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00:00Chers téléspectateurs, chers auditeurs, bienvenue dans ce nouveau numéro d'Ongle de vue.
00:24Vous connaissez le principe, près d'une heure en notre compagnie
00:27pour découvrir une personnalité que vous pensez déjà connaître.
00:30Et pour mener cet échange, à mes côtés, Mélinda Boulay, rédactrice en chef de France Enty
00:35et Kathleen Bilaskopet, rédactrice en chef de RCI.
00:38Cet entretien est bien sûr à retrouver sur nos trois médias.
00:41Et pour ce nouveau portrait, nous recevons aujourd'hui une femme au multiple talent,
00:46chanteuse, actrice, écrivaine, fondatrice de festivals.
00:50Dur de vous résumer, Victor Laszlo, mais très heureuse de vous accueillir aujourd'hui.
00:55Une heure, cela paraît évidemment bien peu pour retracer une vie foisonnante de projets artistiques,
01:00mais nous allons essayer.
01:02Mais avant, laissons au public l'occasion aussi de vous découvrir un peu mieux
01:05grâce au portrait que Mélinda Boulay va croquer.
01:09Victor Laszlo, bienvenue.
01:11Merci.
01:12Vous êtes une passionnée des arts, chanteuse, actrice, écrivaine.
01:16Petite, vous vouliez tous les pratiquer, surtout l'écriture.
01:20Vous avez la liberté chevillée au corps.
01:23Vous êtes née Sonia Dronier à Lorient en 1960, d'un père martiniquais et d'une mère grenadienne.
01:29Vous êtes la cadette d'une fratrie de trois enfants.
01:32Vous passez votre enfance…
01:34Deux enfants.
01:35De deux enfants, pardon.
01:36Vous passez votre enfance à Lorient, puis à Paris.
01:39Puis votre père est engagé par la Communauté économique européenne
01:42pour travailler dans un réacteur nucléaire.
01:44Et vous déménagez à Mols, au nord de la Belgique.
01:47Vos parents ne baignent pas plus que cela dans la culture antillaise,
01:50mais un jour, votre père est interpellé par un autre martiniquais qui lui parle en créole
01:54et lui qui répond en flamand.
01:56Et là, prise de conscience, il se met à vous raconter des histoires sur la Martinique
02:00et vous parle en créole.
02:02Vous y mettez les pieds en Martinique à l'âge de dix ans,
02:05et sur le tarmac de l'aéroport, c'est l'évidence.
02:08Cette île et son histoire, vous la ressentez, vous la vibrez.
02:11Vous vouliez étudier l'architecture d'intérieur à Paris,
02:14mais l'ami qui devait vous héberger disparaît.
02:16Vous devez faire des choix.
02:18Vous passez par une école de stylisme,
02:20puis vous passez par l'université de Bruxelles.
02:23Vous rêvez d'indépendance et vous répondez à des propositions dans le milieu du mannequinat.
02:28Vous n'y restez que 18 mois, mais vous gagnez votre indépendance financière
02:32et vous voilà libre, libre de vivre vos rêves.
02:35Vos lendemains sont incertains, mais qu'importe, vous faites ce que vous aimez.
02:39Votre carrière dans la musique démarre en 1984 avec la sortie de Canoë Rose.
02:45Vous présentez le concours de l'Eurovision en 1987 en Belgique, habillé par Thierry Mugler.
02:51Et là, des millions de téléspectateurs découvrent la voix et la traigue l'amour Victor Laszlo.
02:57Votre carrière prend alors un autre virage.
03:00Vous tournez au Japon, en Asie du Sud-Est, en Afrique du Sud et dans toute l'Europe.
03:05Avec cette exposition médiatique, des propositions vous sont faites pour le cinéma et la télévision.
03:11Vous êtes à l'affiche de Navarro notamment et de 48 films de télévision et de 5 longs-métrages d'honneur plage.
