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Le caporal-chef Manuel Cabrita, blessé gravement au Mali après que son véhicule blindé a explosé sur un engin explosif le 31 juillet 2017. Sauvé de justesse, il a été amputé du bras et de la jambe droits. Manuel témoigne au nom des soldats français morts ou blessés au Mali, partageant son difficile parcours de reconstruction physique et psychologique. Malgré les épreuves, il ne regrette rien, ayant risqué sa vie pour protéger la liberté en France. De ses moments marquants, comme sa rencontre avec le Président et sa présence à la finale de la Coupe du monde, à sa lutte quotidienne, Manuel reste un soldat engagé, un héros du quotidien.

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Transcription
00:00Je suis les traces du véhicule qui est devant moi et boum, ça pète, ça m'a arraché le bras et la jambe.
00:10Je suis le sergent Cabrita Manuel et je vais vous raconter mon histoire.
00:31J'ai grandi dans la commune de La Grand Croix et je suis un pur produit de la Loire.
00:39J'ai vécu sur la commune de La Grand Croix, j'ai grandi à La Bachasse pour ceux qui connaissent.
00:46Ensuite j'ai fini mon adolescence dans le quartier du Dorlay.
00:51Je suis issu d'une famille recomposée, j'ai un demi-frère, une demi-sœur et une petite sœur qui est venue après moi.
00:57Mon grand-père était un immigré italien, mon grand-père maternel était un immigré italien et mon grand-père paternel un immigré portugais.
01:06Je n'étais pas plus turbulent que n'importe qui à cette époque, je n'étais pas non plus un ange, ça c'est sûr.
01:12Mais je savais me tenir, je fais partie d'une génération où on avait quelques valeurs.
01:17Je ne dis pas qu'aujourd'hui il n'y en a plus, loin de là, mais il y a des petites différences et puis ça évolue.
01:24Ce qui s'est passé pour moi c'était un peu particulier parce qu'il me fallait de l'argent.
01:28J'étais jeune, il me fallait de l'argent et le seul moyen de faire de l'argent légalement, c'est d'entamer un apprentissage.
01:36Je devais normalement aller au lycée à Saint-Chamond, mais je ne m'y suis pas présenté.
01:41J'ai préféré trouver un employeur, un maître d'apprentissage, chose que j'ai fait, mais le problème c'est que j'avais 16 ans.
01:48Et quand on avait 16 ans à cette époque-là, je ne sais pas comment c'est aujourd'hui, mais on ne pouvait pas signer un contrat d'apprentissage.
01:53J'ai donc signé un contrat de pré-apprentissage. J'ai fait une année comme ça où j'étais moins payé qu'un apprenti, mais n'empêche que j'avais un salaire.
02:00Et ensuite, j'ai pu entamer à partir de 17 ans mon apprentissage.
02:05Ce qui m'a poussé à l'armée, c'est l'attaque du 11 septembre, l'attaque des tours du World Trade Center.
02:13L'impensable vient d'arriver. Un avion transformé en bombe volante vient de fondre sur la première tour du World Trade Center.
02:21Le cauchemar vient seulement de commencer. 18 minutes plus tard, la deuxième des tours jumelles explose à son tour.
02:29Là, je pense que ça a marqué toute une génération et j'en fais partie.
02:33Je me souviens, j'étais bouche bée devant ma télé et je me disais, c'est dingue, on ne peut pas laisser faire ça, c'est fou.
02:41Et en fait, sur un coup de tête, direct dans la foulée, j'ai poussé les portes d'un centre de recrutement qui s'appelait à l'époque la Maison de l'Armée,
02:50qui se situe derrière l'université à Saint-Etienne.
02:53Et voilà, j'y suis allé en disant, moi je ne veux plus qu'il arrive ça.
02:59J'ai 18 ans, je passe trois journées de test au quartier général Frère à Lyon.
03:05Et en fait, à l'époque, je ne peux pas dire comment c'est fait aujourd'hui puisque je ne suis pas un recruteur,
03:12mais à l'époque, en fonction des résultats des trois jours de tests,
03:15donc c'est des tests sportifs de culture générale et de psychotechnique, on finit sur un classement.
