement,
00:17:43il y a toute raison de croire que c'est sérieux,
00:17:45Moulin explique qu'il récitait des vers de Racine
00:17:47pendant la minute critique.
00:17:48Oui, mais ce notaire était extraordinaire.
00:17:52Il a voulu faire une enfant journaliste ?
00:17:54Oui, une enfant journaliste.
00:17:55Qu'est-ce qu'il a fait pour l'enfant journaliste ?
00:17:58Je ne sais pas. Il écrivait un article, peut-être.
00:18:00Je ne peux pas savoir.
00:18:02Et puis, il y en a un autre qui n'est pas triste non plus.
00:18:05Alors ça, c'est même de la grande invention,
00:18:07c'est la découverte des rayons N.
00:18:09Oui, la découverte des rayons N, c'est un cas...
00:18:12On en parle souvent, mais je crois que c'est un cas réellement intéressant
00:18:14parce que le professeur Bondelot,
00:18:17qui a inventé ou cru inventer les rayons N,
00:18:20n'était pas un marginal délirant,
00:18:24autodidacte, non scientifique,
00:18:27au sens institutionnel.
00:18:29C'était un monsieur très sérieux
00:18:31qui avait une réputation internationale,
00:18:33qui a obtenu, et entre autres pour les rayons N,
00:18:35de grandes récompenses de l'Académie des sciences,
00:18:39et il avait cru découvrir un nouveau rayonnement.
00:18:41Il y avait eu les rayons X, etc.
00:18:43Pourquoi pas les rayons N ? N, comme Nancy, c'était sa ville.
00:18:46Oui, c'est d'ailleurs la vôtre aussi.
00:18:49Et il a une rue...
00:18:50Je n'ai aucune responsabilité dans le rayon N.
00:18:53Surtout pas.
00:18:55À l'heure actuelle, il y a toujours une rue Blondelot.
00:18:57Et d'ailleurs, il a dû mourir célibataire
00:18:59et a légué le jardin de sa maison.
00:19:02Il y a un parc Blondelot.
00:19:03Alors, voilà donc un monsieur sérieux.
00:19:05Il y a une photo, où on peut le voir,
00:19:06c'était la belle époque du professora,
00:19:08où en est-on maintenant, avec une toge, l'épitoge.
00:19:11Il est tout à fait solennel.
00:19:13Et il a cru expérimentalement
00:19:16vérifier l'existence de rayons N.
00:19:19Et ce qui est absolument passionnant,
00:19:20c'est que dans des revues de l'Académie des sciences,
00:19:23il y a des photos,
00:19:24c'est-à-dire les documents qui, aujourd'hui encore,
00:19:27symbolisent un peu la vérité expérimentale de la science.
00:19:31C'est-à-dire qu'on voit des photos avec rayons N,
00:19:33sans rayons N.
00:19:34Et en fait, si les rayons N
00:19:35avaient une caractéristique absolument déplorable,
00:19:37ils n'étaient visibles qu'en France.
00:19:39Et en particulier en Ansic.
00:19:41Les histoires comme ça, on en trouve partout,
00:19:43dans tous les domaines.
00:19:44Il y a toujours eu des histoires de genre.
00:19:46Non, mais ce qui est intéressant,
00:19:47c'est que Blondelot voulait être,
00:19:49et prétendait, je pense, être un type sérieux.
00:19:51Il y a d'ailleurs toujours un mystère Blondelot.
00:19:53Et que pendant longtemps, des scientifiques sérieux,
00:19:56et l'Académie des sciences,
00:19:57il y a plusieurs dizaines de communications,
00:19:59ont vraiment cru que ces rayons existaient,
00:20:02parce qu'on croyait qu'il y avait divers rayonnements.
00:20:04Ça paraissait vraisemblable.
00:20:05Tout ceci pour dire qu'à un moment donné,
00:20:07il est très difficile parfois de faire le tri
00:20:10entre la bonne science, entre guillemets, et la mauvaise science.
00:20:12Mais je veux dire que ce n'est pas un cas totalement aberrant.
00:20:14Ça ne prouve pas grand-chose.
00:20:15François Jacob dit que...
00:20:16Ça ne prouve pas grand-chose.
00:20:18Il y a effectivement, de temps en temps,
00:20:19des choses qui sont très difficiles à prouver,
00:20:21qui ont l'air comme ça.
00:20:23Mais je ne suis pas sûr que ça...
00:20:25Par rapport à l'image d'une science qui aurait la méthode,
00:20:29c'est-à-dire la méthode expérimentale,
00:20:30il faut bien voir...
00:20:31Je me permets tout de suite de revenir à votre bouquin,
00:20:33si vous voulez bien.
00:20:34Parce que ce que François Jacob,
00:20:37et vous avez cité ce texte, que j'avais moi aussi remarqué, dit,
00:20:40un des grands mérites de la science,
00:20:42c'est d'avoir cassé, il emploie même le mot cassé,
00:20:44l'idée de vérité éternelle et intangible.
00:20:47Et en un sens, je suis d'accord avec vous,
00:20:49c'est-à-dire que vous, tel que vous dites ceci,
00:20:52je crois que c'est indéniable,
00:20:54quelqu'un qui est imprégné, véritablement,
00:20:56de la prudence scientifique, du vrai esprit scientifique,
00:20:59qui consiste à douter, à être critique,
00:21:01dit ce que vous dites, c'est-à-dire que la démarche scientifique
00:21:04devrait nous montrer que, justement, la science est toujours à faire,
00:21:08qu'on n'est jamais sûr d'être au bout,
00:21:09et donc à casser l'idée de dogme.
00:21:11Mais j'introduis aussitôt une distinction,
00:21:13et à proprement parler, ce n'est pas du tout une critique,
00:21:15c'est un changement de niveau.
00:21:17Il se trouve quand même que, dans notre société,
00:21:20même quand vous écrivez ceci,
00:21:22et même quand beaucoup de gens l'auront lu,
00:21:24dans notre société, beaucoup de gens s'imaginent quand même
00:21:28que la science fournit des vérités au sens fort du mot.
00:21:32C'est-à-dire que, socialement,
00:21:35peut-être qu'épistémologiquement, abstraitement...
00:21:38Non, au niveau, disons, de la théorie,
00:21:41on admet que la science ne donne pas la vérité définitive,
00:21:45mais dans la pratique,
00:21:46quand vous montrez des scientifiques à la télévision,
00:21:49eh bien, on pense que les gens...
00:21:51On pense que les gens ont, en gros, tendance à les croire,
00:21:55c'est-à-dire qu'il y a quand même...
00:21:57– Il faut quand même qu'on croit un peu le professeur Jacob, non ?
00:21:59– Oui, mais justement, quand certains scientifiques...
00:22:03Ça veut dire qu'il y a quand même un besoin de foi,
00:22:05et que, dans la pratique, beaucoup de gens disent,
00:22:07c'est vrai, parce que j'ai entendu un scientifique qui le disait.
00:22:10Et est-ce que vous admettez quand même que, socialement, c'est vrai ?
00:22:13Que, dans la pratique, les gens qui ont lu dans le journal
00:22:15qu'on avait découvert ceci,
00:22:17qu'on avait découvert un gène du conformisme,
00:22:19un gène de l'homosexualité, ont tendance à le croire,
00:22:22même si, en fait, comme je sais que vous en êtes d'accord...
00:22:25– Ah oui, mais ils le croient, mais non pas parce que c'est un homme de science
00:22:27qui a dit ça, c'est parce que c'est dans le journal,
00:22:28c'est tout à fait différent.
00:22:30– Je pense que la science intervient quand même,
00:22:32parce que la science a une prime supplémentaire,
00:22:34et que, dans une société comme la nôtre,
00:22:36un scientifique a une très forte voix.
00:22:38– Mais, Pierre Tullier, vous ne pensez pas aussi qu'il faut, au fond,
00:22:40des savants qui se trompent, qui fassent de lourdes erreurs,
00:22:43et qui croient, d'une certaine manière,
00:22:44pour que d'autres savants, justement, raisonnent très bien, non ?
00:22:47– Si vous voulez mon avis, la proportion des imbéciles et des salauds
00:22:51est exactement la même chez les scientifiques et chez les autres.
00:22:54– Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais le problème, à mon avis...
00:22:58– Que ce soit chez les académiciens, que ce soit chez les hommes politiques,
00:23:01les paysans et partout, la proportion est une constante.
00:23:05– Vraiment, le premier exemple qui vient à l'esprit,
00:23:07c'est le mot académicien, je dois dire, je suis un peu étonné.
00:23:09– Je l'ai dit parce que Tullier, tout à l'heure...
00:23:12– Mais je voudrais vous répondre quelque chose de façon très directe,
00:23:15j'avais bien remarqué aussi cette phrase qui se trouve dès le début à la page 12,
00:23:19c'est que, il y a bien sûr, et je suis tout prêt à l'admettre,
00:23:23autant d'imbéciles et de malfaisants, comme vous dites, dans toutes les catégories,
00:23:27mais je crois que le problème n'est justement pas un problème psychologique
00:23:30et personnel d'être imbécile au niveau individuel ou malfaisant.
00:23:34Le problème, moi, n'est pas qu'un scientifique, que vous, que Reeves,
00:23:37pour moi, ça n'a pas de sens, que monsieur Delange, bon lapsus !
00:23:41– C'est joli, le lapsus.
00:23:43– Le problème n'est pas que Reeves ou Jacob ou Delange
00:23:47soient un imbécile ou un malfaisant,
00:23:51le problème est, à mon avis, bien plus profond,
00:23:54c'est que c'est tout un système social, toute une façon de vivre qui est en cause.
00:23:58Et ce que je pense à l'heure actuelle,
00:23:59que la science peut effectivement être dangereuse au sens culturel
00:24:03ou matériel du mot, non pas parce que les scientifiques
00:24:06seraient des gens imbéciles ou malfaisants,
00:24:08mais tout simplement parce qu'ils jouent un rôle très important
00:24:11dans un certain système qui veut l'efficacité, qui veut la force,
00:24:15et que c'est comme ça qu'il faut analyser les choses,
00:24:17par niveau social et pas par niveau psychologique.
00:24:20– Là, je disais que je suis assez d'accord sur cette thèse avec Tuiliers.
00:24:24– Très bien, alors, bon, on a parlé beaucoup des imbéciles,
00:24:28alors, je voudrais parler à quelqu'un…
00:24:29– Le nom est de François Jacob, il n'est pas de moi.
00:24:30– Oui, d'imbécile et des malfaisants,
00:24:32alors parlons d'un savant qui, je crois, n'est ni imbécile ni malfaisant,
00:24:35c'est Fabre, je pense que c'est ta vie, là, quand même.
00:24:38Alors, Fabre, Yves de Lange, vous avez toujours été fasciné,
00:24:43me semble-t-il, par Fabre.
00:24:44– Ah oui, ça remonte loin, ça remonte loin.
00:24:47Je n'aurais pas entrepris un travail de cette nature
00:24:49s'il n'y avait pas un enthousiasme qui soit venu de bonheur.
00:24:54– Alors, Fabre, ce qui est très intéressant dans sa vie,
00:24:56c'est qu'au fond, il a appris l'histoire naturelle sur le terrain.
00:25:01– Oui, exactement.
00:25:01– Alors, il l'a appris dans le Ruerga où il est né,
00:25:04en Corse où il est allé, en Provence.
00:25:06– Oui, il a commencé à recevoir l'histoire naturelle sans l'apprendre.
00:25:11C'est d'abord, naturellement, il s'est trouvé dans un milieu,
00:25:14puisque vous faites allusion au Ruerga, où il y avait vraiment tout,
00:25:18je ne parle pas du milieu familial, à ce point de vue-là,
00:25:21il n'était absolument pas encouragé à s'intéresser aux choses de la nature,
00:25:25mais il est certain que le fait de vivre dans un milieu rural en permanence,
00:25:30pour lui, s'il était né sur le béton, indiscutablement,
00:25:33il aurait eu plus de mal, bon, ces chromosomes restent les mêmes,
00:25:36mais je ne pense pas que ça a été explosé aussi tôt que cela est arrivé.
00:25:40– Très bien, alors, c'est une…
00:25:41vous racontez ces débuts qui sont très difficiles,
00:25:43parce que, évidemment, ses parents sont cafetiers,
00:25:45puis ils sont assez pauvres,
00:25:47alors il doit faire des études de mathématiques, c'est extraordinaire,
00:25:50même, il enseigne l'algèbre en même temps qu'il l'apprend,
00:25:53c'est assez étonnant, mais finalement, c'est une vocation tardive,
00:25:58lorsqu'il se lance dans l'étude des plantes et des bêtes.
00:26:00– C'est-à-dire qu'il a commencé par nécessité,
00:26:03par faire de la physique, de la chimie,
00:26:05et on lui a bien expliqué que si il voulait commencer
00:26:08à s'installer dans l'existence, à entrer dans une carrière,
00:26:12il ne pouvait pas se permettre de tout de suite aller à la bête ou à la plante.
