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De l'été 1940 à l'été 1943, l'Algérie française se donne avec enthousiasme à la révolution nationale voulue par Pétain. Ce dont de nombreux Européens d'Algérie rêvent depuis longtemps s'accomplit : rétablissement de l'ordre colonial, mise au pas des populations et abrogation du décret Crémieux qui, en 1870, avait fait des Juifs d'Algérie des citoyens français.

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00:00Juin 1940. Alors que le pays s'effondre, que les Français de la métropole fuient l'avance allemande et se précipitent dans l'exode, Alger garde son visage habituel, celui d'une ville qui serait toujours en paix, sans bombardement ni occupation allemande.
00:22Et la deuxième ville de France, qui ne comprend pas comment la défaite a été possible, entend bien rester à l'écart du conflit mondial.
00:32Alors, de l'été 1940 à l'été 1943, l'Algérie française se donne avec enthousiasme à la révolution nationale voulue par Pétain.
00:43Une ferveur si grande que même le débarquement allié du 8 novembre 1942 n'est pas immédiatement suivi d'un changement politique.
00:54Cette anomalie de l'histoire n'a rien d'un accident ou d'une simple parenthèse.
01:00Tout ce don de nombreux Européens d'Algérie rêvent depuis longtemps s'accomplit par la grâce du maréchal.
01:07Rétablissement de l'ordre colonial, exaltation de la grandeur de l'Empire, mise au pas des populations et, divine surprise, abrogation du décret Crémieux qui, en 1870, avait fait des Juifs d'Algérie des citoyens français.
01:25Cette mesure d'épuration de la communauté nationale n'a cessé d'être réclamée, par pur antisémitisme, mais aussi par simple calcul.
01:35Exclure les Juifs de la société algérienne, c'est dire aux Allemands que Vichy sait quelle population sacrifier pour prouver sa pleine et entière collaboration.
01:46Enlever leurs droits aux Juifs, c'est signifier à d'autres, les musulmans, qu'ils n'ont plus à espérer en obtenir.
01:54L'indépendance
01:58L'indépendance
02:03Pour la majorité des Européens d'Algérie, la perspective de la révolution nationale
02:22promise par Pétain apparaît donc comme une aubaine, celle de restaurer l'ordre colonial,
02:28la puissance de l'Église et de l'armée d'Afrique.
02:45Au gouvernement d'Alger, on s'inquiète tout de même.
02:48Des émissaires sont envoyés dans toute l'Algérie pour mesurer les réactions des populations indigènes.
02:53Que pensent les 7 millions de musulmans qui constituent 90% de la population algérienne
02:58de cette France qui a été battue et contre laquelle il ne serait plus impossible de se révolter ?
03:07Il y a donc urgence à montrer que malgré la terrible défaite,
03:10l'Empire français n'a rien perdu de sa puissance.
03:13C'est le général Végan, commandant en chef de l'armée française pendant la débâcle,
03:23puis ministre de la guerre de Pétain, qui est chargé d'incarner cette France
03:27qui ne serait plus rien, dit-on à Vichy, sans l'Algérie.
03:31Début octobre 1940, il est nommé délégué général du gouvernement en Afrique du Nord.
03:38Il doit veiller à la mise en place de la politique décidée à Vichy.
03:42Et cela commence par l'application très stricte du statut des Juifs
03:46qui, en Algérie, s'accompagne de l'abrogation du décret Crémieux.
03:53Un décret qui avait fait des Juifs d'Algérie des Français en 1870
03:58parce qu'ils renonçaient à toute autre loi que celle de la République.
04:03Cette abrogation est une obsession de longue date chez de nombreux Européens.
04:07Et forcément, pense-t-on alors, cela plaira aux leaders musulmans.
04:12Qu'importe que ceci n'ait jamais réclamé une telle sanction.
04:18Quand on est en 1940, imaginez qu'on est déjà à la troisième, à la quatrième génération de citoyens français.
04:25Donc pour eux, le coup de tonnerre, la déchéance de la nationalité
04:29est un coup de massue extraordinaire.
04:32Et l'abrogation du décret, dans le fond, c'est une terrible sommation
04:36leur disant, grosso modo, vous n'appartenez qu'à une seule culture.
04:40Vous ne pouvez pas appartenir à deux cultures.
04:42Vous devez choisir.
04:43Et nous, on va choisir pour vous.
04:45Et on va choisir de vous exclure.
04:49Avec cette abrogation, les Juifs sont immédiatement exclus de l'armée et de la fonction publique.
04:54En particulier de l'enseignement et de la magistrature, de la presse et du cinéma.
05:01De nouveaux décrets fixant des quotas pour les médecins et les avocats sont annoncés.
05:053500 fonctionnaires juifs sont licenciés et plongent du jour au lendemain dans la misère.
05:25Sur les 130 000 Juifs français alors en Algérie,
05:28seuls 1310, reconnus comme héros de la Grande Guerre, restent citoyens français.
05:35Chaque mairie doit garantir au gouvernement qu'elle ne compte plus de Juifs
05:39parmi ses employés municipaux.
05:43La majorité des Juifs sont élus en Algérie.
05:46La majorité des Juifs sont élus en Algérie.
05:49Chaque mairie doit garantir au gouvernement qu'elle ne compte plus de Juifs
05:53parmi ses employés municipaux.
05:58Il y a l'exclusion des professions, l'exclusion de la fonction publique,
06:03mais l'exclusion scolaire c'est ce qui est le plus durement vécu
06:07et puis on a des témoins célèbres, Derrida l'a raconté par exemple.
06:12Je voudrais parler comme Algérien, né juif d'Algérie,
06:17de cette partie de la communauté qui avait reçu en 1870 du décret Crémieux
06:23la nationalité française et l'avait perdue en 1940.
06:29Quand j'avais 10 ans, j'ai perdu la citoyenneté française au moment du régime de Vichy
06:35et pendant quelques années, exclu de l'école française,
06:39j'ai fait partie de ce qu'on appelait à ce moment-là les Juifs indigènes
06:45qui ont rencontré parmi les Algériens de l'époque plus de solidarité
06:50que de la part de ce qu'on appelait les Français d'Algérie.
06:54C'est l'un des tremblements de terre de mon existence.
06:58L'exclusion des écoles, des élèves et des enseignants juifs
07:02est pour tous ceux qui l'ont vécu l'événement le plus marquant de ces années de guerre.
07:13Le souvenir que j'ai de cette année scolaire 41,
07:16ce sont les promenades que nous faisions au Pioche-sur-Mer,
07:21et en chantant Maréchal nous voilà.
