• avant-hier
Alors que le ministère des armées prône l'exemplarité et la tolérance zéro, des pratiques violentes, humiliantes, voire de graves crimes semblent perdurer au sein de l'Armée française. L'omerta règne autour des violences exercées entre militaires, au sein de nos forces armées.
Pour en parler, Jean-Pierre Gratien reçoit la journaliste, Leila Miñano, et l'ancien officier militaire, Guillaume Ancel. Ensemble.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5

Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Threads : https://www.threads.net/@lcp_an
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter

Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/

#LCP #documentaire #debat

Category

🗞
News
Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:17A l'affiche de ce débat doc, un documentaire,
00:00:20une enquête choc intitulée
00:00:22Harcèlement dans l'armée, des militaires brisent le silence,
00:00:25réalisé par le journaliste Pierre-Stéphane Faure.
00:00:28où le ministère des Armées prône l'exemplarité
00:00:31et la tolérance zéro,
00:00:32à l'aide de nombreux témoignages de victimes, d'avocats,
00:00:35il y dénonce, vous allez le voir,
00:00:37des pratiques violentes, humiliantes,
00:00:40voire de graves délits au sein de l'armée de l'air française.
00:00:43Je vous laisse le découvrir et je vous retrouverai
00:00:46juste après sur ce plateau,
00:00:47en compagnie de la journaliste Leila Mignano
00:00:50et de l'écrivain et ancien officier militaire
00:00:53Guillaume Ancel.
00:00:54Avec eux, nous nous interrogerons sur l'OMERTA,
00:00:56qui règne aujourd'hui encore autour des violences exercées
00:01:00entre militaires au sein de nos forces armées.
00:01:02Bon d'ac.
00:01:03Musique d'ambiance
00:01:06...
00:01:14L'aviation de chasse est la vitrine de l'excellence de l'armée de l'air.
00:01:18Notre enquête lève le voile sur la face cachée
00:01:22de cet univers qui fascine.
00:01:23Antoine a été l'un des premiers
00:01:25à être la victime d'un incroyable bisutage.
00:01:29Ce jeune pilote s'est retrouvé ligoté sur une cible
00:01:33en plein champ de tir lors d'un exercice à balles réelles.
00:01:37En regardant les photos,
00:01:39quand je suis attaché sur la cible,
00:01:41c'est complètement ahurissant, en fait.
00:01:45Malgré son devoir de réserve,
00:01:47le militaire témoigne à visage découvert.
00:01:49Son affaire a fait le tour du monde.
00:01:54C'est l'histoire hallucinante révélée ce matin par la Provence.
00:01:57Des pilotes ont dit qu'il était à l'air.
00:02:0020 minutes sous des tirs d'obus.
00:02:02Sanglé à un pylône marqué d'impact et surmonté d'une croix rouge.
00:02:05...
00:02:08Musique douce
00:02:12L'histoire se déroule sur la base aérienne de Solenzara, en Corse.
00:02:16...
00:02:18En mars 2019, Antoine, fraîchement diplômé,
00:02:20rejoint son nouvel escadron.
00:02:22...
00:02:23Il rencontre ses collègues pour la première fois.
00:02:26...
00:02:28À ce moment-là, ça fait 10 ans que je suis complètement impliqué
00:02:32dans ma formation dans l'armée de l'air.
00:02:34Ca fait 20 ans que j'en rêve. C'est l'aboutissement.
00:02:36En franchissant les portes de l'escadron,
00:02:39j'ai à peine eu le temps de poser mes sacs
00:02:41quand, en fait, il y a un gradé qui passe à côté de moi
00:02:44et qui me sent, qui dit,
00:02:46qu'est-ce qu'on nous a encore envoyé, là ?
00:02:48...
00:02:51Ses frères d'armes le cagoulent et l'emmènent en voiture.
00:02:54Ils prennent même des photos.
00:02:55...
00:02:57Après un voyage d'environ 30 minutes,
00:02:59on me sort du véhicule,
00:03:01on me lie les mains avec du scotch,
00:03:04les chevilles et les genoux.
00:03:07...
00:03:10Je suis balancé à l'arrière d'un pick-up.
00:03:13Là, c'est beaucoup plus violent. Ca roule à toute allure.
00:03:16Les chemins sont complètement cabossés.
00:03:18Je me cogne de tous les côtés.
00:03:19...
00:03:21Et là, franchement, je me sens un peu en danger, à ce moment-là.
00:03:25...
00:03:30Désorienté, Antoine n'a aucune idée de l'endroit où il se trouve.
00:03:34...
00:03:36En fait, on entend les bruits de la mer,
00:03:38qui est juste derrière.
00:03:39Et à un moment donné, je pensais même être sur la plage.
00:03:43...
00:03:45Et puis, très rapidement, il y a quelqu'un qui m'attache
00:03:48à ce qui s'avère être un poteau.
00:03:50...
00:03:52Ils me font une petite blague en me disant
00:03:54qu'on va se laisser là pour l'éternité.
00:03:56Et en fait, ils s'en vont.
00:03:58...
00:04:00Et j'entends des bruits d'avions.
00:04:02...
00:04:05Le militaire vient d'être ligoté au beau milieu d'un chantier.
00:04:10Les bisuteurs filment toute la scène.
00:04:12...
00:04:23J'entends un, deux avions de chasse.
00:04:25Et il y en a un, j'entends tirer.
00:04:30Et vraiment, il y a un...
00:04:33Enfin, le sang se glace, en fait.
00:04:35Parce que...
00:04:37Franchement, j'ai pas compris.
00:04:40...
00:04:41Après quelques minutes,
00:04:43l'un des militaires enlève la cagoule du jeune pilote.
00:04:46...
00:04:50Le bruit des tirs est si puissant
00:04:52que le micro du smartphone sature.
00:04:54...
00:04:59L'exercice est à balles réelles.
00:05:01Dans les canons du Mirage,
00:05:03des obus de 30 mm, identiques à ceux-ci,
00:05:06capables de transpercer le blindage d'un char d'assaut.
00:05:09...
00:05:12La première chose qu'on nous apprend quand on tire sur un champ de tir,
00:05:15je l'ai fait, moi, toute cette partie-là,
00:05:18c'est de dégager à gauche.
00:05:20Donc, on va prendre notre visée sur la cible, la cible est là.
00:05:24Et dès qu'on a tiré, on dégage sur la gauche
00:05:26parce que les obus qui vont se planter sur la cible,
00:05:29tous les ricochets vont vers la droite.
00:05:33Moi, je suis là, en fait. C'est pour ça que j'ai peur.
00:05:36...
00:05:40De son propre chef, le capitaine qui m'a emmené sur le champ de tir
00:05:44ne pouvait pas prendre cette décision-là
00:05:46sans risquer sa carrière, en fait.
00:05:48Très clairement.
00:05:50Il est couvert ?
00:05:51Forcément, il est couvert.
00:05:53Moi, je pense même que c'est un ordre qui lui a été donné.
00:05:56Il faut que toute la chaîne hiérarchique de l'escadron soit au courant.
00:06:01...
00:06:02Pourquoi avoir organisé cette mise en scène macabre ?
00:06:06La hiérarchie était-elle réellement complice, comme l'affirme Antoine ?
00:06:11Nous avons retrouvé l'un des soldats qui a participé au bizutage.
00:06:17Nous filmons en caméra cachée.
00:06:19...
00:06:27Bonjour.
00:06:28M. Faure, je me permets, je suis désolé de vous déranger,
00:06:31je suis journaliste.
00:06:32Je travaille sur l'affaire du bizutage de Solenzara.
00:06:36Vous comprenez que c'est choquant, ces photos ?
00:06:38Il y a énormément de choses qui sont choquantes.
00:06:41Je peux vous sortir des photos de rentrées d'école d'intermères
00:06:44sorties de leur contexte, c'est choquant.
00:06:46Quelle peut être la justification ?
00:06:48Ca va être compliqué, vous en parlerez en moins de 5 minutes.
00:06:51C'est juste à côté, je vais rester à le voir.
00:06:53Si vous voulez, on parle là-bas.
00:06:55...
00:06:57Selon le militaire, leur but n'a jamais été d'effrayer Antoine
00:07:01ni de mettre sa vie en danger.
00:07:03...
00:07:07L'avion n'était pas armé, il n'y avait même pas
00:07:10une émission d'entraînement à bord.
00:07:12Il y a des tirs, pourtant.
00:07:13C'est l'autre avion, c'est deux avions.
00:07:15Il y a un avion qui est armé et un qui ne l'est pas.
00:07:18A aucun moment, on n'a fait passer l'avion à un autre.
00:07:21On a choisi un endroit sur le chantier
00:07:23où on avait le droit de faire ce qu'on a fait.
00:07:25Vous n'aviez pas le droit, le bizutage, c'est interdit.
00:07:28La mise en danger, vous pensez qu'on l'a mis en danger ?
00:07:30On a été capables de mettre quelqu'un avec un armement
00:07:33avec potentiellement une blessure, que ce soit pour moi, pour les autres.
00:07:37Qui décide de ce bizutage ?
00:07:38Les escaliers en chasse, c'est 80-90 % des fichiers.
00:07:41C'est collectif.
00:07:43On a un emploi du temps.
00:07:44Des gens ont dit que ça serait sympa de pouvoir faire ça.
00:07:47C'est une bonne idée, on va essayer de le mettre en place.
00:07:50C'est un travail collectif.
00:07:51Si le chef avait dit non, on ne l'aurait pas fait.
00:07:54...
00:07:55À l'époque, Antoine n'a pas dénoncé ses chefs
00:07:58par crainte de briser sa carrière.
00:08:01Mais deux ans plus tard, il échoue finalement
00:08:04à valider sa qualification de pilote opérationnel,
00:08:07à cause, selon lui, d'une formation bâclée.
00:08:12Écoeuré, il veut quitter l'armée.
00:08:14On lui demande alors de rembourser
00:08:17250 000 euros de frais de formation.
00:08:19Dos au mur, il écrit à la ministre des Armées.
00:08:22Si on ne le laisse pas partir,
00:08:24il dénoncera le bizutage qu'il a vécu.
00:08:27Il porte plainte, l'affaire fuite dans la presse.
00:08:30...
00:08:34Le porte-parole de l'armée de l'air est contraint de réagir,
00:08:37comme ici, il y a quelques mois.
00:08:39...
00:08:40Ca va, comme ça ?
00:08:42Un, deux, un, deux.
00:08:43Les officiers responsables de cette mise en scène lamentable
00:08:47ont donc été punis, le mois dernier,
00:08:51de jours d'arrêt, de privation de liberté.
00:08:53Ce sont des choses qui laissent aussi une trace indélébile
00:08:56sur une carrière. Ce type d'agissement n'est pas en adéquation
00:08:59de nos valeurs. Ce n'est pas du tout l'armée de l'air
00:09:02qui protège au quotidien les Français.
00:09:04Voilà pour la version officielle.
00:09:06Mais une fois l'interview terminée, les propos sont plus ambigus.
00:09:10Je ne regrette pas d'être venu,
00:09:12parce que je pense que vous allez avoir de quoi faire ce soir.
00:09:15Ca vous permettra d'avoir un truc, même si c'est jamais agréable,
00:09:19quand vous avez enterré l'affaire, pardon.
00:09:21Ce qui est con, c'est qu'on aurait voulu de nous, là, sortir.
00:09:24Enterrer l'affaire, éviter le scandale à tout prix,
00:09:28serait-ce la politique habituelle de l'armée de l'air ?
00:09:31Car selon notre enquête,
00:09:34ce genre de rituels serait largement répandu.
00:09:43C'est quand même une tradition. C'est un des escadrons de chasse.
00:09:46Toutes les unités, en fait. Tout ce qu'on soit pilote, pilote.
00:09:49C'est comme dans une boîte avec un minimum d'ordres d'état d'esprit.
00:09:53Enfin, on...
00:09:54Le visitage d'Antoine, on ne le verrait pas dans une entreprise privée.
00:09:58Mais en même temps, notre boulot, dans une entreprise privée,
00:10:01je ne dis pas qu'on a le droit de tout faire.
00:10:04C'est juste que notre niveau d'acceptation de certaines choses
00:10:07n'est pas le même que pour tout le monde.
00:10:09On ne vit pas dans le même monde.
00:10:11Pourtant, je ne suis pas de la vieille génération.
00:10:13Mais on ne fait pas le métier de monsieur tout le monde.
00:10:16On n'a pas la perception des choses qu'on montre tout le monde.
00:10:21Nous avons sollicité le ministère des Armées sur cette affaire.
00:10:25Est-ce que vous connaissez ces images, M. Grandjeu ?
00:10:29Son porte-parole nous confirme que des sanctions internes
00:10:32ont bien été prises contre les bisuteurs, plusieurs jours d'arrêt.
00:10:35Selon lui, l'armée met tout en oeuvre pour éviter ces dérives.
00:10:39Plusieurs témoins m'expliquent qu'au sein de l'armée de l'air,
00:10:43le bisutage est institutionnalisé. Qu'en pensez-vous ?
00:10:46Je pense que le bisutage, c'est quelque chose
00:10:48qui est proscrit par la loi, qui est interdit.
00:10:51Il est vrai qu'il existe des actions de tradition.
00:10:54Ca n'a pas à voir avec le bisutage.
