• avant-hier
Assemblée de Chants et Contes organisée par le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine à Tréhorenteuc au Brocéliande Café, le 12 octobre 2024. Une sélection de Contes, Chants et Menteries pour participer à la Finale de la Bogue d'Or qui se déroulera à Redon du 22 au 27 Octobre 2024.

© Trigone Production - Octobre 2024 * Réal Christophe Hoyet

Category

😹
Amusant
Transcription
00:00C'est maintenant que tu comprends, tu n'as pas compris qu'elle t'aimait et t'as tout
00:11gâché.
00:12T'en es vraiment sûr ? Peut-être que tu peux y arriver, tu as fait cent trois pas.
00:20Mais préj' non pas le patois, cause en français ! Depuis que monsieur l'instituteur
00:28accompagné de ce tueré était venu voir les parents à la maison, Martin, dès qu'il
00:35parlait, il voyait dans les yeux de ses parents qu'il fallait mieux qu'il se taise.
00:39Tous les mots en dialogue qu'il avait, pour raconter ce qu'il avait dans le cœur.
00:45Il n'y avait pas d'autre, mais il voyait bien, il voyait bien qu'il ne fallait pas.
00:50Alors bientôt, à l'école, il en a appris d'autres des mots, il n'a pas eu trop le
00:57choix.
00:58Parce que derrière le pupitre, avec les deux compères, Pierre et Jacques, ils étaient
01:04trois seulement à l'époque, ils ont enlevé les pupitres pour pouvoir raconter les conneries.
01:07Quand ça parlait dans le galop, dans les yeux du maître, c'était pas de la déception
01:13mais de la colère.
01:14Et puis le coup de règle, il arrivait bien vite.
01:18Alors Martin, il a grandi en sachant que les mots qu'il avait dans lui, il ne fallait
01:24pas les dire.
01:25C'est ça qui faisait de lui un plouc.
01:28C'est pas qu'à la maison, on causait souvent d'amour, mais quand même, quand tu ne peux
01:40plus rien dire à tes parents, ni en galop, parce qu'ils n'ont pas envie, ni en français
01:45parce qu'ils ne comprennent pas.
01:46Les mots, ils restent coincés dans la gorge.
01:49Et puis lui, bientôt, il a entendu ce qu'avait dit M. l'instituteur, tant qu'il causera
01:56pas toi, il restera dans la misère.
01:58Alors il a décidé que si les mots en français, ça pouvait le faire sortir de la misère,
02:04il allait les apprendre.
02:05Et il a bien appris, il est même arrivé jusqu'au certificat d'études.
02:09Et c'est pas rien, il ne l'a pas eu, il faut dire que Pierre et Jacques, au certificat
02:14d'études, ils ne s'étaient pas écoutés.
02:15À trois, ça va pour faire les devoirs, tout seul, c'est plus dur.
02:19Bon, il n'a pas eu le certificat d'études, mais quand même, il a eu le concours pour
02:24devenir cantonnier.
02:25C'est une belle place, cantonnier ! Alors bientôt, quand il est devenu assez grand,
02:31et puis qu'il a voulu aller voir les filles, ça aide quand t'es cantonnier, alors il
02:38s'est marié.
02:39Et puis, bah, installé, il a voulu montrer qu'il était sorti de la misère grâce
02:45aux français.
02:46Il n'a rien trouvé de mieux que chaque midi, au moment de casser la croûte, il allait
02:53acheter le journal en français, Ouest-France.
02:57Eh, quand tu t'installes en terrasse du café, et que tu montres que tu lis Ouest-France,
03:05c'est bien que t'aies sorti de la misère.
03:06Tous les jours ! Seulement, voilà, pas longtemps après, il y a les gamins qui sont arrivés.
03:14Ah, mais les gamins, ça coûte ! Et puis bientôt, elle, elle a commencé à dire que
03:21peut-être, peut-être, il faudrait renoncer au luxe, que Ouest-France, tous les jours,
03:26c'était un peu beaucoup.
03:27A l'époque, il y en avait un qui sortait que le week-end, qui faisait les résumés
03:30de la semaine.
03:31Peut-être que ça pourrait suffire, ça.
03:34Mais lui, non, c'était trop.
03:38Puis c'est comme ça qu'un jour, alors qu'il était installé au bistrot, ça s'engueulait
03:41à côté, ça causait politique.
03:43Puis il y avait des mots qui revenaient tout le temps, tout le temps, tout le temps.
03:46Les impôts, la facturité, le machin.
03:49Et puis là, en lisant le journal, il a vu les mêmes mots.
03:52Bon ben, n'y me dit d'eux.
03:54Eh, il était puté, hein.
03:56Il avait fait l'école.
03:58Il a découpé le mot dans le journal, il l'a collé dans son cahier.