00:26:16C'était venu de toute façon, il faisait de l'histoire naturelle sur le terrain,
00:26:19le jeudi avec les élèves, il herborisait tout seul, tout au long de l'année.
00:26:23– Est-ce que c'est un autodidacte ?
00:26:25– Ah oui, oui, ça, on peut le considérer comme un autodidacte,
00:26:27il a commencé à apprendre le grec et le latin en étant un petit clergé en Arodès, mais enfin…
00:26:31– Et puis ensuite, pendant ses recherches, il va être,
00:26:34on peut le dire, jusqu'à la fin de sa vie, un artisan.
00:26:36– Oui, oui.
00:26:37– Il est seul, pratiquement.
00:26:38– Oh oui, la plupart du temps, oui.
00:26:39– Il écrit bien avec d'autres…
00:26:40– Il est reçu premier au concours d'entrée à l'école normale
00:26:44d'instituteur du Vaucluse, d'Avignon,
00:26:47sans autre élément que ce qu'il a appris personnellement.
00:26:52– Mais alors, on se dit qu'un homme comme ça, au fond, il a un certain génie,
00:26:55parce que tout seul, inventé tout seul,
00:26:58il ne se fie qu'à l'observation, à l'expérimentation,
00:27:00tout ça, il le découvre tout seul.
00:27:02– Si vous voulez, ce n'est pas une nécessité, bien sûr,
00:27:04de dire c'est le génie par définition,
00:27:07moi, je pense que ça en est un, mais enfin, ça, c'est une autre considération,
00:27:11mais c'est quand même quelque chose, il y a déjà quelque chose,
00:27:14c'est inné déjà, au départ, d'avoir ce besoin, cette détermination,
00:27:21c'est vraiment, il a été culotté dès qu'il a été jeune,
00:27:25je vois cette expression,
00:27:26il a vraiment foncé vers là où il savait que ça lui m'en allait,
00:27:29il avait une idée derrière la tête, si vous suivez…
00:27:31– Il avait une botte !
00:27:32– Si vous suivez le parcours de son existence,
00:27:37vous remarquez qu'il va de ville en ville avec ses parents, le café, tout ça,
00:27:41puis il est obligé de sa chemine se débrouiller,
00:27:43ensuite c'est Avignon, et puis il va en Corse et il retourne à Avignon,
00:27:47et puis pour satisfaire cette possibilité de réaliser un jour l'entomologie vivante,
00:27:54telle qu'il l'appelait, il s'éloigne d'abord vers Orange,
00:27:57qui est un peu plus située dans la campagne,
00:27:58surtout à la vinarde, cette belle propriété qui est déjà sortie de la ville,
00:28:04et puis Sérignan, c'est vraiment l'endroit idéal.
00:28:08– Bon, Fabre, qu'apporte-t-il à la science ?
00:28:11Quelles sont ses trouvailles, ses découvertes ?
00:28:13– C'est normal qu'on se pose cette question,
00:28:15mais si vous voulez, on me demande quelquefois est-ce que c'est plus très moderne,
00:28:19ça c'est un peu ancien, c'est un peu poussiéreux, ça paraît…
00:28:22– Est-ce que c'est dépassé ? Est-ce que c'est toujours vrai ?
00:28:24– Ça paraît dépassé, exactement, c'est ce qu'on dit.
00:28:26Non, vraiment, ce n'est pas le cas,
00:28:28parce que de toute façon, on continue à lire, à découvrir les populations,
00:28:34les sociétés anciennes ou proches de nous,
00:28:38on lit Balzac, on lit Marcel Proust,
00:28:40bon, les insectes, c'était les mêmes,
00:28:42ils n'ont pas évolué de la même façon sur le temps d'une durée de vie humaine,
00:28:48des générations humaines,
00:28:49et on ne peut pas dire qu'il y ait de changements
00:28:51dans le comportement des insectes.
00:28:52Eh bien, ce qu'il a écrit sur les insectes, c'était vrai ou c'était faux ?
00:28:56Or, on a dit que c'était faux, beaucoup de choses, beaucoup d'observations,
00:28:59il y a eu un panflet qui a été fait contre lui,
00:29:03et comme ça venait de l'université, bien sûr, ça a été très grave,
00:29:06c'est beaucoup plus grave que quand c'est l'homme de la rue,
00:29:08l'Élysée Rostand,
00:29:09mais il y a eu quand même, comme on dit, un purgatoire,
00:29:13une période pendant laquelle on s'est demandé si, oui ou non,
00:29:15il avait été hors raison,
00:29:16mais comme de toute façon, il était intéressant à lire,
00:29:18captivant, formidable, il a écrit vraiment pour tout le monde.
00:29:23C'est aussi un écrivain et un poète.
00:29:24Oui, alors...
00:29:25Est-ce que ça n'a pas un peu contribué, justement, à sa renommée ?
00:29:28Ah, ça lui a fait beaucoup de peur.
00:29:30Ah bon ?
00:29:31Oui, ça a été un bénéfice auprès des lecteurs, si vous voulez,
00:29:37mais il y en a beaucoup qui sont chargés, justement,
00:29:39d'écrire que c'était un homme qui n'était pas sérieux,
00:29:42qui se dispersait, qui papillonnait.
00:29:45Quand on fait tant de choses, ça ne paraît pas toujours...
00:29:47Un naturaliste qui papillonne, ça me paraît normal.
00:29:49Oui, mais vous savez, quand même, quand on arrive à s'imposer,
00:29:52il a eu le prix d'Alfred Né d'Académie française en littérature,
00:29:57des choses comme ça.
00:29:58Quand déjà, il y a des réticences sur le plan scientifique,
00:30:01eh bien, ça n'arrange pas toujours les choses.
00:30:03François Jacob, est-ce que pour vous, c'était un grand savant,
00:30:06Fabre, ou pas ?
00:30:07Je crois qu'il a apporté un certain nombre de choses.
00:30:09Ça a été un des premiers à s'occuper du comportement des insectes,
00:30:12ce qui n'était pas absolument évident au XIXe siècle,
00:30:15à l'époque où il l'a fait.
00:30:17Il y a une façon...
00:30:19Enfin, il a une façon d'écrire qui est agréable,
00:30:22qui a beaucoup de charme, qui est très anthropomorphique.
00:30:25C'est qu'aujourd'hui, il lui donne un petit parfum un peu vieillot,
00:30:29mais qui a beaucoup de charme et qui a beaucoup contribué,
00:30:31je pense, à lui...
00:30:33Mais alors, justement, est-ce qu'on ne peut pas dire qu'aujourd'hui,
00:30:34c'est plus l'écrivain que le savant qui reste ?
00:30:36Je pense en partie, oui.
00:30:38Oui, attention, parce qu'anthropomorphisme, justement,
00:30:43il a assez écrit qu'on tentait d'expliquer toujours
00:30:46l'homme par l'animal et l'animal par l'homme,
00:30:49de rapprocher l'un de l'autre,
00:30:51de rehausser l'animal et de baisser l'homme
00:30:53pour établir un point de liaison.
00:30:55Puis vous posez une question là-dessus, d'ailleurs.
00:30:57Enfin, c'est le même problème exactement.
00:31:00Vous, quelque part, vous dites,
00:31:01aujourd'hui, des gens comme Lorenz,
00:31:04Von Frisch, Tinbergen,
00:31:06essayent d'expliquer l'homme par l'animal.
00:31:08Et manifestement, quand vous écrivez cela,
00:31:11c'est parce que vous n'êtes pas d'accord et que vous critiquez
00:31:13et que vous opposez ces scientifiques modernes
00:31:17à l'attitude de Fabre.
00:31:20Quelle est votre attitude là-dessus,
00:31:21sur le rapport de l'homme et de l'animal,
00:31:23quand vous écrivez cela ?
00:31:24Je ne me prononce pas à ce sujet de courroie de Lorenz, c'est tout.
00:31:26Non, j'ai simplement...
00:31:27Parce que vous en parlez.
00:31:27Qu'est-ce que vous voulez dire quand vous dites ça, quand même ?
00:31:29Je crois simplement qu'il le relève, c'est tout.
00:31:31Oui, à un moment donné, du reste,
00:31:33courroie de Lorenz en parle, de Fabre.
00:31:36Je ne pense pas vraiment qu'il y ait d'opposition
00:31:38à ce point de vue-là, vraiment, mais...
00:31:40Parce que dans votre texte, c'est assez ambiguë,
00:31:41quand vous dites ça.
00:31:42On a l'impression que vous attaquez un petit peu
00:31:45certains scientifiques modernes du genre Lorenz
00:31:49en disant que l'attitude de Fabre était beaucoup plus modérée
00:31:51parce que lui, justement, ne voulait pas
00:31:53qu'on fasse l'assimilation homme-animal.
00:31:55Non, mais l'anthropomorphiste, par exemple, de la montre religieuse,
00:31:57il décrit la montre religieuse de façon très intéressante
00:32:00et très jolie, mais il décrit quelque chose d'épouvantable,
00:32:02de cruel, qui va tuer son mari, qui le mange, qui décrit tout ça.
00:32:05Ah oui, bien sûr, oui.
00:32:06Ça, c'est évidemment pas comme ça aujourd'hui
00:32:07qu'on décrira les choses.
00:32:09On va décrire les choses de façon beaucoup plus froide et objective.
00:32:11Ça, c'est la façon que nous avons, nous, de voir la femelle
00:32:15qui, après la copulation, se met à tout manger.
00:32:18C'est pas absolument...
00:32:18Oui, mais enfin, c'est une vérité, quand même.
00:32:20Mais il fait peur.
00:32:21C'est une vérité, quand même, et ça fait partie des vérités
00:32:23qui sont bonnes à décrire dans la mesure où elles éveillent
00:32:25aussitôt l'intérêt des gosses.
00:32:27Oui, bien sûr.
00:32:28Je pourrais vous parler de la...
00:32:29Enfin, on peut dire que...
00:32:31La propriété de la montre religieuse.
00:32:34Voilà un dessin qui a été fait par un enfant qui s'appelle Vincent
00:32:38et qui, après avoir lu la lecture
00:32:41d'un chapitre de Fabre consacré aux montres religieuses,
00:32:45a fait ce dessin-là avec l'attitude que vous pouvez voir,
00:32:48qui est assez particulière.
00:32:49Alors ça, je profite au passage,
00:32:51c'est pour montrer la portée pédagogique.
00:32:53Mais si Fabre n'avait pas procédé de cette façon,
00:32:55en utilisant parfois, même souvent,
00:33:00des thèmes qui soient vraiment impressionnants...
00:33:03Oui, c'est ce que je dis, c'est le que tu dis.
00:33:05Pierre, une dernière question à propos de Fabre.
00:33:06Oui, oui, c'est certain.
00:33:07Parce que votre livre, est-ce qu'il n'est pas un plaidoyer caché
00:33:10un petit peu pour le naturaliste, à l'ancienne mode,
00:33:14opposé au scientifique moderne et à ses perfectionnements cellulaires,
00:33:18comme il est dit quelque part ?
00:33:19Je me contente de lire cette phrase qu'a écrite Fabre
00:33:22et qui est extraordinaire.
00:33:23Il s'adresse aux scientifiques qui font des dissections,
00:33:26enfin, qui analysent, qui sont méchants.
00:33:27Il écrit ceci.
00:33:28Vous éventrez la bête, moi, je l'étudie vivante.
00:33:30Vous en faites un objet d'horreur et de pitié,
00:33:32et moi, je la fais aimer.
00:33:34Vous travaillez dans un atelier de torture et de dépaissement,
00:33:36j'observe sous le ciel bleu au champ des cigales.
00:33:39Vous soumettez au réactif la cellule et le protoplasme,
00:33:41j'étudie l'instinct dans ses manifestations les plus élevées,
00:33:44vous scrutez la mort, je scrute la vie.
00:33:45Est-ce que c'est par là une sorte de petit manifeste
00:33:47que vous reprenez à votre compte ?
00:33:49Ah oui, oui, oui, pourquoi pas ?
00:33:51Oui, vous êtes d'accord ?
00:33:52Oui, oui, oui.
00:33:53Bien sûr.
00:33:54Et alors ?
00:33:55Eh bien, il y aurait une sorte d'opposition entre deux façons.
00:33:57Je pense que ça va assez loin.
00:33:59On retrouverait tout le problème à la limite de l'écologie
00:34:02au sens politique actuel,
00:34:04c'est-à-dire qu'il y aurait deux écoles,
00:34:05ceux qui, pour étudier la vie,
00:34:07commencent par prendre la bête, la mettre sur une table
00:34:09et commencent à la tuer, à la démolir, à la découper,
00:34:11et puis ceux qui, au contraire, essayent de connaître la vie
00:34:14en l'observant patiemment.
00:34:15Et je pense que ce sont effectivement deux attitudes,
00:34:18deux philosophies,
00:34:19une attitude mécaniste, analytique, qui découpe,
00:34:22et une attitude, au contraire, plus ouverte.