00:10:57Les traditions sont là au service des femmes et des hommes
00:11:00pour créer un ciment, créer une cohésion entre eux.
00:11:03Ca n'a rien à voir avec des actions de bisutage interdites,
00:11:06contre lesquelles nous nous élevons avec la plus grande force.
00:11:09Le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace
00:11:12a écrit à tous les commandants d'unité pour rappeler qu'en aucun cas,
00:11:16tout ce qui pouvait dégrader la dignité humaine
00:11:18n'était toléré au sein de l'armée de l'air et de l'espace.
00:11:22Le discours est ferme, mais la réalité serait toute autre.
00:11:25Nous nous sommes procurés des dizaines de documents inédits
00:11:29qui contredisent la version officielle.
00:11:39On vous appelle le jouet,
00:11:41et il faut le prendre vraiment au sens propre du terme.
00:11:44Tout le monde peut faire ce qu'il veut de vous.
00:11:46Allez, là !
00:11:47On vous fait comprendre que si vous dites quoi que ce soit,
00:11:50si vous plaignez, ce sera vous, la brebis galeuse,
00:11:53et ce sera vous qu'on abattra.
00:11:56Nous avons contacté de nombreux militaires, témoins ou victimes.
00:12:00Tous dénoncent des faits de harcèlement,
00:12:02des violences physiques et de multiples abus.
00:12:06Il y a l'alcool, l'alcool, l'alcool, l'alcool.
00:12:08Vous devez boire, vous devez.
00:12:11Si vous ne buvez pas, vous ne pourrez pas vous intégrer.
00:12:15Nous avons enquêté sur la condition des femmes,
00:12:18au-delà des clips promotionnels et des grandes déclarations publiques.
00:12:21Tolérance zéro.
00:12:23Il n'y a pas de place pour le sexisme dans nos armées.
00:12:27Parmi les traditions choquantes, il en existe une qui s'appelle le bullshit.
00:12:31J'arrive avec mon avion, je suis un chevalier du ciel,
00:12:34et j'exige des femmes qui viennent en bout de piste
00:12:36qu'elles se dépoitraillent et qu'elles me montrent leurs seins,
00:12:38et qu'en plus, elles m'amènent des bières à la descente de mon avion.
00:12:41Ces gens vivent sur quelle planète ?
00:12:43Le RSA, 22h29.
00:12:48Et ça, l'encadrement, il est au courant, évidemment.
00:12:51Bien sûr, nous participons.
00:12:54Tu te souviens ?
00:13:08Depuis quelques années,
00:13:10une base aérienne est particulièrement décriée.
00:13:13Celle de Nancy Hochet, en Meurthe-et-Moselle.
00:13:18Là-bas, six militaires ont déposé plainte au pénal
00:13:22pour des faits de violence physique, de harcèlement moral et sexuel.
00:13:27Derrière ces grilles, dans certaines unités,
00:13:30les jeunes recrues seraient livrés à la merci de leurs collègues
00:13:33et de leurs supérieurs.
00:13:39Franck est un ancien mécanicien.
00:13:42Les quatre années passées sur cette base
00:13:44l'ont plongée dans le désastre de l'avion.
00:13:47L'ont plongée dans une grave dépression,
00:13:50au point d'envisager de mettre fin à ses jours.
00:13:53Pour protéger sa nouvelle vie, il a souhaité garder l'anonymat.
00:13:59À 19 ans, major de sa promotion,
00:14:01il avait choisi Nancy comme première affectation.
00:14:05Le premier jour où on arrive, on entend gueuler dans l'hangar.
00:14:08Ah, un nouveau jouet !
00:14:10C'est la phrase que j'ai entendue une dizaine, une vingtaine de fois,
00:14:14juste déjà les cinq premiers jours.
00:14:16C'était moi.
00:14:18J'étais jeune, j'étais jouet.
00:14:20J'étais celui avec qui on va pouvoir s'éclater,
00:14:23on va pouvoir rigoler.
00:14:26Le mécanicien serait immédiatement l'objet de moqueries,
00:14:30d'insultes homophobes.
00:14:33Quelques semaines après son arrivée,
00:14:35il participe à une randonnée d'intégration avec son escadron.
00:14:39Mais la balade en montagne aurait viré au cauchemar.
00:14:43On est partis sur une marche,
00:14:45alors, bien sûr, les sacs à dos remplis d'alcool.
00:14:49On s'arrête tous dans un bois, et puis, eux, commencent à manger.
00:14:52Et moi, je n'avais pas le droit de manger.
00:14:54Par contre, j'avais le droit de picoler.
00:14:56Ils m'ont donné l'obligation de boire du rhum, pur,
00:14:59parce qu'il fallait que je sois un homme,
00:15:01qu'il fallait que je sois une bête, quelqu'un, un mec, comme ils disent.
00:15:06On sort du bois et j'ai un de mes sergents qui me regarde,
00:15:10qui me dit, « T'as chaud, toi ? »
00:15:12Je dis, « Non, chef. »
00:15:14Il me dit, « Si, si, t'as chaud. »
00:15:15Et là, il sort son couteau et il me découpe les fringues.
00:15:18Il me découpe mon pantalon, mon pantalon qui devient un caleçon,
00:15:23et il me découpe mon tee-shirt qui devient une bandoulière.
00:15:26Donc, on continue à marcher pour aller vers le chalet,
00:15:28et là, vous avez un camion blanc qui passe, avec des gens dedans.
00:15:32On vous met dans le camion,
00:15:34je me retrouve dans le noir, dans une benne de Duper,
00:15:36on n'est pas dans un camion blanc,
00:15:39on est, quoi, peut-être 20 dans la benne.
00:15:42Et là, je me fais frapper de tous les côtés.
00:15:50On vous frappe, quoi.
00:15:51Des coups de pied, des baffes, des fessées.
00:15:54Donc, je bouge ensuite.
00:15:56Je suis paumé, quoi. Qu'est-ce qui m'arrive ? C'est quoi, ce délire ?
00:15:59J'arrive pas à comprendre.
00:16:01Mais ça fait rire. Ça fait rire, ça, c'est marrant.
00:16:03Le camion s'arrête devant un chalet isolé.
00:16:06À l'intérieur, plusieurs dizaines de militaires sont présents.
00:16:11Un sergent-chef ordonne alors à Franck
00:16:14d'insulter les mécaniciens armuriers, surnommés les pétafs.
00:16:20Et ça continue.
00:16:21Là, j'ai mon parrain, qui vient me chercher,
00:16:25et qui me dit, écoute, tu vas te présenter.
00:16:28Donc, je monte sur la table.
00:16:33Il y avait un mec qui était juste en bas, qui me regardait,
00:16:35qui me dit, si tu dis un truc, je vais te péter la gueule.
00:16:37Si tu dis un truc, je vais te péter la gueule.
00:16:39Et là, mon parrain me regarde, il me dit, maintenant, tu vas répéter après moi.
00:16:42Il me dit, au cul, et là, je lui dis, non, je veux pas dire ça.
00:16:45Et là, mon chef, il me dit, tu le dis, maintenant.
00:16:47Donc, je dis, au cul, les pétafs, au cul, je sais plus,
00:16:49je crois que c'était le dépannage.
00:16:50Et là, j'ai le mec qui regarde en bas, qui me shole par call-back,
00:16:53qui me plaque au sol.
00:16:54Et là, il y a une dizaine de mecs qui viennent me frapper, me tabasser.
00:16:56Ils m'ont baissé le pantalon, mon caleçon.
00:17:00J'ai pris des fessées, j'ai pris des coups de pied dans la tête,
00:17:02dans les bras, dans les jambes.
00:17:05Et beaucoup, ça les fait marrer.
00:17:07Il y en a plein qui regardent, parce que c'est marrant.
00:17:09Je parle de toute hiérarchie.
00:17:12Que vous soyez sergent ou adjudant-chef,
00:17:15il y en a certains, ça les fait marrer.
00:17:17C'est rigolo.
00:17:21Et c'est ce jour où il y a quelqu'un,
00:17:24justement, un colonel, qui est intervenu en gueulant,
00:17:27vous arrêtez ça.
00:17:28Il m'a relevé, il m'a demandé si ça allait.
00:17:30Moi, j'étais complètement sonné, je ne sais plus où j'étais.
00:17:32Pourquoi cet officier est intervenu ?
00:17:34Je pense que c'est trop violent, trop violent.
00:17:36Il s'est dit, là, il faut que j'arrête la scène.
00:17:39C'est trop grave.
00:17:40Et après, forcément, j'ai craqué.
00:17:43Je commençais à verser des larmes.
00:17:46Et mon parrain m'a emmené, il m'a dit,
00:17:50tout ça, t'es un peu faible comme personne,
00:17:53ça te rendra plus fort.
00:17:56C'est votre chef qui vous dit ça ?
00:17:57Oui, c'est un de mes chefs qui me dit ça.
00:17:59Je n'aurais jamais pensé que ça pouvait exister.
00:18:01Dans un gang, peut-être.
00:18:04Mais là, je parle bien de l'armée.
00:18:06Je parle d'une institution militaire.
00:18:12Les accusations du jeune sergent sont graves.
00:18:16Pour les vérifier, nous avons tenté de retrouver les militaires
00:18:19qui auraient participé à cette journée d'intégration.
00:18:23Mais sept ans se sont écoulés, et la plupart ont été mutés.
00:18:28Nous parvenons à joindre au téléphone
00:18:30le colonel qui aurait interrompu les coups.
00:18:34Il ignore que nous l'enregistrons.
00:18:35Je travaille actuellement sur une enquête
00:18:38concernant un jeune mécanicien armement
00:18:39que vous avez eu sous vos ordres, à la base de Nancy-Aucher.
00:18:42Le sergent...
00:18:44Est-ce que vous vous souvenez de lui ?
00:18:46J'ai rencontré le sergent.
00:18:48Il m'explique qu'en 2014,
00:18:50il a subi des violences de la part de certains de ses camarades
00:18:53notamment dans le chalet, qui était le but de la randonnée.
00:18:56A priori, c'est vous qui avez fait cesser les violences.
00:18:59C'est ce qu'il m'a dit.
00:19:01Je vais vous arrêter tout de suite.
00:19:03Il y a une enquête qui est en cours,
00:19:05dans laquelle, effectivement, moi, je suis en cause.
00:19:09Est-ce que vous vous rappelez plus tard ?
00:19:10Je voudrais savoir si, à l'époque...
00:19:12Non, mais juste, colonel, je voudrais savoir
00:19:14si, à l'époque, vous avez dénoncé les faits auprès du commandant de base.
00:19:17Si vous avez eu connaissance des faits
00:19:19d'une quelconque violence sur un jeune sergent
00:19:23on aura évidemment, naturellement, dénoncé les faits.
00:19:25Mais...
00:19:26Jamais je n'ai fait pas quelque chose comme ça.
00:19:28Mais pourtant, le sergent dit que vous l'avez vu
00:19:30et que vous avez arrêté les violences.
00:19:33Donc, vous les avez vues, ces violences ?
00:19:35Alors, je vais vraiment arrêter cette conversation.
00:19:39Je suis vraiment désolé.
00:19:41Est-ce que vous avez signalé les faits à la justice ou pas ?
00:19:43C'est ça qui m'intéresse, simplement.
00:19:46Merci beaucoup. Bonne journée.
00:19:49Dans cette affaire, une enquête préliminaire est en cours.
00:19:53Nous sommes finalement rappelés par son avocate.
00:19:56Selon elle, le colonel aurait été entendu en audition libre
00:20:00mais ne serait à ce jour pas mis en examen.
00:20:03Nous retranscrivons ses propos.
00:20:09Je vous assure,
00:20:10et c'est ce qu'il a expliqué aux enquêteurs de la gendarmerie,
00:20:13donc je ne pourrais pas vous dire le contraire,
00:20:15qu'il n'a pas le souvenir de cette journée.
00:20:17S'il n'en a pas le souvenir, 7 ans après,
00:20:20et s'il ne les a pas dénoncées à l'époque,
00:20:22c'est que pour lui, ce jour-là, il ne s'est rien passé de particulier.
00:20:29Alors, ces violences ont-elles existé ou Franck les a-t-il inventées ?
00:20:35Dans ce document remis à la justice,
00:20:37le jeune homme donne des lieux, des dates et surtout des noms.
00:20:43Nous avons fini par retrouver l'un des militaires
00:20:45qu'il accuse de harcèlement.
00:20:48Il n'est plus dans l'armée aujourd'hui.
00:20:51Nous frappons à sa porte, en caméra cachée.
00:20:57Bonjour, monsieur. Vous êtes...
00:21:00Oui.
00:21:01Est-ce que vous étiez militaire sur la base de Nancy-Hochet ?
00:21:05Oui.
00:21:06Je suis journaliste. Vous, vous avez été entendu par les enquêteurs ?
00:21:10Vous avez été entendu. Vous êtes mis en cause dans l'affaire ?
00:21:13Oui, j'ai été mis en cause.
00:21:15Vous avez été mis en cause.
00:21:16En toute transparence.
00:21:18En toute transparence. Vous reconnaissez le harcèlement, ou pas, sur... ?
00:21:21Euh... Non.
00:21:23Pour vous, il n'y a pas eu de harcèlement ?
00:21:25Non.
00:21:26Nous l'interrogeons sur la randonnée
00:21:28et les violences que Franck affirme avoir subies dans le chalet.
00:21:32C'est un bon barbecue, finalement.