07:23Évidemment, je ne savais pas ce que je chantais.
07:36Les vacances se sont passées
07:38et j'étais surprise de voir à l'entrée de l'école une dame,
07:42très jolie, avec des cheveux très longs,
07:44et qui avait des cheveux très longs,
07:46et qui avait des cheveux très longs,
07:48j'étais surprise de voir à l'entrée de l'école une dame, très ébelle,
07:52qui me dit, toi tu ne rentres pas.
08:02Mais pourquoi madame ?
08:04Est-ce que tu es venue ?
08:06Rentre chez toi.
08:19Dans l'urgence, la communauté juive met en place des cours
08:22avec l'aide des enseignants juifs révoqués,
08:24et de certains professeurs non-juifs.
08:27À Oran, Albert Camus donne des cours dans une petite école privée
08:30fondée par André Bénichoux, un professeur de philosophie révoquée.
08:35Les cours sont le plus souvent donnés dans des appartements.
08:39Des écoles privées catholiques admettent quelques élèves juifs.
08:49Georges Hardy, le recteur de l'Académie d'Alger,
08:52par ailleurs vice-président de la Légion française des combattants,
08:55en charge de la propagande de cette organisation pétainiste,
08:58met en application avec un zèle particulier
09:01les mesures discriminatoires à l'égard des étudiants juifs.
09:06Vichy et le gouvernement algers
09:08accentuent la communautarisation de la société algérienne.
09:12L'abrogation du décret Crémieux en est la preuve la plus manifeste.
09:18« On n'a pas honte, pardon,
09:21on n'a pas honte de la vie ! »
09:26On a vraiment trois groupes qui ont été constitués,
09:29avec les Français de plein droit,
09:32les Juifs, par le décret Crémieux, intégrés dans ce groupe-là,
09:36mais en réalité tout le temps en but à de l'antisémitisme
09:40ou régulièrement, je devrais dire.
09:42Et donc, même s'ils sont Français pleinement citoyens,
09:45ils sont dans une position fragile.
09:47Et puis il y a les dix musulmans, Français de nationalité,
09:51sans des droits pleins de citoyenneté,
09:54et c'est clair que retirer des droits aux uns
09:57n'en fait pas gagner aux autres,
09:59parce qu'en fait chacun est dans une catégorie juridico-politique
10:02ou dans une situation sociale et économique assez particulière.
10:07Ce n'était pourtant pas le projet qu'avait pour l'Algérie la République,
10:11et même avant elle le Second Empire finissant.
10:15Il avait été prévu que chaque population soit intégrée dans la communauté nationale,
10:19à l'exception des musulmans,
10:21qu'on ne pouvait considérer autrement que comme des indigènes.
10:25Ce qui valait pour les Juifs en 1870
10:28fut proposé ensuite aux Italiens d'Algérie
10:31qui eurent leur décret Crémieux en 1889.
10:35Avec l'abrogation, on en revient à une stratégie coloniale sans assimilation
10:40qui a consisté à diviser et à catégoriser les populations
10:44pour finalement les opposer.
10:48Toute l'extrême droite européenne a fait campagne
10:52pour l'abrogation du décret pratiquement depuis toujours.
10:56Depuis 1870, la campagne n'a jamais cessé.
11:02Elle a naturellement démarré avec une force inouïe au moment de l'affaire Dreyfus.
11:07Elle a culminé dans les émeutes anti-juifs à Oran en 1898.
11:11Les synagogues ont été mises à sac.
11:15C'est-à-dire que si les indigènes ou une fraction des indigènes
11:19pouvaient profiter de l'obtention de la citoyenneté pleine,
11:22alors d'autres, beaucoup plus nombreux, pouvaient l'être aussi.
11:27Donc il fallait interdire cela.
11:29Il fallait empêcher, enrayer cette situation.
11:32Et donc, toute cette extrême droite française,
11:36portée notamment, on le sait, par des personnages qui étaient des élus d'Algérie,
11:41d'Alger, comme Édouard Trumon,
11:43portait cette revendication avec une force qui a été une force encore plus décuplée
11:49dans les années 1920, dans les années 1930, au moment de la montée du fascisme en Europe.
11:56En Algérie, l'extrême droite a l'habitude d'exploiter,
11:59de récupérer ou de déchaîner un anti-judaïsme ancestral.
12:03On l'a vu dans les années 1890, et plus tard, à Constantine.
12:11Le 3 août 1934, Émile Morineau, le maire de la ville,
12:15laisse courir la rumeur qu'un soldat juif, ivre,
12:18aurait uriné sur le mur d'une mosquée.
12:21S'y ajoute celle, faux celle aussi,
12:23de l'assassinat par des juifs du docteur Ben Jelloul,
12:26un leader nationaliste arabe.
12:29Deux jours plus tard, une foule de musulmans venus des environs de la ville
12:33envahit le quartier juif pour égorger et piller impunément.
12:37Car soldats et policiers postés autour du quartier refusent d'intervenir.
12:43Parmi les 25 juifs assassinés, 5 enfants âgés de 6 mois à 10 ans.
12:51Et puis on regardait par le balcon, on avait un très grand balcon,
12:55on voyait les gens courir d'une famille à l'autre.
12:58Ils rentraient dans la maison.
13:00D'abord ils ont commencé par une famille à Thalie.
13:03C'était des imprimeurs.
13:05Ils ont commencé par là.
13:07Ils avaient une fille, leur grande-fille qui était sage-femme,
13:10qui venait d'arriver d'un accouchement.
13:15En rentrant, ils l'ont égorgée, ils l'ont ouvert le ventre.
13:19Ils ont coupé les seins.
13:20Ils ont mis dans le ventre les seins.
13:24Une orgie comme on dit.
13:26Horrible.
13:28Alors là, mon frère a téléphoné tout de suite, comme dit monsieur, à la police.
13:33Personne n'est venu.
13:35Personne.
13:37On aurait dit qu'ils avaient déjà l'ordre de continuer sans nous.
13:42Non, la France était absente ce jour-là.
13:49Le gouverneur général de l'Algérie n'assiste pas aux obsèques des victimes.
13:54Et quand une enquête est demandée sur ces événements,
13:57on ordonne à la communauté juive de s'abstenir de toute provocation
14:01et de montrer moins de morgues.
14:07Le drame de Constantine pousse des musulmans à lutter contre l'antisémitisme
14:12et des juifs à défendre les droits des musulmans
14:15et à œuvrer ensemble pour la victoire du Front populaire.
14:19Une note des renseignements généraux s'inquiète même de ces rapprochements.