00:34:24Bon, alors, Hubert Reeves,
00:34:26on est sûr qu'il n'a pas découpé tous dont il parle.
00:34:28Ça, on en est certains.
00:34:30J'aime beaucoup la dédicace.
00:34:32Ce livre est dédié à tous ceux que le monde émerveille.
00:34:35Je pense que vous êtes toujours, comme le professeur Jacob,
00:34:36toujours émerveillé par le monde.
00:34:37Ah oui, ça, effectivement,
00:34:39c'est un peu ce que j'ai essayé de faire passer dans ce livre.
00:34:41C'est que plus on le regarde, plus on est étonné de...
00:34:45Oui, émerveillé par tout ce qu'il y a dans cet univers.
00:34:48J'ai voulu un peu faire passer ça,
00:34:50un peu contrairement, justement,
00:34:52à une certaine tendance réductionniste
00:34:55qui consiste à dire tout n'est que.
00:34:57Vous savez, la position réductionniste,
00:34:59vous ramenez tout à quelque chose d'autre.
00:35:01Je ne suis pas contre le réductionnisme.
00:35:03Moi, je pense que c'est une phase importante.
00:35:04On ne peut pas faire de science
00:35:06si on ne réduit pas à un certain moment donné.
00:35:08Mais ce qui est essentiel, c'est de ne pas s'en tenir là,
00:35:11c'est après de prendre du recul
00:35:13et de revoir à distance les grands traits.
00:35:16Je voyais aujourd'hui l'exposition de Turner,
00:35:18le peintre anglais,
00:35:19et précisément, c'est ce qu'il fait.
00:35:21Les paysages sont là,
00:35:23mais en les mettant dans la brume,
00:35:25dans les couleurs, dans les nuages,
00:35:28on voit sortir des traits qu'on ne verrait pas
00:35:31si on regardait directement, si on visait.
00:35:34C'est un peu ce que j'ai essayé de faire dans ce livre.
00:35:36Oui, vous avez fait beaucoup plus.
00:35:37Vous racontez l'histoire de l'univers
00:35:39depuis les temps immémoriaux jusqu'à aujourd'hui,
00:35:41ce qui n'est quand même pas rien.
00:35:43J'ai appris des tas de choses, j'ignorais tout ça.
00:35:45Je me demande...
00:35:46On va peut-être dire que votre livre est plein d'erreurs.
00:35:48Peut-être que les autres livres...
00:35:50En tout cas, je trouve que ce livre,
00:35:51on devrait en rendre la lecture obligatoire
00:35:53dans toutes les terminales.
00:35:55Je suis absolument d'accord.
00:35:56Vous êtes d'accord ?
00:35:57Ah non, c'est vrai, parce que c'est incroyable.
00:35:59C'est exactement le genre de choses qu'on voit.
00:36:00On n'avait jamais rien compris à tout ça,
00:36:01les galaxies, les planètes, la Taupe.
00:36:04On a le tige là-dedans, on nage dans l'azur.
00:36:07C'est vraiment...
00:36:08J'ai appris mille choses.
00:36:10Alors, on ne va pas tout raconter.
00:36:11Et tout de même, est-ce qu'il y a une année zéro ?
00:36:14Eh bien, ça, c'est le grand problème.
00:36:15C'est le grand problème de...
00:36:17Est-ce qu'on va pouvoir remonter jusqu'à l'année zéro ?
00:36:21J'étais l'an dernier en Californie.
00:36:23J'ai passé six mois, précisément, pour me recycler en physique,
00:36:26parce que la physique des tous premiers temps,
00:36:29c'est la physique des très hautes énergies.
00:36:31Et elle se fait en ce moment.
00:36:33Et en Californie, on discutait de ce qui se passait
00:36:35au temps 10 puissances moins 35.
00:36:38Alors, pour ceux qui ne sont pas habitués à l'échelle décimale,
00:36:41c'est 1 sur 1 avec 35 zéros de secondes.
00:36:46Et c'est là que se passent des choses formidables.
00:36:48Par exemple, c'est là que se décide
00:36:50pourquoi il n'y a pas d'antimatière parmi nous.
00:36:53Fort heureusement, d'ailleurs,
00:36:54parce que s'il y avait de l'antimatière,
00:36:55on partirait en lumière immédiatement.
00:36:57Mais on a des grands problèmes de la physique depuis longtemps.
00:36:59C'est le physicien, pour lui,
00:37:01il y a toujours autant de matière que d'antimatière.
00:37:03Et l'astrophysicien et tout le monde connaît la matière,
00:37:06mais l'antimatière, eh bien, il faut la fabriquer.
00:37:09On la fabrique au laboratoire,
00:37:10mais ça coûte une fortune pour chaque atome d'antimatière.
00:37:13Alors, pourquoi il y a cette différence entre les deux?
00:37:15Pourquoi est-ce que notre univers est un univers de matière
00:37:17et que l'antimatière, il y en a très peu, il faut la fabriquer?
00:37:20Eh bien, tout se passerait.
00:37:22Ce n'est pas encore définitif.
00:37:23Et là, je vais aussi insister sur le fait
00:37:25qu'il y a toujours, là, une science en marche
00:37:27et il ne faut pas être dogmatique, etc.
00:37:30Mais enfin, on a l'impression, on peut dire,
00:37:33que tous les événements qui ont mené notre univers
00:37:36à être ce qu'il est, c'est-à-dire le fait qu'au début,
00:37:38il soit très chaud, que maintenant, il se refroidisse,
00:37:40ça, c'est fondamental pour l'histoire
00:37:42de la complexité de l'univers, comment l'univers s'organise.
00:37:45J'essaie de vous montrer comment il s'organise
00:37:47en vidant la chaleur qu'il y avait initialement.
00:37:50Eh bien, la question, les questions qu'on se pose aujourd'hui,
00:37:52c'est pourquoi était-il très chaud?
00:37:53Là encore, ça se passe à 10 puissance moins 43 secondes.
00:37:57Alors, 10 puissance moins 43 secondes,
00:37:59ce n'est pas zéro seconde.
00:38:00Zéro seconde, on ne peut pas y arriver
00:38:02parce qu'on ne connaît pas la physique.
00:38:05Et il y a un énorme pont à franchir
00:38:07entre le 10 moins 43 et le zéro.
00:38:10Oui, bien, moi, je voudrais qu'on revienne au temps zéro, là.
00:38:12Vous dites au temps zéro, il y a...
00:38:15Vous employez la formule soit la soupe primitive
00:38:17soit la grande purée originelle.
00:38:19J'aime bien ça, mais moi, la soupe ou la grande purée,
00:38:22je sais de quoi c'est fait.
00:38:23Je sais qu'avec la purée, il y a les pommes de terre.
00:38:25Il y a un peu de lait, un peu de sel.
00:38:28Mais qu'est-ce qu'il y a dans votre grande purée, là?
00:38:29Eh bien, des petites particules élémentaires.
00:38:31Des petites particules élémentaires,
00:38:32c'est des petites billes
00:38:33qui ne savent pas faire autre chose que cogner.
00:38:35Mais comment savez-vous que ce sont des billes?
00:38:36C'est même une mauvaise représentation, la bille.
00:38:39C'est une représentation simpliste qu'on se fait,
00:38:41si on regarde de plus près.
00:38:42Elle n'est pas très bonne, mais en fait, elle n'est pas mauvaise.
00:38:44La particule élémentaire, on peut la décrire provisoirement
00:38:48pour les besoins de l'explication, comme une petite bille
00:38:50qui n'a pas de propriété. Voilà la chose importante.
00:38:52Elle n'a pas de structure. Elle n'est pas accrochée à d'autres.
00:38:55C'est pas un organisme moléculaire, cellulaire, humain
00:39:00ou n'importe quoi.
00:39:01C'est une petite particule élémentaire.
00:39:02Et l'histoire de mon livre, c'est un peu comment ces billes
00:39:06s'organisent à d'autres billes, à des quantités de billes.
00:39:08Et finalement, comment ça fait...
00:39:10Maintenant, c'est nous, les billes, d'ailleurs.
00:39:12Et maintenant, nous sommes le système,
00:39:13enfin, un des systèmes les plus organisés de la nature
00:39:15qui fait intervenir une quantité fantastique.
00:39:18Mais François Jacob, est-ce que vous êtes d'accord?
00:39:20Hubert Reeves dit ceci.
00:39:21En somme, les grandes fonctions de la vie,
00:39:23croissance, reproduction, alimentation,
00:39:25existent déjà comme en préfiguration
00:39:27au sein de la soupe primitive.
00:39:31Je dirais que vous n'y étiez pas, d'accord.
00:39:32Je n'y étais pas, lui non plus.
00:39:33Là, c'est un peu une question de représentation des choses.
00:39:37Alors, les physiciens, je crois, ont beaucoup plus tendance
00:39:40à croire que tout était déjà contenu dans les particules.
00:39:43Les biologistes ont plus tendance à dire
00:39:45que l'histoire, là-dedans, joue un rôle tel
00:39:47que c'est toujours très difficile de savoir
00:39:49dans quelle mesure, quel était le degré de probabilité
00:39:51de ce genre de choses.
00:39:53Alors, ils nous racontent, par exemple,
00:39:54et ça, on est bien obligés de les croire,
00:39:56qu'il y a des quantités dans l'espace de systèmes solaires
00:40:00qui ressemblent aux systèmes solaires
00:40:01avec des planètes qui tournent autour,
00:40:03que la probabilité pour qu'il y ait des systèmes
00:40:05qui ressemblent à celui-ci, à notre Terre,
00:40:07où la vie aurait pu s'organiser, est énorme
00:40:09et qu'il y a vraisemblablement un monde fou dans l'espace
00:40:12avec lequel certains essayent de discuter par radio,
00:40:14mais pour envoyer un télégramme et qu'il revienne,
00:40:16il faut beaucoup de temps.
00:40:19Oui, oui, oui, des milliards d'années.
00:40:20Ah, c'est riche.
00:40:22Oui, vous dites que certaines, je ne sais pas comment les appeler,
00:40:25des galaxies, je ne sais trop quoi,
00:40:26ont des... Comment vous appelez ça ?
00:40:29Il y a un autre mot.
00:40:30Ils sont si éloignés qu'il faut plusieurs milliards d'années.
00:40:32Les quasars.
00:40:34Les quasars, voilà, je cherche le mot.
00:40:3510 milliards, 12 milliards d'années
00:40:37avant que la lumière qui en émerge vous arrive.
00:40:40Alors quand vous la regardez au télescope,
00:40:42vous attrapez un petit photon
00:40:45qui a voyagé pendant toute la vie de l'univers.
00:40:47Il n'a fait que ça.
00:40:48Pendant 12 milliards d'années, il a voyagé droit devant lui,
00:40:50300 000 km par seconde.
00:40:51Sans rencontrer l'antimatière.
00:40:53Sans rencontrer matière ou antimatière,
00:40:55personne, tout droit devant lui.
00:40:56Il n'a fait que ça, il est né au début de l'univers.
00:40:58Ce rayonnement fossile dont je parle,
00:41:00lui, il est né un million d'années après le début de l'univers.
00:41:03C'est lui qui a été découvert par Penzas et Wilson.
00:41:05Et lui, c'est le plus vieux rayonnement qu'on connaisse.
00:41:07Il a l'âge de l'univers moins un million d'années.
00:41:09Donc 15 à 18 milliards d'années, moins un million d'années.
00:41:13Ces photons qu'on observe maintenant,
00:41:15qu'on mesure au radiotélescope, au télescope infrarouge,
00:41:18eh bien, ils ont voyagé comme ça.
00:41:20Alors, en gros, l'évolution, on va aller vite.
00:41:24La fameuse expansion, l'irrésistible expansion.
00:41:27Nous sentons notre parenté profonde
00:41:29avec tout ce qui existe dans l'univers.
00:41:30Donc, avec la soupe dont vous parliez tout à l'heure.
00:41:32Et vous dites que si l'homme descend du primate,
00:41:35le primate descend de la cellule, la cellule descend de la molécule,
00:41:38la molécule descend de l'atome et l'atome descend du quark.
00:41:41C'est ça.
00:41:42Sur le quark, vous êtes un peu plus précis.
00:41:45Pour l'instant, c'est le plus ultime.
00:41:47Vous savez, les physiciens, depuis les Grecs,
00:41:50essaient de trouver l'atome.
00:41:52Atome, ça veut dire qu'on ne peut pas couper,
00:41:53qu'on ne peut plus couper.
00:41:54Alors, ils ont pensé qu'on a coupé, coupé, coupé.
00:41:57On a découvert la molécule, on l'a coupée en atome.
00:41:59Puis, on s'est dit, ça, c'est le bout.
00:42:01Mais non, l'atome, on a pu le couper en nucléons,
00:42:04protons et neutrons.
00:42:05Et puis, on a encore coupé le nucléon en quark.
00:42:08Et pour l'instant, il faut bien se dire
00:42:10que ces choses-là n'existent que depuis une quinzaine d'années.