04:03Et il a décrété que tout ce qu'il avait payé dans son journal, ça lui appartenait.
04:07C'est vrai, il l'avait acheté.
04:09Donc les mots qui étaient collés dans son cahier, maintenant, il faudrait payer.
04:12Que les autres utiliseraient.
04:15Bon, au bistrot, ça a surpris au début.
04:18Il avait le droit de payer en coupe blanche, donc ça passait.
04:21Puis les mots sécurité, impôts, finalement, à ce moment-là, il était plutôt content
04:25de s'en servir.
04:27Ah, mais West-France, ça sort tous les jours.
04:30Au bout de deux ans, un réseau d'amants par jour.
04:33Il avait trois cahiers, le gars.
04:36Alors du coup, au bistrot, les gens commençaient à arrêter la blague.
04:39Ils pouvaient plus rien dire sans payer un coup à Martin.
04:42Bon, il y en a deux qui ont joué le jeu.
04:45Eh, quoi, t'as passé du temps derrière le pupitre ?
04:48Sacré délire, hein.
04:50Alors Pierre et Jacques, ils continuaient à causer avec le copain.
04:54Ça coûtait cher. En coup de blond.
04:57Me quitte à voir les copains.
04:59Ah, vous l'avez dit tout à l'heure, il faut déjà quatre bolets.
05:02Sans faim.
05:04Bon, ça causait, ça causait.
05:06Sauf que vous avez mon Martin, il a commencé à faire pareil chez lui.
05:09À table.
05:11Avec sa femme et ses enfants.
05:13Bon, la première fois, elle, elle a voulu s'insurger.
05:16Mais on l'a vu dans ses yeux.
05:18Un bout de la lueur.
05:21Vous savez ce qu'il y avait dans les yeux des parents ?
05:24Celui de la honte.
05:26Et puis l'autre, de colère, de monsieur l'instituteur.
05:29Elle n'avait jamais vu ça dans les yeux de son mari.
05:31Alors elle n'a rien dit.
05:33Et bientôt, à la maison, il n'y avait plus personne qui causait.
05:36Les gamins, ils avaient réussi à inventer leur langue ensemble.
05:39Que personne ne comprenait, qu'il n'y avait pas de Ouest-France.
05:42Et puis elle, elle s'est tue.
05:46Chez Martin, il était fier d'être sorti de la misère.
05:50C'est sûr qu'il y avait de moins en moins de gens qui voulaient lui parler.
05:53Mais franchement, il était ennuyeux au cinquième cahier.
05:58Puis un jour, ceux qui l'ont sauvé, c'est Pierre et Jacques.
06:02Eux, ils en ont eu marre aussi.
06:04C'est-à-dire que ce n'était plus possible de dire un mot au bistrot sans payer un coût.
06:09Puis lui, il ne payait jamais parce qu'il avait toujours des dettes.
06:13Alors, Pierre et Jacques, ils ont eu une idée.
06:17Ils sont allés voir M. Le Thuré pour lui demander de les aider à sortir Martin de sa pinguerie.
06:25C'est comme ça qu'un jour, M. Le Thuré est allé voir Martin.
06:28Et a commencé à lui causer en latin.
06:30Ça ne marchait pas dans son système.
06:32Allez chercher du latin dans Ouest-France.
06:34On le retirerait.
06:35Bon, Martin a accepté que M. Le Thuré lui parle en français sans payer.
06:40C'était rare.
06:41Et là, M. Le Thuré lui a révélé un secret qui était connu de lui seul, des gens d'église.
06:47Comme quoi, là-bas, à l'équerre du village, en bas de la colline, si on cherchait bien, pour ceux qui savaient,
06:55il y avait une pierre noire, celle qui rendait invisible.
06:59M. Le Thuré avait pu faire l'offense à Martin.
07:02Il lui a expliqué comment, avec une pierre qui rend invisible, la misère serait vraiment loin.
07:08Martin, ça lui a paru bizarre quand M. Le Thuré lui donne un plan pour faire des choses qui n'étaient pas franchement catholiques.
07:15Alors, il s'est décidé d'aller jusqu'à Rennes pour aller voir l'évêque.
07:21L'évêque, c'est un gars facétieux.
07:23Il a compris l'entourloupe et puis il a dit à Martin que son système de taxer les mots, ça va vider les confessionnels.
07:32Bah ouais, on va te confesser quand vous payez.
07:35Sauf que plus de confession, plus de pénitence.
07:37Plus de pénitence, plus de messe.
07:39Plus de messe, plus d'aubonne.
07:41L'église était presque ruinée.
07:44Et c'est comme ça que M. l'évêque, ayant eu vent du problème qu'avait le curé du village,
07:49il avait autorisé à révéler le secret.
07:53Martin, si un évêque, il y a un curé qui lui dit qu'il a le droit,
07:57il s'est senti bizarre.
