François Salachas, neurologue à la Pitié-Salpêtrière et membre du collectif inter-hôpitaux
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00:00Et ce matin, on s'intéresse à la situation de l'hôpital public sur France Bleu Paris.
00:04Comment se portent nos services de soins, les urgences ?
00:07On va voir ça avec notre invité, le docteur François Salacasse,
00:10neurologue à la Pitié-Salpêtrière et membre du collectif Inter-Hôpitaux.
00:13Bonjour François Salacasse, première question très simple.
00:16En ce milieu de l'automne, après un été compliqué, l'hôpital est-il toujours en crise ?
00:22Oui, alors c'est une crise chronique maintenant et donc on peut considérer
00:26que rien ne s'est amélioré du point de vue de l'accès aux soins.
00:30Il y a eu beaucoup d'alertes sur les fermetures d'urgence ou les fermetures un peu perlées,
00:35c'est-à-dire fermées à partir de 20h par exemple ou un jour sur deux.
00:39La situation reste extrêmement inquiétante et je pense que nos concitoyens le vivent en fait.
00:46La question c'est est-ce qu'ils se rendent compte du caractère chronique
00:51et est-ce qu'ils ont peur du fait que ça devienne désormais la règle ?
00:55Et vous ?
00:56Nous on a très peur que ça devienne la règle, oui.
00:58Ce matin on a entendu sur France Bleu Paris des soignants de l'hôpital Beaujolais
01:01qui sont en grève depuis un mois, qui disent qu'ils mettent les patients en danger
01:05justement à cause de ce manque de moyens matériels et humains.
01:09Aujourd'hui c'est une réalité dans l'hôpital public ?
01:12Oui c'est une réalité qui est très difficile à quantifier
01:15et en fait elle devrait être quantifiée par ce qu'on appelle la santé publique en France
01:20et les tutelles devraient s'attacher à mesurer quelque chose
01:24qu'on n'a pas du tout envie de mesurer, c'est-à-dire une aggravation de la situation sanitaire en France
01:29du fait d'une qualité des soins et d'un accès aux soins qui diminue.
01:32Mais ça ça n'intéresse aucun gouvernement parce que c'est un livre noir de ce qui se passe en France.
01:37Mais pourtant il devrait y avoir des moyens pour quantifier ça.
01:40Et une fois qu'on a fait ce constat que tous les soignants de terrain font
01:43et que nos concitoyens font, qu'est-ce qu'on fait ?
01:46Et alors justement qu'est-ce qu'on fait ?
01:48Comment on fait ? Parce que là le problème c'est manque de soignants
01:53parce qu'il y a un problème avec l'attractivité de l'hôpital public.
02:02C'est exactement ça, c'est l'attractivité et j'irais même plus loin
02:05parce que le fameux choc d'attractivité qu'on attendait après le Ségur de la Santé qui a été annoncé.
02:10Parce qu'il y a eu des choses quand même qui ont été annoncées, des réformes.
02:14Le Ségur de la Santé, vous vous en parlez ?
02:17Vous savez les médecins on aime bien utiliser des métaphores
02:20quand un patient a beaucoup saigné et qu'il est en train de désamorcer son cœur
02:24parce qu'il n'y a plus assez de volume sanguin.
02:27Si vous ne le transfusez pas comme il faut, si vous ne remontez pas le volume sanguin,
02:32son cœur va rester désamorcé.
02:35Donc quand il n'y a pas un minimum, il y a une masse critique pour résoudre un problème.
02:40Et cette masse critique de moyens, et surtout on parlait de choc d'attractivité.
02:46Pourquoi on manque de soignants ?
02:48Parce que plus personne n'a confiance dans le fait qu'on va garantir des conditions d'exercice du soin
02:53qui soient compatibles avec des valeurs.
02:55C'est facile à comprendre ce que je dis.
02:57C'est un métier qu'on ne fait pas au hasard.
02:59C'est un métier où on est confronté à la souffrance, à la mort.
03:02Quand à la fin de la journée on s'aperçoit qu'on n'a pas bien travaillé,
03:05en fait on se démotive.
03:07Or il faut être extrêmement motivé pour être soignant de nos jours.