00:42:12La particule ultime, c'est le quark et le lepton.
00:42:16Le lepton, c'est l'électron et les neutrinos.
00:42:18Enfin, c'est quelques particules, cinq, six particules,
00:42:21dont l'agencement fait tout l'univers,
00:42:24dont les agencements font tout l'univers.
00:42:26Bon, alors, est-ce que cette expansion de l'univers
00:42:29est continuelle et est-ce qu'elle va durer ?
00:42:31Est-ce qu'on pense qu'elle va durer éternellement ?
00:42:33Bien, ça, voilà, c'est un des problèmes principaux
00:42:35de l'astrophysique aujourd'hui.
00:42:36Chose certaine, elle va durer encore plusieurs dizaines
00:42:39de milliards d'années.
00:42:41Ça, on en est certain.
00:42:43Mais qu'est-ce qui va se passer après ?
00:42:45Est-ce qu'elle va continuer indéfiniment ?
00:42:47Est-ce que l'univers va continuer ?
00:42:48Est-ce que les galaxies vont continuer à s'éloigner ?
00:42:50Ou bien est-ce qu'après un certain temps,
00:42:51elles vont revenir sur elles-mêmes
00:42:54et s'écraser dans une période de contraction
00:42:56que les Américains appellent le « big crunch »,
00:42:58le « big bang », le « big crunch ».
00:43:00Vous voyez, la température remonte, la densité.
00:43:02Bien, ça, pour l'instant, on ne le sait pas.
00:43:04Il nous manque une donnée fondamentale,
00:43:05la masse d'une particule qui s'appelle le neutrino.
00:43:08Je ne m'étendrai pas là-dessus.
00:43:10Mais jusqu'ici, ça reste possible,
00:43:14mais ça semble de moins en moins probable.
00:43:16Disons que les dernières données indiqueraient plutôt
00:43:19un seul chapitre, une seule expansion indéfinie.
00:43:22– Je vous cite, l'expansion universelle,
00:43:24on peut le dire aujourd'hui, est « quasi-certaine ».
00:43:27Qu'est-ce que c'est qu'un homme de science qui dit « quasi-certaine » ?
00:43:30– Quasi-certaine, je voulais faire la distinction
00:43:32parce que je parlais de ce monsieur qui m'avait dit après une conférence,
00:43:35l'expansion, c'est la vérité absolue ou bien c'est une pure spéculation ?
00:43:39Alors j'ai voulu lui expliquer qu'entre les deux,
00:43:41il y avait des choses, il n'y avait pas que des vérités absolues.
00:43:44Alors j'ai donc essayé de classer les théories.
00:43:47– Vous faites de l'épistémologie, là.
00:43:49– Je dis qu'elle est « quasi-certaine ».
00:43:52Ce que je veux dire par là, c'est que la très grande…
00:43:54– Le poésie vous a un peu irrité, vous aussi, je le sens.
00:43:58– Quasiment.
00:43:59– Je veux dire que la très grande majorité des astrophysiciens,
00:44:04ça vaut ce que ça vaut le consensus,
00:44:06mais enfin, la très grande majorité pense que la meilleure hypothèse,
00:44:11c'est l'expansion et presque tous les faits observables
00:44:16sont expliqués très simplement sans difficulté par la théorie de l'expansion.
00:44:23Mais c'est à revoir, ça peut changer l'an prochain.
00:44:26S'il y a de nouvelles difficultés, il faudrait peut-être la revoir.
00:44:28– Vous prévoyez de nouvelles éditions de votre livre.
00:44:30– L'avantage de l'accordéon,
00:44:32c'est que ça permet de savoir ce qui s'est passé avant le Big Bang.
00:44:35– Ah non, l'accordéon ne veut pas dire qu'il y a deux choses.
00:44:39Il peut y avoir expansion, contraction,
00:44:43mais ça ne veut pas dire qu'il y aura nouvelle expansion, nouvelle contraction.
00:44:46– C'est pas impensable.
00:44:47– Non, ce n'est pas impensable.
00:44:48Mais on ne peut rien dire précisément parce qu'on ne sait rien de ce temps zéro.
00:44:52Donc, on ne sait pas si la matière rebondit.
00:44:54Les physiciens disent, est-ce que ça va rebondir comme une balle de caoutchouc ?
00:44:57– Ça, c'est très satisfaisant.
00:44:59– Oui, ça peut être esthétiquement satisfaisant,
00:45:01mais pour l'instant, nous sommes dans l'économie.
00:45:03– Enfin, mine de rien, vous nous annoncez, peut-être pas pour demain,
00:45:05vous nous annoncez la mort du Soleil.
00:45:07– Ah ça, oui. Là, on est déjà dans un terrain un peu plus certain, si on peut dire.
00:45:11– Heureusement que vous nous donnez le moyen, peut-être, de l'éviter.
00:45:13– Et vous nous donnez le moyen de l'éviter, oui, ça, c'est extraordinaire.
00:45:16– Oui, trois moyens.
00:45:17– La mort du Soleil, pourquoi ?
00:45:19– Eh bien, parce que le Soleil, il carbure au nucléaire,
00:45:23un peu comme une voiture carbure à l'essence,
00:45:25et quand le réservoir est vide, la voiture s'arrête.
00:45:28Eh bien, quand le Soleil aura épuisé ses carburants nucléaires,
00:45:31comme il n'y a pas de station de pompage un peu partout pour repomper les étoiles,
00:45:36eh bien, les étoiles meurent quand elles arrivent au bout de leurs carburants.
00:45:41C'est aussi simple que ça.
00:45:42Et on sait, la quantité de carburant, c'est la masse du Soleil,
00:45:45et on sait, le rythme auquel ils le dépensent,
00:45:48c'est l'énergie, c'est la lumière du Soleil.
00:45:51Vous faites un petit calcul et ça vous donne 5 milliards d'années.
00:45:54– Bon, et Uber Eats, ce monde, bon, qui est toujours en pleine expansion,
00:45:58est-ce qu'on peut dire qu'il va vers une sorte de perfection ?
00:46:02– Ah là, vous me demandez des questions bien difficiles.
00:46:05Je peux vous dire ceci, je peux vous dire qu'on observe
00:46:10que l'univers s'organise continuellement,
00:46:14qu'il y a un moment dans l'univers où il n'y a que des particules élémentaires
00:46:17et rien de plus compliqué.
00:46:19Après, il y a des atomes et rien de plus compliqué.
00:46:21Il y a donc des chapitres, c'est ce que j'ai essayé de montrer dans ce bouquin,
00:46:24les chapitres par lesquels l'univers s'organise par paliers d'ailleurs,
00:46:27il y a une hiérarchie structurelle.
00:46:29Les atomes s'organisent pour faire des molécules,
00:46:31les molécules s'organisent pour faire des macromolécules,
00:46:33les macromolécules s'organisent, etc.
00:46:35Je peux vous dire, donc on observe ceci,
00:46:37nous observons sur la Terre l'être le plus complexe,
00:46:41qui est l'être humain, le cerveau humain.
00:46:43Nous ne savons absolument rien, bien sûr, de ce qui viendra après.
00:46:46– Oui, mais enfin, on peut dire quand même que par rapport à la soupe
00:46:48dont vous nous parliez au départ…
00:46:50– Il y a eu un progrès fantastique.
00:46:51– La plus originelle, si je regarde Uber Eats et François Jacob,
00:46:53je me dis quand même, il y a eu un progrès là, non ?
00:46:55– Et nos amis aussi, les invitants.
00:46:57– Voilà, enfin tous les gens qui sont là, même moi si vous voulez bien.
00:47:01Bon, il y a quand même un progrès là, quand même, non ?
00:47:04– Mais bien sûr, il y a un progrès sur le plan de la complexité,
00:47:07sur le plan de la performance, il y a un progrès,
00:47:09et il y a un progrès fondamental, c'est l'accession à la conscience.
00:47:13Et ça c'est fantastique.
00:47:14Et on peut faire une thèse,
00:47:16on peut faire une thèse toute anthropomorphique,
00:47:18mais à laquelle je crois,
00:47:20qui dit que l'univers c'est une machine à faire de la conscience.
00:47:25Alors là, ce n'est pas de la science.
00:47:26Je dis tout de suite que ce n'est pas de la science,
00:47:28c'est une interprétation personnelle très développée…
00:47:30– Tu parles d'un théâtre de Chardin, là.
00:47:32– Oui, sauf que je ne mets pas son côté très chrétien.
00:47:35Enfin, j'aime bien y vivre et fondamental,
00:47:38mais plus je le généraliserais.
00:47:40Mais j'étais la semaine dernière, il y a deux semaines, en Angleterre,
00:47:43à une conférence de physiciens et de biologistes
00:47:45sur ce qu'on appelle le principe anthropique,
00:47:47qui est ce principe formidable dont on discute beaucoup,
00:47:50qui dit ceci, notre univers, pour le comprendre,
00:47:54c'est important de savoir qu'il y a quelqu'un qui cherche à le comprendre.
00:47:58C'est-à-dire que le fait d'admettre
00:48:01qu'il existe une conscience pour le comprendre,
00:48:03déjà, vous permet non pas de comprendre,
00:48:06mais vous permet de voir un peu comment les choses sont agencées.
00:48:10On peut aussi l'exprimer autrement.
00:48:12D'ailleurs, ça revient à une question que vous posez.
00:48:14Est-ce que, par exemple, l'eau ne pourrait pas monter ?
00:48:17Eh bien, on voit qu'on peut imaginer une quantité infinie d'univers.
00:48:22En mécanique quantique, notre univers est un univers.
00:48:25Il peut y en avoir une infinité d'autres
00:48:26avec des nombres quantiques différents.
00:48:28On s'aperçoit que la très grande majorité de ces univers
00:48:31ne donneront jamais un être intelligent.
00:48:33Ça prend une quantité de conditions bien orchestrées.
00:48:38Ça prend une quantité de choses.
00:48:39La charge électrique doit être ce qu'elle est.
00:48:41Vous la changez de 10 %, il n'y a pas d'être humain.
00:48:44Vous changez la force de nucléaire de 15 %, il n'y a pas d'être humain.
00:48:47Vous changez la température initiale par rapport à la densité.
00:48:50Il y a une orchestration fantastique.
00:48:51Alors, évidemment, on dit ceci.
00:48:53Bien sûr, tous ces autres univers
00:48:55qui n'étaient pas orchestrés pour donner l'être humain,
00:48:57n'ont pas donné l'être humain.
00:48:59Donc, il n'y a personne pour se demander des questions.
00:49:01Voilà, c'est le principe anthropique.
00:49:03C'est comme la vie.
00:49:03Je reviens à votre livre, François Jacob.
00:49:05Vous parlez aussi longuement de l'évolution.
00:49:08Et vous faites apparaître que, finalement, cette évolution,
00:49:12il y a entre dedans beaucoup de fantaisie.
00:49:14Vous employez d'ailleurs le mot fantaisie.
00:49:16Et vous employez même un autre mot qui est encore plus surprenant.
00:49:18Vous parlez du bricolage, finalement.
00:49:20Parce que tout le principe de l'évolution,
00:49:22c'est qu'on fait du neuf avec du vieux.
00:49:23Or, ça, faire du neuf avec du vieux, c'est du bricolage.
00:49:26Alors, est-ce que je peux poser une question sur ce bricolage?
00:49:29Ce bricolage, il m'a un petit peu chatouillé.
00:49:31Je vais vous dire pourquoi.
00:49:32Qu'est-ce que c'est qu'un bricoleur?
00:49:34C'est quelqu'un qui va à la foire,
00:49:36dans les OBHV, un peu partout, qui ramasse...
00:49:39Ouh là, ouh là, on n'a pas de pub, là.
00:49:40Pardon, excusez-moi.
00:49:42Qui ramasse des choses en se disant que ça peut toujours servir.
00:49:45Il les met dans son garage.
00:49:47Et puis, un jour, il dit, je vais faire une lampe.
00:49:49Alors, il prend un pied de table.
00:49:52Il prend des choses.
00:49:53Donc, le bricoleur est celui qui prend des choses
00:49:55qui n'étaient pas du tout prévues à cet usage.
00:49:59Et il s'en sert comme cela.
00:50:01Dans l'optique ou l'univers, comme j'essaie de le décrire,
00:50:03c'est, à partir du début, une préparation progressive.
00:50:07La nature, pour employer le terme anthropomorphique du XVIIIe siècle,
00:50:10la nature prépare ses atomes, ses molécules, etc., etc.
00:50:15Je ne vois plus le bricolage.
00:50:16Alors, ça, je suis d'accord, mais ça, c'est purement une question de goût.
00:50:19Vous aimez dire que la nature prépare, moi, je n'aime pas tellement.
00:50:22D'accord, d'accord.
00:50:23Je crois que là, ça ne va pas plus loin.
00:50:24Alors, moi, je considère que c'est du bricolage,
00:50:26parce que dans la mesure où...