07:59Et puis pas mauvais bougre.
08:01Il est allé voir les copains et il leur a dit qu'il avait un secret à leur révéler.
08:04Je vous rappelle.
08:06Sacré délire.
08:08Alors ils sont partis tous les trois.
08:10En bas de la colline.
08:12Et puis Martin, il se précipitait. Dès qu'il trouvait un caillou, il le ramassait.
08:15Noir le caillou.
08:17Et puis bientôt, il y avait tellement de cailloux qu'il n'avait plus la place.
08:20Il en mettait dans les poches, il a sorti le béret et il a continué à en mettre.
08:24Et puis les deux autres derrière, ils ricanaient un peu.
08:26Pour jouer le jeu, ils ramassaient des pierres quand même.
08:28Martin, il voyait ses copains qui ramassaient quelques cailloux, mais moins que lui.
08:33Et puis alors qu'il commençait à peine à pouvoir marcher tellement il y avait de pierres,
08:37il a entendu Pierre et Jacques.
08:40Ils se disent, où est Martin ?
08:42Regarde-moi ça.
08:43Il a disparu d'un coup.
08:46Non mais, il est retourné voir des coussins.
08:49Il faut être bonheur aussi.
08:51Il nous a fait croire qu'il y avait une pierre magique.
08:54Tout ça pour picoler sans nous.
08:57Martin était content, ça marchait son truc.
09:01Juste pour vérifier.
09:04Ça fait longtemps qu'il n'en avait pas fait depuis.
09:09Il ne voyait rien.
09:11Il a commencé à rentrer chez lui avec ses cailloux, tout excité.
09:15Et puis, il a entendu Pierre qui disait quand même, il nous a bien eu, tu vois.
09:19Et puis, il faut te dire un peu que j'en ai marre.
09:23Jacques, je ne l'ai pas trop dit, mais j'en ai marre de son histoire de mots.
09:26Quand il serait devant moi, la pierre, elle n'est pas magique sa pierre.
09:29Je lui lancerai dessus.
09:31Il a pris la pierre comme ça, mais il se pensait invisible.
09:34Mais il n'était pas là.
09:35Ils allaient l'entendre, il n'a rien dit.
09:37Et tout le long du chemin, pour rentrer, les copains lui jetaient les pierres.
09:40Moitié pour rigoler et moitié pour évacuer les années.
09:44Il fallait payer.
09:45Et puis, Martin, quand il est arrivé chez lui, il était tout égratigné.
09:49Il avait toujours ses cailloux comme ça.
09:51Les copains l'ont laissé rentrer.
09:53Elle, elle est habituée un peu à ce que son bonhomme ne soit pas que...
09:58Enfin, pas... Bon, bref.
10:00Alors, elle l'a laissé rentrer.
10:02Mais alors, quand elle l'a vu rentrer tout de suite, droit dans la chambre à coucher,
10:07il y avait une pierre qui rend invisible.
10:10C'est précieux.
10:11Où est-ce qu'on met des choses précieuses ?
10:13Sous le lit.
10:14Elle, elle l'a suivi.
10:16Elle l'a vu déverser tout son sac de pierres, toutes ses pierres,
10:19sous le matelas conjugal.
10:21Sans dire un mot, elle est toujours pas le roi.
10:23Mais David calote.
10:25Je croyais que tu ne me voyais pas.
10:28Et alors là, tous les mots qui étaient restés coincés depuis des années,
10:33elle s'est sortie d'un coup.
10:35Et puis lui, David comprit que non seulement elle n'était pas invisible,
10:39on l'a vu Pierre et Jacques par la porte qui se moquaient de lui,
10:44et elle qui disait à tous ce qu'elle avait sur le cœur depuis des années,
10:47et je ne vous le dirai pas, parce que je ne voudrais pas être vulgaire.
10:52Même les mots en français, ils sont restés coincés.
10:56Ses deux potes, sa femme, tout le monde lui en voulait.
11:00Et puis, il n'y a plus aucun mot qui est sorti de lui.
11:04Bon, il n'a plus fait payer les autres.
11:08Il allait plus souvent au bistro, sans rien dire.
11:11Puis un soir comme ça,
11:13un soir comme ça, je ne sais pas si c'était ici ou ailleurs,
11:15il y en avait qui ne causaient pas toi.
11:18Lui, d'entendre les mots en galop, les larmes, elles ont commencé à couler.
11:22Puis bientôt, après les larmes, c'est les mots qui ont coulé,
11:24goutte à goutte, puis en rivière et en fleuve.
11:27Et Martin, sur la fin de sa vie,
11:29les mots, ce n'est pas qu'il les faisait payer,
11:31mais plutôt, il les partageait.
11:45Sous-titrage Société Radio-Canada

Recommandations