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Emmanuelle, c'est d'abord un livre publié en 1959 puis un premier film qui avait marqué toute une génération en 1974. Aujourd'hui, la réalisatrice Audrey Diwan s'empare à son tour de cette histoire pour lui offrir une nouvelle adaptation au cinéma à l'opposé de celle des années 70. Naissance du projet, plaisir, Noémie Merlant… On a posé 4 questions à Audrey Diwan.
Transcription
00:00Je suis allée voir mes producteurs et je leur ai dit
00:02en fait, si vous me confiez ce livre,
00:04on est d'accord que je peux faire table rase du passé,
00:06on est d'accord que je peux choisir l'histoire qui m'intéresse,
00:09que je peux y mettre quelque chose d'intime,
00:11que je peux explorer le plaisir et le lâcher prise
00:14comme les deux seuls jalons et je ne suis obligée de rien.
00:17Après l'événement, Audrey Diwan revient avec un nouveau film,
00:20Emmanuel.
00:21Une adaptation libre du roman du même nom d'Emmanuel Arsand
00:24publié pour la première fois en 1959.
00:26Un film envoûtant sur la quête du plaisir.
00:30Qu'est-ce que tu cherches exactement ?
00:33As-tu le plaisir ?
00:38J'ai lu Emmanuel un peu de manière récréative
00:41pour voir ce qu'il y avait dans ce livre
00:43parce que tout le monde connaît ce nom et que ça m'intéressait
00:45autant que ça m'amusait.
00:46Et en fait, au deux tiers du livre, il y a une longue conversation
00:49et je dirais que j'ai adapté une conversation peut-être.
00:51Une longue conversation sur qu'est-ce que c'est que l'érotisme.
00:54Je montre moins, mais tout le monde imagine
00:56ce qui se passe hors champ sur le reste de l'image.
00:58Donc je dirais que mon désir au départ,
01:00c'est de voir si l'érotisme a encore sa place.
01:03Et la dernière chose, c'est que tout à coup,
01:05je me suis mise à penser à une histoire.
01:07Et j'ai imaginé cette femme qui n'a plus de plaisir.
01:09Et je me disais, tiens, qu'est-ce qui se passe
01:12quand on n'a pas de plaisir dans notre société
01:14alors que tout le monde nous dit qu'il faut profiter,
01:16il faut jouir, il faut être la meilleure version de soi.
01:19Comment on se sent quand on est déconnecté de son propre corps
01:22et quel est le chemin qu'on peut faire pour retrouver ces sensations ?
01:29Le film de 1974, je ne l'ai jamais vu en entier.
01:32Et je ne l'ai jamais vu en entier parce que,
01:34quand j'ai commencé à le regarder,
01:36j'avais tellement l'impression qu'il ne s'adressait pas à moi,
01:39que techniquement ce n'était pas à mon oreille qu'on murmurait,
01:42que je me suis dit, si je n'ai pas de place dans ce récit, j'éteins.
01:45Je pense que toute l'évolution du plaisir
01:47entre les années 50 et les années 70,
01:49c'est progressivement se mettre à voir.
01:52On va représenter, il n'y a pas d'image.
01:54Dans les années 50, la représentation du plaisir est extrêmement limitée.
01:57Et puis progressivement, on s'offre plus de liberté, c'est sûr.
02:01Mais aussi, on regarde toujours un peu les choses dans le même axe,
02:04c'est-à-dire du même endroit.
02:06On nous apprend même, nous, femmes,
02:08à nous projeter dans cette idée, cette représentation du plaisir.
02:11Donc souvent, on est dans une définition du plaisir
02:14qui est celui d'un homme.
02:16C'est un homme qui filme,
02:17c'est un homme qui donne sens à cette narration.
02:19Mais nous, femmes, on apprend en fait
02:21à projeter notre plaisir à cet endroit.
02:24Tout ce mouvement porté par Me Too
02:26offre un espace de liberté extraordinaire
02:28quand on arrive sur le plateau.
02:30Qu'à partir de là, on a un terrain de jeu immense
02:32qui va fonctionner d'après d'autres règles,
02:35mais des règles qui, au lieu de poser des limites,
02:38repoussent les murs
02:41et autorisent à explorer ensemble
02:44et explorer loin ensemble.
02:48D'abord, Noémie Merland, toute sa filmographie.
02:51On peut parler du portrait de la jeune fille en feu,
02:53on peut parler des Olympiades.
02:55En fait, la place de l'actrice et du corps de l'actrice
02:58est souvent centrale dans la manière
03:00dont elle choisit les rôles
03:02et aussi la manière dont elle les investit.
03:04Et en fait, j'ai avec moi une actrice
03:06qui est en plus une actrice réalisatrice
03:08qui a tellement pensé cette question du corps
03:10qui est tellement certaine de ce qu'elle cherche
03:12que d'abord, elle m'aide à penser mon film.
03:14On comprend assez vite
03:16que notre travail en amont consiste à savoir
03:18ce qu'on va essayer de faire naître comme sensation.
03:20On édicte des règles qui sont les nôtres
03:23et qui sont comment cette scène sexualisée
03:25rentre dans la dramaturgie du film.
03:27Moi, ce que j'ai découvert sur le plateau,
03:29c'est que l'actrice au pouvoir de la scène,
03:33elle peut repousser des limites.
03:35Elle peut pousser les murs.
03:37Elle peut exprimer ce qu'elle a envie de dire
03:39de sa propre sensualité,
03:41de sa propre sexualité.
03:46En fait, mon désir, c'était d'écrire un film
03:48qui s'inscrit dans les sensations
03:50et donc de le faire
03:52en suivant un chemin qui irait du faux vers le vrai.
03:54Emmanuelle, mon personnage,
03:56travaille dans un hôtel de luxe
03:58qui est complètement exagéré.
04:00On a créé un endroit un peu superlatif
04:04et elle s'occupe du contrôle qualité.
04:06C'est-à-dire qu'elle doit vérifier
04:08que tous les services de l'hôtel
04:10offrent précisément le plus de plaisir possible
04:12aux clients.
04:14C'est un genre de mise en scène du plaisir.
04:16Tout ça est faux, tout ça est fabriqué.
04:18La force d'être un peu l'architecte
04:20et l'instrument de ce plaisir faux,
04:22elle sait que rien ici
04:24n'a vraiment
04:26d'existence authentique.
04:28D'ailleurs, l'hôtel, c'est comme son corps.
04:30Il doit être parfait tout le temps
04:32mais aussi, il est comme ancré
04:34dans un éternel présent.
04:36Tous les jours, il y aura la même musique,
04:38les mêmes fleurs, le même parfum.
04:40Les objets qu'on a dérangés la veille
04:42reviendront exactement au même endroit.
04:44Il y a quand même le vertige de se dire
04:46que pour qu'une histoire existe,
04:48pour qu'on ressente quelque chose pour l'autre,
04:50il faut quand même qu'on ait du temps.
04:52Il faut que ce soit inscrit dans un temps
04:54et pas toujours dans la même journée.

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