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Entre 1987 et 1994, ce biscuit au chocolat de la biscuiterie Saint-Michel se trouvait dans tous les rayons de supermarchés et dans tous les cartables des enfants. Il a été retiré de la vente après le scandale du « zoo humain » du Safari africain de Port-Saint-Père.

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Transcription
00:00Je vais vous raconter l'histoire d'un goûter qui n'aurait jamais dû exister.
00:03Pourtant, il a été commercialisé pendant quasiment dix ans.
00:06C'était à la fin des années 80, ça a couru jusqu'au début des années 90.
00:10On le trouvait dans tous les supermarchés, les parents les mettaient dans tous les cartables de leurs enfants.
00:15Ce biscuit, ben, il avait un nom qui aujourd'hui paraît complètement dingo.
00:18Bamboula !
00:19Bamboula !
00:20Bamboula !
00:21Ah, Bamboula, vous savez !
00:23Bamboula.
00:24L'histoire, elle commence en 1905, en Loire-Atlantique.
00:27On est au bord de la mer, on n'est pas très très loin de Nantes.
00:30On se trouve dans une petite commune qui s'appelle Saint-Michel-Chefchef.
00:35C'est son nom.
00:36Il n'y a pas beaucoup de monde qui vit là-bas.
00:37Aujourd'hui, il y a 5 000 et quelques habitants.
00:40À l'époque, j'imagine qu'il y a encore moins de monde, mais il y a quand même quelqu'un.
00:44Il y a un mec, il s'appelle Joseph Grelier.
00:47Son boulot, c'est pâtissier.
00:49Et il a une idée, c'est de lancer un petit biscuit breton, en fait, au beurre.
00:54Qui l'appellera la galette Saint-Michel.
00:57La Bretagne.
01:00C'est Ménire et ses galettes Saint-Michel.
01:11L'histoire de Saint-Michel, c'est très simple, elle est visible sur leur site.
01:14Dans la rubrique Notre Histoire, si vous remontez la chronologie, vous avez la date de 1950.
01:19Et la date suivante, elle se trouve 43 ans plus tard, c'est 1993.
01:25Sauf que dans ce laps de temps, il s'est quand même passé des choses, et particulièrement en 1987.
01:30En 1987, cette année-là, la biscuiterie Saint-Michel, elle décide de s'attaquer à un nouveau marché.
01:36C'est le marché des enfants, le marché des cours de récré.
01:39À l'époque, il faut se rappeler, chaque entreprise de l'industrie agroalimentaire
01:43qui veut s'adresser aux enfants, elle a besoin d'un héros.
01:46On se rappelle très bien de Malabar.
01:50Malabar !
01:51On se rappelle de Pépito.
01:52Pépito !
01:53On se rappelle du Prince de Lus.
01:56Prince, c'est tout Lus.
01:57Il y a même les Papoufs.
01:58Maintenant, il y a deux galettes Papoufs, Noisette et Noix de coco.
02:02Désormais, ils vont devoir affronter un nouveau héros.
02:06C'est lui.
02:07Bonjour, je m'appelle Bamboula.
02:09J'ai donné mon nom à délicieux biscuits au cacao.
02:12Tu peux trouver les bandes dessinées racontant des aventures
02:15dans chaque lot de deux paquets Bamboula.
02:18Saint-Michel, salut !
02:20Et porté par Laura et, j'imagine, le capital sympathie que suscitent ces personnages,
02:25le biscuit Bamboula de Saint-Michel, il va cartonner.
02:30Suite de regarder les commentaires sur YouTube,
02:32c'était mon biscuit préféré, délicieux petit Bamboula.
02:36Qu'est-ce que j'ai pu en manger de ces délicieux biscuits ?
02:39Qu'est-ce que j'ai pu en manger de ces délicieux biscuits ?
02:41C'était des bons gâteaux, tous les week-ends j'en prenais.
02:44Il est tellement cool, il est tellement populaire
02:46qu'il va même être invité en 1987 dans une émission de télé
02:50qui est la plus populaire du moment.
02:52Un jeu télévision qui s'appelle...
02:56Interville.