14:25Après les élections de 1936, les antisémites se déchaînent.
14:30À Oran, le maire Gabriel Lambert, ancien officier et prêtre défroqué,
14:35le casque colonial sur la tête, dénonce le Front populaire
14:39comme une manifestation de l'impérialisme juif
14:42et exige la mobilisation générale contre les juifs.
14:46Alors que les partis fascistes français, comme le PPF de Dorio,
14:49veulent enrôler les musulmans,
14:51les principaux leaders nationalistes ne sont pas dupes de l'instrumentalisation
14:55qui est faite du décret Crémieux.
14:58À la veille de la guerre, celui qu'on appelle le pharmacien de Sétif,
15:02Ferhat Abbas, affirme haut et fort
15:05« Les juifs sont français et ils le demeurent.
15:08Et ce n'est que justice.
15:10Il serait intolérable que ce soit le cas.
15:14Il serait intolérable que certains néo-français
15:17veuillent faire la loi chez nous et contre nous.
15:20Libre à eux de nous exploiter, libre à eux de s'enrichir,
15:23ceci jusqu'à nouvel ordre.
15:25Et faire du racisme en Algérie contre les Algériens,
15:28halte là. »
15:34Dès l'abrogation du décret Crémieux,
15:37Vichy demande aux responsables des affaires indigènes d'Algérie
15:40de mesurer les réactions des musulmans à cette annonce.
15:44Et elles sont loin d'être celles attendues.
15:47On ne se réjouit pas particulièrement.
15:50Malgré l'empressement des autorités d'Alger et de Vichy
15:53à les rallier à eux,
15:55les dirigeants musulmans ne cèdent pas à la propagande antisémite.
15:59Le plus important d'entre eux,
16:01Messali Hadj,
16:03celui qu'on considère comme le père du nationalisme algérien,
16:06déclare en mars 1941,
16:08depuis la prison où il purge une lourde peine,
16:11« L'abrogation du décret Crémieux ne peut être considérée
16:14comme un progrès pour le peuple algérien.
16:17En ôtant leurs droits aux Juifs,
16:19vous n'accordez aux musulmans aucun droit nouveau.
16:22L'égalité que vous venez de réaliser entre musulmans et Juifs
16:25est une égalité par le bas. »
16:31« Faire un tabac à ce comte Messali, d'ailleurs,
16:34auront cette phrase très célèbre,
16:36si vous faites attention à la France,
16:38elle peut vous enlever d'une main ce qu'elle vous a donné de l'autre.
16:41Donc, il faut peut-être qu'on construise une patrie en propre.
16:45C'est la position de faire un tabac
16:47qui était très assimilationniste jusqu'en 1941
16:50et qui va, à cause de ça précisément, dire,
16:53il nous faut peut-être réfléchir par nous-mêmes
16:56pour avoir une patrie qui nous appartient.
16:58C'est pour ça que c'est très important l'histoire de l'abrogation du décret Crémieux.
17:01C'est-à-dire que les promesses de l'assimilation s'évanouissent. »
17:06Seuls quelques dissidents nationalistes vont répondre aux sirènes nazis
17:09et s'engager dans la collaboration,
17:11en tentant d'entraîner avec eux
17:13ceux qui partagent leur hostilité à l'égard de la France
17:16et leur haine des Juifs.
17:27Cette égalité par le bas voulue par Vichy
17:29entre musulmans et juifs
17:31se fait dans une grande misère.
17:33Toujours avec la crainte de révoltes indigènes,
17:36la propagande multiplie les démonstrations de charité du régime.
17:42« À Alger, selon la tradition,
17:44à l'occasion de la Shorah, Mme Yves Chatel
17:47assiste à la distribution de couscous
17:49réservé aux musulmans nécessiteux.
17:51L'usage veut en effet que chaque année à cette date,
17:53les riches musulmans prélèvent sur leurs revenus
17:56une dîme qui servira à nourrir leurs frères infortunés. »
17:59C'est dans la misère sociale et le déclassement et la déchéance
18:02que dans le fond ce sont ces retrouvailles qui vont s'opérer.
18:06Et ces espèces de convivialité, de partage
18:10qui avait effectivement disparu depuis trois générations.
18:14C'est évident.
18:17Une grande partie de la population juive en 1940 en Algérie
18:20vit quand même sous le seuil de la pauvreté.
18:23Les élites les plus importantes de l'époque sont encore les instituteurs.
18:27Mais beaucoup de Juifs sont encore des petits commerçants
18:31coiffeurs, artisans,
18:34vivent dans des conditions insalubres dans certaines villes,
18:37au cœur de certaines grandes villes d'ailleurs,
18:39dans des conditions très dures, avec des familles nombreuses.
18:46Cette misère sociale est encore accentuée
18:48par des mesures humiliantes et discriminatoires.
18:51Un ancien combattant juif médaillé de Verdun
18:54perd le droit de faire circuler ses ânes
18:56et ses petites voitures pour enfants dans les parcs publics.
19:01Interdit également aux Juifs d'acheter des billets de la Loterie nationale,
19:05mesure de salut public.
19:07Il serait insupportable qu'un Juif gagne le gros lot.
19:13Ce n'est pas un hasard si Albert Camus situe son roman La Peste
19:17dans cette Algérie-là.
19:19Dans cette ville dorante qui rêve de se donner à l'Espagne franquiste.
19:23Au temps d'une occupation de la métropole qu'on ne subit pas,
19:26mais qui est dans tous les esprits,
19:28alors même que l'Algérie est ravagée par une épidémie de typhus
19:31qui fait plus de 3000 morts en 1941.
19:40« Je veux exprimer au moyen de La Peste, »
19:42écrit Albert Camus,
19:44« l'étouffement dont nous avons tous souffert
19:47et l'atmosphère de menace dans laquelle nous avons vécu. »
19:52Les médecins juifs ont interdiction de porter soins et secours
19:57aux personnes touchées.
20:00Ce qui est réellement problématique
20:02parce qu'il n'y a pas assez de médecins
20:04pour faire face à ces épidémies.
20:07Donc c'est cruel.
20:11Par arrêté réglementant la distribution du lait
20:13en ces temps d'épidémie et de misère,
20:15le juif d'acheter des billets de la Loterie nationale
20:18et la distribution du lait en ces temps d'épidémie et de misère,
20:21le préfet d'Alger fixe les ordres de priorité.
20:24D'abord les européens, ensuite les indigènes,
20:27puis les étrangers, et enfin les juifs,
20:30s'il reste encore du lait.
