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C'est quoi la cuisine de la consolation ?
Des souvenirs, des odeurs, des moments… La cuisine peut être un lien avec ceux qui ne sont plus là.
Alors, comment la cuisine peut nous accompagner dans le deuil ? C'est la question que s'est posée Stéphanie Schwartzbrod. Elle raconte.
Transcription
00:00Assez vite, j'ai pensé à ma mère qui venait de mourir
00:03depuis à l'époque où j'avais écrit le livre, peut-être deux ans,
00:07et qui était une très très grande cuisinière.
00:09Et donc la cuisine était vraiment quelque chose de très fort qui me reliait à elle.
00:13Et c'est devenu à la fois une quête de consolation,
00:19consolation de la mort de ma mère,
00:21aussi une revisite de tous les moments importants avec elle
00:27et puis notamment beaucoup en lien avec la cuisine.
00:30Et donc c'est vrai que le fait de préparer un plat qu'elle faisait,
00:35tout à coup de sentir, de manger quelque chose, de sentir une odeur,
00:42tout de suite ça rend la personne présente quelque part.
00:46Comment la cuisine peut nous accompagner dans le deuil ?
00:49C'est la question que s'est posée Stéphanie Schwarzbrod.
00:53C'était une femme coréenne qui me racontait que
00:56faire la cuisine en pensant à son père disparu,
01:01c'était comme une manière de dialoguer avec lui
01:04et que cette façon de dialoguer avec lui était d'autant plus forte
01:09qu'après ce repas serait partagé.
01:10Les mayas ont un rituel magnifique qui est le pipolo,
01:15qui est une sorte de tourte de maïs avec du porc ou du poulet
01:22et enrobée de feuilles de bananier
01:25qui est cuit sous la terre.
01:28Donc c'est vraiment le symbole du cercueil
01:32puisque pour les mayas, le maïs c'est l'homme.
01:36L'homme est fait de maïs.
01:38Il y a un piment qui s'appelle l'aquiote qui est rouge
01:41et donc c'est le sang.
01:42Chaque produit a une signification.
01:45Il y a des plats comme ça qui sont symboliques
01:48et qui ont plein de significations.
01:50Et donc tous les ans, il faut que chaque chose
01:54soit préparé le jour même.
01:56C'est-à-dire le maïs est moulu le jour même.
01:59L'animal est tué le matin même.
02:02Donc tous les gens se retrouvent à 4 heures du matin
02:05sur la place du marché.
02:06Il y a des animaux partout, les gens qui crient, les enfants qui...
02:11Et donc il y a quelque chose d'extrêmement joyeux.
02:13Est-ce qu'il y a d'autres cultures où c'est joyeux aussi,
02:16où il y a des vrais rituels autour de la cuisine ?
02:20Je pense au Japon avec les fêtes d'Obon
02:23qui est aussi une fête des morts qui a lieu en juillet-août.
02:27Il y a beaucoup de street food dans ces fêtes d'Obon
02:30parce que ça se passe beaucoup dans la rue.
02:32Et on mange aussi du poisson, des oeufs,
02:37des omelettes japonaises qui sont très très bonnes.
02:40Moi je sais qu'il y a une chose qui m'a beaucoup frappée,
02:42c'est en Mongolie.
02:46C'est un pays d'éleveurs où ils mangent énormément de viande,
02:49il fait très froid, ils mangent beaucoup de graisse et tout ça.
02:52Et donc là, ils n'ont pas le droit de manger de viande
02:55pendant toute la durée du deuil qui dure 49 jours.
03:00Et ils doivent manger du blanc,
03:04du blanc pour chasser le noir.
03:07Et le 49ème jour, ils doivent manger du sucré
03:11pour chasser l'amertume.
03:13Pourquoi la cuisine est le lien avec les êtres perdus ?
03:17Parce que c'est quelque chose qu'on a pu partager avec eux
03:22et qu'ils ont donné dans leur vie.
03:23Un repas qu'on a partagé ensemble,
03:25une recette que la personne nous a donnée.
03:28On a beaucoup de souvenirs avec nos amis,
03:35nos parents, nos familles, de repas de famille.
03:38On a beaucoup mangé ensemble.
03:40Il y a aussi le moment de l'anniversaire de la mort
03:43où chaque année, il y a une indienne qui me racontait
03:46que chaque année, ça s'appelle le Devasham en Inde,
03:51il y a ce rituel tous les ans de préparer un repas
03:54pour la personne défeinte.
03:56Et elle me racontait que c'était un repas magnifique
03:59où ils ont beaucoup parlé de son père,
04:01que c'était que des personnes qui le connaissaient,
04:03que c'était un moment d'échange
04:05et que c'était un moment très léger et très joyeux.
04:08Comment c'est différent en France ?
04:09Comment on aborde le deuil ?
04:11On n'a pas un rituel culinaire très précis
04:16comme dans certains pays,
04:17même si je sais que ma tante me dit
04:20« Chez nous, on fait du pot au feu ».
04:22Quelqu'un m'avait dit
04:23« Chez nous, on fait de la brioche aux pralines ».
04:26Mais c'est vrai qu'en général, on va au restaurant
04:30et puis il y a quelque chose d'assez froid
04:33et puis la mort fait toujours beaucoup peur.
04:36En France, on a un peu tendance à vite s'en débarrasser,
04:41vite essayer de ne plus y penser.
04:43Les gens organisent tout.
04:46Effectivement, c'est moins familial,
04:48c'est moins préparer maison
04:50parce que souvent aussi dans les cultures
04:52que j'ai visitées,
04:54il y a beaucoup le fait que chacun apporte à manger
04:57pour secourir l'endeuillé
04:59et aussi pour le consoler quelque part,
05:01pour qu'il n'ait rien à faire
05:03qu'à s'occuper de son deuil,
05:04qu'à s'occuper de ses larmes.
05:06Assez vite, j'ai pensé à appeler ce livre
05:08« La cuisine de la consolation »
05:10et donc une quête de consolation
05:12de la mort de ma mère.
05:15Et puis aussi,
05:17une revisite
05:19de tous les moments importants
05:21avec elle
05:23et puis notamment beaucoup en lien avec la cuisine.
05:25Et en même temps,
05:27comme un chemin initiatique
05:29à force de regarder, d'écouter
05:31surtout tous ces hommes et ces femmes
05:33qui me racontaient
05:35comment ça se passait dans leur pays
05:37et comment chacun faisait
05:39avec le deuil
05:41et surtout comment
05:43la cuisine à chaque fois revenait
05:45et comment souvent la cuisine était vraiment
05:47un objet à la fois de consolation
05:49par rapport à la perte de quelqu'un
05:51mais surtout aussi
05:53un chemin
05:55pour retrouver quelqu'un
05:57qu'on avait perdu.

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