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"L'angoisse, pour moi, c'était que mes enfants prennent conscience de ce que j'avais vécu."

Dans sa série autobiographique "Icon of French Cinema", elle évoque son passé, celui d'une comédienne débutante de 14 ans qui a eu une relation avec un réalisateur de plus de 40 ans... Pour Brut, conversation entre Judith Godrèche et sa fille Tess Barthélémy, qu'elle dirige dans la série.
Transcription
00:00Les femmes me disent que, dans le fond, elles, quand elles étaient petites,
00:04elles me voyaient dans les journaux avec un homme bien plus âgé,
00:06avec ce réalisateur avec qui je donnais des interviews
00:10et je faisais des séances photo pour des journaux.
00:12Presque ça a validé le fait qu'elles se fassent draguer par des types plus vieux
00:17et qu'elles se sont laissées entraîner, ou en tout cas que cette espèce de romantisation,
00:23de cette différence d'âge, d'une certaine façon, sans le vouloir,
00:27j'ai rendu des choses possibles.
00:28Ça a permis à certains hommes de profiter de situations.
00:32Et donc, elles disent merci, ou en tout cas, grâce à vous,
00:37voilà ce que j'ai vécu, je l'interprète différemment,
00:39ou en tout cas, j'ose me formuler les choses différemment.
00:42C'était très important pour moi de raconter cette histoire pour les générations à venir,
00:45pour ma fille, pour ses copines, pour les petites sœurs, pour les jeunes femmes.
00:50Je pense que tu as tellement minimisé ton passé et ton histoire
00:55que d'une manière, la série, t'es un peu une meilleure amie qui te dit
00:58« Eh, regarde, il y a un souci. »
01:02Et après, je pense que c'est la série qui t'a fait rendu compte.
01:07En fait, t'as un peu tout jeté, tout écrit, et là, c'était devant toi.
01:12Et là, c'est un peu, quand tu t'es rendu compte, « Bah oui, qu'est-ce que… Allez ! »
01:16– Je voulais écrire une série qui raconte l'histoire d'une Française
01:19qui revient en France pour reconquérir son pays,
01:21C'était sur un ton de comédie, comme ça, de beaucoup d'érision,
01:26et très avec un humour, dans le fond, assez anglo-saxon.
01:29Et c'est vrai que pour ancrer mon personnage dans sa réalité aujourd'hui,
01:32il était important de parler de son passé.
01:34Le déclic, vraiment, ça a été un jour de voir Tess rentrer de la danse en juste corps.
01:40Et il y a eu cette espèce d'effet miroir, l'enfance que raconte son corps,
01:45le fait qu'une fille de 15 ans, ça soit ça.
01:48Voilà, il y a eu cette espèce de truc très marquant de me dire,
01:54« Ah oui, c'est ça, une fille de 15 ans. »
01:57Tess était dans une école d'art.
01:59Et l'idée qu'elle puisse se retrouver dans la situation que j'ai vécue
02:01et d'imaginer Tess à ma place, c'est impossible pour moi.
02:05– Quand j'ai appris à propos de sa vie avant moi,
02:08c'était par des petites phrases, des petites anecdotes comme ça.
02:12Pendant ma vie, on n'a jamais eu une grosse conversation où elle m'assoit,
02:15elle me dit, « Écoute ma fille, voilà ce qui s'est passé dans ma vie. »
02:18Parce qu'elle-même, elle n'a jamais voulu faire un énorme drame,
02:25de rentrer dans le pathos avec mon frère et moi.
02:28Comme ma mère a tellement voulu nous protéger toute notre vie avec mon frère,
02:31je pense qu'elle ne voulait pas nous montrer d'une manière,
02:34vraiment l'histoire telle qu'elle était
02:36et la souffrance qu'elle a vécue pendant ce moment.
02:38– C'est vrai que l'angoisse pour moi, c'était de…
02:42que mes enfants prennent conscience en fait de ce que j'ai vécu.
02:45D'ailleurs, je crois que…
02:46Je pense qu'il y a beaucoup de choses que vous avez découvert
02:48vraiment en regardant la série et que c'est vrai que dans le fond,
02:51j'ai toujours essayé de dédramatiser, de ne pas…
02:56Je pense que c'était un moyen de défense,
02:58c'est-à-dire de ne pas rentrer trop dans les détails,
03:01de survoler les trucs, de ne pas vraiment dire à quel âge.
03:05Parce que dans le fond, c'est vrai que je n'assumais pas du tout, du tout, du tout
03:08mon enfance vis-à-vis de mes enfants.
03:11Je n'avais pas envie que mon fils vraiment sache ce que j'ai vécu.
03:14Je crois qu'il l'a vraiment découvert très, très, très tard.
03:18Il y avait aussi ce truc de se dire, mais si je raconte ce que j'ai vécu,
03:23c'est comme si je donnais la possibilité ou en tout cas,
03:27justement, des armes pour que Tess, par exemple, me dise,
03:32ben pourquoi pas, puisque tu l'as fait, enfin voilà.
03:35Et qu'ensuite doit s'enclencher, évidemment, la conversation suivante
03:38qui est, ben non, parce que, voilà, etc.