20:38Qu'importe la misère, la faim, les épidémies,
20:41puisque le culte du maréchal serait le meilleur remède.
20:45Comme ce pas de veau, un village de Diabylie
20:47portera le nom du maréchal.
20:49Monsieur Yves Chantel, gouverneur général de l'Algérie,
20:51est venu inaugurer le nouveau nom
20:53que portera désormais l'ancien village de Beni Amran
20:56et qui témoigne hautement de l'amour
20:58que portent les coins les plus reculés d'Afrique du Nord
21:00à l'égard du maréchal.
21:15Encouragés par le renforcement des mesures anti-juives,
21:18les anciens combattants, réunis sous le parrainage de Pétain
21:21en légion française des combattants,
21:23réclament que les juifs d'Algérie soient astreints
21:26au port de l'étoile jaune.
21:28Pour montrer leur attachement aux pratiques de l'Inquisition,
21:31ils demandent l'interdiction pour les juifs
21:34de paraître dans les rues les jours fériés et les dimanches.
21:40Il y a aussi au cours de l'été 1942
21:43le groupe collaboration de Georges Claude
21:46qui fait toute une série de conférences en Algérie
21:49et qui a une audience certaine
21:53parce que chacune de ces conférences
21:56c'est de 3000 personnes.
22:051er août 1942.
22:07Le maire de Zeralda, près d'Alger,
22:09a décidé de faire de sa petite ville
22:11une station balnéaire à la mode.
22:14Il croit bon de préciser qu'on pourra se baigner ici,
22:17uniquement en bonne compagnie.
22:19Aussi, il fait apposer un écriteau interdisant la plage
22:22à ceux qu'Alger considère comme des indésirables.
22:28L'émotion est grande dans la population.
22:30Les agents municipaux interviennent
22:32et arrêtent une quarantaine de personnes, toutes musulmanes.
22:37Le maire les fait enfermer au sous-sol de la mairie
22:39sans aucune aération, toute la nuit.
22:42Ses détenus hurlent pour qu'on leur vienne à l'aide.
22:45Au petit matin, un employé municipal
22:48découvre un amoncellement de corps.
22:51Sur 40 internés, 25,
22:54âgés de 17 à 52 ans,
22:56peuvent être ranimés.
22:59Suivant une logique implacable
23:01dans sa volonté d'exclure les Juifs de toute vie sociale,
23:04Alger organise comme Vichy
23:07la confiscation et l'arianisation des entreprises,
23:10biens et valeurs appartenant aux Juifs.
23:29L'Algérie n'est pas occupée,
23:31mais ce sont des mesures qui sont d'inspiration française.
23:34Ça rentre tout à fait dans la loi du 22 juillet 41,
23:38qui est la loi, la grande loi de l'organisation économique.
23:41Entre décembre 41 et octobre 42,
23:44il y a donc nomination d'administrateur provisoire en Algérie.
23:48La base législative de ces nominations,
23:51c'est d'abord la création du service des questions juives.
23:56Dans les mosquées, selon de nombreuses sources,
23:59la consigne circule.
24:01Les Juifs sont dans le malheur. Ils sont nos frères.
24:04Nous n'avons pas à profiter de cette situation
24:07pour nous emparer de leurs biens.
24:09Les Vichystes s'inquiètent de cette collusion.
24:14La panoplie des biens visés par la mesure de mises sous séquestre
24:19touche effectivement les grandes entreprises.
24:22Beaucoup de biens immobiliers
24:24et également les exploitations agricoles
24:27et donc des administrateurs provisoires
24:29sont placés immédiatement à la tête
24:31de ces entreprises d'exploitation agricole.
24:34C'est considéré comme des entreprises stratégiques,
24:37mais l'objet de l'administrateur provisoire,
24:40dans les textes de l'époque,
24:42c'était de remplacer, entre guillemets, le Juif
24:45contre une personne arienne.
24:47Mon grand-père, dans les O.R.S. à Rentschla,
24:50puisqu'il était propriétaire de terres,
24:53ses terres ont été confisquées
24:55et redonnées à des Français de souche,
24:57comme on disait à l'époque,
24:59qui, par parenthèse, ont refusé de lui rendre ses biens.
25:02Le type qui avait pris ces terres,
25:04j'ai retrouvé les lettres justifiées.
25:06Le fait qu'il ne voulait pas rendre les terres,
25:09c'est que ces gens-là n'étaient pas Français.
25:14Vichy et Alger privent les Juifs de citoyenneté,
25:17les chassent de leurs emplois,
25:19s'excluent des écoles, arianisent leurs biens.
25:22Ne manquent plus que des camps
25:24pour achever de dessiner une barbarie qui s'organise.
25:31L'une des premières mesures de Vichy
25:33est de se débarrasser des 15 000 Juifs étrangers
25:36qui se sont engagés dans l'armée française
25:38à la déclaration de guerre.
25:40Ils sont envoyés en Algérie et au Maroc
25:42pour y être internés dans des camps.
25:45Des camps qui accueillent déjà
25:47quelques indésirables du régime.
25:52Il y avait, en fait,
25:54toute une série de camps,
25:56de types différents.
25:58Par exemple, il y avait des camps de travail, simplement,
26:01qui pouvaient être des chantiers,
26:03à côté de ça, des camps d'éloignement.
26:05Il y avait des gens qu'on jugeait indésirables,
26:08c'était le terme employé,
26:10et qu'on a envoyé très loin.
26:13Il y avait des camps aussi
26:16pour les politiques par lesquelles sont passées
26:19des gens très connus,
26:21et particulièrement à Maison Carré,
26:23les 27 députés ou sénateurs communistes,
26:26les fameux 27 qui ont été internés.
26:29Il y avait des gens qui étaient internés,
26:32on disait à l'époque, pour mener indigènes.
26:35Vous pouvez avoir des communistes,
26:37des nationalistes,
26:39des soldats exclus de l'armée.
26:41Quel que soit le type d'internés et le type de camps,
26:44le régime en Algérie est d'une dureté extrême,
26:47et beaucoup plus dure qu'en France.
26:50Il y avait un camp qui s'appelait Hajarat Mghil,
26:54au nord de Bechar,
26:56et là, des gens ont été internés,
27:00torturés, et beaucoup sont morts.
27:04Il y avait des quantités de catégories,
27:09de raisons pour lesquelles on était internés,
27:13et curieusement,
27:15les Juifs étaient dans toutes les catégories.
27:19Vichy se prépare d'ailleurs à ouvrir
27:21plusieurs camps de concentration
27:23spécifiquement pour les Juifs.