03:23Il y a un classement et en fait, en fonction des résultats, on nous propose certains régiments.
03:31Donc il y a des régiments qui sont plus péchus que d'autres.
03:34Moi, je me souviens, le premier régiment qu'on m'a proposé, c'est le troisième régiment d'infanterie de marine,
03:40qui est basé à Vannes, en Bretagne.
03:43Donc moi, à cette époque-là, j'étais déjà amoureux.
03:46Et j'ai dit à mon recruteur, je suis désolé, mais en fait, moi, je ne veux pas passer mon week-end dans le train.
03:55Quand je vais quitter le régiment et que je vais aller voir ma copine, un week-end, c'est court.
04:02Si je passe deux jours dans un train, je ne redescends jamais, en fait.
04:06Donc il a été très compréhensif, en réalité, il m'a dit d'accord.
04:09Il m'a proposé un second régiment qui se trouvait dans le sud de la France,
04:16qui était le 11e régiment d'artéries de marine.
04:23Et je ne sais pas, je ne l'ai pas senti, je ne sais pas pourquoi.
04:28Donc à ce moment-là, il a un peu haussé le ton, c'est normal, puisqu'on ne refuse pas des affectations, en règle générale.
04:34Il me dit, écoutez, ce n'est pas à la carte.
04:37Si je vous propose quelque chose, si vous voulez vous engager, il faut signer.
04:41Je dis d'accord, moi, vu que j'avais eu pas mal de soucis dans le monde du travail déjà,
04:46et que j'avais un certain aplomb du fait que j'ai eu une enfance où j'ai dû me prendre en main assez tôt.
04:51Je lui dis, écoutez, c'est que ce n'est pas fait pour moi, je vous remercie.
04:56Désolé de vous avoir fait perdre votre temps.
04:58Et en fait, il m'a rappelé très rapidement.
05:00Il m'a proposé le 68e régiment d'artillerie d'Afrique, qui est basé dans l'Ain, à côté de Lyon.
05:08Ah ben voilà, on avait trouvé le bon compromis et me voilà engagé.
05:15Les classes, c'est simple, ça dure trois mois.
05:18Et en fait, pendant trois mois, on vous apprend le métier de soldat.
05:21Alors attention, ce n'est pas en sortant des classes qu'on devient soldat.
05:24Il faut deux ans pour faire un soldat.
05:26Pour faire un bon soldat, il faut deux années.
05:28Mais durant ces trois mois de classe, vous apprenez toutes les bases.
05:31Du matin au soir, même la nuit, on vous réveille.
05:35On vous fait des tas de choses plus ou moins rigolotes.
05:40Alors il y a des moments, c'est rigolo, des moments, c'est moins rigolo.
05:43Mais voilà, on vous aguerrit en fait.
05:46Ils essayent de déceler si vous êtes capable d'aller au bout.
05:51Il y a des gens qui ratent.
05:52Il y a des gens qui arrêtent de leur propre chef, qui estiment que c'est trop dur pour eux.
05:56Du coup, ils s'arrêtent, il n'y a pas de problème.
05:58Il y a des gens qui vont au bout des trois mois, mais où l'institution leur propose une seconde chance.
06:02C'est-à-dire qu'on leur propose de recommencer leur classe de trois mois pour prouver qu'ils vont être bons.
06:09Et il y en a, par contre, ils ne font pas l'affaire.
06:11Après, c'est la vie.
06:13Tu finis tes trois mois.
06:15Il se passe quoi ? Tu vas où ?
06:17Moi, c'est particulier parce que durant mes classes, j'ai découvert la fonction d'artilleur.
06:24Puisque le 68e régiment d'artillerie d'Afrique, c'est un régiment d'artillerie.
06:29Et j'avoue que je ne me suis pas trompé parce que ça reste l'armée, mais la spécialité ne me fait pas rêver.
06:38Je respecte tout à fait les artilleurs.
06:42Nous sommes tous les maillons d'une chaîne.
06:44Et ça fonctionne, c'est super.
