"La caméra devient un danseur, et finalement le public devient danseur."
La danse au cinéma c'est vrai que c'est beau, mais penser une chorégraphie pour un film, c'est tout un art. Avec des acteurs pas vraiment danseurs et une caméra qui s'invite dans la danse, Benjamin Millepied nous raconte comment il a procédé pour son film "Carmen".
La danse au cinéma c'est vrai que c'est beau, mais penser une chorégraphie pour un film, c'est tout un art. Avec des acteurs pas vraiment danseurs et une caméra qui s'invite dans la danse, Benjamin Millepied nous raconte comment il a procédé pour son film "Carmen".
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Art et designTranscription
00:00Je voulais expliquer comment le processus chorégraphique se passe.
00:03En général, j'écoute de la musique en boucle.
00:05Et souvent, ce qui se passe, c'est que déjà, je danse dans ma tête sur la musique quand je l'écoute.
00:09Et puis, éventuellement, je vais en studio et je commence à bouger,
00:14à trouver des choses qui vont sur la musique.
00:22Je me laisse être porté sur la musique.
00:26Quand je chorégraphie pour la caméra, je chorégraphie avec la caméra.
00:28C'est-à-dire qu'il n'y a pas un jour où je ne fais pas une caméra à la main
00:32pendant que je chorégraphie pour déjà essayer des plans,
00:34voir quels sont les plus beaux mouvements,
00:38les angles les plus judicieux, comment est-ce que je veux accentuer la danse.
00:42Pour moi, c'est un bonheur parce que j'ai l'habitude, bien sûr, toujours de ce cadre
00:45qui est fixe, qui est le théâtre,
00:48où tout le monde voit la même chose dans le jeu différent.
00:50Là, je peux aller vers l'infiniment petit, le très grand.
00:53Je peux bouger quand les danseurs sont immobiles.
00:56La caméra devient un danseur.
00:57Et finalement, le public devient un danseur.
01:00Et le public danse avec les danseurs.
01:09Comment vous commencez à travailler sur les chorégraphies ?
01:11Est-ce que vous savez déjà qui vont être vos deux acteurs principaux ?
01:14Non, je savais que j'avais Mélissa et Rossi,
01:19Mélissa Barrera, mais Paul est arrivé un peu à la dernière minute,
01:22on va dire trois mois avant la production.
01:24Je savais que je voulais quelqu'un qui puisse être vraiment convaincant comme soldat.
01:31Je voulais quelqu'un qui ait un rapport physique avec son corps et pas un danseur.
01:36Justement, ils ne sont pas danseurs.
01:37Est-ce que vous vous êtes dit à un moment donné,
01:39je ne vais pas pouvoir leur faire faire ça, ils ne vont pas réussir ?
01:42Ou est-ce que vous n'êtes mis aucune limite ?
01:44Non, mais je m'adapte.
01:46L'idée, c'est tout de suite de créer quelque chose de cohérent avec eux.
01:49En fait, on fait ça avec chaque danseur, même les plus doués.
01:52C'est-à-dire qu'on va toujours s'adapter,
01:53trouver ce que le danseur a de plus singulier à offrir et s'en inspirer et s'en servir.
01:59Donc finalement, le processus, il est le même.
02:02Je ferais ça même avec quelqu'un qui ne danse pas du tout,
02:05si je devais le faire bouger.
02:06J'essaierais de trouver, en le regardant se déplacer dans l'espace,
02:10de trouver quelle est son intention corporelle et comment la développer.
02:15C'est une scène qui dure, je crois, sept minutes et qui a un plan séquence.
02:19En fait, cette scène, c'est le lendemain matin, après son arrivée à Los Angeles.
02:25Le club est vide, elle va dans cet espace pour juste danser toute seule.
02:31En fait, je n'ai pas communiqué aux acteurs grand-chose avant de tourner la scène.
02:37On a fait le vide, j'ai demandé à tout le monde de sortir.
02:40Je voulais qu'il y ait quelqu'un qui allait sortir,
02:42mais je ne l'ai pas dit aux acteurs.
02:46Ce qu'il a fait, ce qui est intéressant, c'est qu'il s'est enregistré la musique
02:49avec des indications pour être sûr de bien apprendre la chorégraphie.
02:52C'est-à-dire qu'il l'entendait en même temps, en disant « va à gauche, va à droite,
02:56maintenant c'est diagonale à fond, maintenant tu vas en tournant. »
02:58On voit beaucoup de plans-séquences qui sont là pour nous faire prendre en compte
03:02ce qu'on a fait, ce qu'on a fait, ce qu'on a fait, ce qu'on a fait.
03:05Et puis, on a fait un plan-séquence qui s'est enregistré avec des indications pour être sûr de bien apprendre la chorégraphie.
03:10Ils sont là pour nous faire prendre conscience que c'est un moment de virtuosité
03:14et qu'on voit cette virtuosité.
03:15Et moi, j'essaie vraiment de faire en sorte qu'on oublie la caméra,
03:19qu'on n'est pas là pour simplement montrer qu'on sait faire des choses complexes
03:25et qu'on sait les mettre en scène.
03:27Mais que, avant tout, le but, c'est la narration et l'émotion.
03:31Et que la caméra, si on choisit des mouvements de caméra,
03:33c'est simplement pour accentuer, pour donner un point de vue qui va nous rapprocher de l'histoire
03:38plutôt que de nous en éloigner.
03:40À partir du moment où on est en train de se dire
03:41« Waouh ! Qu'est-ce que c'est incroyable ce plan-séquence de virtuosité ! »
03:46on n'est plus dans l'histoire.