00:50:28Ce qu'on considère, par exemple,
00:50:30c'est que la façon dont se sont formés les poumons,
00:50:34c'est de prendre un petit bout d'estomac
00:50:36et puis de le triturer d'une certaine façon,
00:50:38et puis c'est devenu un poumon.
00:50:40Ça, ça me paraît typiquement exactement la même chose
00:50:42que prendre le vieux rideau de grand-mère et faire une jupe avec,
00:50:45c'est-à-dire du bricolage.
00:50:47Et il en est de la même façon
00:50:49pour fabriquer l'oreille interne des organismes supérieurs,
00:50:52des mammifères en particulier,
00:50:54où, apparemment, on prend un petit bout de mâchoire
00:50:56et puis on le triture un petit peu
00:50:58et on en fait un bout d'oreille interne.
00:51:00Moi, j'appelle ça du bricolage.
00:51:02Qui c'est, ce on ?
00:51:03Le on, c'est...
00:51:05Ça, c'est fait par l'évolution en marchant,
00:51:08c'est-à-dire par les mécanismes, par les...
00:51:11Oui, alors vous parlez aussi du hasard.
00:51:13Quelle est la part de hasard ?
00:51:14Tous les deux, vous parlez du hasard.
00:51:15C'est bien.
00:51:16Le hasard, là, je crois qu'il n'y a pas beaucoup de problèmes.
00:51:19Il y a plusieurs séries, plusieurs types de hasard.
00:51:23Il y a le hasard des chaînes d'événements
00:51:26qui ne se recoupent pas,
00:51:27qui se rendent compte sans que ça soit prévu.
00:51:30Et puis, il y a un hasard plus compliqué
00:51:31qu'un hasard un peu essentiel,
00:51:33qui est, par exemple, les atomes qui se démolissent
00:51:36dans les réactions radioactivités, par exemple.
00:51:39Un mécanique quantique, le hasard quantique.
00:51:41Dans les mutations, par exemple,
00:51:44dans les événements qui se passent dans les chromosomes,
00:51:46il y a une cause, il y a forcément...
00:51:47Il y a une cause, il y a certains phénomènes,
00:51:50par exemple, un rayonnement qui tombe,
00:51:51mais qui tombe complètement
00:51:53sans relation avec ce que ça va produire.
00:51:55Donc ça, c'est une chaîne causale qui se fait interférer.
00:51:57C'est la brique qu'on reçoit sur la tête en passant dans la rue.
00:52:01Ça, c'est le hasard biologique,
00:52:02qui n'est pas exactement le même hasard
00:52:04que celui des physiciens,
00:52:06qui est le hasard purement essentiel
00:52:08de la destruction des atomes.
00:52:10Vous êtes d'accord là-dessus ?
00:52:10Tout à fait.
00:52:12Ça, ça tombe, là.
00:52:13Est-ce que, dans l'histoire de l'expansion, l'évolution,
00:52:17employez le terme que vous voulez, dont parle M. Rives,
00:52:19quand est-ce qu'apparaît...
00:52:20Alors, quand est-ce qu'on invente,
00:52:22je reprends votre rond, la sexualité ?
00:52:25La sexualité, elle est arrivée très tôt.
00:52:27Il y a des organismes unicellulaires
00:52:31qui commencent très tôt.
00:52:32Il y a même de la sexualité chez les bactéries.
00:52:34La plupart du temps, les bactéries grandissent,
00:52:37et puis, quand elles ont acquis une certaine taille,
00:52:39elles se fissurent par le milieu,
00:52:41et elles recommencent, elles se fissionnent.
00:52:43Mais déjà, chez les bactéries,
00:52:45on note des mâles et des femelles
00:52:47et des phénomènes de recombinaison,
00:52:49et la sexualité est probablement apparue plusieurs fois
00:52:52chez les micro-organismes
00:52:54avant de devenir ce système très complexe
00:52:58qui fait du différent.
00:52:59Et vous pouvez donner une date ?
00:53:05Pas loin d'un milliard d'années, probablement.
00:53:07Un milliard d'années. Vous êtes d'accord avec la date ?
00:53:08800 millions, un milliard, oui.
00:53:09Je ne connais pas très bien, mais je pense, effectivement...
00:53:11Dans ces eaux-là.
00:53:13Ouais.
00:53:14Oui.
00:53:15Ça n'existait pas...
00:53:16Il ne faut pas demander trop de précision.
00:53:18Si vous voulez un chiffre, je dirais quelque part par là.
00:53:21Ça n'existait pas, par exemple, au Groenland,
00:53:23dans ce fameux endroit où, il y a 3,8 milliards d'années,
00:53:27on a trouvé les premières bactéries.
00:53:28Je crois que ça n'existait pas.
00:53:29Ça est venu plus tard.
00:53:31C'est venu quand on a commencé à avoir des êtres pluricellulaires.
00:53:35Au fond, quand on vous lit tous,
00:53:37on se dit que le grand bonhomme, ça a quand même été Darwin.
00:53:40Oui, il y a eu pas mal de grands bonhommes.
00:53:41En biologie, oui.
00:53:43Parce que c'est vraiment une théorie
00:53:46qui unit à peu près tout ce qu'on savait
00:53:49chez les êtres vivants,
00:53:52qui permet de rendre compte de ce truc
00:53:54qui est quand même absolument stupéfiant,
00:53:56qui est le monde vivant, avec son incroyable diversité,
00:53:59l'extraordinaire adaptation des organismes,
00:54:03qui est vraiment la chose qui est incroyablement difficile à comprendre.
00:54:06Alors, ce qu'a dit Darwin
00:54:08est quelque chose de, finalement, relativement simple,
00:54:11à savoir la mécanique qui est construite
00:54:14dans les êtres vivants eux-mêmes.
00:54:15C'est-à-dire qu'un être vivant, il faut que ça se reproduise,
00:54:18ça varie et ça interagit avec le milieu.
00:54:21Et avec ça, ça suffit pour que certains organismes
00:54:24se reproduisent plus vite que d'autres.
00:54:26Alors, je crois qu'il faut bien s'entendre.
00:54:27On ne sait pas dans le détail le détail de la mécanique.
00:54:31Mais ce grand principe de savoir les êtres vivants se reproduisent,
00:54:35les êtres vivants varient en se reproduisant
00:54:38et les êtres vivants se reproduisent
00:54:40de façon qu'il y en a qui se reproduisent plus que d'autres,
00:54:42ça consiste, par exemple, à dire en l'an 3000,
00:54:45tous les habitants de la France ne seront pas des enfants
00:54:47ou des petits-enfants de ceux qui l'habitent aujourd'hui,
00:54:49ce seront les enfants et les petits-enfants
00:54:51de certains individus d'aujourd'hui, mais pas tous.
00:54:53Autrement dit, ceux d'aujourd'hui auront...
00:54:56Certains auront plus de descendants que d'autres qui n'en auront pas.
00:54:58C'est la sélection naturelle.
00:55:00C'est ça, c'est la sélection naturelle.
00:55:01Alors, on ne sait pas le détail précis.
00:55:04Il y a... On sait pas mal de choses,
00:55:06mais il y a toute une série de choses
00:55:08pour lesquelles on ne connaît pas le détail de la mécanique.
00:55:13Mais dans l'ensemble, l'ensemble des phénomènes, si vous voulez,
00:55:16qui a été acquis depuis 100 ans pourra difficilement s'expliquer,
00:55:19je crois, par autre chose que par ce genre de...
00:55:22D'où cette phrase,
00:55:23la probabilité pour que cette théorie,
00:55:25dans son ensemble, soulignée dans son ensemble,
00:55:27soit un jour réfutée est maintenant voisine de zéro.
00:55:30On est presque...
00:55:31C'est le quasi-certain.
00:55:32C'est le quasi-certain, là.
00:55:34Mais je suis quand même...
00:55:35Je veux dire qu'on se dit que cette phrase,
00:55:38vous avez dû quand même beaucoup la travailler, non,
00:55:39pour arriver ici.
00:55:40Non, on s'est venu assez naturellement.
00:55:42Il me demande si c'est vrai.
00:55:44On s'est venu assez naturellement.
00:55:46C'est vraiment ce que je pense,
00:55:48et c'est, je crois, ce que pensent la plupart des biologistes actuellement.
00:55:51Le consensus dont vous parliez, s'il fallait voter
00:55:54et élire une théorie, je crois qu'on dirait que...
00:55:58Vous entendez ce langage.
00:56:00Ils votent.
00:56:00Tout à l'heure, c'était pareil à la majorité.
00:56:02La majorité pense que...
00:56:04Non, mais on ne dit pas que c'est la vérité,
00:56:07mais c'est quand même la meilleure façon,
00:56:09la meilleure approche.
00:56:10Je comprends bien.
00:56:11Mais je crois que l'évolution est plus certaine que l'expansion.
00:56:16Si je devais mettre un degré,
00:56:17je crois que je lui accorderais plusieurs points de plus.
00:56:20Que l'évolution est...
00:56:21Est plus une...
00:56:23Certitude?
00:56:23Non, pas une certitude, mais plus près d'être...
00:56:26Ah, je pensais qu'il allait dire certitude.
00:56:27Non, il n'y a pas de certitude.
00:56:29Il ne tombe pas dans le piège.
00:56:30Plus près d'être plus crédible, employons le mot,
00:56:33plus crédible que l'expansion,
00:56:35qui est quand même quelque chose de nouveau.
00:56:37Une façon de se représenter le monde et l'évolution du monde
00:56:41de façon plus crédible.
00:56:42Parce que, de toute façon, ce sont des histoires qu'on raconte.
00:56:45Et c'est une question de probabilité de l'histoire.
00:56:48Voilà, là, on est dans son domaine favori.
00:56:50Non, mais là, il va être ravi.
00:56:52Il va être ravi.
00:56:53Je voulais penser, surtout, enfin, indiquer à quel point,
00:56:56quand on vous lit, enfin, c'est l'impression que j'ai eue,
00:56:59vous êtes différents, malgré tout.
00:57:00On a l'impression que François Jacob
00:57:01prend vraiment le hasard au sérieux.
00:57:03On peut donner beaucoup de sens au mot hasard,
00:57:05mais en gros, le problème du hasard est...
00:57:06Oui, mais alors, vous, il y a quand même des endroits
00:57:09où c'est très différent.
00:57:11On a l'impression que vous valorisez beaucoup
00:57:13une sorte de finalité de l'univers.
00:57:15Il y a, par exemple, un début de chapitre à propos des planètes
00:57:17où vous dites, à ce moment-là, il faisait froid,
00:57:19il n'y avait pas d'atomes.
00:57:20Bon, alors, la nature a inventé les planètes.
00:57:23On a l'impression qu'il y a un ordre un petit peu préétabli,
00:57:26qu'il faut passer au palier supérieur.
00:57:27Et alors, la nature invente pour qu'on ait des trucs plus chauds,
00:57:30plus ceci, plus cela.
00:57:32Et ça, ça m'apparaît minimiser le hasard.
00:57:35Ça revient à douer la nature d'intelligence, à la limite.
00:57:38Oui, mais je dis au début de mon bouquin
00:57:40que je suis volontairement anthropomorphique
00:57:43et naïvement anthropomorphique dans mon bouquin.
00:57:45Oui, il y a des moments où vous allez loin, quand même.
00:57:46Je pense qu'on ne peut pas l'éviter.
00:57:48Il y en a une marquée, quand même,
00:57:50où il cite Bambi de Disney expressément,
00:57:53et où il y a un petit chevreuil qui, le matin,
00:57:55à l'aurore, comme il fait beau,
00:57:56il examine son jeune corps et il est content.
00:57:59Et aussitôt, Reeves,
00:58:01les Canadiens ont tous les droits, mais quand même,
00:58:03il enchaîne en disant,
00:58:04les atomes, au début de l'univers, c'était pareil.
00:58:06On voit les petits atomes en train de...
00:58:09Non, mais M. Reeves dit, au départ,
00:58:11qu'il a voulu faire un récit naïf.
00:58:13Il dit qu'il va jouer des anthropomorphismes à fond.
00:58:16Oui, mais c'est pour ça que, moi, j'ai pu le lire aussi.
00:58:18D'accord, mais c'était là que c'est un peu trompeur.
00:58:20Et, entre autres, je reprocherais à ce bouquin
00:58:22d'être trop réussi, parce que, quand on le lit,
00:58:25il est vrai qu'on est emporté.
00:58:26Vous donnez une gigantesque fresque.
00:58:27On part du début, on va à la fin.
00:58:29Un western. Un western extraordinaire.
00:58:31Seulement, j'ai l'impression que cet effet de fresque,
00:58:33de panorama, permet d'un petit peu enterrer certaines questions.
00:58:39Ça va très vite. Alors, on a l'impression
00:58:40que toutes les étapes sont logiques et presque trop logiques.
00:58:43Les atomes, les galaxies, tout ça, ça défile
00:58:46sans qu'on explique tout le dessin.
00:58:47François Jacob, est-ce que vous feriez ses critiques
00:58:49à cet ouvrage ?
00:58:50Même sur la biologie, ça passe vite.
