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Les chroniqueurs du Cercle débattent autour d'un film sortant en salles ou en diffusion sur CANAL+
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Transcription
00:00Joker, folie à deux de Todd Phillips, c'est la suite très attendue des aventures d'Arthur Fleck, alias le Joker, interprété par Joaquin Phoenix.
00:10Mais cette fois-ci, il n'est plus seul, il est amoureux d'Harley Quinn, joué par Lady Gaga.
00:15Et cet amour lui donne envie de chanter, ma chère Lucile. Et vous aussi ?
00:20Est-ce que je me mets à chanter ? Franchement, pourquoi pas ? Si vous me chauffez un peu, je pourrais faire.
00:26Moi, c'est un film que j'ai vu dans un état de grande crispation, un peu du début à la fin, parce que je trouve que c'est vraiment un film qui se tient à un endroit très compliqué,
00:35sur une toute petite lisière entre la catastrophe absolue et le chef-d'oeuvre.
00:39Donc, il y a une espèce d'indécidabilité pendant quelque temps. Alors moi, j'ai choisi la version chef-d'oeuvre, je le dis d'emblée.
00:45En effet, c'est un film qui se passe en grande partie dans un asile ou dans une prison.
00:51Le Joker, on le retrouve dans un état assez low par rapport à ce qu'il est peut-être d'habitude, c'est-à-dire qu'il prend ses médocs concrètement.
00:58Il va être jugé et puis il rencontre en effet une femme qu'il voit dans une chorale, c'est Lady Gaga.
01:04Il tombe amoureux en une seconde, c'est littéralement le coup de foudre.
01:07Et là, le film se clive, ça c'est une première impression qu'on peut avoir, de la même manière que le Joker est un personnage clivé,
01:14entre deux films de genre en fait, le film de prison qui est aussi un film de procès et la comédie musicale.
01:21A priori, c'est très très très casse-gueule. Pourquoi ça ne l'est pas ? Parce que c'est très premier degré.
01:28Je pense que vraiment le réalisateur, il a pris ce programme-là comme quelque chose de très simple.
01:33Et il a pris l'histoire d'amour entre les personnages comme quelque chose de très honnête.
01:37Donc on va les voir, ces deux tourteros. Ils se retrouvent tout au bas fond de la prison.
01:43Elle va sortir, lui attend son procès.
01:46Et elle va lui expliquer que ce qu'elle aime chez Arthur Fleck, c'est pas Arthur Fleck, c'est le Joker.
01:55Et c'est un moment, on va regarder, où elle va vraiment mettre la main à la patte pour le retransformer en monstre qu'il est.
02:02Elle va le maquiller.
02:07Donc voilà, elle le maquille, ça dure un moment, c'est comme un acte d'amour.
02:20Et à partir de là, le film va alterner entre deux régimes.
02:24Et là, je nuance un peu ce que je viens de dire, parce que je pense que le film est davantage que juste un double régime.
02:31Parce que la comédie musicale, elle est aussi dans le film de procès.
02:34Et le film de procès ou de prison, il est aussi dans la comédie musicale.
02:37Et il y a vraiment quelque chose qui circule, qui rend la fiction très dynamique.
02:41Très grand film pour moi. Grand film de l'année, même, j'ai envie de dire.
02:44Grand film de l'année !
02:45Elle est dans le top 3 de Lucille Combeau.
02:47C'est vraiment possible, oui. J'ai pas réfléchi comme ça, mais je sais qu'Arthur est outré par ce que je dis, donc j'arrête là.
02:52Mais je l'ai vu, il remuait beaucoup, Arthur, ça vous a pas conquis.
02:55Parce que c'est vrai que le premier, ça a été un phénomène presque de société.
02:58Vous avez rencontré une vague de colère mondiale.
03:01Et là, effectivement, on sent que les spectateurs, ils ont été décompensés.
03:05J'ai l'impression que personne ne comprend rien.