06:46Mais moi, je ne voulais pas être ce maillon-là.
06:48Je ne voulais pas être un artilleur.
06:50C'est-à-dire que me retrouver à plusieurs kilomètres de la ligne de combat,
06:57ce n'était pas dans mon objectif.
07:00Moi, quand j'étais là devant ma télé et que j'ai vu cette attaque,
07:03je voulais en découdre en fait, comme beaucoup.
07:06Et en fait, j'ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes
07:10durant mes classes, des cadres,
07:12qui m'ont proposé finalement la fonction de sauveteur au combat au régiment médical,
07:17qui était aussi basé dans l'un, puisque c'est la même base de défense.
07:22Donc sur cette base de défense, il y a deux régiments.
07:24Et en réalité, quand j'ai découvert cette fonction de sauveteur au combat
07:27qui lie le métier de soldat, donc au combat en première ligne,
07:32mais aussi cette fonction de sauveteur qui est particulière,
07:37puisque là, on ne parle pas d'un accident de la route,
07:39là, on parle de blessures de guerre.
07:42J'avoue que cette fonction-là m'a fait rêver.
07:44Et puis, c'était une grosse remise en question,
07:46puisque les examens à passer dans ce domaine-là sont poussés quand même,
07:52puisqu'en opération extérieure, on effectue des gestes
07:57que normalement, on en prend en médecine.
07:59Donc c'est vraiment très poussé.
08:01Après, ce sont des gestes que le sauveteur au combat n'a pas le droit
08:05de faire sur le sol français.
08:09On n'a pas le droit.
08:10Mais par contre, sur toute opération extérieure,
08:12là, évidemment, on est formé à le faire.
08:23Ma première mission, ce n'était pas vraiment une opération extérieure,
08:25c'était une mission de courte durée.
08:29Ma première mission, c'était en Nouvelle-Calédonie.
08:32En Nouvelle-Calédonie, on est parti pour quatre mois, en théorie,
08:35puisqu'on a fait plus.
08:37C'est surtout de la présence sur le territoire.
08:43On faisait pas mal de gardes pour protéger des sites sensibles sur l'île.
08:51Pourquoi on a des bases, vraiment, concrètement, à ces endroits-là ?
08:57C'est surtout que nous sommes des forces prépositionnées.
09:01Ma mission qui a suivi, c'était la Guyane.
09:07La Guyane, pour quatre mois aussi.
09:11Là, par contre, c'était un peu plus opérationnel.
09:17C'était pour défendre les intérêts du territoire,
09:19notamment lutter contre l'orpaillage illégal.
09:22Donc là, j'ai passé énormément de temps
09:24en défendant les intérêts du territoire,
09:27notamment lutter contre l'orpaillage illégal.
09:29Donc là, j'ai passé énormément de temps
09:31en défendant les intérêts du territoire,
09:34j'ai passé énormément de temps en forêt.
09:37Sur quatre mois, sans exagérer,
09:39j'ai dû passer trois mois dans la jungle guyanaise.
09:42C'était très enrichissant, vraiment.
09:44C'était une très bonne expérience, vraiment.
09:47C'était physique, très physique.
09:49Et ça m'a apporté beaucoup,
09:53parce que j'ai eu la chance de participer
09:57à des missions franco-surinamiennes,
09:59puisque juste en face, il y a le Suriname.
10:01Et à cette époque-là, je ne sais pas si c'est toujours le cas,
10:03on avait des ententes, des accords de lutte contre l'orpaillage.
10:07Et on effectuait nos missions sur des pirogues,
10:11sur le Maroni, sur le fleuve Maroni.
10:13Et un coup, on dormait côté surinamien,
10:15un coup, on dormait côté français.
10:17Et j'ai pu voir des situations hallucinantes
10:20en plein milieu de la forêt, c'est dingue.
10:222012, Kosovo.
10:242015, 16, 17, Niger, Mali.
10:28Djibouti, deux fois.
10:31Donc là, c'est des missions qui sont un peu plus tendues.