27:26Bedot, au sud de Sidi Bel Abbes,
27:29est le premier à interner les Juifs
27:31en âge d'être appelé.
27:39Bedot, c'est un camp composé
27:42de tentes en toile de la guerre de 14,
27:45au milieu d'un désert de cailloux,
27:47sur un plateau à plus de 1000 mètres d'altitude.
27:54Près de 50 degrés le jour
27:56et des nuits particulièrement fraîches,
27:59où la température chute de plusieurs dizaines de degrés.
28:06Les chacals, serpents, scorpions
28:09peuplent les tentes des internés.
28:12Sans compter la vermine
28:14et la haine des officiers supérieurs.
28:18Pour les surveiller,
28:20le détachement de la légion étrangère
28:22a toute latitude pour les maltraiter
28:24et les humilier.
28:30En Algérie, les antisémites
28:32tiennent désormais la rue.
28:43La chasse aux Juifs est ouverte
28:45aux terrasses des cafés du boulevard Loubet, à Oran,
28:48ou sur les plages d'Aynel Turc.
28:50Là, après avoir molesté
28:52un certain nombre d'estivants,
28:54les militants du SOL,
28:56le service d'ordre de la Légion,
28:58leur demandent de se déculoter
29:00pour prouver qu'ils ne sont pas Juifs.
29:04Le 31 octobre 1942,
29:06alors qu'en métropole le commissariat
29:08de la Légion des Juifs
29:10alors qu'en métropole le commissariat
29:12général aux questions juives
29:14n'a pas encore obtenu de pétain
29:16d'ordonner le port de l'étoile jaune
29:18en zone libre,
29:20à Alger, le gouverneur Chattel
29:22passe commande aux établissements
29:24altéraques de brassards jaunes
29:26marqués d'une étoile à six branches
29:28destinée à tous les Juifs d'Algérie.
29:32Peu avant le débarquement
29:34des Anglo-Américains,
29:36le projet était
29:38de déporter des Juifs
29:40et de leur faire porter
29:42l'étoile jaune.
29:48Automne 1942.
29:50L'Algérie s'enfonce
29:52dans ce fascisme qui se manifeste
29:54violemment.
29:56Pour faire face, des jeunes Juifs,
29:58tous animés d'un fort sentiment patriotique,
30:00s'organisent depuis 1940.
30:02Ces deux années d'oppression
30:04n'ont en rien entamé
30:06leur volonté de résister,
30:08bien au contraire.
30:10Parmi eux,
30:12José Aboulker,
30:14un étudiant de 22 ans,
30:16fils d'un grand professeur de médecine
30:18qui, avec sa soeur et ses trois cousins,
30:20également futurs médecins,
30:22a fait de l'appartement familial
30:24du 26 rue Michelet
30:26le lieu névralgique de la résistance à Alger.
30:30D'autres groupes se constituent
30:32durant ces deux années
30:34pour résister au jour le jour
30:36et faire de l'Algérie la première terre française
30:38libérée par les Alliés.
30:42A l'automne 1942,
30:44ce premier jour J se précise.
30:46Un débarquement ici,
30:48en Algérie et au Maroc,
30:50va permettre aux Alliés de prendre pied
30:52sur le sol africain et d'ouvrir un nouveau front
30:54face aux Allemands et Italiens
30:56regroupés en Libye et en Tunisie.
31:02Les Américains craignent plus que tout
31:04que les quelques cent mille hommes de l'armée d'Afrique
31:06ne tirent sur leurs troupes
31:08et les empêchent de débarquer.
31:10Pour éviter cela,
31:12ils comptent sur les renseignements glanés
31:14durant des mois par la résistance française.
31:18En juillet 1942,
31:20les Anglais ont convaincu
31:22les Américains
31:24de lancer cette opération
31:26TORCH sur l'Afrique du Nord
31:28TORCH du nom de la Statue de la Liberté
31:30et les contacts se multiplient
31:32avec les résistants,
31:34le groupe des résistants sur place.
31:38Les Américains ont choisi
31:40délibérément,
31:42et on sait les préventions
31:44du président Roosevelt
31:46à l'égard du général de Gaulle,
31:48de tenir hors
31:50de l'opération
31:52les forces françaises libres
31:54et le comité national français
31:56de l'ombre du général de Gaulle.
32:01Preuve de la confiance
32:03faite par les alliés aux résistants d'Alger,
32:05seulement 2300 soldats doivent y débarquer
32:07face à une garnison française
32:09de 12 000 hommes.
32:11Le gros des forces,
32:13dont des soldats français,
32:15ira à Casablanca et à Oran,
32:17où les alliés n'ont pas les mêmes relais.
32:19Là-bas, des Français
32:21de l'armée d'Afrique
32:23vont tirer sur d'autres Français
32:25qui viennent libérer une terre de France.
32:30Dans Alger,
32:32377 résistants passent à l'action
32:34dans la nuit du 7 au 8 novembre.
32:36À 1h30 du matin,
32:38José Aboulker occupe sans résistance
32:40le commissariat central
32:42et en fait le QG de l'insurrection.
32:44Ses hommes neutralisent comme prévu
32:46tous les lieux stratégiques de la ville.
32:50Le général Jouin, commandant en chef
32:52des forces françaises en Afrique du Nord,
32:54reçoit la visite de Robert Murphy,
32:56l'émissaire du président Roosevelt.
32:58Celui-ci lui annonce le débarquement
33:00et lui demande d'entrer en guerre
33:02aux côtés des alliés.
33:08Jouin, qui, il y a peu,
33:10assurait le maréchal Göring
33:12de sa totale loyauté à l'égard
33:14de l'Allemagne nazie,
33:16souhaite d'abord obtenir l'avis
33:18de l'amiral Darlan, présent par hasard à Alger.
33:20Darlan, en bon dauphin de pétain,
33:22affirme qu'il est prêt à se battre
33:24contre les alliés qui débarquent.
33:26Aussitôt, Hitler donne l'ordre
33:28d'envahir la zone non occupée de la métropole,
33:30à la fois en représailles
33:32et pour prévenir un débarquement allié
33:34sur les côtes du sud de la France.
33:40Le 10 novembre, les Américains obtiennent
33:42enfin de Darlan qu'il ordonne l'arrêt des combats.
33:44Il pourrait alors décider d'envoyer
33:46en prison le dauphin de pétain
33:48qui a demandé qu'on bombarde leurs troupes.
33:50Mais ils n'ont qu'un objectif,
33:52il est militaire et pas encore politique.
33:54Il leur faut à tout prix
33:56obtenir le soutien de l'armée d'Afrique.