03:18De la télévision et du cinéma, vous dites ne pas être une actrice convaincante ni convaincue.
03:24C'est le théâtre qui va par contre vous donner envie de monter vos propres spectacles.
03:30Loin de Paname, My name is Billie Holiday et 3 femmes et puis l'écriture.
03:34L'art que vous avez révélé au grand public tardivement on va dire.
03:38Vous écrivez depuis petite dans votre journal intime.
03:41Vous écrivez votre première nouvelle à l'âge de 12 ans puis des billets d'humeur.
03:45Vous n'êtes pas prête à publier parce que vous attendez.
03:48Et puis en 2010, vous décidez à vous livrer au grand public avec La Femme qui pleure qui obtient le prix Charles Brisset.
03:56Des livres qui ont comme toile de fond l'histoire de nos îles, l'esclavage.
03:59Et depuis 2022, vous avez installé chez nous en Martinique, chez vous d'ailleurs,
04:04le Festival Empire V avec des auteurs venus du monde entier pour donner le goût de la lecture aux jeunes.
04:10Ce que l'on sait moins de vous, c'est que vous avez toujours le trac lorsque vous montez sur scène.
04:15Vos racines sont à Saint-Pierre, à Sainte-Marie, à Fort-de-France et que vous allez vous installer à terme en Martinique.
04:21Vous êtes mère d'un fils de 36 ans et vous êtes selon vos proches l'incarnation de la sensibilité et de la bienveillance.
04:29Ah bon ?
04:30C'est ce qu'ils nous ont dit.
04:31Ah parce que vous avez… Oh là là, j'aimerais bien savoir qui a dit ces jolies choses.
04:36Est-ce que ce portrait est fidèle à ce que vous êtes ?
04:38Oui, il est fidèle. J'ai l'impression d'avoir eu cette vie.
04:41D'abord, bonjour à toutes. C'est exceptionnel.
04:43Moi, je suis heureuse comme tout dans ce cocon féminin avec trois têtes. Formidable.
04:50Oui, j'ai l'impression d'avoir eu des vies de chat, d'avoir été un petit peu dans toutes les directions,
04:58mais toujours avec beaucoup de sérieux. Je ne me suis jamais prise au sérieux,
05:02mais tout ce que j'ai entrepris, je l'ai entrepris sérieusement et jusqu'au bout.
05:06Même si, comme je vous l'ai dit, quand on s'est parlé pour préparer cette émission,
05:11je n'ai jamais été persuadée d'être une grande comédienne et ça ne m'intéressait pas plus que ça.
05:16Mais à cette époque-là, la musique déclinait un petit peu.
05:20Je sentais qu'il fallait que je me tourne vers d'autres possibilités de gagner ma vie.
05:26J'élevais mon fils seul et la télévision m'offrait des rôles.
05:32Alors que pendant des années, je m'étais retrouvée devant des directeurs de casting qui me disaient
05:38que la France n'est pas prête à accueillir un rôle récurrent qui ne soit pas blanc.
05:44Et donc, j'ai eu la chance d'être l'une des premières à recevoir ce cadeau du rôle récurrent.
05:53Je l'ai embrassée avec enthousiasme.
05:58Jamais vraiment persuadée d'être très bonne.
06:02On va revenir sur votre enfance.
06:04Comment ça se passe, vous, la petite métisse à Molle ?
06:08Eh bien, vous savez, on vivait dans un microcosme.
06:12C'était un petit site qui avait été construit pour les fonctionnaires du marché commun,
06:19de la communauté économique européenne, avec des maisons, des appartements.
06:24Et sur ce site, il y avait toutes les nationalités, les six nationalités de l'époque
06:30qui constituaient l'Europe à cette époque.
06:33Et entre ce site et l'école, il y avait un bois, une grande forêt.
06:38Et les villages étaient, les petites villes, pardon, étaient à, je ne sais pas moi,
06:4315 kilomètres au nord et 15 kilomètres au sud.