02:57On va trouver justement quelqu'un de couleur,
02:59ça va vous changer des blondes.
03:00Ah, Bamboula, vous savez.
03:02Bamboula, qui est ici, le petit personnage qui chevauche son lion favori.
03:08Donc dans le jeu, vous voyez,
03:10il y a des candidats blancs qui sont déguisés en personnages de Bamboula.
03:14Ils n'ont rien trouvé de mieux que de traverser l'arène
03:18ainsi de monter ce petit plan incliné
03:20qui va leur permettre de passer sur ce paquet géant.
03:23C'est vraiment un super coup de fume pour Saint-Michel.
03:26Les dernières créations, vous le savez,
03:27ont des célèbres biscuitrices à Michel.
03:29Et qui vont devoir attraper des biscuits Bamboula géants
03:35au milieu d'une arène.
03:38Bamboula, douceur.
03:41Bamboula, plaisir.
03:43Bamboula, saveur.
03:45En se faisant courser par des petites vaches.
03:47Avec les paquets de Saint-Michel, on pouvait gagner des BD
03:50mais on pouvait aussi gagner un produit comme celui-ci.
03:52A l'époque, il n'y avait pas Spotify, il n'y avait pas Deezer.
03:57Mais il y avait ça.
04:00Bamboula !
04:02Je ne sais pas si je vais danser pendant toute la musique.
04:04Je ne sais pas si je vais faire ce petit...
04:06Je sais pas si je vais danser pendant toute la musique.
04:09Je ne sais pas si je vais faire ce petit...
04:32Bon, je m'arrête.
04:33J'espère que ça vous a plu.
04:35En fait, ce n'était pas pour la musique que je vous passais ce disque, c'était surtout pour ce qu'il y a écrit derrière.
04:41En fait, j'ai essayé de remonter la trace, j'ai essayé de retrouver qui avait été impliqué dans cette histoire de Bamboula à l'époque.
04:46Je vais poser ça ici et on va lire.
04:49Conception et personnage.
04:51Jean-Denis Bruet-Ferréol.
04:54Ça veut dire que ce petit bonhomme, il sort de la tête de ce monsieur, ce Jean-Denis Bruet-Ferréol.
05:05Il est aussi connu sous le nom de Maloc.
05:09Il a même un site, maloc.fr.
05:11Maloc, j'ai essayé de le joindre, je l'ai contacté sur Facebook, il m'a laissé en vue.
05:15Je l'ai contacté sur Instagram, il m'a laissé en vue.
05:18Je l'ai contacté via son éditeur, pas de réponse.
05:21Mais il a été interviewé dans un documentaire hyper intéressant qui s'appelle Le village de Bamboula.
05:27On y reviendra un peu plus tard, en 2022, pour France Télévisions.
05:31Et dans ce documentaire, il raconte très simplement le brief de l'agence de pub à l'époque.
05:38Et le brief, c'est d'imaginer en dessin un petit personnage de type africain pour des biscuits sablés cacao-té.
05:49Il se dit, ok, on ne va pas faire le cliché africain, on va aller chercher un personnage qu'on connaît tous,
05:55qui est culte pour beaucoup de monde à l'époque.
05:58Il est allé chercher Betty Boop.
06:00Effectivement, ils ont la même petite tête ronde.
06:02Il va lui mettre un béret français, ici.
06:05Et puis, il va lui mettre la peau de bête de Tarzan.
06:09Et là, il précise, Jean-Denis, Tarzan, donc héros blanc.
06:16Rappelez-vous, pour Saint-Michel, l'enjeu, le but de toute cette manœuvre et toute cette communication,
06:22c'est de conquérir les cours de récré.
06:25Et clairement, en jugé par tous les goodies, les figurines, les pins qu'on trouve encore aujourd'hui sur Ebay et sur Le Bon Coin,
06:33ils ont réussi leur coup.
06:35Bonjour, je recherche tout objet sur les biscuits des galettes Saint-Michel, en trop de bandes goulas.
06:39À la vente ou à l'échange, quelques boîtes, objets publicitaires en double.
06:43Merci.
06:46Bonjour Alain.
06:47Ça va ?
06:48Ça va et toi ?