00:21:34Je suis sorti du bruit, et oui, j'ai vu à la fin que ça chamaille.
00:21:39Mais quand vous dites ça chamaille, il y a des coups ?
00:21:41Moi, je n'ai pas vu de coups.
00:21:43C'est des petites fessées.
00:21:45C'est-à-dire ?
00:21:46Des petits fessées.
00:21:47Lui, il dit qu'il met des fessées, des coups de pied, des coups de poing...
00:21:52Là, pour le coup, je vous assure à 100 % que moi, je n'ai pas vu ça.
00:21:55Moi, je vois juste un brouhaha, un empilage sur une personne.
00:21:59En gros, c'est pour les gens...
00:22:01100 % de personnes pour des petites fessées comme ça, des petits yeux.
00:22:04Voilà.
00:22:05Des coups, dans les côtes ?
00:22:07Ce ne sont pas des coups, mais des petits...
00:22:10Je ne sais plus, des machins, des petits pansements.
00:22:12Ça, ça ressemble plutôt à une bagarre d'enfants, mais...
00:22:15C'est exactement ça. On est des grands enfants.
00:22:17Des fessées, des chatouilles.
00:22:20A l'entendre, il s'agirait d'un jeu sans conséquences.
00:22:25Puis, à demi-mot,
00:22:26il reconnaît que la situation était bien en train de dégénérer.
00:22:31C'était normal de chamailler, comme vous dites ?
00:22:34Ça commence par vous faire foutre les pétards.
00:22:38On insulte les pétards de Paris, ils sont en train de fumer.
00:22:41C'est là que les pétards, à un moment donné,
00:22:43ils pensaient à mal le prendre.
00:22:45Du coup, ils venaient voir les pétards, ils disaient qu'ils allaient se calmer.
00:22:49Ils prenaient mal.
00:22:51Il y en a qui pavaient très loin, 5 heures sur.
00:22:53Avec d'autres, je ne sais plus qui c'était, mais on dit...
00:22:58C'est comme ça qu'on a été éduqués, que nos parents ont été éduqués,
00:23:01qu'on a... Je ne sais pas, je vais peut-être transmettre le...
00:23:04Non, non, je vais peut-être courir.
00:23:06Et des fois, pareil, je suis là, on me met un petit peu de vue.
00:23:09C'est celui-là, quand même, il est un petit peu trop...
00:23:12Il est temps, maintenant, il faut peut-être le brimer,
00:23:14le resserrer un petit peu ou...
00:23:16En gros, on a besoin de mettre la pression au mec
00:23:19pour voir s'ils seront capables de la supporter plus tard, c'est ça ?
00:23:22Et ça, l'encadrement, il est au courant, évidemment.
00:23:25Bien sûr, on participe.
00:23:29Bien sûr.
00:23:30Tout est possible.
00:23:33Qu'en est-il du colonel qui aurait interrompu les coups ?
00:23:37Le même qui nous assurait, par la voix de son avocate,
00:23:40de ne plus se souvenir de cette journée.
00:23:43Lui, il dit...
00:23:45Voilà, il y a ces violences.
00:23:47Et là, il y a un haut-gradé,
00:23:48le colonel de l'époque, celui qui commandait l'Estar.
00:23:52Il lui a foutu des fous sur les mécanos.
00:23:54Ce jour-là, il a foutu ça.
00:23:56C'est bon, non ?
00:23:57Des colonels foutent des fous sur des sergents,
00:24:00des sergents foutent des fous sur des grand-chefs.
00:24:02Vous avez vu ça ?
00:24:03Ce jour-là, oui, bien sûr.
00:24:05Ils trouvent la fille.
00:24:06C'est amusant, au final.
00:24:08C'est quoi, enfin...
00:24:09A pleurer qu'on ait eu deux comme ça
00:24:11pendant un temps que j'en ai eu,
00:24:13c'était de l'enculé à retenir.
00:24:14C'est des retrouvailles, bien sûr.
00:24:16C'était admis ?
00:24:17Bien sûr, parce que c'était dans le marbre...
00:24:20C'était pas admis, c'était en marbre, quoi.
00:24:25Sur la base de Nancy Hochet,
00:24:27les violences et les pressions psychologiques
00:24:30seraient-elles institutionnalisées ?
00:24:35Selon Franck, après l'épisode du chalet,
00:24:37les brimades se transforment en harcèlement quotidien.
00:24:42Comme cette coupe en forme de pénis qui lui est imposée.
00:24:45Dénigré et insulté pendant quatre années,
00:24:49il sombre dans une profonde dépression.
00:24:55Ça a déclenché des mécanismes
00:24:58qu'on appelle de dissociation.
00:25:00J'ai commencé à être violent sur moi-même.
00:25:03La moindre réflexion me faisait monter.
00:25:06Je pouvais me plaquer la tête dans les murs.
00:25:08Je me baffais, tout seul.
00:25:11Je devenais complètement taré, quoi.
00:25:15Je devenais débile.
00:25:16Parfois, je roulais à fond en voiture
00:25:18et je rêvais de me défoncer dans un mur.
00:25:22On vous a tellement rabâché que vous étiez une merde,
00:25:25que vous n'étiez rien, qu'on finit par y croire.
00:25:28Se faire du mal, c'était quelque chose qui me punissait,
00:25:31mais qui me soulageait.
00:25:33Mentalement, en fait.
00:25:34Ça m'a enlevé la...
00:25:37Ça m'a baissé de pression.
00:25:40Le jeune mécanicien est alors diagnostiqué dépressif
00:25:43à tendance suicidaire.
00:25:45Sous anxiolytique,
00:25:47il est placé en arrêt de travail longue durée par sa thérapeute.
00:25:53Ces troubles psychiques font suite à des événements traumatiques répétés
00:25:56survenus au sein de l'armée,
00:25:58qui ont entraîné un état de stress post-traumatique,
00:26:01nécessitant une prise en charge médicale et psychologique.
00:26:04Les parents de Franck décident de signaler son état
00:26:07au commandant de la base de Nancy-Aucher
00:26:09et de dénoncer par écrit ce que leur fils dit avoir subi.
00:26:26Un mois plus tard, le commandant de la base leur répond.
00:26:31J'ai bien reçu votre courrier qui a retenu toute mon attention.
00:26:34Les éléments que vous rapportez sont pris très au sérieux
00:26:37et j'ai pris les mesures nécessaires au sein de la base aérienne.
00:26:40Mais selon Franck, à ce moment-là,
00:26:42aucune enquête interne n'aurait été déclenchée.
00:26:46Quatre mois plus tard,
00:26:48il finira par saisir lui-même la cellule TEMIS
00:26:51en charge des cas de harcèlement sexuel dans l'armée.
00:26:54Son dossier est enfin transmis à la justice.
00:26:58Le commandant de base de l'époque a-t-il vraiment pris des mesures,
00:27:01comme il l'affirme dans sa lettre ?
00:27:03Nous lui avons posé la question.
00:27:15C'est pas du tout au sujet de l'enquête, colonel.
00:27:17C'est au sujet de votre réaction
00:27:19quand vous avez reçu la lettre des parents.
00:27:22Je n'ai rien de plus à vous dire là-dessus.
00:27:24Certains soldats que vous avez eus sous votre commandement
00:27:27ont dit que vous aviez peut-être cherché à étouffer cette affaire.
00:27:30Est-ce que c'est le cas ?
00:27:54Une enquête préliminaire est toujours en cours
00:27:56pour des faits de harcèlement et violences volontaires.
00:28:00Franck espère qu'un procès se tiendra cette année.
00:28:07Maître Momon est avocate spécialisée en droits militaires depuis 20 ans.
00:28:12Elle a traité des centaines de dossiers
00:28:14et reconnaît qu'une forme d'omerta règne toujours au sein des armées.
00:28:19On constate que la victime prend un risque
00:28:22parce qu'elle est celle par qui le scandale arrive.
00:28:25Donc, le chef de corps, le chef d'escadron,
00:28:28ne voudra pas que ce scandale arrive dans son régiment
00:28:31parce que lui aussi a sa responsabilité
00:28:34et il ne veut pas qu'au-dessus, on se dise
00:28:35que dans ce régiment, il y a un problème
00:28:37parce qu'il y a un mauvais commandement, etc.
00:28:39Tout le monde, on appelle ça en droits des militaires
00:28:42l'ouverture du parachute.
00:28:43C'est bien nommé, c'est-à-dire qu'on essaie de préserver
00:28:46l'autorité supérieure en ouvrant un parachute.
00:28:48Parfois, c'est au détriment de la victime
00:28:50dont on minimise la crédibilité des propos,
00:28:54qu'on incite aussi parfois à ne pas déposer plainte.
00:28:57Il y a la peur de l'écho médiatique
00:28:59et il y a la peur de l'écho judiciaire.
00:29:01Et on préfère encore, parfois, régler les affaires entre soi.
00:29:10Sur la base de Nancy-Aucher,
00:29:11d'autres militaires disent avoir payé le prix fort
00:29:14parce qu'ils ont tenté de résister au système.
00:29:18C'est le cas de Jean-Baptiste, ancien pilote de chasse.
00:29:24Confronté, selon lui, à l'acharnement d'une partie de sa hiérarchie,
00:29:28détruit psychologiquement,
00:29:30il a fini par quitter l'armée et a porté plainte pour harcèlement.
00:29:35C'est la première fois depuis trois ans qu'il revient sur les lieux.
00:29:40Je retrouve la boule au ventre que j'avais à l'époque.
00:29:44Aujourd'hui, il n'y a plus vraiment de raison,
00:29:46mais je revois ces dizaines, centaines de fois
00:29:49où je suis passé par là, où j'avais peur.
00:29:54On arrive, on n'est pas serein, on a peur dans la journée.
00:29:58Chaque jour, on sait que ça va être une lutte.
00:30:02Donc là, on va arriver, on a la base aérienne qui est sur notre gauche.
00:30:07Donc, le portail avec l'insigne de la base, un mirage de mille.
00:30:13Voilà. C'est là où j'ai travaillé pendant quatre ans.
00:30:16...
00:30:22À l'âge de 28 ans, Jean-Baptiste est muté sur cette base
00:30:25pour devenir opérationnel et voler en terrain de guerre.
00:30:29Mais rapidement, il aurait été pris en grippe par son chef d'escadron.
00:30:35Selon Jean-Baptiste, l'homme décrète que le jeune pilote
00:30:39n'y a pas sa place et aurait tout fait pour le faire renvoyer.
00:30:42En gros, on décide de me surcharger de travail
00:30:45en me demandant, pendant la préparation des vols,
00:30:48de gérer la gestion du bar,
00:30:50à savoir l'approvisionnement en chips et cacahuètes et en bière.
00:30:53On me demande de bouger des meubles, d'un bureau à un autre.
00:30:56On me demande de nettoyer le plafond du bar.
00:31:01On me changeait le programme de vol au dernier moment
00:31:03pour que je ne puisse pas être prêt, on me donnait des mauvaises consignes,
00:31:06ce qui fait que ça va impacter votre niveau en vol fatalement.
00:31:10Et ça, c'était le but. C'était que je me plante en vol,
00:31:13enfin, en termes de niveau de pilotage,
00:31:16et qu'on puisse me le reprocher pour pouvoir me licencier.
00:31:20Au fil des mois, selon lui, la pression est toujours plus forte.
00:31:24Les relations s'enveniment avec d'autres cadres de l'escadron.
00:31:29Un jour, lors d'un briefing mission,
00:31:32on est dans la salle de guerre, environ cinq, six personnels navigants.
00:31:36On se met à échanger sur le missile de croisière avec mon navigateur.
00:31:40Et il se met à commencer le jeu des questions-réponses
00:31:43pour voir un peu si j'ai travaillé le missile.
00:31:47Sur une question, je réponds mal,
00:31:50et immédiatement, il me met une gifle.
00:31:56Je ressens une fois de plus de l'humiliation
00:31:59et aussi de la colère.
00:32:01De la colère parce que je vois que je ne vais pas m'en tirer,
00:32:04je vois qu'on a passé le stade uniquement du harcèlement moral.
00:32:10On en vient au physique.
00:32:12Je ne sais pas quelle sera la prochaine étape.
00:32:18Je ne sais plus à qui en parler, je ne sais pas comment demander de l'aide.
00:32:22J'ai écumé toutes les strates hiérarchiques de la base aérienne.
00:32:28Au final, je me retrouve encore plus à terre qu'avant.
00:32:34Nous avons contacté l'armée de l'air au sujet de l'affaire de Jean-Baptiste.
00:32:39Mais son porte-parole refuse de commenter les dossiers
00:32:42dans lesquels une enquête judiciaire est en cours.
00:32:46Nous avons donc appelé directement le chef d'escadron
00:32:49qui aurait orchestré le harcèlement.
00:32:52Ce haut-gradé travaille toujours pour l'armée.
00:32:55Nous l'enregistrons à son insu.
00:33:09...de problèmes avec lui.
00:33:12Je n'avais aucun souci.
00:33:16Non, mais totalement.
00:33:17Totalement. Il n'a pas été harcelé moralement.
00:33:20En tout cas, pas par moi.
00:33:22Effectivement, à Nancy, je ne sais pas pourquoi, il n'était pas bien.
00:33:25Il n'était pas bien dans sa peau.
00:33:27Il n'était pas bien dans l'environnement dans lequel il fonctionnait.