00:58:52J'aime beaucoup son livre.
00:58:53Je dirais qu'il y a un petit coup de Bambi qui se réveille.
00:58:58Ah !
00:59:00Un petit peu.
00:59:01Yves Delange, aussi ?
00:59:02C'est pour ça que c'est beau.
00:59:03Écoutez, je vais vous dire une chose qui est certaine.
00:59:05Si vous ne m'aviez pas donné la parole tout de suite,
00:59:06je voudrais demander de la prendre.
00:59:08Une phrase m'a beaucoup frappé dans ce livre.
00:59:11C'est très simple.
00:59:13Hubert Reeve dit que souvent, on lui pose cette question,
00:59:17pourquoi faites-vous de l'astronomie ?
00:59:19À quoi ça sert ?
00:59:21Moi, presque pas tous les jours, mais au moins une fois par semaine,
00:59:24on me dit, pourquoi faites-vous de la botanique ?
00:59:25Vous occupez des plantes. À quoi ça sert ?
00:59:28Et vous répondez cette réponse que je trouve
00:59:30qui peut être dite devant tout le monde,
00:59:31parce que c'est une réponse qui est valable autant pour l'immense
00:59:34que pour ce qui est des créations naturelles sur notre sol,
00:59:38où il y en a infiniment petits.
00:59:40Il y en a de toute façon tant de merveilles que ça suffit,
00:59:43même s'il n'y avait que ça,
00:59:44ça suffirait pour justifier les recherches que nous faisons.
00:59:47Bien. Alors, je reviens au petit savant illustré.
00:59:50Alors là, maintenant, à la Postface,
00:59:53et puis à l'autre ouvrage,
00:59:55les biologistes vont-ils prendre le pouvoir ?
00:59:56Alors là, d'un seul coup, Pierre Tuillier,
00:59:59vous ne racontez pas d'une manière malicieuse
01:00:00des événements historiques,
01:00:01mais tout d'un coup, vous...
01:00:03Je ne dis pas que vous vous mettez en colère, mais quasiment,
01:00:05vous vous en prenez à ce qu'on appelle le scientisme,
01:00:07et vous dites, de toute manière,
01:00:08la science, maintenant, il n'y a plus que ça,
01:00:10on n'en peut plus parler que de ça, elle va tout diriger,
01:00:13et finalement, il faut faire très attention
01:00:15à cet autoritarisme de la science.
01:00:18Oui, et je crois qu'il faut y faire d'autant plus attention
01:00:23que les scientifiques sont des gens très sympathiques.
01:00:25La preuve, c'est-à-dire que ça serait trop simple,
01:00:28et je crois que c'est très important,
01:00:29vous ne seriez pas sympathiques, tout serait bien plus simple.
01:00:33C'est-à-dire qu'effectivement,
01:00:35si on prend les scientifiques un par un,
01:00:37il n'y a aucun problème.
01:00:39Moi, je pense qu'ils sont effectivement peu malfaisants,
01:00:41et souvent, c'est très intéressant de discuter.
01:00:45Mais le problème, je le répète,
01:00:47ce n'est pas de voir ça au niveau des individus,
01:00:50c'est de voir ça au niveau de toute une société,
01:00:52du devenir de toute une société.
01:00:54Et il ne faut pas imaginer demain
01:00:56qu'il y aura une révolution brutale,
01:00:57que sur des chars d'assaut arriveront les biologistes.
01:01:00Quand je dis les biologistes vont-ils prendre le pouvoir,
01:01:01ce n'est pas ça.
01:01:02Je pense vraiment que, tout doucement,
01:01:07dans une culture, dans une société
01:01:09qui valorise extrêmement la science,
01:01:12petit à petit, même si les scientifiques,
01:01:14individuellement, ne le veulent pas,
01:01:16eh bien, ils prennent une grande autorité.
01:01:18C'est-à-dire que, primo, au niveau pratique,
01:01:22ils ont un grand rôle dans la société.
01:01:23À l'heure actuelle, on parle beaucoup d'ingénierie génétique,
01:01:25c'est tout un symbole.
01:01:27Ça veut dire qu'avant, le naturaliste était un naturaliste,
01:01:30un chasseur de papillons, un observateur.
01:01:32Maintenant, ce sont des biologistes moléculaires,
01:01:35et puis des biochimistes, des biophysiciens.
01:01:36Il pourrait y avoir les deux quand même.
01:01:38Comment ?
01:01:38Il pourrait y avoir les deux quand même.
01:01:39Il peut y avoir les deux, mais pour le moment, la prime,
01:01:41et certainement, les prix Nobel vont pour le moment
01:01:43davantage aux gens de la 2e catégorie
01:01:46qu'aux gens de la 1re.
01:01:47Et ça veut dire que, même dans la pratique,
01:01:50ils occuperont sans doute,
01:01:53même au niveau de la production, une place de plus en plus forte.
01:01:55En même temps, la biologie est devenue une science noble,
01:01:58j'allais dire, parce qu'elle est aussi bonne
01:02:00que la physique et la chimie.
01:02:01On a la double hélice.
01:02:02C'est une science sérieuse.
01:02:04Et sur cette base, il y a un grand prestige social
01:02:07pour la science qui fait qu'on comprend très bien
01:02:10comment les scientifiques, assez naturellement,
01:02:12estiment que ce sont eux qui ont le meilleur savoir.
01:02:15Collectivement, tout se passe comme s'ils étaient prêts...
01:02:19Personne n'a jamais dit qu'on avait le meilleur savoir.
01:02:21Voilà vraiment...
01:02:21Mais dans la pratique...
01:02:23Non, mais attendez.
01:02:23Si, d'abord, il y a des gens qui l'ont dit.
01:02:25François Jacob, je cite beaucoup de textes.
01:02:27Mais les philosophes aussi.
01:02:28Mais bien sûr.
01:02:29Platon a dit que les philosophes devaient prendre le pouvoir.
01:02:31Mais oui, mais c'est un problème.
01:02:32Je crois qu'on peut dire ça absolument de n'importe qui,
01:02:33n'importe quoi.
01:02:34C'est un problème.
01:02:35Vraiment, il n'y a pas de remèche.
01:02:36C'est un problème d'époque.
01:02:37Je crois qu'il a raison de le soulever à nouveau à notre période.
01:02:40Et les 1res citations qu'il met au début de son bouquin
01:02:43montrent bien que, malheureusement,
01:02:45les scientifiques n'ont pas fait mieux
01:02:47que leurs prédécesseurs.
01:02:48Il n'y a pas de raison qu'ils fassent mieux.
01:02:50Mais, alors, il faut quand même s'opposer à eux
01:02:52comme on devait s'opposer à tous ceux
01:02:55qui voulaient prendre le pouvoir au nom de la science.
01:02:57Et là, je suis d'accord avec toi.
01:02:58C'est une question d'époque.
01:02:59Bon, alors, moi, je cite le livre de François Jacob.
01:03:02François Jacob dit ceci.
01:03:03Ce sont les passions qui utilisent la science
01:03:06pour soutenir leur cause.
01:03:07La science ne conduit pas au racisme et à la haine.
01:03:10C'est la haine qui en appelle à la science
01:03:11pour justifier son racisme.
01:03:13Alors, vous êtes d'accord ou pas avec ça ?
01:03:14Mais, en un sens, je suis d'accord
01:03:16sur beaucoup de points du livre de François Jacob.
01:03:18Et ce n'est pas une concession rhétorique.
01:03:19Je dis simplement qu'on peut poser le problème
01:03:23autrement que le pose François Jacob.
01:03:25Je pense que le problème est social et historique.
01:03:28Il y a eu une époque...
01:03:29Par exemple, je simplifie.
01:03:31Prenons le Moyen Âge, la belle époque du christianisme,
01:03:34où, pour savoir comment il fallait agir
01:03:37et même pour savoir comment le monde était fait,
01:03:39on s'adressait à la religion.
01:03:40Aujourd'hui, il se trouve qu'on peut multiplier
01:03:43les textes de scientifiques authentiques
01:03:45qui disent eux-mêmes qu'ils doivent remplacer la religion
01:03:47parce que la religion est en décadence,
01:03:49le marxisme, dis-t-il, est en décadence.
01:03:51Il y a beaucoup de biologistes actuels,
01:03:52je pourrais citer plusieurs noms propres,
01:03:53qui le disent expressément.
01:03:55Et donc, ils disent, à l'heure actuelle,
01:03:58à l'heure actuelle, ce sont les scientifiques,
01:04:01et en particulier les biologistes,
01:04:02qui sont le mieux placés pour dicter aux gens
01:04:05une morale et une politique.
01:04:07Wilson le dit explicitement, mais plein d'autres le disent.
01:04:10Et c'est une question d'époque.
01:04:11À une autre époque, il faudrait lutter contre un autre texte.
01:04:13C'est François Jacob qui répond.
01:04:14Vous n'avez pas les grandes quantités de gens qui le disent.
01:04:16Vous avez un certain nombre de gens qui le disent.
01:04:17Mais vous avez un certain nombre de gens qui le disent
01:04:19dans des domaines extrêmement différents.
01:04:20Vous avez toujours des gens
01:04:21qui ont un certain goût pour le pouvoir.
01:04:23Ça, c'est comme ça.
01:04:24Et les philosophes aussi, vous m'excuserez.
01:04:27Non, mais le...
01:04:28Alors, il se trouve qu'effectivement,
01:04:30la biologie est en train de passer par une phase
01:04:33qui a été celle de la physique il y a un certain nombre d'années,
01:04:36et que les biologistes disent un certain nombre de choses
01:04:38et dépassent dans leur discours
01:04:41ce qu'il est légitime d'attendre de leur discours.
01:04:43Mais je crois que vous ne pouvez pas généraliser,
01:04:45vous ne pouvez pas dire, attention,
01:04:47les voilà qui débarquent, non.
01:04:48Non, attendez, je voudrais quand même répondre sur un seul point.
01:04:51Je crois que vous négligez un peu le fait
01:04:55que les circonstances semblent très favorables
01:04:58à cette sorte de prise de pouvoir spirituelle par les biologistes.
01:05:01Il y a toujours eu des gens qui ont voulu abuser à gauche ou à droite,
01:05:04mais aujourd'hui, l'époque est belle pour les biologistes.
01:05:06Et il est vrai que quand vous parlez,
01:05:08il se trouve que même si vous ne le voulez pas,
01:05:10enfin, je parle de vous en tant que prix Nobel,
01:05:12il est vrai que vous avez un grand pouvoir,
01:05:15et que c'est comme ça qu'à la limite, vous n'y êtes pour rien,
01:05:16parce que ça tient à l'époque.
01:05:18Non, mais je voudrais dire une chose sur le discours de Thumidier,
01:05:22une chose que je crois très profonde et très vraie,
01:05:25et là, j'ai l'impression qu'il en dérive un peu,
01:05:28c'est quand il parle du totalitarisme de la fonction rationnelle.
01:05:33Je pense que nous vivons dans notre période,
01:05:36depuis deux ou trois siècles,
01:05:38une surcroissance de la fonction rationnelle,
01:05:41une survalorisation au détriment des fonctions
01:05:45de l'imaginaire, de la poétique et tout ça,
01:05:48et que ça, c'est le danger très grave,
01:05:50parce que la fonction rationnelle,
01:05:51non seulement prend toute la place,
01:05:53mais elle est très jalouse.
01:05:54Elle en vit fâbre.
01:05:56Mais absolument.
01:05:57Elle vit fâbre, parce que c'est un poéte et un savant.
01:05:58Mais moi, je suis tout à fait d'accord avec ça.
01:06:00Et je crois que là, il fait état d'un danger très grave de notre époque.
01:06:03Je ne pense pas qu'il y ait une croissance trop grande.
01:06:06Je suis entièrement d'accord sur un point,
01:06:08c'est-à-dire qu'on ne peut pas faire fonctionner les systèmes humains
01:06:12et tout ce qui en dérive avec une façon de penser
01:06:15et un système.
01:06:16Là, je suis absolument entièrement d'accord.
01:06:18Et ceci me paraît vrai aussi bien pour le darwinisme
01:06:21que pour le marxisme ou le freudisme ou toutes les choses en Isle.
01:06:24Ça, je suis plus que d'accord.
01:06:26Je crois simplement qu'effectivement,
01:06:28il se trouve quand vous avez une manifestation
01:06:32de l'activité humaine qui a le vent en poupe
01:06:36parce qu'il s'est trouvé un certain nombre de choses,
01:06:38il y a des gens qui vont un peu trop loin.
01:06:39Je suis entièrement d'accord avec vous.
01:06:41Je crois qu'il ne faut pas non plus exagérer.
01:06:43Je crois que les scientifiques ne sont pas prêts
01:06:46à apprendre le pouvoir demain matin, je ne crois pas.
01:06:49À propos des philosophes, tout à l'heure,
01:06:51François Jacob disait que d'autres catégories que les scientifiques
01:06:54pouvaient avoir de l'ambition et je crois que c'est vrai.