06:49Ouais.
06:50Elle est où ta collection ?
06:51Ah, c'est moi. Ma petite collection.
06:56J'ai la tirelire, une petite règle, des pins, un cerf-volant.
07:00J'ai pas mal de bandes dessinées.
07:0322, 23, les deux petits personnages bamboulages.
07:06Le tableau magnétique.
07:07Quarantaine de pièces et tout.
07:08OK, c'est pas mal.
07:09Ouais.
07:10Ça, je l'ai vu à vente seule, 100 euros.
07:13Quoi, ça là ?
07:14Le tableau.
07:15Ouais.
07:16Je l'ai vu à vente seule.
07:17Je l'ai vu, il est parti à 100 euros sur Ebay.
07:19Sur Ebay ?
07:20Ouais.
07:21Il y a quelques temps de ça.
07:22Je l'ai acheté là, je ne le prends pas.
07:23Normalement, tu le mets au mur.
07:25J'ai 59 ans.
07:26J'étais conducteur routier.
07:27Mais comme je suis né à Saint-Michel,
07:29j'habitais longtemps à Saint-Michel,
07:30j'étais pompier volontaire,
07:31tout ce qui touche sur les galettes Saint-Michel,
07:33ça m'intéresse.
07:34Et Bamboula, c'est une partie.
07:36Les lacets, c'est marqué Bamboula sur les lacets.
07:39Ah ouais.
07:40Et donc, tu ne les mets pas tes chaussures, ces lacets ?
07:41Si c'est, on ne veut pas les abîmer.
07:42Moi, je viens de Toulouse.
07:44Ouais, je ne suis pas sûr que tu puisses...
07:45Toulouse, c'est connu parce qu'il y a Airbus.
07:47Bah oui, ça.
07:48Je ne suis pas attaché à Airbus.
07:50Je ne collectionne pas les objets Airbus.
07:52Oui, mais c'est un gros produit, Airbus.
07:53Là, c'est un petit gâteau.
07:56Oui, c'est marrant, ça.
07:57Je ne pourrais pas te dire quoi.
07:59Elle est un peu chauvin.
08:00Juste une petite parenthèse,
08:01avant qu'on passe à la suite du reportage
08:03de cette vidéo que je vous raconte,
08:05de cette histoire de Bamboula,
08:06à propos de la séquence qu'on vient de voir avec Alain.
08:09Alain, il a dit qu'il est chauvin.
08:11En fait, ce qui l'anime, c'est surtout son amour
08:13pour la biscuiterie Saint-Michel
08:14et les produits qu'ils ont pu sortir.
08:16Bamboula en fait partie.
08:18Ce n'est pas la haine des personnes noires.
08:20Vous allez voir, on va revenir là-dessus
08:22un peu plus tard.
08:23Dans le temps, on mangeait les thèmes de nègres
08:25à la boulangerie, on n'en trouvait pas.
08:27Mais nous, on ne voyait pas le mal.
08:28On ne voyait pas le mal quand on disait Bamboula.
08:30Et maintenant, c'est faire attention.
08:32D'ailleurs, ce que vient de raconter Alain,
08:33la chercheuse que vous allez entendre,
08:35ça ne l'étonne pas du tout.
08:36On n'y a pas pensé,
08:37une connotation raciste.
08:38Mais moi, ça me saute aux yeux.
08:40Marie Treps, là, qu'on vient d'entendre,
08:41elle est linguiste et sémiologue.
08:43La raison pour laquelle je l'ai appelée,
08:45c'est parce qu'elle a publié
08:47ce bouquin.
08:48Maudit mot.
08:50La fabrique des insultes racistes.
08:52Et quand on l'ouvre,
08:55il y a bien une entrée sur le mot
08:57Bamboula.
09:13Il y a quelque chose que vous ne connaissez pas.
09:15Vous vous dites, tiens,
09:16ces gens-là jouent tel instrument,
09:18ils l'appellent comme ça.
09:19Notez, ça n'a rien de raciste.
09:21Là, le moment qu'elle décrit, Marie,
09:23c'est le XVIIIe siècle.