00:33:30Donc il était mal dans sa peau à Nancy, il y a sans doute une raison à ça.
00:33:34Mais certainement, et je ne remets pas en cause le fait
00:33:37qu'il y avait certainement des raisons,
00:33:39et vous, vous regardez ça avec vos yeux extérieurs,
00:33:42en vous disant, vous êtes vraiment hallucinant,
00:33:45tout ce qu'on lui demandait, la pression qu'on lui mettait.
00:33:48Mais la pression, on ne l'appelait pas plus qu'à n'importe qui.
00:33:51C'est juste qu'il la subissait de façon différente.
00:33:56Pourtant, ce n'est pas ce que décrit
00:33:58un ancien pilote de la base de Nancy Hochet.
00:34:02Dans un courrier adressé à la justice,
00:34:04il témoigne du harcèlement dont aurait été victime Jean-Baptiste.
00:34:10Ayant travaillé pendant 18 mois environ dans la même unité que le capitaine,
00:34:14j'ai pu constater à de multiples reprises le traitement qui lui était réservé.
00:34:18Le capitaine a été, de mon point de vue, particulièrement visé.
00:34:22Il apparaît évident que l'attitude de certaines personnes à son égard
00:34:25a influencé le groupe de manière générale
00:34:27et instauré un climat de travail difficilement vivable au quotidien
00:34:31et surtout hostile à sa réussite dans l'institution.
00:34:34Musique sombre
00:34:37...
00:34:43Malgré les humiliations qu'il subirait,
00:34:45Jean-Baptiste n'abandonne pas.
00:34:48On le voit ici piloter un Mirage.
00:34:52Il parvient même à décrocher sa qualification de pilote opérationnel,
00:34:56son Graal, synonyme de mission en terrain de guerre.
00:35:00Février 2017, il est envoyé sur la base d'N'Djaména au Tchad
00:35:04pour participer à l'opération Barkhane.
00:35:07Pendant plusieurs mois, il vole dans toute la région.
00:35:10Et contrairement à la réputation que lui font certains de ses collègues de Nancy,
00:35:14Jean-Baptiste se révèle excellent.
00:35:17En témoigne la notation de son chef de mission.
00:35:21Pour cette première opération extérieure,
00:35:24ce jeune pilote de combat opérationnel a su s'adapter rapidement
00:35:27à l'environnement complexe du théâtre.
00:35:30Et s'est vite révélé tant au sol qu'en vol,
00:35:33comme un équipier de très bon niveau, digne de confiance.
00:35:37Il récolte même une citation du chef d'état-major des armées
00:35:41et se voit attribuer la médaille d'or de la Défense nationale.
00:35:45Le lieutenant Jean-Baptiste a fait preuve de belles qualités militaires,
00:35:49mérite d'être cité en exemple.
00:35:53Maintenant qu'il a prouvé sa valeur,
00:35:55Jean-Baptiste rentre confiant à Nancy Hochet.
00:35:58Mais pour terminer sa formation,
00:36:00il doit encore passer une ultime qualification.
00:36:03Le 9 août 2017, il part en vol d'évaluation
00:36:06avec son chef d'escadron,
00:36:08celui qu'il accuse de le harceler depuis des mois.
00:36:11Le vol se passe de manière correcte.
00:36:14Il y a du bon, il y a du moins bon.
00:36:17Et au retour, avant le débriefing,
00:36:20il congédie mon navigateur et son navigateur.
00:36:27On s'isole dans son bureau, ce qui est très mauvais signe.
00:36:31Et là, il décide de mettre plein de points de sécurité.
00:36:35Si vous avez beaucoup de points rouges,
00:36:38vous pouvez être envoyé.
00:36:40Par conséquent, il va inventer des motifs.
00:36:43Sur le débriefing, il dit que j'ai failli percuter son appareil.
00:36:48Je demande des explications sur la scène,
00:36:51car je n'en ai pas le souvenir.
00:36:53Il m'explique que c'est le chef, il a raison,
00:36:56et je suis trop jeune pour comprendre ce qui s'est passé.
00:37:01Jean-Baptiste nous a fourni le compte-rendu de vol signé par son chef,
00:37:05un document également transmis à la justice.
00:37:08Selon lui, son supérieur aurait falsifié sa notation
00:37:12en prétextant que la sécurité était engagée à plusieurs reprises.
00:37:17Ce qui ne l'intéressait ni formellement.
00:37:40Pour prouver sa bonne foi,
00:37:42Jean-Baptiste contacte le contrôleur aérien
00:37:45qui a supervisé l'exercice.
00:37:48Dans cet échange d'emails très technique,
00:37:51le contrôleur semble contredire la notation du vol.
00:37:55Nous avons sollicité un expert aéronautique
00:37:58pour nous aider à les décrypter.
00:38:00Bonjour, monsieur Tittleman.
00:38:02Xavier Tittleman a travaillé 6 ans
00:38:04au sein de l'aviation de chasse de la Marine nationale
00:38:07et conseille des entreprises du secteur aérien.
00:38:12Nous lui avons présenté les différents documents
00:38:15concernant le vol de Jean-Baptiste.
00:38:20Vous comprenez quand vous lisez ce compte-rendu de vol ?
00:38:23Très clairement, c'est un vol raté du début à la fin.
00:38:26Le briefing est raté, la préparation est insuffisante,
00:38:29le vol est mal exécuté, le respect des zones et des altitudes n'est pas là.
00:38:33La sécurité du vol est engagée.
00:38:35Il est rouge dans quasiment chacun des critères.
00:38:38C'est quasiment le pire vol de sa carrière ?
00:38:41S'il était un jeune pilote en début d'école,
00:38:44là, il a ce qu'on appelle une burne.
00:38:46C'est le genre de vol, c'est la fin de sa carrière.
00:38:49Je vous ai également communiqué
00:38:51les échanges de mails entre le pilote et le contrôleur aérien.
00:38:55Qu'en ressort-il ?
00:38:57Il y a une contradiction entre l'instructeur qui dit
00:39:00que tu n'as pas respecté les règles,
00:39:02que tu es monté, que tu as eu un croisement,
00:39:05et le contrôleur aérien qui dit que c'était lui qui était responsable.
00:39:09Je vous ai autorisé à faire telle action
00:39:11parce que j'avais tout vérifié autour de vous.
00:39:14Il n'y avait pas de risque de collision.
00:39:17Selon Jean-Baptiste, c'est donc grâce à son obstination
00:39:21et au témoignage du contrôleur aérien qu'il n'a pas été renvoyé.
00:39:25Mais les mois qui suivent, il affirme rester plus que jamais
00:39:29la cible de certains de ses chefs.
00:39:32Au bout de trois ans de pression quotidienne,
00:39:36de harcèlement quotidien, j'endormais pas, j'étais pas bien.
00:39:40J'avais les mains qui tremblaient quand je partais à l'avion.
00:39:43Il y a un moment où on comprend que je pourrais pas le gagner, ce combat.
00:39:47Je m'entrais plus dans un Mirage 2000.
00:39:50Je l'ai intégré, je l'ai accepté.
00:39:52Donc il y a un moment où, pour ma santé,
00:39:55ma santé physique, ma santé mentale,
00:39:58pour ma vie privée,
00:40:01il est plus sage de...
00:40:05de se retirer les ailes tout seul.
00:40:11Le pilote a dénoncé ce qu'il aurait vécu dans un livre,
00:40:14une première dans l'histoire de l'armée de l'air.
00:40:20Il a porté plainte contre X pour harcèlement moral
00:40:23et a déjà été entendu par les gendarmes qui enquêtent sur son affaire.
00:40:28Que se passe-t-il sur la base de Nancy Hochet ?
00:40:31Pourquoi autant de signalements de comportement délictueux ?
00:40:35Six soldats, victimes présumées de harcèlement moral et sexuel
00:40:39ou encore de violence physique, ont déposé plainte.
00:40:42Leur avocat, maître Bernard, parle d'un cercle vicieux.
00:40:46C'est quelque chose qui se transmet de génération en génération.
00:40:50C'est-à-dire que les harcelés,
00:40:52compte tenu du niveau d'obéissance qu'on exige dans l'armée,
00:40:56au lieu de, à un moment, se révolter et de dire
00:40:59que ce sont des méthodes auxquelles il faut mettre un terme,
00:41:03finissent par se satisfaire de devenir les harceleurs.
00:41:06Celui qui a réussi à accepter l'humiliation et le harcèlement,
00:41:11le bizutage, finit par devenir le pire harceleur
00:41:15en disant qu'il l'a vécu et qu'il va le faire vivre aux autres.
00:41:19C'est quelque chose d'atroce.
00:41:22Et je ne comprends pas, en revanche,
00:41:26que l'institution qui est forcément au courant
00:41:29continue à cautionner ce type de comportement.
00:41:32L'institution couvre-t-elle des dérapages à Nancy ?
00:41:36Nous avons sollicité le porte-parole de l'armée de l'air, Stéphane Speth.
00:41:41Souvenez-vous, c'est lui qui s'était exprimé
00:41:44à propos du bizutage sur le champ de tir en Corse.
00:41:47Ce type d'agissement n'est pas en adéquation avec nos valeurs.
00:41:51Ce n'est pas l'armée de l'air qui protège les Français.
00:41:55Cette fois-ci, pas question d'une interview filmée.
00:41:58Nous avons dû nous contenter d'un appel téléphonique.
00:42:02L'homme connaît très bien Nancy Hochet
00:42:05pour y avoir exercé plus de 10 ans comme pilote de chasse.
00:42:08Il sait que nous l'enregistrons.
00:42:10Sur la base de Nancy Hochet,
00:42:12il y a six plaintes pénales pour harcèlement moral
00:42:15des pilotes de chasse, des mécaniciens, des agents de renseignement.
00:42:18Et tous me disent que c'est une sorte de tradition,
00:42:21que c'est dans les murs.
00:42:23Écoutez, si c'est leur vision à eux,
00:42:26on verra si elle est juste ou pas.
00:42:29Clairement, ce n'est pas du tout quelque chose
00:42:32qui est institutionnalisé.
00:42:34Ça laisserait à penser qu'il y a une action de l'institution
00:42:38qui sciemment accepte cela,
00:42:40alors qu'on lutte contre toute forme de harcèlement.
00:42:43Et derrière, on verra ce qu'en dira la justice encore une fois.
00:42:47J'ai des témoins qui me disent qu'à partir du moment
00:42:50où ils dénoncent les faits,
00:42:52ça va avoir sur la base, au sein des unités où ils travaillent,
00:42:55et ça va leur être reproché.
00:42:58Comment ça, ça va leur être reproché ?
00:43:00Comment on peut dire que la hiérarchie va reprocher
00:43:03à quelqu'un de lancer une alerte ?
00:43:05C'est des accusations graves qu'ils portent.
00:43:08J'ai été commandant de base.
00:43:10J'ai pas eu beaucoup de situations équivalentes,
00:43:13mais le lanceur d'alerte était dans le rôle du félicité
00:43:16que dans le rôle de l'ostracisé.
00:43:19D'après le porte-parole,
00:43:21les six dossiers de harcèlement présumés
00:43:24ont fait l'objet d'enquêtes internes.
00:43:26Une seule aurait abouti à des sanctions.
00:43:29Il n'a pas souhaité donner plus de détails.
00:43:36Au sein des armées, il y a un autre sujet
00:43:39dont la ministre, Florence Parly, a fait son cheval de bataille.
00:43:43L'intégration des femmes.
00:43:45C'est un combat.
00:43:47Et un combat que je mènerai jusqu'au bout,
00:43:50avec un principe très simple.
00:43:52Tolérance zéro.
00:43:54Pas de place pour le sexisme dans nos armées.
00:43:57Bonjour, Léva.
00:43:58Bonjour.
00:43:59Bienvenue sur la base. Je suis opérateur de défense.
00:44:02On va passer cette journée ensemble.
00:44:04L'armée de l'air est le corps d'armée le plus féminisé,
00:44:07avec 23 % de femmes dans ses rangs.
00:44:09L'armée de l'air et d'espace m'a aidée à dépasser mes limites.
00:44:13Je suis plus forte qu'avant.
00:44:15Rejoignez la communauté des aviateurs.
00:44:19Mais au-delà de la communication,
00:44:21comment sont vraiment traitées les femmes ?
00:44:24Quelle est leur place dans cette ambiance pour le moins virile ?
00:44:31Cet officier a accepté de témoigner de son expérience dans l'armée de l'air.
00:44:38Elle nous a demandé de cacher son visage
00:44:40et raconte un quotidien teinté de sexisme.
00:44:45C'est compliqué parce que c'est quelque chose qui est dans les murs.
00:44:48Ce sont des blagues graveleuses,
00:44:50des déconnotations sexuelles lourdes, récurrentes.
00:44:59Mais c'est en OPEX, en opération extérieure,
00:45:01lorsqu'une partie de l'escadron part en mission de guerre,
00:45:04que la pression masculine serait la plus forte.
00:45:07Au fil des semaines, dans le huis clos du camp militaire,
00:45:10les références au sexe deviendraient omniprésentes.
00:45:14Comme sur la messagerie de travail de son unité,
00:45:17où les pilotes partagent ce genre de vidéos
00:45:19récupérées sur des sites pornographiques.
00:45:23Ou encore cette coutume dégradante que l'officier découvre
00:45:26et qui va finir de la scandaliser.