10:34Là, on ne parle pas de passer trois mois dans une forêt
10:37et à combattre l'orpaillage illégal, même si c'est dangereux,
10:40parce que les gens qui font ça n'ont rien à perdre.
10:42Concrètement, on s'est retrouvés plusieurs fois
10:44avec des gens qui ont des fusils de chasse.
10:46Les missions de l'OTAN,
10:48c'est des missions où on n'a pas peur des maux,
10:50c'est des missions de conflit.
10:52C'est des missions où la paix doit être imposée,
10:55parce que les gens n'arrivent pas à s'entendre.
10:58Je fais ma carrière militaire.
11:01A l'époque où je m'engage,
11:04il fallait faire 15 ans et demi, le minimum,
11:07pour quitter l'armée.
11:09Enfin, pas pour quitter l'armée,
11:10puisqu'on pouvait quitter l'armée à nos premiers contrats.
11:13Mais la limite longue de carrière pour un militaire du rang,
11:17c'était 15 ans et demi.
11:19Après, c'est passé à 17 ans et demi, quelques années plus tard,
11:22puisqu'il y a eu des modifications gouvernementales.
11:26Et pour finir, sur la fin de ma carrière,
11:28c'était 19 ans et demi pour les militaires du rang.
11:31En 2017, j'approchais pas loin
11:33des 19 ans et demi de service,
11:35et la question se posait,
11:37est-ce que je continue ?
11:41Je signe un contrat de sous-officier
11:44et je me relance dans une nouvelle carrière ?
11:48Ou alors, est-ce que je quitte l'armée ?
11:50Parce que quand on a 35 ans,
11:54je me trompe pas,
11:55quand on a 35 ans
11:57et qu'il nous reste à peine deux ans à faire,
12:00ça emmène à 37 ans,
12:0237 ans sur le marché de l'emploi,
12:04ça peut être compliqué,
12:06dans la conjoncture du moment.
12:09Donc du coup, effectivement,
12:11grand regret pour moi,
12:12puisque l'armée, moi, j'ai toujours adoré,
12:14mais pour l'avenir,
12:17je devais arrêter normalement à 19 ans et demi.
12:20Donc la mission du Mali,
12:23où j'ai été blessé,
12:25ça devait être normalement ma dernière,
12:27mon jubilé.
12:49Alors le 31 juillet 2017,
12:51ça faisait déjà presque trois mois
12:55que j'étais sur ma mission au Mali,
12:59dans l'est, nord-est du Mali.
13:03Nous avons fait un débrief,
13:05un briefing, pardon,
13:07un briefing de mission la veille,
13:09où tout se passait bien.
13:11Donc le lendemain matin,
13:13très tôt, puisqu'on est parti de nuit,
13:15donc on a conduit,
13:17moi j'étais conducteur ce jour-là,
13:19puisqu'on inverse,
13:21nous sommes deux secouristes au combat
13:23dans le véhicule, et on inverse,
13:25un coup c'est lui qui conduit,
13:27et moi je suis ce qu'on appelle un RT tireur,
13:29donc radio tireur,
13:31c'est celui qui est sur la tourelle du véhicule
13:33et qui a l'arme collective,
13:35qui utilise l'arme collective.
13:37Donc pour cette mission-là,
13:39c'était mon tour d'être conducteur.
13:41Donc on prend la route,
13:45lunettes de vision nocturne
13:47pour conduire, bien évidemment,
13:49puisque pour assurer la discrétion,
13:51on ne conduit pas avec les phares
13:53dans le désert.
13:55Tout se passe bien,
13:57on arrive sur le lieu
13:59de notre mission,
14:01donc là les gens,
14:03la spécialité qui ce jour-là devait,
14:05puisque nous, ce jour-là,
14:07nous étions en soutien,
14:09ceux qui devaient faire
14:11ce qu'ils avaient à faire
14:13s'installent.
14:15Ce qu'il y a, c'est que ce jour-là,
14:17il y avait un brouillard, très fort.
14:19Donc on attend.
