"Il faut être ambitieux sur les limites qu'on ne connaît pas, mais il faut être très humble sur les limites qu'on connaît."
BRUT. MENTAL - En septembre dernier, Kilian Jornet annonçait avoir réussi à gravir 82 sommets de plus de 4000 mètres d'altitude en 19 jours, un exploit. Alors on a évidemment eu envie d'en savoir plus sur lui. Son rapport à la montagne, à la gestion de l'effort, du stress et du danger... Il raconte.
BRUT. MENTAL - En septembre dernier, Kilian Jornet annonçait avoir réussi à gravir 82 sommets de plus de 4000 mètres d'altitude en 19 jours, un exploit. Alors on a évidemment eu envie d'en savoir plus sur lui. Son rapport à la montagne, à la gestion de l'effort, du stress et du danger... Il raconte.
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00:00J'étais quelques fois dans des situations que j'ai pensé que je n'allais pas en sortir.
00:13La décision de s'arrêter quand on est dans un effort maximal, c'est toujours dans la
00:22tête.
00:23C'est la tête qui nous envoie des signaux pour s'arrêter parce que sinon on pourrait
00:25aller dans le maximal et mourir dans l'effort.
00:27Tu penses à la chute ?
00:35Il y a des situations où il y a des chutes dans une crévage, un avalanche, des chutes
00:41de pierres.
00:42Tu luttes en fait pour se revivre et on s'est rendu compte que dans ces moments-là, on
00:48est capable de prendre une décision très peu de temps, on est capable de mettre notre
00:54corps à un niveau qui est bien au-delà de ce qu'on pensait que c'était nos capacités.
00:59Et vous, vous gérez comment votre stress quand c'est en plein effort comme ça ?
01:03Il faut garder une sérénité.
01:05Il y a des techniques qui peuvent aider à penser au présent, à penser pourquoi on est
01:10là.
01:11Finalement, si je me suis mis dans ces situations-là, c'était un choix.
01:14Ce n'était pas que je suis tombé dans la montagne, je suis arrivé dans cette situation.
01:18J'ai choisi d'être ici et c'est un challenge que je me suis mis.
01:22Et de l'autre côté, c'est relativiser l'importance des choses.
01:26Ce n'est pas avoir peur à rénoncer, pas avoir peur à faire demi-tour, pas avoir peur
01:31à se dire qu'aujourd'hui je n'en suis pas capable, il faut que j'apprenne plus pour
01:35faire ça à nouveau.
01:36Il faut être très humble par rapport à soi-même, par rapport à nos capacités.
01:40Il faut être ambitieux sur les limites qu'on ne connaît pas, mais il faut être très humble
01:45sur les limites qu'on connaît.
01:46Quand on pense à la progression, on pense toujours à une ligne progressive, constante.
01:54La réalité, ce n'est pas comme ça.
01:55La réalité, c'est des hauts-de-bas et c'est souvent dans les hauts-de-bas, dans les échiers
01:59qu'on apprend le plus.
02:00La plupart de mes expéditions étaient des échiers.
02:03La première fois que j'étais à l'Himalaya, c'était une tentative très ambitieuse.
02:12On a échoué, on a essayé un sommet, on a retourné avant de gravir le point culminant.
02:20En fait, ce que j'ai appris, c'est que le schéma, c'est beaucoup plus important que
02:24l'objectif, que le comment, le quoi.
02:28Les émotions qu'on vit sont bien plus importantes que le fait de réussir ou pas.
02:33Quand je suis en montagne, et souvent sur des parcours un peu techniques, ce que j'aime
02:38et ce qui m'apporte le bonheur, c'est vivre le moment présent.
02:42C'est que je pense aux mouvements que je suis en train de faire, aux prochaines trois
02:47secondes, aux mouvements exacts.
02:49C'est un moment où il n'y a pas de passé, il n'y a pas de futur, il y a juste le présent.
02:54Ça m'a permis aussi de vivre beaucoup plus le reste de la vie.
02:59Quand je suis avec mes enfants, je ne pense pas à où je dois aller m'entraîner, où
03:03je dois faire ça dans le travail.
03:05Je profite d'être présent avec eux quand je suis dans le travail, c'est pareil.
03:09Je suis sur ce que je suis en train de faire.
03:13Beaucoup de fois, on se projette, quand on fait une activité, avec l'activité qu'on
03:16doit faire après.
03:17Et en fait, ça ne nous permet pas de profiter, de prendre le bonheur de l'action qu'on fait
03:23à l'instant.
03:24Et en montagne, quand tu fais des activités comme ça, ça demande autant de concentration
03:28que ça ne te fait penser qu'à l'instant présent.
03:31Quelles ont été les plus grandes difficultés ou les moments qui ont été les plus difficiles ?
03:36Le plus difficile, et ce n'était pas la partie la plus difficile techniquement, mais
03:42c'était la traversée depuis la Gouybertes jusqu'à droite, dans le massif du Mont-Blanc.
03:50L'effort physique, l'effort technique est important, mais la grosse difficulté, c'est
03:54au niveau mental, au niveau cognitif.
03:56Parce que si chaque jour, j'étais 20 heures en train de grimper et de courir, de ces 20
04:03heures, peut-être 15 heures, j'étais à grimper en solo, donc à une erreur technique.
04:10Si je faisais un pas en faux, c'était un accident, c'était la fin.
04:17Donc, du coup, rester concentré sur 15 heures, sur chaque moment, sur chaque mouvement,
04:21sur prendre les bonnes décisions pour trouver le schéma, pour faire des opérations pour
04:27réussir à passer ces difficultés, ça prend une énergie qui est énorme.
04:33En fait, à la fin de chaque étape, on avait mesuré que mon état cognitif était le même
04:38que si j'avais été dans un accident de voiture.
04:41Et ce qui était intéressant, c'est qu'après une heure, une heure et demie de sommeil,
04:48mon état cognitif était à nouveau au niveau basal.
04:51C'est cette gestion de l'effort et cette gestion de la concentration qui font ces projets
04:58très compliqués.
04:59Quand on pense à l'importance de la récupération, on pense souvent à plein de gadgets qui existent là.
05:06Et ça, c'est vraiment quelque chose qui fait juste le top de la pyramide.
05:10Si on fait les bases bien, on a 90% ou 99% de gagnés.
05:16Et ça, c'est dormir, faire un sommeil de qualité.
05:19C'est l'alimentation, avoir une alimentation qui est correcte, qui nous apporte tous les
05:25nutrients qu'on a, et puis une gestion du stress, une gestion de l'effort.
05:30On a des vies qui sont très stressantes par rapport au boulot, à l'entraînement,
05:36c'est un autre stress, à la famille, tout ça, ils le rajoutent là-dedans.
05:40Et quand on pense à la récupération, on doit penser à tous ces stress qui nous produisent de l'inflammation.
05:46Beaucoup de gens s'entraînent beaucoup et ne prennent pas en compte qu'ils ont un stress
05:51énorme aussi du travail, de la famille.
05:53Et peut-être la meilleure façon d'améliorer, ce n'est pas s'entraîner plus, mais s'entraîner
05:58moins pour avoir plus de qualité et plus de balance dans le stress de la vie.