00:45:32Parmi les traditions choquantes,
00:45:34il en existe une qui s'appelle le boobs check.
00:45:36Il arrive qu'on demande au personnel féminin,
00:45:39présent à proximité du détachement chasse,
00:45:43d'aller montrer ses sangs en bout de piste.
00:45:46À qui ? Les montrer à qui ?
00:45:48Aux pilotes et aux navigateurs qui sont dans l'avion.
00:45:51On vous l'a demandé ?
00:45:53On a demandé à plusieurs personnels féminins, dont moi,
00:45:56si, effectivement, j'acceptais de faire un boobs check.
00:46:00Qu'est-ce que vous avez répondu ?
00:46:02Que je n'en avais pas envie.
00:46:05Ça porte atteinte, au final, à ma dignité.
00:46:08Et je comprends que certaines cèdent
00:46:11parce qu'il y a une pression,
00:46:13parce que, parfois, c'est un supérieur hiérarchique,
00:46:15parce qu'on vous dit que c'est sympa, que c'est drôle
00:46:17et qu'il ne voit pas grand-chose.
00:46:19Ça s'inscrivait simplement dans un schéma,
00:46:21dans une routine complètement banale.
00:46:24C'était, tiens, c'est l'heure du boobs check.
00:46:29Selon Maître Bernard, l'expérience de la jeune femme
00:46:32ne serait malheureusement pas exceptionnelle.
00:46:37On discrimine les femmes quand elles tombent enceintes.
00:46:40On les dénigre.
00:46:41Je reprends les expressions des clientes.
00:46:43Je n'étais qu'une paire de nichons.
00:46:45Alors que ce sont des femmes qui, souvent,
00:46:48sont ultra diplômées,
00:46:50habilité confidentielle défense,
00:46:53officielle renseignement,
00:46:55elles restent un bout de viande, un bout de nichon,
00:46:57une paire de fesses.
00:46:58Parce que les pilotes, non.
00:47:00Pour certains.
00:47:02Pour certains.
00:47:03Aucune autre image de la femme que celle-ci.
00:47:08Est-ce que l'armée de l'air tolère parfois
00:47:10que les femmes soient rabaissées au rang d'objets sexuels ?
00:47:14A nouveau, nous avons posé la question à son porte-parole.
00:47:18J'ai une témoin qui me raconte une vieille tradition
00:47:21des escadrons de chasse,
00:47:22qui consiste à montrer ses seins aux pilotes en bout de piste
00:47:25quand ils se posent.
00:47:27Oui, peut-être. Vous avez dit quoi ?
00:47:29C'est une vieille tradition, c'est ça ?
00:47:30Vous avez été pilote de chasse,
00:47:31donc vous savez si c'est une tradition, oui ou non,
00:47:33au sein de l'aviation de chasse.
00:47:35Moi, écoutez, j'ai passé 15 ans dans un escadron de chasse,
00:47:39en l'occurrence,
00:47:40et je n'ai jamais vu une personne à l'unité militaire
00:47:42me montrer ses parties intimes,
00:47:46comme vous le décrivez.
00:47:48Donc ce n'est pas, en l'occurrence...
00:47:50Moi, ce n'est pas une tradition que j'auto-qualifie comme...
00:47:54Ce n'est pas un fait que je qualifie
00:47:56comme une tradition dans la chasse.
00:47:58C'est faux.
00:47:59On a, au XXIe siècle, le respect de la femme.
00:48:02C'est quelque chose qui est cardinal dans nos valeurs.
00:48:05Une nouvelle fois, cette version officielle
00:48:07est contredite par l'ancien militaire de la base de Nancy-Hochet.
00:48:12Vous saviez que, parfois, on demandait à certaines féminines
00:48:15d'aller montrer leur sang au bout de piste aux pilotes ?
00:48:17J'ai entendu parler de ça.
00:48:19Ça, par contre, j'ai repris tout ça.
00:48:21Ça, vous cautionnez pas ?
00:48:22J'avais de la vie.
00:48:24Et ça, ça n'est arrivé qu'à Nancy ?
00:48:26Ou vous l'avez entendu sur d'autres bases ?
00:48:27Parce que j'ai un doute, en fait.
00:48:28Ça, c'est un peu partout.
00:48:29C'est un peu partout ?
00:48:30Oui.
00:48:31C'est un peu dans l'opération Steyr.
00:48:33Et pourquoi les pilotes, ils permettent ça, en fait ?
00:48:36Il y a une forme d'impunité, un peu, pour eux ?
00:48:39D'impunité, je sais pas,
00:48:40mais je pense que dès le départ, dès la récolte,
00:48:42on le raconte, et c'est renouvelable.
00:48:44Ils y croient.
00:48:45Ouais.
00:48:46C'est bon, pour un atout,
00:48:47on part et on trouve qu'est-ce qu'ils font.
00:48:57Notre enquête se termine par un récit poignant.
00:49:00Celui de Louise.
00:49:05Victime présumée d'un viol,
00:49:06elle dénonce une prise en charge par l'armée
00:49:09qui aurait été désastreuse.
00:49:13La jeune femme s'est engagée
00:49:14comme mécanicienne armement à 18 ans.
00:49:17Après quatre années de service,
00:49:19elle choisit de venir à Nancy-Hochet
00:49:21pour participer à sa première mission de guerre.
00:49:32L'OPEC, c'était l'aboutissement.
00:49:34C'était un rêve, à la base.
00:49:36J'avais gravi les échelons et j'y avais enfin droit.
00:49:41C'est vraiment quelque chose qui me tenait à cœur
00:49:44et que j'attendais impatiemment et plus que tout.
00:49:48Décembre 2020, sur la base de Niamey, au Niger.
00:49:53La jeune femme est concentrée sur sa mission,
00:49:55sport dès 6h du matin, travail appliqué,
00:49:58pas de fête ni de sortie tardive.
00:50:02Seul écart, le repas du réveillon de Noël,
00:50:05organisé sur la base.
00:50:08Tout le monde était festif.
00:50:10C'était une ambiance de bon enfant.
00:50:13Tout le monde était là pour oublier
00:50:15le fait d'être loin de sa famille.
00:50:17Il y a eu de la musique, la danse.
00:50:21Et puis la soirée se finit à minuit, comme prévu.
00:50:24Je suis un groupe sans me poser de questions.
00:50:29On m'a dit, allez, suis-nous, on boit un dernier verre
00:50:32et puis on te raccompagnera.
00:50:42On était peut-être 5, 7 personnes autour d'une table.
00:50:48Je me souviens après quelqu'un qui jouait de la guitare.
00:50:54Et à partir de là, mes souvenirs sont très flous
00:50:59et je ne me souviens que de Flash.
00:51:03Les Flash dont je me souviens,
00:51:06c'est ce caporal-chef,
00:51:11nu devant moi.
00:51:13J'étais incapable de me défendre,
00:51:17de crier.
00:51:19J'étais comme inerte, en coma.
00:51:24En coma, je vois un deuxième Flash
00:51:28où je suis allongée sur ce canapé.
00:51:32Et ce même caporal-chef qui me tenait les jambes écartées.
00:51:39Pour le troisième et dernier Flash dont je me souviens,
00:51:47c'est un réveil de douleur.
00:51:50C'est la douleur d'une pénétration anal
00:51:56qui m'a fait subir, qui m'a réveillée,
00:51:59qui m'a fait prendre conscience.
00:52:01Et à ce moment-là,
00:52:03pareil, complètement inerte,
00:52:06incapable de faire quoi que ce soit.
00:52:20J'étais incapable de me défendre,
00:52:23de crier à l'aide ou de faire quelque chose.
00:52:27Pourtant, je suis quelqu'un de sportive
00:52:30et je pensais que dans un tel événement,
00:52:35j'aurais pu faire quelque chose, me défendre,
00:52:37mais impossible.
00:52:42Le lendemain, elle se réveille dans sa tente
00:52:45sans savoir comment aller rentrer.
00:52:49À ce moment-là, je vois que je suis en retard.
00:52:52Je ne me pose pas de questions, aucune.
00:52:54Je me lève.
00:52:56Je me prépare.
00:52:58J'y vais.
00:53:00Et c'est le soir, au moment d'aller à la douche,
00:53:03que là, je vois toutes les marques sur mon corps.
00:53:08Des hématomes, des hématomes au niveau des poignets,
00:53:12des genoux, comme si on m'avait poussée, fait tomber.
00:53:17Un hématome d'une marque d'une main dans ma nuque.
00:53:21Des griffures sur la patrine.
00:53:23Et puis surtout, des saignements, quoi.
00:53:26Des saignements intimes anormaux, quoi.
00:53:29Et une douleur, une douleur à tous les niveaux.
00:53:32À ce moment-là, j'ai une colère
00:53:38qui m'envahit et qui me dit
00:53:43que ce n'est pas normal, ce qui s'est passé.
00:53:47Et je ne peux pas laisser passer ça.
00:53:49Il faut que tu en parles.
00:53:51Dès le lendemain,
00:53:53elle dépose plainte contre son violeur présumé à la gendarmerie du camp
00:53:57et se rend à l'infirmerie.
00:53:59Alors là, j'ai été prise en charge.
00:54:01On m'a fait des examens gynécologiques, sanguins.
00:54:07Le service médical me prend en photo,
00:54:11prend en photo tous mes hématomes.
00:54:13En état de choc,
00:54:15Louise demande un rapatriement d'urgence en France.
00:54:18Mais à partir de ce moment-là, selon elle,
00:54:20sa prise en charge a été déplorable.
00:54:23Le médecin ne m'écoute pas.
00:54:25Personne ne veut me faire rapatrier.
00:54:27Le médecin me propose même, après ce qui s'est passé,
00:54:31de retourner au travail.
00:54:33Peut-être me dit-on que ça va me changer les idées,
00:54:37que fallait peut-être que je relativise.
00:54:40Personne n'a eu, à ce moment-là,
00:54:43les bons gestes ni les bonnes paroles.
00:54:45Les gens ne réalisaient pas que j'avais été violée
00:54:49et que j'étais en état de choc.
00:54:52La seule chose qu'ont su faire le service médical
00:54:55pour gérer la situation,
00:54:57ça a été de me faire avaler de force
00:55:02des médicaments très forts.
00:55:05Quels médicaments ?
00:55:07Alors Valium et Persian.
00:55:11À forte dose.
00:55:13J'étais complètement shootée.
00:55:16Ma mère, au téléphone,
00:55:18attrapait peur de m'entendre complètement à l'ouest.
00:55:22J'étais incapable de parler.
00:55:24Je n'arrivais même pas à articuler.
00:55:26Louise aurait été placée sous camisole chimique
00:55:29pendant 7 jours avant d'être finalement rapatriée en France.
00:55:33Ce type de prise en charge est-il fréquent ?
00:55:36Nous posons la question au porte-parole du ministère des Armées.
00:55:39Nous lui montrons le témoignage de Louise.
00:55:46Les gens ne réalisaient pas que j'avais été violée
00:55:50et que j'étais en état de choc.
00:55:54Qu'est-ce que ça vous évoque ?
00:55:58Évidemment, si ces faits sont avérés,
00:56:01un chamboulement et une absolue nécessité
00:56:05de prendre en compte la situation de cette personne
00:56:08et, je le redis, si les faits sont avérés,
00:56:11d'expliquer pourquoi il n'y a pas eu une prise en charge
00:56:14plus précautionneuse, plus humaine
00:56:17et plus enveloppante pour cette personne.
00:56:20Mais vous savez, quand on a créé Temis,
00:56:23c'était en 2014, il y a 8 ans,
00:56:25c'était bien avant MeToo.
00:56:27On a toujours eu un œil particulier
00:56:30sur ces questions de harcèlement, de violence sexuelle.
00:56:33Quand je l'ai rencontrée en interview,
00:56:34ce que cette jeune femme dit,
00:56:36c'est que durant les premiers jours, les premières heures,
00:56:39on ne l'a pas écoutée, on n'a pas su s'occuper d'elle.
00:56:41Les médecins de l'armée sont-ils formés
00:56:43à l'accueil d'une victime de viol ?
00:56:45Je ne suis pas capable de vous le dire.
00:56:47Je ne suis pas capable de vous le dire.
00:56:49Je pense que c'est le cas,
00:56:51mais je n'ai pas d'élément particulier.
00:56:53Il faut poser la question au service de santé des armées.
00:56:56C'est ce que nous avons fait.
00:56:58Peuvent-ils nous confirmer les déclarations de Louise ?
00:57:01Qu'en est-il de la formation des médecins militaires ?
00:57:05Après plusieurs relances,
00:57:07ils finiront par nous répondre par mail
00:57:09que leurs médecins sont bien formés
00:57:11à la prise en charge des victimes de viol,
00:57:14mais qu'ils refusent de commenter les cas particuliers.
00:57:19Louise L. a récemment reçu les conclusions
00:57:22de la cellule Temis, chargée des enquêtes internes
00:57:25de l'armée sur les cas de violence sexuelle.
00:57:29Les investigations conduites,
00:57:31les auditions et entretiens,
00:57:32n'ont pas permis de caractériser ces faits.
00:57:35En effet, tous les témoignages ne concordent pas.
00:57:38Par ailleurs,
00:57:40si le mis en cause reconnaît bien la relation sexuelle,
00:57:43il dément l'absence de consentement de votre part.