33:58Et pour cela,
34:00ils abandonnent tous les pouvoirs sur l'Algérie
34:02au pire homme possible.
34:04Darlan, l'un des Français
34:06les plus impliqués dans la collaboration,
34:08devient l'homme des Américains.
34:10Sans pour autant
34:12renoncer à un iota
34:14de ses convictions.
34:18Le 11 novembre, le nouveau chef de l'Algérie
34:20se proclame au nom de pétain,
34:22le nouveau commissaire de France en Afrique.
34:26L'un de ses premiers gestes est de décorer
34:28lui-même le sous-officier
34:30qui a abattu d'une balle dans le dos un résistant,
34:32le lieutenant Jean Dreyfus,
34:34la nuit du débarquement.
34:38Après le débarquement américain
34:40en novembre 1942,
34:42on a le sentiment que le décret Crémieux
34:44va être établi.
34:46Dans le fond, l'administration Vichy
34:48progressivement va être remplacée,
34:50ce ne sera pas le cas.
34:52À partir de là, grand espoir.
34:54Le statut des Juifs
34:56va être aboli,
34:58les Juifs vont être rétablis dans leurs droits,
35:00on va pouvoir aller rejoindre De Gaulle
35:02et se battre auprès de De Gaulle ?
35:04Pas du tout.
35:06On assiste à des autorités
35:08qui continuent d'exercer au nom du maréchal pétain
35:10un péché avec des personnels huichistes
35:12et en prolongeant
35:14les mêmes mesures.
35:16Évidemment, l'annonce du débarquement
35:18de novembre 1942
35:20crée d'abord de l'espoir dans les camps,
35:22en particulier par exemple à Jelfa
35:24où il y a les anciens des brigades internationales,
35:26à Bossuet
35:28où il y avait des communistes qu'on avait envoyés
35:30de métropole,
35:32et les espoirs sont déçus.
35:36Le général Giraud arrive dans les bagages
35:38des armées alliées avec l'engagement
35:40de Roosevelt qu'il dirigera l'Afrique française.
35:44De Gaulle hors jeu, se dit-il.
35:46Il attend son heure
35:48dans l'ombre de Darlan.
35:50En tant que commandant en chef des armées,
35:52il ordonne la mobilisation de onze classes d'âge.
35:56Mais au lieu d'envoyer les conscrits juifs
35:58avec les autres rejoindre l'armée d'Afrique,
36:00il les expédie dans les camps du désert,
36:02renommés pour l'occasion
36:04unités de travail.
36:06Aucun juif n'est admis
36:08dans une unité combattante.
36:12Il ne fallait pas que les juifs
36:14deviennent des anciens combattants
36:16et qu'ils puissent réintégrer
36:18leur nationalité
36:20et leur citoyenneté française.
36:22C'était le but de la manœuvre
36:24et il y a des notes qu'on a découvertes
36:26après la guerre en particulier
36:28qui montrent bien que c'était le but,
36:30surtout que les juifs ne combattent pas
36:32et ne combattent pas brillamment,
36:34ça casserait trop de préjugés
36:36et surtout ça leur donnerait des droits.
36:38Pendant plus d'un mois,
36:40l'Algérie de Darlan est la copie conforme
36:42de l'Algérie d'avant le débarquement
36:44qu'on espérait pourtant libérateur.
36:52Le 24 décembre,
36:54le jeune bonnier de la chapelle
36:56Abba,
36:58l'amiral Darlan,
37:00est jeune patriote,
37:02alors bénéficiant d'aide
37:04et aussi du rôle
37:06de ce que l'on a appelé
37:08le complot monarchiste
37:10autour d'Aïda Seyde-la-Vilgerie,
37:12le rôle du comte de Paris, etc.
37:16Ce meurtre, d'une certaine façon,
37:18arrange tout le monde.
37:20Les américains qui ont obtenu de Darlan
37:22ce qu'il voulait de lui,
37:24l'arrêt des combats,
37:26les royalistes, les girodistes et l'égoliste
37:28qui sont débarrassés d'un rival
37:30et même les pétinistes et les allemands
37:32qui voient éliminer un homme
37:34qui les a trahis.
37:36Darlan éliminé,
37:38les américains imposent
37:40le général Giraud
37:42qui s'empresse de faire
37:44nommer un juge d'instruction
37:46pour le jeune patriote
37:48dont la grâce est refusée,
37:50fusillée immédiatement.
37:54Il sont nombreux les français d'Algérie
37:56à applaudir la nomination de Giraud.
37:58Ils vont pouvoir continuer
38:00à exploiter les musulmans à leur guise,
38:02à ostraciser les juifs,
38:04et laisser toute liberté
38:06à l'administration vichiste
38:08de se venger de ceux
38:10qui leur ont flanqué une belle frousse
38:12en ouvrant la ville aux américains.
38:16Cette année 1943,
38:18sont prises des mesures
38:20à l'encontre de ceux
38:22qui ont participé
38:24au débarquement du 8 novembre,
38:26les conjurés,
38:28les résistants.
38:30C'est ainsi que le 30 décembre,
38:32il y a eu le rafle.
38:34Il illustre parfaitement
38:36le pouvoir qui se met en place.
38:38Fascisme militaire
38:40sous protectorat américain.
38:42La surprise vient du fait
38:44que ce débarquement anglo-américain
38:46ne règle rien sur le fond.
38:48Parce que celui qui est nommé
38:50nouveau gouverneur général de l'Algérie
38:52par Giraud, c'est Marcel Perouton.
38:54Et qui a été l'homme d'abrogation
38:56du déclic ?
38:58L'homme qui a inventé le statut des juifs
39:00de l'époque.
39:02Le 14 mars 1943,
39:04il va jusqu'au bout
39:06de sa logique antisémite
39:08et maréchaliste.
39:10Comme il est contraint d'annuler
39:12toutes les législations prises par Vichy
39:14depuis le 22 juin 1940,
39:16ce qui englobe l'abrogation
39:18du décret Crémieux,
39:20il l'abroge de nouveau
39:22avec l'aval des américains
39:24pour, surtout, ne pas rendre
39:26leur citoyenneté aux juifs.
39:28C'est-à-dire qu'une deuxième fois,
39:30en quelque sorte, les juifs voient
39:32s'éloigner la perspective
39:34de recouvrer leurs droits
39:36de citoyens.
39:38Pas question pour Giraud d'abroger
39:40les lois d'exclusion, ni de laisser
39:42entrer des officiers et des soldats juifs
39:44dans l'armée d'Afrique.
39:46Il explique aux américains que redonner des droits
39:48aux juifs serait très mal vu des arabes,
39:50car ils se haïssent.