14:21Donc là, l'ordre est donné
14:23de rester sur la position
14:25et d'attendre que le brouillard
14:27se dissipe. Parce qu'il faut savoir une chose,
14:29c'est que c'est une zone de conflit,
14:31il y a des décisions
14:33de commandement qui sont importantes,
14:35qui engagent des vies, peut-être,
14:37mais on laisse rien au hasard.
14:39C'est-à-dire que si une règle
14:41très importante
14:43dans l'armée française,
14:45c'est être sûr de son objectif.
14:47Si nous ne sommes pas sûrs
14:49de tirer au bon endroit ou sur la bonne
14:51personne, on ne tire pas.
14:53Là, ce jour-là,
14:55pas de chance pour nous,
14:57il y avait un brouillard vraiment très dense,
14:59ce qui fait qu'on ne pouvait
15:01pas être sûrs de notre objectif.
15:03Donc l'ordre est donné de tout
15:05remballer
15:07et de nous positionner
15:09ailleurs, puisque là,
15:11ça faisait déjà trop longtemps qu'on était sur zone,
15:13on avait été repérés,
15:15il fallait qu'on parte.
15:17Donc, on remballe tout,
15:19on reçoit des nouvelles
15:21coordonnées pour nous
15:23positionner
15:25et en fait, sur ce redéploiement,
15:27à ce moment-là, moi je suis
15:29le troisième véhicule de tête,
15:31sur une rame de véhicules,
15:33et je suis
15:35les traces du véhicule qui est devant moi
15:37et boum !
15:43Ma première réaction, ça a été de me dire,
15:45je suis aveugle, parce que
15:47je perds la vue en fait,
15:49j'ai les yeux qui brûlent,
15:51mais en même temps,
15:53je m'attends
15:55à ce qu'il y ait quelqu'un à l'extérieur qui me dise
15:57ok les gars, c'est pas bon,
15:59on recommence.
16:01Ouais, un peu comme si, mais complètement d'ailleurs,
16:03comme si on était à l'entraînement.
16:05Parce qu'on part pas
16:07au Mali les mains dans les poches,
16:09on s'entraîne des mois, des années avant.
16:11Et en fait, pendant des mois et des années,
16:13on s'entraîne à ce cas de figure.
16:15Et il y a des instructeurs,
16:17et les instructeurs, quand ils estiment
16:19que c'est pas bon, quand ils estiment qu'on a roulé
16:21sur la mine ou qu'on n'a pas vu l'explosif,
16:23ils disent, c'est pas bon les gars, on recommence.
16:25On recommence jusqu'au moment où
16:27en fait, on passe
16:29et on voit
16:31tous les dangers.
16:33Sauf que là, en fait,
16:35la petite voie, elle vient pas.
16:37Il y a personne qui dit, allez les gars, on recommence.
16:39Donc je me dis,
16:41on est dans la vraie vie là en fait.
16:43C'est maintenant, ça vient de se passer.
16:45Mais en fait, c'est hyper bizarre parce que
16:47dans les films, quand il arrive
16:49un accident et tout, on voit le temps qui s'arrête.
16:51On voit les choses qui
16:53explosent autour du gars.
16:55Et en fait, le gars, il est comme ça, il découvre ce qui se passe.
16:57Mais en fait, dans la vraie vie, c'est un peu pareil parce que
16:59tout se déroule très vite,
17:01mais en fait, on se dit des tas de choses là-dedans.
17:03Le cerveau,
17:05lui, il s'arrête pas. C'est hallucinant.
17:07Après, quand la poussière retombe
17:09et que j'arrive à ouvrir les yeux,
17:11je me dis, en fait, je suis pas aveugle.
17:13Non, ça va. Et puis je regarde
17:15autour de moi.
17:17Et là,
17:19je comprends direct qu'on a sauté sur un UD.
17:21Et puis je vois mon bras.
17:23Mon bras, il était en lambeaux, comme ça.
17:25Avec la main qui pendait
17:27par un bout de chair ici, comme ça.
17:29Et je vois ça, je fais wow.
17:31Là, je comprends que je suis touché.