01:06:56Les gens de religion en ont eu, les philosophes, les militaires, etc.
01:07:02Mais le problème était un problème d'époque
01:07:04et il est typique qu'aujourd'hui, et c'est l'inverse qui se produit,
01:07:07que les philosophes se déguisent en scientifiques
01:07:11pour avoir des crédits.
01:07:11Il y en a qui ne se déguisent absolument pas en scientifiques.
01:07:13Oui, mais il y en a beaucoup.
01:07:14Institutionnellement, je viens de voir, par exemple,
01:07:17une commission de sciences humaines qui vient de se créer
01:07:19pour un grand colloque sur les sciences qui va se tenir.
01:07:21Eh bien, il y a des philosophes dedans et tout se passe au fond
01:07:24comme si les philosophes avaient souvent un peu honte.
01:07:26Ce qui est en poupe, c'est la science et finalement,
01:07:29la philosophie, pour le moment, met parfois son drapeau dans sa poche
01:07:31parce qu'il faut paraître scientifique.
01:07:33C'est ça que je veux dire culturellement.
01:07:34On ne peut pas uniquement discuter la jalousie des philosophes
01:07:37à l'égard des scientifiques.
01:07:38Oui, mais les scientifiques...
01:07:39Je vous cite cette phrase aussi.
01:07:41Elle occupe le terrain.
01:07:42Je vous cite cette phrase extraite du Jeu des possibles
01:07:45de François Jacob.
01:07:46François Jacob dit ceci.
01:07:47Malgré certaines affirmations, ce n'est pas la science
01:07:49qui détermine la politique, mais la politique qui déforme
01:07:52la science, c'est en mésuse pour y trouver justification
01:07:55et alibi.
01:07:55Bon, mais ça, vous n'êtes pas tout à fait d'accord avec cette...
01:07:58Moi non plus.
01:07:59Je crois que ça n'épuise pas ce problème.
01:08:00Parce que vous dites de la science, vous, au finalement,
01:08:02qu'elle est...
01:08:03Au fond, tout le monde veut y mettre de la philosophie,
01:08:04de la politique, de la métaphysie.
01:08:06Ce que je pense, c'est que la science n'est pas...
01:08:08Pure.
01:08:09N'est pas ce que souvent l'on croit, c'est-à-dire n'est pas
01:08:11effectivement un savoir pur et un savoir isolé.
01:08:14Je pense que la science, c'est un phénomène occidental
01:08:18majeur que, depuis la Renaissance, l'Occident a inventé
01:08:21la science et que la science correspond à toute
01:08:23une philosophie, à toute une sensibilité, une façon
01:08:25de voir le monde.
01:08:26Entre autres, pour prendre une idée simple,
01:08:28les scientifiques, en gros, il y aurait des tas de choses
01:08:31marginales à ajouter, mais en gros, tout se passe comme si
01:08:34le grand programme de la science était de tout expliquer
01:08:36en termes d'atomes et de molécules.
01:08:38C'est ce qu'on appelle le mécanisme.
01:08:39Expliquer Bernard Pivot scientifiquement,
01:08:41c'est arriver au jour où tous ces neurones, tous ces gènes,
01:08:45tout ça, on pourra bien le voir fonctionner.
01:08:47Ce que je veux dire, c'est que ce grand programme,
01:08:49c'est toute, comme le disait Reeves tout à l'heure,
01:08:51c'est toute une sensibilité, toute une prime qui est donnée
01:08:54à une certaine forme de rationalité.
01:08:56Cette forme de rationalité est efficace et François Jacob
01:09:00et d'autres travaillent pour réaliser ce programme qui
01:09:02consiste à expliquer rationnellement les choses.
01:09:05Mais cela étant dit, moi, je ne tiens pas du tout à tout expliquer.
01:09:10J'essaie de comprendre comment à partir d'un oeuf,
01:09:13vous faites une souris.
01:09:14J'ai déjà beaucoup de mal avec ça.
01:09:15Mais oui, mais vous expliquez.
01:09:17Ça suffit, évidemment.
01:09:18Non, ça me suffit.
01:09:19Vous travaillez dans ce programme et je crois que ça revient,
01:09:21peut-être, à laisser tomber d'autres manières d'approcher
01:09:25le réel, d'autres philosophies.
01:09:27En gros, moi, je vois la science comme un phénomène historique.
01:09:30Je vous ai jamais empêché d'approcher le réel à votre façon.
01:09:33Et comme vous le souhaitez.
01:09:34Mais justement, je crois que vous posez le problème
01:09:37en termes individuels.
01:09:38Et je sais que vous ne m'en avez jamais empêché.
01:09:40Mais le problème, ce n'est pas que les scientifiques...
01:09:41Je suis content de vous l'entendre.
01:09:43Je prends encore un exemple.
01:09:45Dans un texte récent et public, il est marqué,
01:09:49c'est un texte imprimé qui sert de consigne
01:09:51au prochain colloque sur les sciences.
01:09:53Il y a marqué qu'il faut...
01:09:54Aucune responsabilité.
01:09:55Mais je sais individuellement que vous n'avez pas de responsabilité.
01:09:57Mais il est marqué dans ce texte, il faut encore,
01:10:00c'est imprimé noir sur blanc, accroître l'enseignement
01:10:03scientifique.
01:10:04Donc, vous, vous ne voulez pas me contraindre
01:10:07à passer par les sciences.
01:10:08Mais il se trouve qu'institutionnellement,
01:10:10socialement, il y a pour le moment des consignes ministérielles
01:10:14qui disent qu'il faut encore renforcer
01:10:15l'enseignement des sciences.
01:10:16Et c'est peut-être parce qu'on va renforcer
01:10:18l'enseignement des sciences qu'on va peut-être encore
01:10:20diminuer l'histoire, la philosophie, etc.
01:10:23Et c'est ça que je veux dire.
01:10:24Ce n'est pas un problème personnel.
01:10:25Je crois que...
01:10:27Je crois que...
01:10:28François Jacob.
01:10:29Je crois qu'il faut parler de choses...
01:10:31Il y a deux choses qui sont complètement différentes.
01:10:32Il y en a une qui est la démarche scientifique,
01:10:35qui est effectivement la mécanique qui a été inventée
01:10:37au moment de la Renaissance, qui correspond certainement
01:10:39à une certaine forme de culture et qui n'est pas la même
01:10:43que celle qu'on trouve aux Indes ou en Extrême-Orient.
01:10:46Bon, et cette démarche scientifique,
01:10:48pour l'appeler, est une certaine façon d'approcher
01:10:51ce que vous appelez le réel et de découvrir
01:10:54un certain nombre de phénomènes.
01:10:55Ça, c'est vrai.
01:10:56Là, il y a l'institution scientifique,
01:10:59ses relations avec le politique, le militaire, etc.,
01:11:01qui est quelque chose de complètement différent.
01:11:03Et là, je suis d'accord que tout n'est pas absolument rose et pur.
01:11:09Oui, mais est-ce que vous êtes d'accord lorsque Pierre Puyet
01:11:11écrit que la science est une activité sociale ?
01:11:14Mais la science, ça veut dire quoi ?
01:11:16La science, je crois qu'on ne devrait plus parler de la science.
01:11:17C'est l'institution scientifique, je le prends au sens social.
01:11:19Mais les gens, quand on leur dit la science,
01:11:20ils comprennent très bien.
01:11:21C'est quelque chose qui est peut-être assez flou,
01:11:23mais qu'il y a des gens en blouse blanche,
01:11:24des gens qui ont des microscopes,
01:11:26qui ont des grosses machines pour expérimenter,
01:11:28qui sont assez proches des techniciens, des experts.
01:11:30C'est ça, la science.
01:11:30Je pose autrement la question.
01:11:32Est-ce que vous considérez que vos travaux scientifiques
01:11:36relèvent d'une science pure, neutre,
01:11:38dans le sens qu'emploie Pierre Puyet ?
01:11:40Je pense qu'il y a beaucoup de choses.
01:11:41Je veux dire, la démarche scientifique
01:11:43est une chose qui est pure.
01:11:44La façon dont elle est utilisée après,
01:11:47y compris par toute une autre part des scientifiques,
01:11:49n'est certainement plus pure, je suis tout à fait d'accord.
01:11:51Mais ce que je veux dire,
01:11:54c'est que la façon d'approcher les problèmes...
01:11:56Parce que ce que dit Puyet, il discute deux choses.
01:11:59Il discute, et à mon avis, il mélange deux choses.
01:12:01Il discute une certaine approche du réel,
01:12:05dont il dit que c'est épouvantable
01:12:06parce que ça empêche tout le reste.
01:12:08Mais ce qui est épouvantable et ce qui empêche tout le reste,
01:12:10ce n'est pas cette approche du réel,
01:12:12c'est l'usage qu'on en fait
01:12:13et l'attitude qu'en a la société à cet égard,
01:12:16ce qui n'est pas du tout la même chose.
01:12:17Attendez, Hubert Reeves,
01:12:18alors vous qui avez travaillé à la NASA,
01:12:19qui travaillez à Saclay,
01:12:20on ne peut pas dire que votre activité scientifique soit pure.
01:12:23Non, mais moi, je ne crois pas qu'on épuise le problème
01:12:26quand on dit que la science est neutre.
01:12:28Ce sont les scientifiques ou les autres
01:12:30qui en font du bien ou du mal.
01:12:32Je crois plutôt comme Goethe,
01:12:34vous citez Goethe,
01:12:36que la science, si on n'y fait pas attention,
01:12:38est une activité pernicieuse
01:12:41parce qu'elle valorise une certaine vision du monde
01:12:45au détriment d'une autre vision.
01:12:47Il faut donc ouvrir les deux yeux en même temps.
01:12:50Il faut bien voir que cet aspect destructeur,
01:12:54on peut dire, de la science
01:12:55doit être complémenté dans la personne humaine
01:12:57par une vision plus globale.
01:12:59Il y a un très beau vers de Schiller qui dit
01:13:02« Il faut tout l'esprit pour voir clair. »
01:13:04« The mind alone is the clear. »
01:13:06Il faut tout l'esprit pour voir clair.
01:13:08« Truth dwells in the deep. »
01:13:11La vérité habite les profondeurs.
01:13:13Et voilà, ça, il faut tous les aspects,
01:13:16l'œil poétique, l'œil mystique, l'œil scientifique,
01:13:20et ce n'est que dans cette uniformité.
01:13:22Ça, je suis tout à fait d'accord.
01:13:24Ce qui est triste, si vous voulez,
01:13:25c'est la séparation en différentes cultures.
01:13:27C'est la science qui soit séparée du reste.
01:13:30Et je pense que ce qu'il faut essayer,
01:13:33c'est de remettre les morceaux ensemble
01:13:34et d'avoir une vision globale.
01:13:36Je suis entièrement d'accord avec vous.
01:13:38Ce que je crois simplement,
01:13:39c'est que la démarche scientifique,
01:13:41pour l'appeler de cette façon,
01:13:42est simplement une façon de voir le monde,
01:13:44qui est de voir un peu plus loin dans le réel
01:13:47que l'expérience quotidienne que nous en avons, c'est tout.
01:13:52Une démarche fondamentale
01:13:53qui nous a fait faire des progrès fantastiques,
01:13:56mais il faut bien voir, bien faire la part des choses.
01:13:59Je suis entièrement d'accord avec vous.
01:14:01Ne trouvez-vous pas rassurant
01:14:03qu'un astrophysicien cite Valéry Echelin ?
01:14:05Ah, si, ça, j'aime beaucoup.
01:14:06C'est très agréable.
01:14:07C'est quand même agréable.
01:14:09Absolument.
01:14:09Terminons là-dessus.
01:14:10Bonsoir à tous et à vendredi prochain.
01:14:13Moi, je vais prendre ceci.
01:14:56...
01:15:11-"Apostrophes", de Bernard Pivot,
01:15:14avec Hubert Reeves, François Jacob, Pierre Tuiliers,
01:15:17le botaniste Yves Delange, en octobre 81.
01:15:20Marie-Odile Monchicourt, journaliste,
01:15:22ancienne productrice de radio, David Aubin,
01:15:24historien des sciences,
01:15:26et Agnès Chauveau, de l'INA, nous a rejoints.
01:15:28Bonjour, Agnès.
01:15:29Bonjour, Patrick.
01:15:30Question à vous deux, d'abord,
01:15:31après avoir vu ce débat d'il y a plus de 40 ans.
01:15:35Qu'est-ce qui a changé ?
01:15:37Est-ce que, d'abord, quelque chose a changé
01:15:39dans nos connaissances sur l'évolution, d'une part,
01:15:43et, d'autre part, sur la naissance de l'univers ?
01:15:46Pour ce qui est très à la cosmologie,
01:15:49donc le début de l'univers,
01:15:52on peut dire que les connaissances
01:15:54sont incomparablement plus importantes aujourd'hui
01:15:58qu'à cette époque-là.