39:52Giraud répète une formule entendue
39:54de Darlan qui lui plaît.
39:56Il y a toute une série d'articles,
39:58de notes, etc., qui sont envoyés
40:00aux américains par le biais de Giraud
40:02et de ses conseillers,
40:04qui disent, grosso modo,
40:06la culture des juifs, pour aller vite,
40:08c'est une culture indigène.
40:10Ils ne pourront jamais s'assimiler
40:12à la société française, pas possible.
40:14Ils appartiennent à l'Orient,
40:16ils sont dans une culture différente,
40:18donc ils doivent rester dans le statut différent
40:20qui est le leur, qui est en fait
40:22le statut indigène.
40:24Donc c'est pas très compliqué.
40:26Et si on leur donne un privilège
40:28par l'octroi de la citoyenneté,
40:30ça risque de mécontenter les populations arabes.
40:32Donc à partir de là, restons
40:34dans le statut pro.
40:36Et en effet, rien ne semble
40:38avoir changé à Alger.
40:40Les 2300 hommes du service d'ordre
40:42de la Légion ont repris le contrôle
40:44de la rue comme avant le débarquement allié.
40:46Et les juifs spoliés ne parviennent
40:48pas à récupérer leurs biens.
40:54Ceux qui étaient à même
40:56de spolier les biens juifs
40:58vont se retrouver à la tête
41:00de la mesure de restitution.
41:02Et leur attitude à eux,
41:04ça va être plutôt de figer
41:06la situation que plutôt
41:08d'accélérer le processus de restitution.
41:14L'idéologie pétainiste est si prégnante
41:16en Algérie que les exploitants
41:18de salles de cinéma renoncent
41:20à distribuer le film Casablanca,
41:22considéré comme trop hostile à Vichy.
41:36Rien ne semble
41:38infléchir la position de Giraud.
41:40Rien, pas même le plus
41:42élémentaire sentiment républicain.
41:44Alors, comme il ne rêve
41:46que de grandeur et de pouvoir,
41:48les Américains décident
41:50de chercher son point le plus sensible.
41:52Ils envoient à Alger Jean Monnet,
41:54le futur père de l'Europe.
41:56Celui-ci, qui coordonne
41:58l'effort de guerre entre le Royaume-Uni
42:00et les Etats-Unis, lui propose
42:02un marché.
42:04Il n'aura des armes pour l'armée d'Afrique
42:06que s'il renonce sur le champ
42:08à la législation antirépublicaine de Vichy,
42:10sans toutefois se soucier
42:12du rétablissement du décret Crémieux.
42:14Bien malgré lui,
42:16Giraud opte en paire.
42:20À Oran,
42:22les conseillers musulmans soutiennent
42:24les démarches de la communauté juive
42:26en vue d'annuler l'abrogation
42:28du décret Crémieux.
42:30Ils signent une déclaration
42:32affirmant leur sincère entente amicale
42:34avec les Français de confession israélite.
42:38Ferhat Abbas, qui ne s'est jamais
42:40réjoui de l'abrogation de ce décret,
42:42publie un manifeste
42:44qui va changer le cours de l'histoire.
42:46Il y réclame la condamnation
42:48et l'abolition de la colonisation,
42:50la liberté et l'égalité
42:52pour tous les habitants de l'Algérie.
42:56Le texte dit clairement
42:58que les musulmans avaient espéré
43:00jusque-là obtenir la citoyenneté française
43:02et que c'est parce qu'on la leur a refusée
43:04qu'ils cessent de la revendiquer.
43:12Alors en âge d'être appelé
43:14et désireux de combattre pour libérer la France,
43:16Sidney Chouraki,
43:18futur fondateur du mémorial
43:20du camp des milles,
43:22a multiplié les démarches
43:24pour intégrer cette armée d'Afrique
43:26qui ne voulait pas de Juifs.
43:28Mon père, qui n'oubliait pas
43:30qu'il était avocat,
43:32a écrit une lettre commandée.
43:34L'objet de cette lettre,
43:36c'était bien sûr d'en avoir le cœur net
43:38sur la position officielle
43:40et pour le moins sinueuse et hypocrite
43:42qui ne voulait pas que les Juifs combattent,
43:44mais que les Juifs
43:46d'Afrique du Nord,
43:48les Juifs algériens
43:50de nationalité française
43:52voulaient se battre
43:54et qu'ils ne comprenaient pas
43:56pourquoi à un moment
43:58où il y avait besoin d'hommes
44:00où les Américains
44:02et les Anglo-Américains
44:04étaient en difficulté dans certains combats
44:06en Libye, en Tunisie,
44:08pourquoi on ne faisait pas appel à eux ?
44:10Pas de réponse à cette lettre commandée
44:12mais quelques jours après,
44:14des Juifs, dont mon père,
44:16sont envoyés
44:18dans
44:20des unités spéciales
44:22dont le nom a varié.
44:24On connaît les BPI,
44:26bataillons de pionniers israélites
44:28et ils se retrouvent en particulier de cette manière-là
44:30dans le camp de Bedo.
44:34L'existence de ces camps en Algérie,
44:36gardée longtemps totalement secrète,
44:38commence à être connue, même en Amérique.
44:40Anna Arendt, la philosophe,
44:42s'en émeut.
44:44Des milliers de Juifs sont envoyés
44:46dans des lieux que les Français eux-mêmes
44:48nomment des camps de concentration
44:50ou de punition.
44:52Mon père m'a beaucoup élevé
44:54dans cette idée
44:56que ce qu'il avait le plus meurtri
44:58pendant la guerre,
45:00c'était de ressentir et de voir
45:02des atteintes à la dignité
45:04plus qu'à la liberté
45:06et plus qu'à la vie.
45:08On déshumanisait les gens.
45:10On les rabaissait
45:12pour pouvoir mieux les traiter
45:14comme des sous-hommes
45:16qu'on voulait,
45:18à terme,
45:20mettre à l'écart
45:22et peut-être même,
45:24à terme, exterminer.
45:26Et ça, ils l'ont bien senti,
45:28c'était vraiment aussi pour eux
45:30un moteur,
45:32s'opposer à cet engrenage
45:34de déshumanisation,
45:36de rabaissement,
45:38qu'ils ne pouvaient pas supporter.
45:40En avril 1943,
45:42Sidney Chouraki,
45:44comme les appelés Juifs internés à Bedeaux,
45:46sont libérés des camps.