03:10Avec de l'argent ?
03:12Oui, bien sûr, l'argent motive.
03:15Pas uniquement ?
03:17Non, pas uniquement, ça ne suffit pas.
03:19Mais à l'inverse, il ne faut pas considérer que ça n'a aucun intérêt le salaire.
03:23En fait, on s'est dit pendant des années que, de toute façon,
03:26sur le modèle sacrificiel des soignants,
03:29finalement ils se payaient avec l'image qu'ils gardaient d'eux-mêmes.
03:32C'est-à-dire cette espèce de narcissisme de
03:34« je suis là, je suis au service de mes patients, je fais un métier non seulement intéressant,
03:38mais qui sert, et ça m'envoie une bonne image. »
03:40Mais c'est un peu fini cette histoire,
03:42parce que, justement, pour avoir cette bonne image de soi,
03:45ou cette image minimum, il faut travailler dans des...
03:47Il faut bien soigner.
03:49Oui, mais pour bien soigner, il faut être nombreux.
03:51Nombreux au service du patient.
03:53Et dès qu'on commence à être, vous connaissez les assiettes chinoises,
03:56c'est des trucs qu'on fait tourner, puis dès qu'on arrête, l'assiette tombe.
03:59Et c'est ça qui se passe, en fait.
04:01C'est-à-dire qu'on a des soignants qui ne sont pas assez nombreux au lit du patient,
04:03et il faut qu'ils choisissent.
04:05Finalement, maintenant, la médecine hospitalière en France,
04:08c'est de choisir, c'est de trier.
04:10Et ça, c'est incompatible avec les valeurs du soin.
04:12C'est pour ça qu'ils s'en vont.
04:148h20 sur France Bleu Paris.
04:16On vous pose cette question ce matin.
04:18« La situation de l'hôpital vous inquiète-t-elle ?
04:20Y a-t-il une dégradation de la qualité des soins, de la prise en charge pour les malades ? »
04:22Vous réagissez au 01-42-30-10-10.
04:24C'est ce qu'a fait Sylvie de Malakoff, dans les Hauts-de-Seine.
04:27Bonjour à vous, Sylvie.
04:28Alors, vous, vous avez eu un cas pratique,
04:30votre conjoint qui a fait une mauvaise chute dans Paris,
04:32et qui a été mal pris en charge, c'est ça ?
04:35Eh bien, écoutez, oui, il avait mal à ses deux chevilles.
04:37Il y en avait une qui était très gonflée, l'autre pas.
04:39Donc, on va aux urgences, on lui fait des radios.
04:42Alors, ce que je voulais dire, c'est que le médecin qui l'a reçu,
04:45elle avait mis son téléphone en haut-parleur,
04:47et à deux reprises, pendant qu'elle était avec nous,
04:50a eu des appels assez graves.
04:51Il fallait qu'elle réponde.
04:52On voyait qu'elle n'était plus avec nous du tout.
04:54Quand elle raccrochait, elle revenait,
04:56elle disait « Bon, où on en est ? »
04:58Elle regardait.
04:59Elle lui a dit « Oui, la cheville qui est gonflée, c'est une grosse entorse.
05:01L'autre, ça ne fait rien. On est reparti. »
05:03En fait, c'était l'autre cheville qui avait une fracture.
05:05Mais ce que je voulais dire, c'est que cette pauvre jeune femme qui était là,
05:08a eu des coups de fil gravissimes.
05:10Elle mettait le haut-parleur, peut-être, je ne sais pas,
05:13elle n'a pas fait exprès.
05:14On entendait.
05:15Il fallait qu'elle réponde pour un cas d'un de ses collègues.
05:17À chaque fois, elle revenait vers nous,
05:20et on voyait qu'elle était préoccupée par un autre cas.
05:22C'était un cas qui était...
05:24Elle n'était pas avec nous du tout.
05:26Mais peut-être qu'il faudrait faire...
05:28Alors, je voulais juste vous dire à tout,
05:30il y a un système hospitalier différent.
05:33Il y a des espèces de maisons médicales dans la ville de Tours.
05:35Il y en a deux.
05:36Ils vous prennent en urgence sur téléphone.