09:25Et à ce moment-là,
09:27le mot Bamboula,
09:28c'est vraiment,
09:29vraiment un tambour.
09:31D'ailleurs, si on écoute,
09:34accrochez-vous,
09:35j'ai une chanson baroque à vous faire écouter
09:37qui date de 1757.
09:39Tendez l'oreille, c'est en créole en plus.
09:41C'est l'histoire d'un gars
09:43qui s'est fait quitter par son amoureuse.
09:57Je ne bats plus le bamboula,
09:59je ne bats plus le tambour.
10:01Ce qui se passe, en revanche, à cette époque,
10:03ce qui est en train de se construire,
10:05c'est deux choses.
10:07La première chose,
10:09la structuration du commerce triangulaire.
10:11En fait, en France,
10:13on est en train de devenir
10:15un pays qui s'enrichit
10:17en vendant des esclaves noirs.
10:19Et Nantes,
10:21rappelez-vous, c'est pas loin
10:23de Saint-Michel-Chef-Chef,
10:25ça devient pendant longtemps,
10:27pendant des dizaines d'années,
10:29le premier port
10:31de la traite négrière.
10:3342% des expéditions partaient
10:35de Nantes à l'époque.
10:37La deuxième chose qui se passe
10:39à cette époque-là,
10:41c'est que la France est en train
10:43de devenir un empire colonial
10:45et très rapidement,
10:47au XIXe siècle,
10:49la moitié de l'Afrique
10:51devient française.
10:53Si bien qu'en 1914,
10:55quand éclate la Première Guerre mondiale,
10:57dans les tranchées,
10:59on a vu à la fois des Français
11:01et des tirailleurs sénégalais
11:03qui avaient été colonisés.
11:05Pendant les moments à se détendre,
11:07on les voit danser.
11:09C'est là qu'arrive le mot « faire la bandoula ».
11:11C'est une danse au sein de ce tango.
11:13C'est ce même tirailleur sénégalais,
11:15plutôt souriant,
11:17sympathique, qu'on va retrouver
11:19dès 1915, en pleine guerre mondiale,
11:21plaqué sur les boîtes de chocolat
11:23d'une toute nouvelle marque
11:25de chocolat en poudre,
11:27Banania. Et ce Banania,
11:29ça va devenir le petit déjeuner préféré des Français
11:31pendant des décennies et des décennies.
11:33Ce même visage,
11:35tout content de faire la Première Guerre,
11:37sur les tables de petit-déjeuner de toutes les familles françaises.
11:39Spontanément, la couleur du chocolat
11:41a fait penser au noir.
11:43Et peut-être que
11:45ce soit des enfants
11:47ou du tirailleur sénégalais,
11:49avec son temps souffrir,
11:51ces éléments sympathiques ont avalé la pilule du racisme.
11:53On ne va pas aller trop vite,
11:55je rappelle juste les dates.
11:571915, c'est l'apparition de Banania,
11:59avec son tirailleur sénégalais.
12:01C'est intéressant pour que Bamboula
12:03arrive dans les rayons des supermarchés.
12:051987.
12:07Qu'est-ce qui s'est passé entre-temps ?
12:09Rien. C'est toujours le même
12:11historique, le même héritage
12:13colonial et raciste
12:15qui se joue
12:17à travers le marketing
12:19de ces marques de l'agroalimentaire.
12:21Maintenant, je vais vous faire écouter
12:23Saga Bamboula.
12:31Cette cassette m'a permis
12:33d'avancer dans ma petite enquête,
12:35notamment en appelant
12:37ce monsieur, Christian Darré,
12:39qui est un des auteurs.
12:41Je suis assez pantois d'avoir
12:43participé à un truc pareil.
12:45A l'époque, j'avais 30 ans de moins.
12:47J'avais une boîte qui s'appelait
12:49Bellaparte,
12:51qui contenait un studio
12:53d'enregistrement, mais on faisait
12:55des concepts sonores pour des marques.
12:57On a fait les Tendrelins pour Cajolim.
12:59On a fait la chanson
13:01des singes homos.
13:05C'est l'époque des livres-cassettes.
13:07Je faisais beaucoup de livres-cassettes pour enfants.