17:33Donc tout de suite,
17:35ici, sur cette épaule-là, j'avais ce qu'on
17:37appelle une TIC. Une TIC, ça veut dire
17:39Troupe In Contact. C'est-à-dire qu'en fait, dedans, il y a tout
17:41un kit de premiers secours. Chaque combattant
17:43a ça. Après, nous, en tant que secouriste,
17:45dans notre sac à dos, on a beaucoup plus de matériel.
17:47Mais chaque secouriste
17:49a sur lui un garrot,
17:51de quoi poser une perfusion,
17:53et une burette
17:55de morphine.
17:57Une petite dosette de morphine.
17:59Donc là, tout de suite,
18:01je réfléchis même pas, en fait.
18:03C'est-à-dire que je fais les gestes
18:05machinalement. C'est vraiment
18:07du drill.
18:09Le travail, le travail, le travail.
18:11On t'entraînait pour ça. Voilà, c'est ça.
18:13Et en fait, je ne me dis pas qu'il faut que je pose mon garrot.
18:15Non, je prends mon garrot,
18:17j'essaye de me le mettre, mais cette main-là qui pendouille, elle m'embête.
18:19Alors,
18:21j'arrive quand même à le passer et tout.
18:23J'essaye de tirer dessus, mais c'est hyper compliqué.
18:25Je me rends compte que mon RT,
18:27radio-tireur, il n'est plus là.
18:29Après, par la suite, je comprends que
18:31sur l'explosion, lui, il a fait
18:33comme un bouchon de champagne.
18:35Il a sauté en l'air par la trappe.
18:37Il est retombé lourdement devant le véhicule.
18:39Mais physiquement, il n'a pas eu
18:41de blessure, donc ça va.
18:43Je vois ces flammes, et là, je me dis
18:45qu'il faut que je sorte d'ici.
18:47Parce qu'à ce moment-là, je me dis,
18:49c'est con d'avoir survécu à une explosion.
18:51C'est quand même exceptionnel d'avoir survécu à une explosion.
18:53Mais il faut savoir que le VAB,
18:55il est très haut.
18:57Il y a des grosses roues.
18:59Et je me dis,
19:01en fait, il faut que je sorte
19:03de là, mais ça va être compliqué.
19:05Parce que j'ai mon gilet pare-balles.
19:07Là, ici, j'ai une arme qui, d'ailleurs,
19:09dans l'explosion, a toutes les munitions
19:11de mon arme de poing,
19:13mon pistolet automatique. Elles ont explosées.
19:15Elles ont pété dans le chargeur.
19:17Et celle qui était dans la chambre,
19:19je ne sais pas où elle a été.
19:21J'ai eu de la chance.
19:23Puisque le canon est orienté vers le bas.
19:25Donc,
19:27je fais OK.
19:29Tout se barre, le casse, tout ça.
19:31Je me dis, il faut que je sorte de là.
19:33C'est con d'avoir survécu à une explosion
19:35et de mourir brûlé vif.
19:37Je me dis, ce n'est pas possible. Je ne peux pas ça.
19:39Du coup, je vais pour sortir
19:41de mon véhicule.
19:43Ce qu'il y a, c'est que le mouvement ordinaire
19:45pour se lever du fauteuil,
19:47c'est qu'on s'avance,
19:49on s'avance vers l'avant et on pousse sur les jambes.
19:51Sauf que moi, à ce moment-là, je n'ai pas vu
19:53que ma jambe ici, elle est arrachée.
19:55Et je ne savais pas à ce moment-là
19:57que j'avais une fracture du bassin
19:59et une fracture du fémur gauche.
20:01Donc en fait, j'avais beau essayer
20:03de me lever, il n'y a rien qui répondait.
20:05Il n'y avait rien.
20:07Du coup, je me dis, pourquoi je ne me lève pas ?
20:09Je ne comprends pas.
20:11Sur le côté, il y avait une poignée.
20:13Je saisis cette poignée et je me hisse.
20:15Je force, mais l'adrénaline
20:17avec mon bras gauche qui est mon bras faible
20:19puisque moi, j'étais droitier.
20:21Et là, j'arrive
20:23à sortir un peu de la trappe.