06:46Donc nous, on était dans cette espèce de microcosme, de no man's land.
06:50Et on se connaissait tous.
06:53On vivait dans une ignorance totale de ce qu'était le monde, le vrai.
06:58C'est uniquement à l'âge de 13 ans que je me suis rendue pour la première fois à vélo
07:03dans les villages alentours.
07:06Et j'ai rencontré des Flamands.
07:10J'ai commencé à fréquenter les bars avec les copains qui étaient un petit peu plus délurés que moi.
07:14Et j'ai fait toutes sortes de bêtises à cette époque-là.
07:17Mais voilà, on était, ma sœur et moi, nous étions très, très bien accueillis.
07:22Vous savez, la Martinique, c'était la Martinique, la Grenade, c'était les Caraïbes, c'était l'Oreille.
07:29– Justement, à cet âge-là, quand vous étiez jeune et adolescente,
07:33quel était votre rapport aux terres natales de vos parents ?
07:37Donc Mélinda l'a dit dans votre portrait, vous avez eu l'occasion de venir en vacances.
07:41Mais comment vous regardiez ces terres lointaines, caribéennes depuis votre ville de Belgique ?
07:47– C'est comme si j'avais deux existences.
07:50Déjà là, j'avais celle que je menais en Martinique quand je venais,
07:52parce que nous passions presque trois mois en Martinique quand nous venions en vacances.
07:56Et comme j'ai dit à Mélinda, en arrivant en Martinique, je n'avais pas 10 ans.
08:02J'ai posé les pieds sur le tarmac du Lamantin.
08:07L'odeur de la canne à sucre à cette époque-là, puisque le Lamantin était entouré de champs de canne,
08:13tout ça m'a donné vraiment l'impression d'avoir atteint le pays qui était le mien.
08:20Cela dit, je n'ai pas été tout de suite consciente de son histoire
08:24et du bagage que cette île nous obligeait à porter d'une certaine manière.
08:29Donc cette conscience-là, si vous voulez, elle infuse progressivement
08:34jusqu'à ce que j'arrive à l'université et puis j'entende vraiment ce qui me constituait.
08:42Et Grenade ? Parce que vous avez eu justement ce sentiment d'appartenance presque immédiat avec la Martinique,
08:47mais concernant l'île de votre papa.
08:49Mais comme de ma maman, c'est ma maman qui est anglaise.
08:53En fait, c'est le hasard qui a voulu que nous atterrissions d'abord en Martinique.
08:58Et pendant le même séjour, à 9 ans, presque 10 ans, nous sommes allés à Grenade.
09:07Et là, la surprise n'était pas la même, forcément.
09:10J'ai aimé, j'ai adoré, ma grand-mère y vivait toujours.
09:13Mais il faut savoir que je n'y suis pas retournée souvent,
09:16parce qu'après le putsch des Américains, toute ma famille,
09:23qui était liée à la famille de Bishop, a été envoyée aux États-Unis.
09:27Donc j'ai perdu mes racines familiales grenadiennes.
09:32J'y suis retournée deux, trois fois, mais pas autant que je suis venue en Martinique.
09:36Et je n'ai pas eu l'occasion de m'ancrer, de sédimenter mon appartenance au pays.
09:44Comment ce métissage a influencé votre parcours et surtout votre vision du monde ?
09:50Le fait de venir de ces petites îles, mais d'avoir aussi grandi en Belgique,
09:55vécu dans l'Hexagone, tout ce mélange, comment ça a influencé ?
09:59C'est assez particulier, parce que j'ai souvent dit que le métissage
10:03était quelquefois un costume un peu difficile à porter.
10:08Il est très joli, il fait envie à tout le monde.
10:10Mais pour celui qui le porte, il est parfois étriqué, parfois trop large.