05:39Il y a radiologie, il y a une infirmière,
05:41il y a plusieurs médecins, il y a un gynécologue.
05:43Ça désengorge les urgences de Tours.
05:46Merci beaucoup, en tout cas, Sylvie.
05:48Merci pour votre témoignage ce matin au 01-42-30-10-10.
05:51François Salakas, Sylvie était en train de nous dire
05:53que son conjoint, selon elle, a mal été pris en charge aux urgences.
05:57Elle nous parlait de l'exemple de Tours
05:59qui a des maisons médicales
06:01avec plusieurs médecins
06:03pour, justement, désengorger les urgences.
06:06C'était la priorité d'Emmanuel Macron
06:08de désengorger ces urgences
06:10avant la fin de l'année 2024.
06:12Est-ce qu'on y est ?
06:13Est-ce qu'on peut dire que ça a marché ?
06:15Non, non, on peut dire le contre.
06:17C'est un échec complet.
06:19Pour échouer, il faut essayer.
06:21Je ne sais pas ce qui a été fait de sérieux dans ce domaine.
06:24On ne peut même pas parler d'échec.
06:27J'ai entendu effectivement ce témoignage.
06:29Évidemment, il y a des possibilités
06:31de s'organiser un peu différemment
06:33pour des patients qui viennent pour certaines raisons aux urgences.
06:37Mais le problème des urgences, ce n'est pas du tout celui-là.
06:40C'est quoi le problème des urgences ?
06:41Le problème des urgences, c'est les patients qui arrivent aux urgences,
06:43qui ont besoin d'être hospitalisés,
06:45qui restent des nuits entières sur des brancards
06:47parce que derrière, il n'y a pas de lit pour les hospitaliser.
06:50C'est le problème majeur des urgences.
06:52Plutôt que de dire que les gens viennent aux urgences
06:54pour des raisons qui ne sont pas les bonnes
06:56ou qu'on est mal organisé pour les prendre en charge.
06:58Il y a un futur centre de santé avec des médecins hospitaliers à la retraite
07:01qui va ouvrir en janvier à Paris.
07:05Ce sera financé notamment par une fondation philanthropique.
07:09Qu'est-ce que vous pensez de cette idée ?
07:11Est-ce que vous l'avez vu déjà ?
07:13On l'a su aujourd'hui.
07:15Oui, mais bon, c'est un pisalé.
07:17Ça suffira pas.
07:19C'est le système D à la française.
07:21Est-ce que ça peut rendre service ?
07:23La réponse est oui.
07:24Est-ce que c'est le temps que les choses s'améliorent ?
07:27Mais le plus important, c'est qu'est-ce qu'on fait pour que les choses s'améliorent ?
07:30Et là-dessus, je veux dire que le collectif interhôpitaux
07:32n'est pas du tout resté inactif.
07:34On a contacté il y a quasiment deux ans le Sénat.
07:37Il y a une proposition de loi qui a été adoptée par le Sénat
07:39à 80% de majorité
07:41qui doit être présentée normalement
07:43par l'Assemblée nationale le 12 décembre
07:45dans le cadre d'une niche parlementaire.
07:47Cette proposition de loi est très simple.
07:49On veut que la loi garantisse
07:51des ratios de soignants au lit des patients.
07:53C'est ce qui existe depuis 20 ans
07:55dans les réanimations.
07:56Ça n'existe pas dans les autres services.
07:58Et c'est une des raisons majeures
08:00pour lesquelles les conditions
08:02d'exercice du soin ne sont pas bonnes.
08:04Donc, on donne rendez-vous
08:06à nos concitoyens.
08:08C'est très important parce que si cette loi
08:10est acceptée par l'Assemblée nationale,
08:14la loi pourra être promulguée.
08:16Donc là, on est vraiment dans le concret du concret.
08:18Merci beaucoup François Salacasse.
08:20On suivra ça évidemment avec beaucoup d'attention.
08:23Vous êtes neurologue à La Pitié-Salpêtrière
08:25et vous êtes donc membre de ce collectif interhôpitaux.
08:27Merci d'être passé dans les studios de France Bleu Paris ce matin.
08:29Merci à vous.