00:57:46Il est donc impossible à ce stade
00:57:48de valider l'une ou l'autre des versions de cet événement.
00:57:53Le violeur présumé serait toujours en poste au sein de l'armée.
00:57:56Nous ne sommes pas parvenus à le contacter.
00:57:59De son côté,
00:58:00Louise est en arrêt maladie longue durée.
00:58:03Dépressive,
00:58:05elle souffre d'agoraphobie
00:58:07et a été placée sous anxiolytique.
00:58:11L'armée, ça a toujours été un rêve.
00:58:14Et pour moi, c'était une réelle fierté, mon métier.
00:58:17Cet événement m'a fait développer une haine,
00:58:20une haine du monde militaire.
00:58:23Pour moi, l'armée a étouffé l'affaire.
00:58:27Cette personne, elle, était une personne
00:58:30qui était toujours au travail
00:58:32et n'a eu aucun compte à rendre.
00:58:35Je ne sais pas
00:58:37comment appréhender l'avenir
00:58:40et comment me reconstruire sans jugement
00:58:43et sans reconnaissance
00:58:45de ce qui s'est passé ce soir-là.
00:58:49L'enquête judiciaire est toujours en cours.
00:58:52Mais pour qu'un procès puisse un jour avoir lieu,
00:58:55les témoignages des soldats présents
00:58:57durant cette soirée seront essentiels.
00:58:59Auront-ils le courage de parler ?
00:59:04Pour ceux qui ont vu et qui ont su,
00:59:06souvent, il y a une peur de dénoncer les faits.
00:59:09Une peur parce qu'on est un témoin
00:59:11et qu'on a peur pour sa carrière,
00:59:13peur pour sa notation,
00:59:15peur pour son renouvellement de contrat.
00:59:17Et il y a beaucoup de militaires qui voient,
00:59:19qui ont vu, qui savent,
00:59:21mais qui ont peur de dénoncer.
00:59:23Alors même que le Code de la Défense
00:59:25prévoit de les protéger lorsqu'ils dénoncent des faits.
00:59:26Mais ce que moi, j'ai constaté,
00:59:28dans plusieurs de mes dossiers,
00:59:30c'est la difficulté d'obtenir des témoignages écrits,
00:59:32des attestations,
00:59:34même par ceux qui ont vu et qui ont su,
00:59:36parce qu'ils ont peur pour leur propre carrière.
00:59:39Face à la gravité des témoignages
00:59:41que nous avons recueillis,
00:59:43nous avons demandé un tournage
00:59:45au sein de la cellule Témis.
00:59:47Nous avons souhaité filmer
00:59:49sur la base de Nancy Hochet.
00:59:51Enfin, nous avons sollicité
00:59:53une interview de nombreux responsables
00:59:54de l'armée de l'air
00:59:56et du chef d'état-major des armées.
00:59:59Aucune de ces demandes
01:00:01ne nous a été accordée.
01:00:10Avec ce documentaire,
01:00:12c'est une enquête-choc
01:00:14que nous livre le journaliste Pierre-Stéphane Faure,
01:00:16là où le ministère des Armées
01:00:18prône l'exemplarité et la tolérance zéro,
01:00:20à l'aide de nombreux témoignages
01:00:22de victimes, d'avocats.
01:00:24Des pratiques violentes, humiliantes,
01:00:26voire de graves délits
01:00:28au sein de l'armée de l'air française.
01:00:30Pourquoi la loi du silence
01:00:32semble-t-elle aujourd'hui encore
01:00:34régner autour des violences exercées
01:00:36entre militaires au sein de nos forces armées ?
01:00:38Nous allons en débattre
01:00:40avec nos invités présents aujourd'hui
01:00:42sur ce plateau de débats doc
01:00:44en commençant par vous, Léla Mignano.
01:00:46Vous êtes journaliste d'investigation indépendante
01:00:48à l'origine de plusieurs enquêtes
01:00:50sur les violences commises
01:00:52par les forces armées
01:00:54dans le pays.
01:00:56Vous êtes aussi la coautrice
01:00:58avec notre consoeur du quotidien Le Monde,
01:01:00Julia Pascual, de ce livre
01:01:02La guerre invisible
01:01:04sur les violences sexuelles
01:01:06dans l'armée française,
01:01:08un ouvrage disponible aux éditions Les Arènes.
01:01:10Il y avait eu des enquêtes journalistiques
01:01:12auparavant, au Canada, en Australie,
01:01:14aux Etats-Unis,
01:01:16mais pas en France.
01:01:18C'est la première enquête de ce type
01:01:20réalisée chez nous, Français.
01:01:22J'imagine que
01:01:24comme l'on dit,
01:01:26il ne vous a pas ouvert grand les portes
01:01:28à propos de ce sujet.
01:01:30Ca a été compliqué, cette enquête ?
01:01:32Ca a été compliqué, mais surtout,
01:01:34je pense que ce n'était pas un sujet,
01:01:36ce n'était pas une question à l'époque.
01:01:38Quand on a interrogé le service de presse
01:01:40ou les hauts gradés du ministère,
01:01:42on nous disait que ça n'existe pas.
01:01:44Ca existe chez les Américains
01:01:46parce qu'ils sont puritains, etc.
01:01:48Les Français, on a la culture de la séduction.
01:01:50Il n'y a pas de violences sexuelles
01:01:52dans l'armée française.
01:01:54Il n'y a pas de violences sexuelles
01:01:56visées d'Europe, etc.
01:01:58Pour eux, ça a été aussi un choc,
01:02:00je pense, pas à la base,
01:02:02mais je pense au sommet,
01:02:04en partie, ils ne s'attendaient pas à ça.
01:02:06Guillaume Ancel est également avec nous.
01:02:08Bienvenue à vous.
01:02:10Vous êtes écrivain, ancien lieutenant-colonel
01:02:12de l'armée de terre.
01:02:14Vous êtes l'auteur de plusieurs livres
01:02:16concernant des opérations militaires extérieures,
01:02:18Rwanda, Cambodge, Bosnie.
01:02:20Votre dernier ouvrage s'intitule
01:02:21C'est un livre que je conseille.
01:02:23On y vit de très près
01:02:25ce qu'est Saint-Cyr-l'école,
01:02:28qui forme l'élite de nos officiers français.
01:02:31Vous dénoncez cette culture du silence.
01:02:34Est-elle encore compatible
01:02:36avec une démocratie moderne ?
01:02:38Vous interrogez-vous à travers ce livre.
01:02:40On va bien sûr en reparler
01:02:42à l'occasion de cette émission.
01:02:44Ce documentaire que nous venons de voir
01:02:46concerne uniquement l'armée de l'air.
01:02:48Il y a quatre grandes armées en France,
01:02:49on va tout de même le rappeler,
01:02:51l'armée de l'air et de l'espace,
01:02:53la marine, l'armée de terre
01:02:55et aussi la gendarmerie.
01:02:57Vous connaissiez toutes ces affaires
01:02:59énoncées dans ce documentaire ?
01:03:01Oui, les questions de bizutage,
01:03:03c'est un grand classique dans l'armée,
01:03:05que ce soit au niveau des écoles de l'élite,
01:03:07Saint-Cyr, l'école de la marine
01:03:09ou l'école de l'air.
01:03:11Ce sont des cas de violence
01:03:13qui se répètent depuis des années,
01:03:15qui sont connus, répétés,
01:03:17dont le collectif contre le bizutage
01:03:19est souvent saisi.
01:03:22Donc, ce n'est pas une nouveauté.
01:03:24On ne parle pas uniquement de bizutage,
01:03:26en l'occurrence sur les bases aériennes
01:03:28que nous visitons au passage,
01:03:30en partie, à travers ce documentaire.
01:03:32Il y a des harcèlements qui durent très longtemps,
01:03:35cinq, six ans pour un certain nombre d'entre eux.
01:03:37Là, il n'est pas question uniquement du fameux bizutage.
01:03:40Une fois que les victimes de bizutage dénoncent,
01:03:44elles sont l'objet de représailles,
01:03:46c'est ce qu'elles racontent,
01:03:47c'est l'objet d'une mise au banc.
01:03:49Vous avez dénoncé,
01:03:51donc, du coup, on va mettre entre parenthèses votre carrière,
01:03:54puisque vous n'êtes pas capable de supporter
01:03:57tout ce qu'on va vous faire,
01:03:59c'est-à-dire vous ligoter, comme on peut voir à l'image,
01:04:02vous simuler des violences,
01:04:05tirer en l'air, etc.
01:04:07Donc, vous n'êtes pas l'homme viril qu'il faut.
01:04:09Concernant les femmes,
01:04:11on va les forcer à se dévêtir
01:04:13et à se mettre sur la piste d'atterrissage.
01:04:15On peut se demander quelle est l'utilité,
01:04:18et dans un cas, d'ailleurs, et dans l'autre,
01:04:20de faire ça.
01:04:22L'armée de l'air, est-ce que c'est l'armée la plus féminisée
01:04:25parmi les quatre armées françaises ?
01:04:27Oui, et par ailleurs, elle en joue.
01:04:29Je pense qu'elle se sent plus féminisée,
01:04:31donc plus au fait de ces questions de violences sexuelles.
01:04:34En général, elle a plutôt tendance à dire
01:04:37que c'est chez les autres, c'est chez les terriens,
01:04:40donc l'armée de terre, c'est pas tellement chez nous.
01:04:42Nous, on est une armée de techniciens,
01:04:43une armée féminisée, on a conscience,
01:04:46mais la preuve que non,
01:04:48et très souvent, on voit des femmes de l'armée de l'air
01:04:50aux affaires pénales militaires,
01:04:52là où sont jugées les cas de violences sexuelles dans l'armée.
01:04:55Vous y faisiez référence à l'instant,
01:04:57on va revoir un extrait du film,
01:04:59cette fameuse tradition,
01:05:01elle est appelée comme ça parfois,
01:05:03dans les bases aériennes, c'est le boobs check.
01:05:05Parmi les traditions choquantes,
01:05:07il en existe une qui s'appelle le boobs check.
01:05:10J'arrive avec mon avion, je suis un chevalier du ciel,
01:05:13il y a des femmes qui viennent au bout de piste,
01:05:15qu'elles se dépoitraillent et qu'elles me montrent leur sein,
01:05:17et qu'en plus, elles m'amènent des bières à la descente de mon avion.
01:05:20Ces gens vivent sur quelle planète ?
01:05:22C'est vrai qu'en 2024, avoir ce type de comportement
01:05:27sur une base aérienne, on ne peut que s'étonner.
01:05:30C'est votre cas ?
01:05:32Vous en avez connu d'autres, des traditions,
01:05:35dans les casernes par lesquelles vous êtes baissé ?
01:05:38Je ne suis pas étonné, je suis choqué.
01:05:40Je suis choqué parce que moi, j'ai trois filles,
01:05:41par exemple, qui sont des adultes,
01:05:43qui ont un métier vachement responsable.
01:05:45Je n'imagine pas deux secondes qu'on puisse leur demander
01:05:47des trucs pareils, et je serai le premier à dire
01:05:49c'est quoi cette histoire.
01:05:51Le problème, c'est que maintenant, ce n'est plus moi qui le dis,
01:05:53c'est elles. Le sujet, c'est que,
01:05:55beaucoup à cause de la culture du silence,
01:05:57il y a des pratiques qui sont intolérables dans les armées
01:06:00et qui, malheureusement, sont reproduites
01:06:02parce qu'on n'en parle pas.
01:06:04À partir du moment où on en parle et qu'on les règle,
01:06:06c'est des pratiques qu'on retrouve dans certaines entreprises,
01:06:08dans certaines associations.
01:06:09Mais la différence, c'est que dans ces endroits-là,
01:06:12on va en parler et on va souvent aller en justice,
01:06:15ou en tout cas faire en sorte que les choses s'arrêtent
01:06:17et que les responsables soient sanctionnés.
01:06:19Ce qui est très grave dans les armées,
01:06:21c'est que la tradition, elle est au silence.
01:06:24C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on appelle souvent
01:06:26l'armétaire la grande muette.
01:06:28On sait que ça s'est passé.
01:06:30On va faire semblant de régler le sujet en interne,
01:06:32mais quand on le règle en interne,
01:06:34en fait, on lui permet de se reproduire
01:06:36parce qu'il n'y a pas l'exemple qui est extrêmement important
01:06:37d'un tel, il s'est comporté comme ça,
01:06:39sa carrière a été brisée,
01:06:41il a fait de la prison avec sursis,
01:06:43voire, dans les cas extrêmes,
01:06:45parce que là, on parle de crime, une agression sexuelle,
01:06:47c'est un crime.
01:06:49Si ça a été réellement sanctionné,
01:06:51je peux vous assurer que c'est très dissuasif
01:06:53pour les autres de se dire, tiens, avant de faire ça,
01:06:55il va peut-être falloir que je me méfie un peu.
01:06:57Si vous ne sanctionnez pas, en fait,
01:06:59vous donnez une espèce de blanc-seing.
01:07:01Finalement, ce n'est pas si grave que ça
01:07:03puisque la personne n'a été ni gênée dans son avancement,
01:07:05c'est ce qu'on reproche beaucoup dans ces systèmes,
01:07:07c'est que les personnes voient leur carrière
01:07:09se dérouler tout à fait normalement.