10:14Vous n'êtes pas assez noir, vous n'êtes pas assez blanc
10:17pour telle ou telle chose, dans telle ou telle situation.
10:19Mais en réalité, ce que nous avons appris, ma sœur et moi,
10:24par nos parents, avant même de prendre conscience de notre différence,
10:27c'est le devoir d'excellence.
10:30Je pense que ça appartient même plus encore au métissage,
10:38parce que notre père nous disait qu'on ne vous donnera rien gratuitement.
10:45Vous devrez travailler plus que les autres pour obtenir la même chose que les autres.
10:51Donc ça nous a donné une ligne de conduite.
10:55Ça et la morale qu'on a parlé, une très grande notion.
10:59Ces valeurs que vos parents vous ont inculquées ?
11:02Absolument, de grande moralité, d'éthique, de civisme.
11:06Je pense que c'est notre colonne vertébrale, autant à ma sœur qu'à moi.
11:09Vous preniez des cours de violon et de danse toutes petites.
11:12La danse, c'est la discipline dans laquelle, finalement, vous n'avez pas évolué.
11:17Oui, dans l'intimité.
11:20Je prenais des coups de bâton sur les genoux quand j'étais au cours de danse.
11:25J'avais une professeure italienne qui venait de l'Académie Royale de Londres.
11:30Elle était très stricte.
11:32Mes genoux sortent un peu comme ça, ils sont pointus.
11:36Et puis, moi, il y a un petit bonheur.
11:39Tout ça, ça faisait que je n'avais pas exactement le physique d'une grande ballerina.
11:44J'imagine qu'il fallait choisir.
11:47Quitter ma famille pour entrer dans les académies, que ce soit pour le violon, d'ailleurs,
11:52ou pour la danse, je n'en avais pas envie.
11:55J'ai arrêté le violon à 16 ans et j'ai arrêté la danse à peu près au même âge,
11:59sans vraiment arrêter, puisque le violon, j'ai repris à l'université,
12:03puis plus tard, sur scène, etc.
12:05Et la danse, j'ai continué à danser, j'ai appris des cours.
12:09Et le créole, parlons-en.
12:11Quel est votre rapport ? Vous venez de nous faire une petite phrase en créole.
12:16Quel est votre rapport à cette langue ?
12:19Ah, c'est « Je t'aime, moi non plus ».
12:22C'est un rapport qui est...
12:24Vous l'avez appris après ou est-ce que votre père parlait créole à la maison ?
12:27Alors, mon père a très tard commencé à raconter des histoires en créole,
12:32mais ça n'était pas parler créole.
12:35C'était nous raconter l'histoire de chouval trois pattes, de fromager, etc.
12:42Non, le créole, je l'ai appris avec mes cousines en venant en vacances.
12:47Mais chaque fois que je repartais pour dix mois ou neuf mois en Europe,
12:51j'en perdais un peu.
12:53Donc c'était un rapport comme ça.
12:55Vraiment, « Je t'aime, moi non plus », jusqu'au jour où je me suis rendue compte
12:57à quel point la Martinique était mon lieu de prédilection
13:00et que c'était là que j'allais y terminer mes jours.
13:03Il y a quelque chose dans mon cerveau qui s'est mis en branle
13:06pour que j'apprenne vraiment à le parler, pour que j'ose surtout, en fait.
13:11Parce que je connaissais, je comprends tout, mais je n'osais pas.
13:14Vous aviez une certaine timidité à le parler ?
13:16Sérieuse, oui.
13:17Sérieuse timidité, parce qu'on est très moqueurs chez nous.
13:21Donc je me disais « Oh là là, je vais me faire allumer, je n'osais pas chanter en créole ».
13:25Et puis là, c'est réglé.
13:28Victor Laszlo, nous allons marquer une première très courte pause en tous les cas
13:33avant de nous retrouver pour parler de votre carrière extrêmement foisonnante.
13:37A tout de suite.
13:38A tout de suite.

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