13:09Je me souviens bien qu'on m'a demandé
13:11de faire une chanson.
13:13Après la sortie de Saga Africa
13:15de Yannick Noah,
13:25on nous a dit qu'il faudrait faire Saga Bamboula.
13:27Pour moi, Bamboula, c'était
13:29faire la bamboula comme faire la bamboche.
13:31C'était un moyen d'être
13:33émunéré.
13:35C'était comment gagner un bon petit cachet
13:37en une demi-journée en se faisant dans la gueule
13:39dans un petit studio d'enregistrement où il y avait une bonne ambiance.
13:41Il n'y avait aucun
13:43lézard là-dessus.
13:45Avec le recul, si on me proposait
13:47maintenant ce type de boulot,
13:49je refuserais.
13:51Pour moi, c'est un truc
13:53un peu honteux.
13:55À l'époque, je n'ai pas du tout réalisé.
13:57Il y avait forcément un racisme
13:59latent là-dedans.
14:01Mais il faut se rappeler que, à l'époque,
14:03je n'avais aucune connaissance de la mécanique qui était derrière
14:05et toute la machine lourde
14:07colonialiste
14:09et purement raciste.
14:11Pour le coup, purement raciste.
14:15J'ai quand même,
14:17évidemment, contacté
14:19la Biscuit de Saint-Michel pour leur demander
14:21s'ils ne voulaient pas faire une interview
14:23et participer à cette vidéo.
14:25Ils m'ont dit non. Mais ils m'ont quand même envoyé
14:27un petit mail.
14:37Ok, l'entreprise actuelle.
14:39Mais une chose est sûre,
14:41à l'époque, personne
14:43n'a capté. Saint-Michel, évidemment,
14:45n'a rien compris au problème que posait
14:47ce petit bonhomme.
14:49Personne non plus du côté du dessinateur Jean-Denis Bruyé-Ferrol
14:51et personne non plus du côté des personnes,
14:53des gens qui ont écrit
14:55et composé les bandes-sons qui allaient avec tout le
14:57merchandising. Il y a même
14:59un organisme qui dépend de l'État qui n'a rien
15:01compris à ce qui se passait, alors que
15:03pourtant c'est leur métier d'éviter
15:05les dérapages racistes
15:07du type Bamboula. Et cet organisme,
15:09c'est l'INPI, l'Institut National
15:11de la Propriété Intellectuelle.
15:13Et dans leur procédure d'enregistrement,
15:15ils s'engagent donc à effectuer
15:17un examen approfondi et à veiller
15:19à ce qu'aucune fraction significative,
15:21je cite, du public français
15:23ne soit heurtée, stigmatisée
15:25ou discriminée par une marque déposée.
15:27Or, clairement, la fraction
15:29significative des personnes noires en France
15:31n'aurait pas eu tort
15:33de se sentir discriminée
15:35par la marque
15:37déposée Bamboula.
15:39Si on creuse un peu et qu'on va chercher dans les registres
15:41de l'INPI, c'est
15:43accessible en ligne. On s'aperçoit que
15:45la marque
15:47Bamboula a été déposée
15:49par l'entreprise Biscuits
15:51Saint-Michel Grelier,
15:53S.A.R.L. Vous vous rappelez,
15:55Grelier, c'est le nom du fondateur, Joseph
15:57Grelier, de la Biscuiterie Saint-Michel.
15:59On va s'apercevoir que ce n'est pas en 1987
16:01la première fois
16:03que Saint-Michel a eu l'idée
16:05de déposer le mot Bamboula.
16:07Non, c'était le
16:0923 décembre 1968.
16:11C'est 20 ans avant
16:13l'arrivée des Biscuits Bamboula dans les rayons.
16:15À partir du moment où l'INPI a validé, a mis son
16:17tampon sur le nom de cette marque,
16:19plus question de le remettre en cause.
16:21Donc là, on est en 1968.
16:23Il faut se rappeler ses cours d'histoire, ça ne fait
16:25même pas 10 ans que
16:27la France a perdu ses colonies, que l'empire
16:29colonial français
16:31n'existe plus. On a
16:33150, 200 ans de récit
16:35national qui s'est effondré,
16:37mais dans la tête des gens,
16:39ça ne s'est pas effondré.