01:07:11Il y a même, parfois, un usage
01:07:13qui est assez surprenant dans les armées,
01:07:15c'est que quand quelqu'un se comporte très mal,
01:07:17il est muté et promu pour éviter que ça fasse des histoires,
01:07:19pour éviter qu'ils disent,
01:07:21attendez, je ne comprends pas,
01:07:23pourquoi on m'a sanctionné sur ce truc ?
01:07:25D'ailleurs, je voudrais vous parler des autres
01:07:27qui font les mêmes conneries.
01:07:29Donc, la tentation de cette promotion,
01:07:31je dirais, de sanctions est totalement délirante
01:07:33puisque, au lieu de les écarter,
01:07:35en fait, on montre que, dans le système,
01:07:37il faut bien tolérer.
01:07:39C'est cette tolérance sur laquelle il faut revenir.
01:07:41Il y a un certain nombre d'actions
01:07:43qui ont été prises par les ministres successifs,
01:07:45mais je dirais qu'elles fonctionnent d'autant plus mal
01:07:47que, souvent, c'est l'armée qui est jugée partie.
01:07:50Ce sont les mêmes personnes,
01:07:52c'est le commandant d'une base, par exemple,
01:07:54qui doit sanctionner des personnes
01:07:56qu'il a lui-même recrutées et managées.
01:07:58Donc, c'est très compliqué pour lui.
01:08:00Pour moi, je suis désolé, mais à un moment,
01:08:02il faut un tiers objectif,
01:08:04si ce n'est pas la justice,
01:08:05c'est la raison de cette ligne hiérarchique,
01:08:07pour dire que, là, ce que vous avez fait,
01:08:09c'est inadmissible.
01:08:11On va revenir sur les solutions.
01:08:13Il y a eu des choses de mise en place, néanmoins,
01:08:15notamment la fameuse cellulite émise,
01:08:17dont il est question.
01:08:19Dans ce film, il y a aussi une mission d'enquête
01:08:21qui a été déléguée par le ministre des Armées,
01:08:23et le ministre des Armées, non seulement
01:08:25sous ce gouvernement, le gouvernement Barnier,
01:08:27mais précédemment sous le gouvernement Attal
01:08:29et sous le gouvernement d'Elisabeth Bande,
01:08:31qui a missionné une mission d'enquête
01:08:33qui a été dirigée par trois inspecteurs généraux
01:08:35qui sont effectivement très sérieux,
01:08:37comme mission,
01:08:39et le constat est tout de même assez accablant.
01:08:41J'ai juste quelques chiffres sous les yeux.
01:08:43Plus de huit mises en cause sur dix
01:08:45ont vu leur affaire classée sans suite.
01:08:47Moins de trois sur dix ont fait l'objet de poursuites.
01:08:49Ça semble corroborer ce qui vient d'être dit à l'instant.
01:08:51Il y a un vrai problème de sanctions
01:08:53et de libéralisation de la parole des victimes.
01:08:55Voilà.
01:08:57C'est ça, le problème central.
01:08:59C'est comment est-ce qu'on recueille
01:09:01la parole des victimes
01:09:03et comment on sanctionne les harcèleurs.
01:09:05Les victimes qui dénoncent.
01:09:07C'est l'objet de la dernière enquête
01:09:09qu'on a faite avec Julia Pasquale
01:09:11dans Le Monde en mai dernier.
01:09:13On montre que, dans certains cas,
01:09:15les victimes qui dénoncent se retrouvent aux arrêts.
01:09:17C'est-à-dire qu'elles se retrouvent
01:09:19dans une chambre à part,
01:09:22qu'elle s'appelle en cellule elle-même,
01:09:25une fois qu'elles ont dénoncé
01:09:27parce qu'on leur reproche d'avoir bu
01:09:29ou de s'être retrouvées dans une chambre
01:09:31avec un soldat du sexe opposé.
01:09:35Effectivement, on est très loin
01:09:37d'une éjection exemplaire.
01:09:39Quand vous dénoncez
01:09:41que vous vous retrouvez en cellule le lendemain,
01:09:43il y a du travail à faire.
01:09:45Avant cette mission d'enquête
01:09:48déclenchée par le ministre des Armées,
01:09:50il y a eu un Me Too des Armées ?
01:09:52Ça a libéré la parole, ce Me Too des Armées ?
01:09:55Un temps soit peu a-t-il incité
01:09:57le ministère des Armées
01:09:59à avancer sur le sujet ?
01:10:01Ce qui est difficile,
01:10:03c'est qu'on se méfie du bis repetita.
01:10:05En 10 ans, en 2014,
01:10:07il y avait déjà eu un plan d'action,
01:10:09il y avait déjà eu une mission,
01:10:11suite à la publication de la guerre invisible.
01:10:13Tout ça a déjà existé en 2014.
01:10:15Temis a été créé
01:10:17justement après la publication du livre.
01:10:19Tout ce plan-là a déjà été mis en place.
01:10:21Malheureusement, ça s'est délité avec les années
01:10:23et on a peur que ça se reproduise encore.
01:10:25C'est-à-dire qu'on a reproduit
01:10:27exactement le schéma de 2014.
01:10:29Est-ce que là,
01:10:31on est dans le post-Me Too,
01:10:33donc la prise de conscience est là,
01:10:35ou est-ce que Temis va vraiment être
01:10:37la cellule d'écoute ?
01:10:39Temis, cellule d'écoute,
01:10:41vous l'avez dit,
01:10:43mise en place en 2014,
01:10:45il y a 10 ans maintenant.
01:10:47Vous êtes très critique vis-à-vis de Temis.
01:10:49C'est combien de personnes, Temis, aujourd'hui ?
01:10:51Ça a varié.
01:10:53Aujourd'hui, je ne sais pas,
01:10:55parce qu'on est dans une nouvelle cellule Temis.
01:10:57Je ne sais pas ce qui va se produire vraiment,
01:10:59mais le problème de la cellule Temis,
01:11:01c'est qu'il y a eu énormément de manquements.
01:11:03La rupture d'anonymat des victimes,
01:11:05ensuite, ils remettent le dossier au commandement,
01:11:07donc tout repart.
01:11:09L'absence de pouvoir de Temis,
01:11:11la différence majeure qui va se passer,
01:11:13c'est qu'il y a une possibilité d'externalisation,
01:11:15c'est-à-dire qu'en gros,
01:11:17il y a certaines associations agréées par le ministère,
01:11:19qui, par ailleurs,
01:11:21ne sont pas les plus grosses et les plus représentatives,
01:11:23mais le fait est qu'ils ont publié une liste
01:11:25avec des associations agréées.
01:11:27L'idée, c'est de sortir un peu de la chaîne de commandement
01:11:29et possibilité pour la victime d'être accompagnée.
01:11:31Ça, c'est un peu une nouveauté,
01:11:33mais on n'est pas encore dans l'idée.
01:11:35On va voir s'il y a de l'amélioration.
01:11:37Vous avez suivi l'évolution de cette cellule d'écoute.
01:11:40Elle est là pour recevoir la parole des victimes
01:11:43et prendre en charge en partie ces victimes.
01:11:46Vous avez suivi son implantation, son évolution.
01:11:48Qu'est-ce que vous avez envie d'en dire ?
01:11:50J'ai suivi ses résultats.
01:11:52Je vais faire un parallèle avec Saint-Cyr,
01:11:54sur lequel j'ai écrit.
01:11:56Quand j'ai publié ce livre,
01:11:58Saint-Cyr à l'école de la Grande Meute,
01:12:00pour expliquer que Saint-Cyr, c'est une école
01:12:02dans laquelle on apprend à faire la guerre et à se taire,
01:12:03le conseiller du patron de l'armétaire m'a appelé
01:12:06pour me dire, tu sais, au fond,
01:12:08la Grande Muette, ce serait nettement mieux
01:12:10qu'on n'en parle pas.
01:12:12D'abord, j'ai cru que c'était une plaisanterie,
01:12:14mais au fond, c'est très représentatif
01:12:16de l'état d'esprit. C'est une culture.
01:12:18C'est ça, le problème.
01:12:20En fait, Temis, c'est une cellule qui a été créée
01:12:22pour permettre d'écouter les personnes,
01:12:24mais je prends le cas de l'armétaire.
01:12:26Il y a 13 % de femmes.
01:12:28Tant qu'il n'y aura que 13 % de femmes,
01:12:30vous aurez une majorité de personnes
01:12:31qui estimeront qu'en gros,
01:12:33elles n'ont pas leur place dans le système militaire
01:12:35et que quand il y a un problème, c'est de leur faute.
01:12:37C'est vraiment une inversion de la culpabilité.
01:12:40Et ça, ça ne peut changer qu'à partir du moment
01:12:42où vous avez un équilibre dans les organisations.
01:12:44Temis, moi, ce qui m'a surpris,
01:12:46c'est que les retours que j'ai eus,
01:12:48notamment par des contrôleurs généraux
01:12:50qui s'en sont beaucoup occupés,
01:12:52c'est que la cellule a été totalement dépassée
01:12:54par le nombre de sollicitations qu'ils ont reçues.
01:12:56Comme ils n'avaient pas du tout prévu
01:12:58de pouvoir gérer autant de cas,
01:12:59donc vous confiez à la même personne
01:13:01d'être juge et partie.
01:13:03Évidemment, quand elle est juge et partie,
01:13:05elle ne va pas se déjuger.
01:13:07Donc elle va expliquer que le problème,
01:13:09soit on peut l'écraser dans le silence,
01:13:11on va attendre le plus longtemps possible,
01:13:13soit l'institution va faire exercer
01:13:15une pression de tous les moments
01:13:17pour que la personne se sente mal.
01:13:19En fait, c'est elle qui a commis l'erreur
01:13:21de dénoncer ce qui s'est passé.
01:13:23Quand j'ai écrit sur Saint-Cyr,
01:13:25il y a trois femmes qui sont à Saint-Cyr actuellement
01:13:27qui m'ont écrit en me disant
01:13:29qu'elles étaient 13 ans en dessous de la réalité.
01:13:31Ce que vous décrivez,
01:13:33moi j'y étais en 1985,
01:13:35ça commence à dater un peu,
01:13:37aujourd'hui pour les femmes,
01:13:39est bien pire parce qu'on nous donne
01:13:41l'apparence d'être les bienvenues,
01:13:43mais en réalité, ce n'est pas des garçons,
01:13:45c'est l'institution qui va tout faire
01:13:47pour être écartée,
01:13:49y compris dans les notations de fin d'année
01:13:51pour s'assurer qu'elle n'accède jamais
01:13:53au meilleur poste de responsabilité
01:13:55où elle pourrait commencer à changer les choses.
01:13:57Elles vont systématiquement
01:13:59et ça, c'est un problème de culture
01:14:01qui ne changera que si l'institution change,
01:14:04pas seulement si on met une cellule Témis
01:14:06ou qu'on appelle autrement.
01:14:08Cette fameuse cellule, si on vous suit bien,
01:14:10elle aurait dû être externalisée,
01:14:12en réalité, ne pas dépendre de l'armée.
01:14:14C'est la condition, la première condition,
01:14:16si j'ai bien compris ce que vous nous dites,
01:14:18pour que les témoignages remontent,
01:14:20soient recueillis d'une part et ensuite remontent.
01:14:22Donc Témis est à remettre complètement à plat,
01:14:24il semblerait que ce soit un des chantiers
01:14:26mis en place par Sébastien Lecornu.
01:14:27C'est en place ?
01:14:29Les choses évoluent ou pas encore ?
01:14:31Il y a une volonté, après, il y a Témis
01:14:34et il y a ce que disait le collègue,
01:14:37c'est que la question du chantier des écoles,
01:14:41comment est-ce qu'on forme la génération
01:14:43qui va être dirigée demain ?
01:14:45Pourquoi aujourd'hui il n'y a jamais
01:14:47une femme à la tête de Saint-Cyr ?
01:14:49Pourquoi est-ce qu'il y a une sélection
01:14:51qui se fait comme ça à l'école de guerre,
01:14:53qui est le dernier stade pour atteindre
01:14:54le sommet de l'armée ?
01:14:58Donc du coup, pourquoi effectivement
01:15:00ce chantier-là n'est pas attaqué ?
01:15:02Sans parler des lycées militaires,
01:15:04où se pratiquent certaines pratiques
01:15:06qui sont vraiment extrêmement gênantes aujourd'hui.
01:15:11On voit des reproductions aussi,
01:15:13les harcelés deviennent harceleurs,
01:15:16tout ça fonctionne en milieu clos, finalement.
01:15:21Et il y a des minorités d'extrême droite
01:15:23qui sévissent dans ces écoles
01:15:25et qui tiennent des propos parfois antisémites,
01:15:28des propos où ils rendent hommage au nazisme.
01:15:33Et là, ça se sait,
01:15:35c'est dans des enquêtes journalistiques,
01:15:37depuis 20 ans, il faudra encore en avoir une
01:15:40la semaine prochaine.
01:15:42Et donc du coup, ce problème-là n'est pas traité.
01:15:44Ces idées réactionnaires ne sont pas favorables
01:15:46à l'arrivée des femmes dans les armées
01:15:48et surtout à l'arrivée de leaders des armées.
01:15:50Aujourd'hui, malheureusement,
01:15:52on a besoin de cette génération-là.
01:15:54Une femme à la tête de Saint-Cyr,
01:15:56à la tête du Britannique,
01:15:58à l'école de la marine, à l'école de l'air,
01:16:00je pense qu'effectivement, ça pourrait être un effet choc.