03:41Qu'est-ce que vous diriez, toutes les deux, que le fait d'avoir fait cette série ensemble,
03:44ça a changé ou ça a fait évoluer votre relation ?
03:48Je ne sais pas si ça a changé.
03:51Je pense que tous les jours, j'apprends des nouvelles choses sur ma mère,
03:55aussi de la voir dans une position de réalisatrice
03:58où elle avait toute une équipe qui la suivait.
04:01Donc il y a un peu, et comme moi, je n'ai vu aucun des films de ma mère.
04:05C'est ma mère, mais c'est aussi pour moi une...
04:09C'est un peu une femme modèle, un peu, que tellement de femmes admirent
04:12avec ce qu'elle fait en ce moment même.
04:14Donc ça a changé un peu, bien sûr, ça a changé un peu la relation.
04:17Moi, je suis armée du passé de ma mère,
04:18je suis armée du passé de la femme que je croise dans le métro.
04:22Et donc, on se construit comme ça.
04:25Chacun a son rôle à jouer et c'est difficile.
04:28Je peux vous assurer qu'il y a plein de femmes qui m'écrivent et qui ne parlent pas.
04:32Il y a un réflexe qui est très compliqué à vivre pour les femmes.
04:37C'est-à-dire que les gens, leur truc, c'est de dire
04:39« Ah bah, elle fait ça pour se faire de la pub.
04:41Ah bah, cette jeune actrice, elle parle pour pouvoir avoir un rôle. »
04:44Mais il n'y a aucune actrice au monde qui pense que si elle parle
04:48pour parler de ce qu'elle a vécu avec un homme,
04:50aucune actrice au monde pense qu'elle va avoir un rôle.
04:53Vous savez pourquoi ? Parce qu'elle ne l'aura pas, le rôle.
04:55Ça ne marche pas comme ça.
04:56Il n'y a aucune actrice qui a parlé contre Weinstein qui s'est trouvée avec un rôle.
05:00Ce n'est pas glamour de raconter des trucs pareils.
05:03Personne n'a envie d'être connu et reconnu pour ça.
05:06Et puis les femmes, elles n'ont pas envie d'être vues comme des victimes.
05:09Les femmes, elles se sont battues pendant des générations et des générations
05:12et des générations pour affirmer leur force, leur indépendance,
05:17pour être vues comme des égales des hommes.
05:19Ce n'est pas pour aujourd'hui rêver être perçue comme une victime.
05:23Moi, je n'ai pas envie d'être vue comme une victime.
05:24Je voulais justement ne pas être vue comme une victime
05:27et que ma série soit mon porte-parole
05:30et ne pas donner à cet homme l'importance qu'il a aujourd'hui.
05:34C'est-à-dire que malgré tout, son nom résonne partout, partout, partout.
05:37Donc voilà, est-ce que le monde change ?
05:41Est-ce que le système du cinéma français, est-ce que c'est en train de changer ?
05:46Oui, j'espère.
05:47Enfin, en tout cas, moi, c'est ce que je souhaite.
05:49Moi, ce qui me fait un peu peur, c'est ce truc de...
05:52Moi, ce que j'ai beaucoup vu aux Etats-Unis et ça ne fait que un an que je suis revenue en France,
05:57c'est ce truc de mouvement, de « ok, on y go, on aime it too ».
06:01Et ça dure cinq, six mois où là, il y a une révolution et après, c'est le silence.
06:07Bien sûr, il y a des petits échos qui restent,
06:10mais ce que j'ai vu aussi beaucoup, c'était qu'une fois que le mouvement était passé,
06:14quand une femme, juste dans mon entourage,
06:18disait « moi, ça s'est passé comme ça avec un mec »,
06:21« ah mais t'es trop féministe, t'es trop woke, t'es trop ça et de quoi tu parles ? »
06:25Et donc, il y a un peu ce truc qui est normal avec les mouvements,
06:28c'est qu'il y a aussi le « après » un peu.
06:31Et moi, ce que j'aimerais, c'est que ce ne soit pas juste une « vibe », une « trend »,
06:35un truc en mode « allez, on dénonce tout le monde et après, c'est bon ».
06:40J'aimerais que la vie devienne comme ça, que ça se déroule et que ça devienne...
06:48– C'est-à-dire que le problème, c'est qu'il faudrait que ce soit dans l'intérêt de tous
06:51pour que ça devienne comme ça, la vie.
06:52Et ce n'est pas dans l'intérêt de tous, c'est ça aussi.
06:54C'est que dans le fond, il y a quand même des « establishments »,
06:57il y a des personnes qui ne veulent pas que certaines choses changent ou se sachent, etc.
07:01Moi, je fais vraiment confiance à la génération qui regarde Brut
07:05et j'espère bien qu'ils vont révolutionner le monde du cinéma
07:07et d'ailleurs le monde en général.
07:10Que cette histoire, en tout cas, que ce rapport du pouvoir et de l'abus de pouvoir
07:16soit quelque chose contre lequel ils vont se battre,
07:21que ce soit des garçons, des filles et quel que soit l'âge qu'ils ont.
07:28– Merci beaucoup.
07:29– Merci.

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