20:25Et tout à l'heure, je disais
20:27le VAB est très haut.
20:29Encore une fois, je me dis,
20:31j'ai survécu à une explosion.
20:33J'ai essayé de sortir de ce véhicule
20:35en flamme pour ne pas mourir
20:37brûlé vif.
20:39Je ne vais pas me faire le coup du lapin en tombant
20:41de si haut quand même.
20:43Et les collègues sont où à ce moment-là ?
20:45Justement, les collègues, à ce moment-là,
20:47la grosse crainte, c'est l'embuscade.
20:49Donc eux,
20:51à ce moment-là, ils sont en train de faire une bulle de sécurité.
20:53Ils créent une bulle de sécurité
20:55pour que tout se passe bien
20:57et ils sont prêts au combat.
20:59À ce moment-là, ils sont prêts
21:01à répondre en cas d'embuscade.
21:03C'est pour ça que je dis, tout va très vite.
21:05Tout ce que j'ai dit là,
21:07ça se fait en une minute.
21:09C'est très rapide.
21:11Et du coup, à ce moment-là,
21:13je me dis, ça se trouve,
21:15il me croit mort en réalité.
21:17Donc il faut que je dise que je suis là.
21:19Donc à ce moment-là, je crie.
21:21Je les appelle et ça porte ses fruits
21:23puisqu'à un moment donné,
21:25je vois deux gaillards,
21:27le médecin du convoi
21:29et un légionnaire,
21:31puisqu'il y avait aussi des légionnaires avec nous,
21:33ils étaient en soutien avec nous,
21:35qui me saisissent une main de chaque côté
21:37et là, ils me tirent en arrière.
21:39Et là, je tombe comme un sac de pommes de terre par terre
21:41et ils m'emmènent
21:43loin du danger.
21:45Ils me mettent dans une bulle
21:47où ils peuvent
21:49me techniquer sans problème.
21:51Et là, du coup,
21:53quand je tombe seul
21:55et que je vois ma jambe,
21:57pareil, qui ne tenait pas mal en bois de chair,
21:59là, je me dis, la jambe aussi.
22:01Et là, par contre, j'ai eu beaucoup de chance
22:03parce que j'aurais pu me vider de mon sang
22:05et ça n'a pas été le cas.
22:07Donc l'artère, à mon avis, elle a dû tenir
22:09mais effectivement,
22:11encore une fois, j'aurais pu mourir
22:13vidé de mon sang, c'est sûr.
22:18Donc là, j'ai été évacué par hélicoptère
22:20sur une base avancée
22:22au Mali
22:24où là, j'ai été pris en charge
22:26par une équipe de médecins, de chirurgiens militaires.
22:28Alors, c'est exceptionnel.
22:30Là, on parle du service de santé des armées.
22:32C'est top niveau
22:34parce qu'ils sont en mesure
22:36de vous opérer.
22:38Moi, ils m'ont opéré pendant plus de neuf heures
22:40sous une tente au milieu du désert
22:42dans les mêmes conditions d'hygiène qu'en France,
22:44dans un hôpital en France.
22:46C'est hallucinant.
22:48Il n'y a pas beaucoup d'armées dans le monde qui est capable de réaliser
22:50ce genre de choses.
22:52Donc moi, la première opération,
22:54arrivé chez eux, moi, je suis tombé dans l'inconscience.
22:56Enfin, ils m'ont mis dans l'inconscience quand je suis arrivé
22:58chez eux, c'est-à-dire qu'à ce moment-là,
23:00je savais que j'étais pris en charge par l'équipe de chirurgiens.
23:02À ce moment-là, mon travail était fini.
23:04À ce moment-là,
23:06c'est comme si je leur disais
23:08« Allez-y, les gars, c'est à vous de jouer.
23:10Moi, je ne peux plus. J'ai tout donné.
23:12J'ai fait en sorte
23:14de résister.
23:16J'ai travaillé pour résister et être ici.
23:18Maintenant, c'est à vous de jouer, les gars. »
23:20Et donc, du coup, à partir de là,
23:22ils m'ont plongé dans un coma artificiel,
23:24ils m'ont opéré.