01:16:03Pour ce qui est de l'enseignement, du basique,
01:16:05c'est vrai que lorsqu'on rentre dans l'armée,
01:16:07ce qu'on vous apprend, c'est d'abord l'esprit de corps.
01:16:09L'esprit de corps, tout seul, on n'est rien.
01:16:11En revanche, lorsqu'on fait partie d'un groupe
01:16:13et lorsqu'on fait partie de l'armée, on est fort.
01:16:15Et là, on est forcément étonnés à la vue de ce documentaire.
01:16:18C'est-à-dire que ce sont des violences
01:16:20au sein de l'institution, entre militaires.
01:16:23Où est l'esprit de corps qu'on enseigne,
01:16:25basiquement, dans toutes les bases aériennes,
01:16:28dans toutes les casernes françaises, aujourd'hui ?
01:16:32En fait, l'esprit de corps est censé donner
01:16:35une forme de cohérence à un collectif.
01:16:37Il est très important.
01:16:39On sait que ces collectifs fonctionnent,
01:16:41c'est les gens ont le sentiment qu'ils font partie d'un tout.
01:16:43Mais quand le tout laisse certains,
01:16:44comme le rappelez-les là,
01:16:46exercer des violences ou des pressions au quotidien
01:16:49contre les uns ou les autres,
01:16:51à ce moment-là, l'esprit de corps devient une connerie collective.
01:16:54C'est-à-dire qu'on n'arrive plus à faire régner un équilibre,
01:16:58mais on accepte, en fait, on cache, on camoufle,
01:17:02et c'est ça, pour moi, l'aspect très dangereux
01:17:04de la culture du silence, au nom de la préservation du système.
01:17:07Vous dites aussi que l'esprit de corps,
01:17:09c'est un opex, une opération extérieure
01:17:11qui le prend vraiment en forme.
01:17:12Parce que là, on sort de son univers.
01:17:15Et néanmoins, on a vu que c'est en opex aussi
01:17:18que se pratiquent beaucoup de violences,
01:17:20notamment de violences sexistes et sexuelles.
01:17:23Alors, de violences, mais aussi,
01:17:25ça peut être des dérives encore plus graves.
01:17:27Moi, au Rwanda, par exemple,
01:17:29je suis intervenu avec la Légion étrangère
01:17:31quand la France a décidé d'intervenir
01:17:33au moment du génocide contre les Tutsis.
01:17:35J'ai assez rapidement compris,
01:17:37parce que j'ai été élevé dans la culture de la Shoah,
01:17:39que ce qui se commettait sous nos yeux, c'était un génocide.
01:17:40Et quand j'ai commencé à dire
01:17:42qu'il fallait qu'on arrête de soutenir les génocidaires,
01:17:44j'ai bien senti que mes camarades
01:17:46avaient très bien compris ce qui se passait.
01:17:48Il n'y en a pas un qui est assez idiot
01:17:50pour voir qu'on n'était pas du bon côté.
01:17:52Mais là, l'esprit de corps revient,
01:17:54on a reçu cette mission, on se tait, on l'a fait.
01:17:56Parce que de toute façon,
01:17:58on va passer à la mission suivante.
01:18:00Donc, on a une question toujours autour du silence,
01:18:02c'est-à-dire à quel moment un militaire
01:18:04peut enfin s'exprimer sans être sanctionné
01:18:06par sa hiérarchie pour dire
01:18:08là, ce qui se passe est inadmissible.
01:18:10Comme on le montre dans le documentaire,
01:18:12une petite violence au quotidien,
01:18:14un petit coup sur la tête,
01:18:16mais on ne l'accepterait pas dans une entreprise aujourd'hui.
01:18:18Tout le monde serait ulcéré
01:18:20s'il y avait des managers qui se comportaient de cette manière.
01:18:22Pourquoi on l'accepte dans l'armée ?
01:18:24A cause du silence.
01:18:26Dernier chiffre concernant la Témis,
01:18:28en 2023, 167 signalements
01:18:30pour violences sexuelles et sexistes
01:18:32adressés à la hiérarchie,
01:18:3459 ont été traités par la sceptule Témis.
01:18:36Ça fait au total 226 cas
01:18:38qu'on fait l'objet d'ouverture d'un dossier.
01:18:40C'est un chiffre qui augmente,
01:18:42malgré tout, on a envie de dire,
01:18:44par rapport à ce qu'on s'est dit avant sur cette cellule d'écoute.
01:18:46Est-ce que les témoignages
01:18:48augmentent d'année en année ?
01:18:50C'est très difficile à prononcer
01:18:52parce que, en fait, MeToo est passé par l'armée.
01:18:54C'est-à-dire qu'il n'est pas juste là.
01:18:56De plus en plus, les femmes parlent.
01:18:58Quand, il y a dix ans, j'ai enquêté,
01:19:00c'était une parole extrêmement rare,
01:19:02j'ai enquêté au mois de mai,
01:19:04dix ans plus tard, et là, on parlait beaucoup plus.
01:19:06Les femmes qui ont 18 ans, 19 ans aujourd'hui,
01:19:08elles ont baigné dans MeToo.
01:19:10Du coup, ça se voit.
01:19:12Les paroles qu'elles prononcent,
01:19:14elles disent ça, ils n'avaient pas le droit,
01:19:16ces noms, ces noms, toutes ces phrases-là,
01:19:18en fait, il y a une évolution auxquelles l'armée ne peut rien.
01:19:20C'est-à-dire les jeunes femmes qui ont 19 ans aujourd'hui
01:19:22ont baigné dans MeToo.
01:19:24Du coup, pour moi, je trouvais ça impressionnant.
01:19:26Donc, il y a de plus en plus de femmes qui parlent,
01:19:28donc ça ne m'étonnerait pas que les chiffres augmentent.
01:19:30Pour autant, je pense que ces chiffres-là
01:19:32sont largement sous-représentés.
01:19:34Celles qui osent appeler Témis,
01:19:36c'est déjà quelque chose.
01:19:38Il y en a beaucoup qui passent par d'autres biais,
01:19:40par exemple, l'association contre les violences faites aux femmes au travail,
01:19:44qui ne travaille pas du tout dans le militaire,
01:19:46mais qui prend aussi des militaires.
01:19:48Le collectif féministe contre le viol,
01:19:50donc elles vont saisir d'autres associations
01:19:53beaucoup plus connues, beaucoup plus réputées
01:19:55pour la défense des droits des femmes,
01:19:57et donc, du coup, ne vont pas passer forcément par Témis.
01:20:00Un mot sur les sanctions, vous l'avez évoqué,
01:20:02bien sûr, tout à l'heure.
01:20:04J'ai vu qu'on demandait des sanctions référentielles
01:20:07chez certains au sein de l'armée française aujourd'hui.
01:20:10Les sanctions, qu'est-ce qu'on peut en dire ?
01:20:13Et les poursuites en justice, pour le coup,
01:20:16parfois au pénal, qu'est-ce qu'on peut en dire
01:20:18suite à ces affaires ?
01:20:20Les sanctions, évidemment,
01:20:22elles sont en deçà de ce qui se passe,
01:20:24puisqu'on se retrouve avec de nombreux cas
01:20:26où les militaires sont sanctionnés de dix jours d'arrêt
01:20:28pour avoir harcelé une femme.
01:20:31Dix jours d'arrêt, certes, ça ne fait pas bien dans une carrière,
01:20:33mais par contre, quand on s'y repasse les chaussures,
01:20:35c'est exactement la même chose.
01:20:37Il y a une volonté, j'ai l'impression, du ministère
01:20:38d'arriver vers des sanctions exemplaires.
01:20:41Donc, on est sur plus de 20, 30 jours d'arrêt, des blâmes,
01:20:46et j'espère un jour la sortie de l'institution,
01:20:49parce que c'est ça qui doit, à mon avis,
01:20:51quand un soldat s'est rendu coupable de violences sexuelles,
01:20:55on doit lui montrer la sortie.
01:20:57Ce n'est pas possible, c'est un soldat
01:20:59qui va demain être mis devant des femmes rwandaises,
01:21:02devant des femmes en ex-Yougoslavie,
01:21:05devant des femmes en Afghanistan.
01:21:08S'il n'est pas capable de se tenir avec sa collègue,
01:21:10comment est-ce qu'on va s'assurer
01:21:12qu'il va assurer la sécurité de femmes, de jeunes filles,
01:21:14sur le terrain ?
01:21:16Ça veut dire ça.
01:21:18La féminisation a pris son ampleur, de nos armées,
01:21:20a pris son ampleur à la fin des années 90,
01:21:2398, je crois, environ.
01:21:26Ça fait tout de même 25 ans.
01:21:28En 25 ans, on a le sentiment que le chemin parcouru
01:21:30en la matière n'est pas énorme.
01:21:32Non, je pense qu'effectivement, le ministère se dit toujours
01:21:35qu'on est l'armée la plus féminisée d'Europe.
01:21:38C'est vraiment un axe de communication qu'ils emploient.
01:21:43Malheureusement, il n'y a pas d'évolution.
01:21:45La féminisation du leadership de l'armée
01:21:47est quand même particulièrement lente.
01:21:49Et ce n'est pas qu'il n'y a aucune femme
01:21:51qui, aujourd'hui, n'est pas diplômée,
01:21:53n'est pas à la hauteur, etc.
01:21:55Il y a des femmes qui sont prêtes
01:21:57à prendre leur tour à l'école des guerres et à y aller.
01:22:00On va finir sur cette féminisation
01:22:02et le regard que vous avez par rapport
01:22:04à ce qu'était l'évolution, cette féminisation
01:22:06au sein de nos armées.
01:22:08Elle n'est pas préparée, elle n'est pas aboutie ?
01:22:10Elle n'est pas intégrée.
01:22:12C'est impossible pour l'armée française
01:22:14de dire qu'elle est là pour défendre la société
01:22:16si elle ne ressemble pas à la société.
01:22:18Là, on a beaucoup parlé des femmes,
01:22:20mais je pourrais dire la même chose des minorités.
01:22:22On a exactement le même sujet.
01:22:24Il y a une sous-représentation
01:22:26de la réalité de la société française
01:22:28au sein de l'armée française.
01:22:30Tant qu'on n'aura pas cette exacte représentation,
01:22:32ce que font toutes les entreprises aujourd'hui en France,
01:22:34il n'y a plus une entreprise où il y a 13 % de femmes.
01:22:36On est juste au siècle dernier.
01:22:38On est en temps de retard.
01:22:40On attend que ce soit les jeunes générations
01:22:42qui bougent les choses, alors que pour moi,
01:22:44c'est une responsabilité politique.
01:22:46On doit initier ce changement
01:22:48sans attendre d'avoir cinq générations supplémentaires
01:22:52pour avoir un équilibre social à l'intérieur des armées
01:22:56qui s'assurerait qu'on respecte les règles
01:23:00qui ne seraient jamais acceptées dans la société civile.
01:23:04Il faut que la société militaire
01:23:06soit l'image de la société qu'elle présente.
01:23:08On a évoqué le cas de l'armée de l'air
01:23:12dans ce documentaire et de l'espace,
01:23:14la marine, l'armée de terre.
01:23:16Il y a aussi la gendarmerie.
01:23:18C'était la quatrième grande armée.
01:23:20Elle n'est jamais évoquée nulle part
01:23:22dans aucun chiffre que j'ai pu consulter.
01:23:24C'est parce que la gendarmerie serait exemplaire
01:23:26en manière de violences sexistes, sexuelles
01:23:28ou de harcèlement moral.
01:23:30Absolument pas.
01:23:32Je crois que la gendarmerie se raconte beaucoup ça.
01:23:34Régulièrement, des officiers me disent
01:23:36que la gendarmerie, c'est différent
01:23:38de l'armée de l'air.
01:23:40C'est un acte de la population française.
01:23:42Chez nous, on fait un peu plus attention,
01:23:44on est moins arriérés toujours que l'armée de terre.
01:23:46Effectivement, un peu le même discours.
01:23:48Mais en fait, des questions de femmes,
01:23:50gendarmes, officiers, sous-officiers,
01:23:52gendarmes volontaires,
01:23:54sont victimes de violences sexuelles
01:23:56et la gestion n'est pas non plus exemplaire.
01:23:58Il y a du travail à faire aussi dans la gendarmerie.
01:24:00Ce sera le mot de la fin.
01:24:02Merci, un grand merci vraiment à tous les deux
01:24:04d'avoir participé à ce débat d'aujourd'hui.
01:24:06Après cette enquête,
01:24:08on va parler des violences,
01:24:10les harcèlements, les violences
01:24:12au sein de l'armée de l'air.
01:24:14C'était dans ce documentaire,
01:24:16mais on a évoqué plus au-delà
01:24:18ces violences au sein de nos grandes armées françaises,
01:24:20nos quatre grandes armées françaises.
01:24:22Vos réactions, ce sera sur hashtag débadoc.
01:24:24Merci à Félicité Gavalda, Victoria Bellé,
01:24:26qui m'ont aidé, comme l'a le coutumier,
01:24:28à préparer cette émission.
01:24:30Prochain rendez-vous avec Débadoc,
01:24:32ça sera à même place, même heure,
01:24:34et bien entendu, avec son documentaire et son débat.
01:24:36A très bientôt.

Recommandations