16:41Dans la tête des gens, ça laisse des traces. Les colonies,
16:43elles sont toujours peut-être un peu là,
16:45chez tous les Français, et notamment
16:47dans l'équipe dirigeante des Biscuits Saint-Michel.
16:49En fait, même
16:51des dizaines d'années plus tard,
16:53dans les années 2020, on peut lire
16:55des commentaires en dessous
16:57des vidéos des publicités Saint-Michel,
16:59sur YouTube ou sur Facebook, comme ceci.
17:01C'était gentil et aujourd'hui tout est
17:03politiquement incorrect. 30 ans plus
17:05tard, on ne peut plus rien dire sans se faire
17:07emmerder par les bien-pensants et autres
17:09fragiles. Ça m'inspire un peu de
17:11peur, je te le dirai sincèrement.
17:13Après, si je chausse les lunettes de l'anthropologue,
17:15on ne peut pas considérer qu'il y a des choses
17:17qui sont plus ou moins
17:19racistes selon les époques.
17:21Ce qui change, c'est le regard
17:23qu'on va poser sur
17:25les choses, sur les
17:27productions culturelles. M. Harry Gordien,
17:29chercheur au CNRS, anthropologue.
17:31Quand on regarde Bamboula,
17:33il n'y a pas de doute possible
17:35sur le sens
17:37qu'il y a derrière
17:39les préjugés, les clichés
17:41qui sont véhiculés. Ce qui questionne
17:43plutôt, c'est pourquoi ça n'a pas été vu à l'époque.
17:45Il y avait moins en France
17:47l'habitude de poser
17:49la question de l'antiracisme,
17:51de la négrophobie
17:53et des formes de préjugés
17:55qui visent
17:57les populations identifiées comme
17:59noires. Ça, c'est un premier élément.
18:01Le deuxième élément,
18:03il concerne aussi la conception du racisme
18:05que les gens ont, c'est-à-dire qu'ils vont
18:07considérer qu'être raciste, c'est dire ça le noir
18:09ou c'est croire à telle
18:11idéologie raciste ou soutenir tel
18:13mouvement qui est
18:15clairement raciste. Alors, en fait, c'est beaucoup plus
18:17large que ça, le racisme ou les
18:19mécanismes de racialisation, c'est-à-dire qu'il n'y a
18:21pas forcément une intention d'excur ou d'être
18:23méchant ou d'être agressif.
18:25C'est simplement qu'il y a des idées qui
18:27circulent, qui ont une histoire, une histoire
18:29coloniale, une histoire
18:31esclavagiste. Et on retrouve
18:33des représentations comme ça dans la culture populaire,
18:35dans les dessins animés de Tex Avery,
18:37dans la bande dessinée, qu'on voit en
18:39termes de personnages noirs habillés
18:41en peau de bête dans la nature.
18:43C'est une imagerie
18:45coloniale et raciste.
18:46Et apparemment, cette imagerie
18:48coloniale raciste dont parle Harry,
18:50les équipes
18:52marketing de
18:54Saint-Michel, ils l'ont vraiment, vraiment,
18:56vraiment, vraiment bien intégré
18:58parce qu'en 1994, il s'est
19:00passé ce truc
19:02incroyable.
19:04Un ministre africain au Safari Park
19:06de Port Saint-Père.
19:07Le ministre de l'équipement, du transport
19:09et du tourisme de Côte d'Ivoire est venu
19:11visiter le début d'un chantier pas comme
19:13les autres. Depuis quelques jours, une équipe
19:15d'artisans ivoiriens y a commencé
19:17la construction d'un authentique village
19:19avec ses cases en argile et ses toits
19:21de chaume. Ça fait sept ans que Bamboula
19:23existe et chez Saint-Michel, ils ont donc l'idée
19:25brillante de créer
19:27le village de Bamboula.
19:29Un véritable village reconstitué
19:31avec de vrais Ivoiriens.
19:33C'est une sorte de Disneyland
19:35où on peut voir dans des cases
19:37des personnes noires en train de faire de la poterie,
19:39en train de jouer des percussions.