23:26Ça a duré plus de neuf heures sous cette fameuse tente.
23:28Ensuite, j'ai été évacué
23:30vers la France, à l'hôpital Percy,
23:32hôpital militaire à Clamart,
23:34à côté de Paris.
23:36Et en fait, il faut savoir que là où je dis
23:38que le service de santé des armées est exceptionnel,
23:40c'est qu'en moins de 24 heures,
23:42j'ai explosé
23:44sur un IED en opération extérieure
23:46en Afrique.
23:48Et en moins de 24 heures,
23:50j'étais déjà en réanimation en France.
23:56La technique utilisée pour cet IED,
23:58c'est une technique de pression.
24:00Il existe différentes techniques
24:02pour déclencher un IED à distance,
24:04mécanique, électronique,
24:06bref, il y a plein.
24:08Cette technique-là, c'est simple.
24:10Il faut savoir que
24:12l'allumeur
24:14de la mine, c'est
24:16un cercle. Et dans ce cercle,
24:18il y a un petit connecteur.
24:20Et en fait, quand on fait pression,
24:22normalement, il y a une partie
24:24qui est sur le cercle. Quand on fait pression
24:26dessus, ça vient toucher ce connecteur
24:28et ça pète.
24:30Et là, en fait, ils ont remplacé cette partie au-dessus
24:32par une pierre
24:34qui est légèrement,
24:36au niveau du diamètre, qui est légèrement
24:38plus large que le cylindre.
24:40De façon à ce que, quand le véhicule
24:42roule dessus, le premier véhicule,
24:44ça va tasser la pierre, le deuxième,
24:46ça va tasser la pierre, jusqu'au
24:48moment où il va y avoir ce contact avec le connecteur.
24:50Et moi, j'étais le troisième véhicule,
24:52je suis passé tôt. Il a fallu
24:54trois véhicules pour que ça connaisse.
24:56Donc après, ça m'est arrivé à moi, ça aurait pu arriver
24:58au premier directement, ça aurait pu arriver
25:00au cinquième, au dernier,
25:02ou alors, on serait tous passés dessus
25:04et en fait, la pierre qu'ils avaient utilisée, elle était
25:06beaucoup trop dure, elle s'enfonçait pas, et il y aurait rien eu.
25:14Faut savoir que moi, j'en veux pas des masses
25:16à cet acte, en fait.
25:18Moi, je...
25:20J'ai beaucoup de traumatismes aujourd'hui, certes,
25:22qui sont dus à cet accident, mais aussi
25:24à ma carrière,
25:26on va dire.
25:28Mais c'est vrai que de ce côté-là, j'ai la chance de pas
25:30en vouloir à la personne qui a posé l'IUD,
25:32dans le sens où je me dis, c'est un soldat comme moi,
25:34on se bat pas pour les mêmes raisons,
25:36ça c'est certain,
25:38mais il a exécuté ses ordres, en fait.
25:40Voilà, il m'a eu.
25:44Aujourd'hui, je suis encore soldat, je suis encore...
25:46J'ai pas encore été réformé. Aujourd'hui, je suis
25:48sous-officier de l'armée de terre,
25:50et je suis fier, encore, de porter cet
25:52uniforme. J'ai adoré ma carrière,
25:54j'ai adoré ma carrière.
25:56Si, là, vous me dites,
25:58écoute, t'as 18 ans,
26:00tu signes
26:02à l'armée, à la fin, ça va se terminer comme ça.
26:04Tu fais quoi ? Tu signes ou pas ?
26:06En fait, c'est con à dire, parce que
26:08moi, aujourd'hui, comme je dis,
26:10je vis avec mes démons, je vis avec
26:12toutes ces choses qui m'ont marqué,
26:14mais, en fait,
26:16l'armée a fait l'homme que je suis aujourd'hui,
26:18et l'homme que je suis aujourd'hui, je l'aime bien, en fait.
26:20Donc, je re-signe tout de suite.
26:22En vérité, c'est comme ça.

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