01:15:59On a eu des satellites
01:16:02qui ont fourni des images extraordinaires,
01:16:04mais aussi des satellites qui ont fait
01:16:07le fond diffus cosmologique avec une grande précision.
01:16:12On est capables, aujourd'hui, de connaître beaucoup plus de choses
01:16:15sur les débuts de l'univers. On a énormément de données,
01:16:17ce qui ne veut pas dire qu'on a résolu toutes les questions,
01:16:20parce qu'il y a encore plus d'interrogations
01:16:23qu'à l'époque, moins de certitudes qu'au moment d'être d'Hubert Reeves.
01:16:26Chaque fois qu'on trouve quelque chose de nouveau,
01:16:28ça entraîne de nouvelles questions.
01:16:30Plus il y a de données, plus c'est compliqué de les expliquer.
01:16:33C'est le principe.
01:16:35J'ai beaucoup aimé quand François Jacob dit
01:16:39que, pour lui, tout le livre d'Hubert Reeves
01:16:42devrait être lu par les étudiants, par les enfants.
01:16:46Absolument, oui.
01:16:47Et ça, c'est très important.
01:16:49Ça prouve à quel point, en 1981,
01:16:51on ne connaissait rien, le public ne connaissait rien de tout ça.
01:16:56Et François Jacob le découvrait,
01:16:58et puis tout le monde, à ce moment-là.
01:17:01Oui, ce livre a eu une répercussion énorme, énorme.
01:17:06-"Un million", dit-on.
01:17:07-"Un million", alors que...
01:17:09C'est déjà énorme.
01:17:10C'est même énorme.
01:17:11Et puis on est frappés aussi par la curiosité de Pivot,
01:17:15son appétit, quels que soient les sujets abordés,
01:17:18d'une émission à l'autre,
01:17:20là, il est à la fois curieux,
01:17:23il rend le sujet accessible,
01:17:25et puis il est ravi
01:17:26qu'il trouve des traces de littérature dans les livres.
01:17:29Il en parle avec Reeves et avec Jacob.
01:17:32Il est ravi, il cite, il dit...
01:17:35Vous citez Valéry dans votre livre, Hubert Reeves, etc.
01:17:39C'est aussi une des clés du succès d'Hubert Reeves.
01:17:42C'est quand même quelqu'un qui manie la plume avec brio.
01:17:46Donc son ouvrage, il le crie de manière très poétique.
01:17:49Il cite des poètes, mais il est poète lui aussi.
01:17:53Citer Valéry, c'est facile pour un scientifique,
01:17:55c'est peut-être le plus scientifique des poètes.
01:17:58Mais en même temps, c'est intéressant.
01:18:01En fait, Hubert Reeves s'inscrit dans une tradition,
01:18:04malgré tout,
01:18:05puisqu'on peut faire remonter au XIXe siècle
01:18:08les grands vulgarisateurs de la science,
01:18:10comme Camille Flammarion.
01:18:12C'est assez classique, cette idée d'utiliser sa plume
01:18:14comme astronomie vivante pour attraper le lecteur.
01:18:18C'est ça qu'il réussit à faire encore à ce moment-là.
01:18:21A propos d'Hubert Reeves,
01:18:23Agnès Chauveau, vous allez nous parler
01:18:25d'une émission phare des années 90.
01:18:28Oui, Patrick, il s'agit de la Nuit des étoiles,
01:18:30qui, pendant 12 ans, est incarnée par Hubert Reeves,
01:18:34de 1991 à 2002,
01:18:36sur Antenne 2 et puis sur France 2.
01:18:38On rappelle quel était le concept
01:18:40de cette émission un peu extraordinaire.
01:18:42Chaque début du mois d'août,
01:18:44au moment où il y a des étoiles filantes,
01:18:46quatre heures de direct, c'est énorme,
01:18:49en public, sur des sites incroyables,
01:18:52en plein air et puis en duplex.
01:18:54Hubert Reeves est entouré d'une équipe de scientifiques
01:18:57et aussi d'une équipe de journalistes
01:19:00spécialisés en science,
01:19:02qui se livrent à des explications,
01:19:04qui se livrent aussi à des reportages
01:19:06et surtout, caractéristique de l'émission,
01:19:09à des travaux pratiques.
01:19:11Et tout ça dans un seul but, au fond,
01:19:13démocratiser l'astronomie.
01:19:16Et on regarde d'ailleurs la première émission,
01:19:19qui date de 1991,
01:19:22où Hubert Reeves explique un peu
01:19:23quel va en être le concept.
01:19:27Je voudrais dire surtout qu'un début de cette soirée,
01:19:30en plus d'être une fête de l'astronomie,
01:19:31un festival des étoiles,
01:19:34c'est aussi des travaux pratiques,
01:19:36apprendre à se reconnaître dans le ciel,
01:19:38à se familiariser avec la constellation.
01:19:40Malheureusement, à cause des lampadaires,
01:19:43le ciel est de plus en plus absent et on ne le connaît plus.
01:19:46Alors on voudrait aujourd'hui, en quelques leçons simples,
01:19:49vous donner quelques idées pour vous reconnaître.
01:19:52Alors, on vient de voir Laurent Cabrol à l'image
01:19:54qui présentait cette première émission,
01:19:56mais dès l'année suivante, c'est Claude Séryon
01:19:59qui le remplace et le tandem Reeves-Séryon
01:20:02va animer toutes les nuits des étoiles suivantes,
01:20:05parce que l'émission est reconduite d'année en année.
01:20:08C'est un grand succès.
01:20:09Grand succès.
01:20:10D'abord, je crois que ça révèle un phénomène,
01:20:13c'est que les Français se passionnent
01:20:15dans ces années-là pour le cosmos.
01:20:17Et puis, je crois que l'émission est d'abord très pédagogique.
01:20:20La preuve, c'est cette carte du ciel
01:20:22que les hebdomadaires, chaque année, publiaient.
01:20:24Et surtout, elle est interactive, le public participe beaucoup.
01:20:28Et c'est vous, d'ailleurs, Marie-Odile,
01:20:29qui recueilliez les questions du public
01:20:34pendant que l'émission, d'ailleurs,
01:20:35était diffusée simultanément sur France Inter.
01:20:39On regarde un petit extrait de cela.
01:20:42Je me dirige vers le lieu où elle se trouvera en direct pendant 4 heures
01:20:46et sur France Inter, Marie-Odile Manchicourt, bonsoir.
01:20:49Bonsoir, Claude.
01:20:50Un dispositif exceptionnel, car c'est rare
01:20:52que la télévision et la radio fassent une émission ensemble.
01:20:54On en profite pour dire que, tout d'un coup,
01:20:56la télévision invite les téléspectateurs
01:20:58à abandonner leur petit écran
01:21:00pour prendre leur transistor et écouter France Inter.
01:21:03Claude Sirion a l'élégance de ne pas rappeler
01:21:06qu'on voit moins bouillant les étoiles avec son transistor
01:21:09qu'avec son poste de télévision, quand même,
01:21:12parce que vous avez fait inviter les téléspectateurs
01:21:16le soir de la Nuit des Étoiles à éteindre sa télé
01:21:18pour aller allumer la radio.
01:21:20C'est quand même assez gonflé, Marie-Odile.
01:21:23La Nuit des Étoiles veut apprendre à tous à lire le ciel et les étoiles,
01:21:27mais elle va aussi, au fil des ans,
01:21:29construire une petite encyclopédie du savoir astronomique.
01:21:32Oui, parce qu'au fond, chaque émission a été construite
01:21:36autour d'un fil rouge.
01:21:37Ça pouvait être Mars, ça pouvait être les comètes,
01:21:40ça pouvait être la Voie lactée, et c'est vrai qu'au fil des ans,
01:21:43ça permet aux Français d'acquérir une vraie culture
01:21:48sur ces phénomènes,
01:21:49mais je crois que le clou du spectacle de cette émission,
01:21:53c'est quand même une date particulière,
01:21:54c'est celle de l'éclipse totale du Soleil,
01:21:57le 11 août 1999, on s'en souvient.
01:22:01L'émission La Nuit des Étoiles est doublée le lendemain
01:22:04par une émission en direct, deux jours,
01:22:07où on va essayer de voir l'éclipse en direct,
01:22:10ce qui est un phénomène assez dingue.
01:22:12C'est une éclipse qui peut se voir simplement au nord de la France,
01:22:16ce qui fait que, d'un côté,
01:22:18Hubert Rives est avec Claude Sérillon en Lorraine,
01:22:22et Laurent Broumède est à Fécamp.
01:22:24La météo n'est pas de la partie.
01:22:26À Fécamp, souvent, il y a des nuages.
01:22:28On voit tout le monde...
01:22:29Je me souviens, j'étais à Paris, j'ai vu.
01:22:31Vous l'avez vu ?
01:22:33Oui, je crois.
01:22:34Tout le public, on s'était tous achetés des lunettes.
01:22:37Oui, bien sûr.
01:22:38On avait donc ces lunettes spéciales.
01:22:40Regardez les lunettes incroyables, on s'en souvient.
01:22:43On était tous en train d'attendre, avec beaucoup d'impatience,
01:22:46l'éclipse, pendant que, évidemment,
01:22:50Laurent Broumède était complètement stressé à Fécamp
01:22:54parce qu'il avait un énorme cumulus au-dessus de la tête
01:22:57et qu'il se disait que si, au fond, le ciel restait brouillé comme ça,
01:23:01on ne verrait jamais l'éclipse, et au miracle,
01:23:04au miracle, ça va donner un moment de télévision extraordinaire.
01:23:08C'est un des grands moments de l'histoire
01:23:11de la télévision française.
01:23:12Je vous le vends, d'ailleurs, j'espère que...
01:23:15Le soleil sort des nuages.
01:23:17On est dans 12 secondes.
01:23:20Acclamations
01:23:22Et on voit l'arrêt, on commence à voir le petit point.
01:23:26Il faut voir la Lune en large.
01:23:28Regardez les diamants que Bailly a avec les...
01:23:31On voit Vénus qui s'étlaire au sol, l'éclipse est totale.
01:23:34Oui !
01:23:36Voyons la couronne solaire, les protubérances fabuleuses en bas.
01:23:39Et à l'ouest, ces protubérances sensationnelles.
01:23:42Également, nous avons à droite...
01:23:44Regardez ces projections de matière qui sont sensationnelles.
01:23:48Une couronne merveilleuse.
01:23:50C'est une sorte de nuit, ici.
01:23:53A l'œil nu, on voit les protubérances.
01:23:56A l'œil nu, on voit les projections de matière
01:23:58que vous voyez à l'étoile.
01:24:00Un Vénus est apparu.
01:24:03Et voilà, l'enthousiasme de Laurent Bromède...
01:24:06Et du public.
01:24:07...qui est communicatif.
01:24:09Et pourtant, malgré l'enthousiasme et le succès de l'audience,
01:24:13l'émission s'arrête au début des années 2000.
01:24:15Oui, c'est probablement lié à des contraintes budgétaires,
01:24:19à des changements de direction, on ne sait pas bien pourquoi.
01:24:22On peut se poser la question,
01:24:24qu'est-ce qu'il reste de la nuit des étoiles ?
01:24:26Certainement, d'une part, le formidable talent
01:24:29de vulgarisateur d'Hubert Reeves,
01:24:31et on peut dire, de ce point de vue,
01:24:33l'objectif premier de l'émission,
01:24:35qui était de démocratiser l'astronomie,
01:24:37est rempli.
01:24:38Et puis, même si l'émission a disparu,
01:24:41le concept de la nuit des étoiles demeure.
01:24:44Il est encore présent aujourd'hui.
01:24:46Chaque mois d'août, il y a beaucoup de manifestations
01:24:49autour de la nuit des étoiles.
01:24:51C'est pas le moindre des paradoxes,
01:24:53pour une émission de télévision, d'avoir forcé les gens
01:24:55à sortir de chez eux pour regarder les étoiles.
01:24:59Marie Odile,
01:25:00quels souvenirs avez-vous gardés de ces nuits ?
01:25:02Moi, que du bonheur.
01:25:04Moi, ce que je voudrais rajouter,
01:25:06c'est que la nuit des étoiles a donné lieu
01:25:09au développement de tous les amateurs.
01:25:13Les amateurs faisaient partie du jeu.
01:25:16Et là, ça a déclenché
01:25:19une passion, quoi, de la part des amateurs,
01:25:22et qui continue maintenant.
01:25:24C'est incroyable, comme Hubert, voilà,
01:25:26à fédérer une passion pour l'astronomie.
01:25:31Merci, Marie Odile Monchicourt.
01:25:34C'était un plaisir de vous retrouver
01:25:36et de réentendre votre voix.
01:25:38Merci beaucoup, David Aubin,
01:25:40professeur des sciences à Sorbonne Université.
01:25:43Et merci, Agnès Chauveau.
01:25:45Merci de nous avoir suivis.
01:25:46A très bientôt pour de nouvelles aventures
01:25:49dans les archives de l'INA.
01:25:50SOUS-TITRAGE REX
01:25:52Générique
01:25:55...

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