19:45Et même,
19:47comble de l'exotisme, des femmes
19:49qui dansent à moitié nue.
19:51Du coup, sur le bord de la route, l'affiche
19:53qui promeut le Safari africain
19:55de Port Saint-Père, avec cette femme
19:57au sein nu sur la gauche,
19:59c'est exactement la même que l'affiche
20:01de l'exposition coloniale de Lyon
20:03en 1894.
20:05Enfin, on est choqués là-haut.
20:07C'est fou, quoi.
20:13Bon.
20:15Qu'est-ce que vous diriez si je vous racontais
20:17que cet endroit-là,
20:19en 2024, il existe toujours ?
20:21Bonjour.
20:25Non.
20:27Aucune personne. Vous allez voir, je fais le client
20:29un peu de là, et la caissière
20:31me répond avec beaucoup de patience.
20:33Est-ce que, sur le plan,
20:35je peux voir le village de Gangoula ou pas ?
20:37Alors, il n'y a pas de village de Gangoula.
20:39Ah bon ?
20:41Ah bon ? Pourquoi ?
20:43Parce que, ici, il n'y a pas
20:45de village de Gangoula.
20:47Du coup, maintenant, c'est devenu
20:49le...
20:53Le chantier des... Non, le chemin de la Grousse.
20:55Le chemin de la Grousse.
20:57D'accord.
20:59Ça fait combien de temps que ça n'existe plus ?
21:01On avait dit que c'était super.
21:05D'accord.
21:09Là, en fait, elle bouge les lèvres.
21:11On ne l'entend pas très bien parce que,
21:13évidemment, je ne lui avais pas posé de micro.
21:15Elle dit juste que ça a changé de nom parce que
21:17le nom n'était pas terrible.
21:19Merci. Bonne journée à vous.
21:23Bon, ça n'a pas fait que changer de nom.
21:25Vous allez voir puisque la mascotte d'Angoula
21:27a été remplacée par Kirikou
21:31et les Ivoiriens
21:33par des Lémuriens.
21:35Tout ce qui reste des danseuses aux seins nus,
21:37c'est ça. Pour comprendre ce qui s'est
21:39passé, là-bas, à Port-Saint-Père,
21:41dans ce Safari Park, il faut
21:43revenir en 1994.
21:45Près d'une trentaine de personnes, dont plusieurs
21:47enfants, animent ce village 7 jours sur 7.
21:49Avec quel statut ? Quel salaire ?
21:51Le parc ne s'en préoccupe pas.
21:53Il y a deux fillettes de 12 ans
21:55qui, on les a vues,
21:57nous semblaient qu'elles avaient à peu près 12 ans.
21:59Il y a un garçonnet de 10 ans et demi
22:01qui font partie de la troupe et qui assure
22:03les représentations chaque jour.
22:05Ces enfants ne sont pas
22:07accompagnés de leurs parents qui sont restés
22:09en Côte d'Ivoire et ces enfants ne sont pas
22:11scolarisés et c'est
22:13une honte. Moi, quand je vois ça, j'ai
22:15vraiment l'impression de voir les derniers animaux
22:17du parc. C'est mal
22:19présenté. Finalement,
22:21c'est sur des critères, pas de racisme,
22:23mais sur des critères de droit du travail
22:25que, quelques mois plus tard,
22:27le Safari Park de Port-Saint-Père
22:29va fermer le village de Bamboula.
22:31Les Ivoiriens vont rentrer chez eux
22:33et du côté de Saint-Michel-Chef-Chef,
22:35la biscuiterie va être rachetée
22:37par un grand groupe
22:39allemand qui s'appelle Balsène et qui va
22:41décider de se débarrasser de cet encombrant
22:43biscuit, le Bamboula.
22:45Aujourd'hui, si vous cherchez un goûter chocolaté
22:47dans les rayons de supermarché parmi
22:49la gamme de ce que propose Saint-Michel,
22:51il n'y aura pas de Bamboula, mais vous
22:53trouverez sans doute un produit
22:55dont le nom vous rappellera
22:57sans doute quelque chose,
22:59le Tamtam.

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