45:52Et à ce moment-là, chose incroyable,
45:54ces gens, au lieu de rentrer
45:56chez eux, eh bien, ils se sont engagés
45:58dans les armées françaises
46:00et ils ont suivi d'un côté,
46:02juin, donc à travers la campagne
46:04d'Italie jusqu'en Allemagne,
46:06de l'âtre, débarquement en Provence,
46:08etc., et d'autres se sont
46:10engagés dans les armées anglaises
46:12ou américaines.
46:14Cette normalisation des institutions
46:16républicaines se poursuit
46:18avec un début de retour dans les universités,
46:20lycées et écoles des jeunes Juifs.
46:24Mais l'année scolaire est déjà presque terminée
46:26et ces élèves sont parfois très mal
46:28accueillis par leurs condisciples.
46:34Quand nous sommes revenus à l'école
46:36la nuit, j'ai encore
46:38dans l'oreille
46:40les petits Juifs sont de retour.
46:44Et à mon âge, je n'ai pas oublié.
46:46Et nous avons
46:48toutes sauté une classe.
46:50Et le jour de la rentrée,
46:52je le revois encore aujourd'hui,
46:54le directeur d'école
46:56qui s'appelait M. Pérezhomme, celui-là même,
46:58qui avait demandé
47:00à tous les Juifs présents
47:02de faire leur sac
47:04et de s'en aller,
47:06c'est celui-là
47:08qui a appelé
47:10les élèves au fur et à mesure
47:12le jour de la rentrée.
47:14Et lorsqu'il m'a appelé, je me suis précipité
47:16pour m'installer
47:18dans la file
47:20où se trouvait le dernier appelé avant moi.
47:22Et à ce moment-là,
47:24on m'a fait signe
47:26d'aller ailleurs puisqu'il y avait
47:28trois files. Une pour les Européens.
47:30On disait à l'heure,
47:32les Européens, une pour les musulmans
47:34et une pour les Juifs.
47:36Et donc, on m'a remis dans la file
47:38des Juifs
47:40où je n'étais pas allé
47:42automatiquement.
47:44Tant que Giraud reste aux commandes,
47:46les libertés publiques sont bafouées
47:48en Algérie.
47:50Et c'est bien avec l'intention de les rétablir
47:52que le général de Gaulle arrive
47:54à Alger pour une rencontre décisive.
47:57Pour le général de Gaulle,
47:59l'accord ne peut se faire
48:01que par
48:03une élimination définitive
48:05des personnels de Vichy,
48:07des mesures discriminatoires.
48:09C'est un homme qui combat pour le pouvoir.
48:11Bien sûr, d'abord contre Pétain
48:13et puis ensuite contre Giraud.
48:15Parce qu'il veut s'imposer aux yeux des Américains
48:17comme l'un seul interlocuteur politique
48:19assis à la table des négociations.
48:21Il va se battre pour ça.
48:23Début juillet 1943,
48:25Giraud, qui se croit assuré
48:27de son autorité, part un mois aux Etats-Unis,
48:29Canada et Royaume-Uni,
48:31afin d'obtenir des armes
48:33pour le corps expéditionnaire français.
48:35De Gaulle en profite pour prendre le pouvoir
48:37à Alger.
48:39De nombreux giraudistes,
48:41comme le général Jouin,
48:43se découvrent gaullistes.
48:49Le 14 juillet 1943,
48:51De Gaulle préside seul
48:53le défilé de la fête nationale
48:55qui apparaît à tous les Algériens
48:57comme la fête de la victoire.
49:03Il a donc fallu huit mois
49:05depuis le débarquement allié
49:07pour débarrasser l'Algérie
49:09de toute influence vichiste.
49:13Et pourtant, il faudra que les Juifs
49:15d'Algérie attendent encore pour que soit annulée
49:17l'abrogation du décret Crémieux.
49:19Le 15 septembre 1943,
49:21le général De Gaulle reçoit bien
49:23le grand rabbin d'Alger.
49:25Mais c'est seulement pour lui dire que les Juifs
49:27d'Algérie redeviendront un jour français.
49:29Sans préciser ni quand,
49:31ni comment.
49:33Et c'est le plus discrètement possible,
49:35par un simple communiqué,
49:37donc illégalement,
49:39que sera annulée en octobre 1943
49:41par De Gaulle
49:43l'abrogation faite par Giraud
49:45du décret Crémieux.
49:51...
50:01Le décret Crémieux
50:03n'est donc rétabli qu'en catimini,
50:05quand on aurait espéré que soit
50:07prononcée cette phrase que les Juifs d'Algérie
50:09attendent depuis 1940.
50:13C'est l'honneur de la République française
50:15que de rendre leur citoyenneté
50:17à une centaine de milliers de nos compatriotes
50:19qui n'auraient jamais dû
50:21en être privés.
50:23...
50:27Par exemple,
50:29mon grand-père paternel, Stora,
50:31Benjamin Stora, et bien lui,
50:33il est mort de chagrin, pratiquement, en 1945,
50:35parce qu'il n'avait pas pu récupérer.
50:37C'est-à-dire que le rétablissement
50:39du décret ne signifiait pas
50:41le fait de se réapproprier les biens
50:43qui avaient été confisqués. C'était pas si simple que ça.
50:45Il y avait une espèce de résistance sourde,
50:47disons, en bas, de la population européenne
50:49qui voulait rester attachée à ses privilèges de base.
50:51La déflagration gigantesque
50:53de la brogation du décret
50:55va marquer les esprits. Même si apparemment
50:57les choses vont reprendre normalement,
50:59le cours des choses va reprendre normalement,
51:01en fait, la blessure est très forte.
51:03La méfiance est grande.
51:05Le fait
51:07d'accorder à la France,
51:09de manière inconditionnelle, disons, son amour
51:11et son soutien, va être ébréché.
51:13Et donc, c'est pour ça que cette période
51:15des années 40-43
51:17est si importante
51:19dans l'histoire, pas seulement
51:21des juifs d'Algérie, mais dans l'histoire de l'Algérie tout court
51:23parce qu'elle nous a montré
51:25cette histoire. Il y avait des bifurcations possibles,
51:27c'est-à-dire des réflexions possibles,
51:29des initiatives différentes qui pouvaient exister
51:31que celles tout simplement
51:33de l'empire colonial autoritaire.
51:35C'est-à-dire que ceux qui étaient dans cette histoire,
51:37en particulier ceux qu'on a appelés les indigènes,
51:39ont été obligés de réfléchir
51:41différemment, ont été obligés de se positionner
51:43différemment. C'est pour ça que c'est une période
51:45extrêmement importante.
52:13Sous-titrage Société Radio-Canada

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