03:07Et moi, j'avoue que pendant la séance, c'était extrêmement difficile.
03:10Mon âme a quitté mon corps à un moment.
03:12Je me suis vu du dessus, je me suis dit, qu'est-ce qui se passe ? Que fais-je ici ?
03:15Puis je suis revenu vers la fin.
03:17Et là, en fait, ce qui me déplaît dans ce film, que je trouve vraiment très peu accueillant.
03:21J'ai l'impression que c'est un film qui n'a pas besoin de moi.
03:23Il fait son espèce d'autocritique.
03:25C'est un procès qui est le procès du premier film.
03:27Une espèce de commentaire méta, un objet hyper théorique.
03:29Est-ce que les gens ont bien compris mon film ?
03:31Est-ce que le Joker est vraiment un symbole ?
03:33Est-ce qu'en fait, ça n'est qu'un homme malade et les gens n'ont pas pris ce film au premier degré ?
03:36Le film se fait sans moi.
03:38Au bout d'un moment, j'ai envie de prendre mes clics et mes claques et de partir de la salle, tout simplement.
03:42Marie, je vous voyais hocher la tête.
03:44Non, parce que moi, j'ai trouvé ça très beau.
03:46Et je ne m'y attendais pas du tout.
03:48Je trouvais le premier intéressant et en même temps politiquement hyper douteux.
03:53Ça me déplaisait un peu.
03:55Et puis, ce qui me plaît dans celui-ci, c'est la subversion.
03:58Mais la subversion formelle, en réalité.
04:00Il y a tout un questionnement, même en chanson, de dire est-ce qu'on donne aux gens ce qu'ils attendent ?
04:06Est-ce que...
04:08Est-ce que les gens attendaient American Nightmare 5 ?
04:10Et ce qui est beau, c'est que ça vaut pour les personnages à l'intérieur du film.
04:16Ça vaut pour le studio, je pense, qui se retrouve avec un drôle d'objet.
04:19Et ça vaut pour les spectateurs.
04:21Cette subversion-là, moi, elle me passionne tout du long.
04:23En plus, je trouve que formellement, le film est très réussi.
04:26Je le trouve très beau.
04:27Et il me gagne très tôt, en fait.
04:29Il me gagne quand on voit des parapluies de couleurs évoquant, évidemment, Jacques Demy.
04:35Et puis que l'image d'après, on sait qu'ils sont noirs.
04:38Et ce dialogue constant entre la profonde tristesse du réel
04:43et la profonde magie, l'extraordinaire magie de la comédie musicale et du cinéma plus largement
04:50qui dialogue sans arrêt à l'intérieur même du film.
04:54Mais moi, ça m'a vraiment émue.
04:56Et je ne m'y attendais pas du tout.
04:57Et il y a des moments comme ça, extrêmement premier degré.
05:00Moi, Joachim Fénix, qui chante « Ne me quitte pas » au téléphone...
05:03J'ai pleuré, j'ai pleuré.
05:04Et bien, je peux pleurer.
05:05On a tous pleuré.
05:06Extraordinaire.
05:07Le premier, il était sous l'influence de la valse des pantins de Scorsese.
05:12Elle le citait explicitement.
05:13Et « Taxi Driver », un peu.
05:14Et « Taxi Driver », est-ce que là, il y a une autre...
05:17Là, il faut aller chercher des influences du côté de la comédie musicale.
05:20Il y en a une qui est donnée tout de suite, qui est « Tous en scène » de Minelli,
05:23dont on regarde à la télévision et après, on rechante la chanson.
05:28Le monde est une scène, la scène est un monde de divertissement,
05:31qui est complètement raccord.
05:33On pense aux « Hommes préfèrent les blondes »
05:35puisqu'il y a une séquence de procès où l'on chante.
05:39Et puis, on pense à toute cette utilisation moderne du musical
05:43qui commence à « All That Jazz » et qui va à Chicago
05:47ou chez Lars von Trier, « Dancer in the Dark »,
05:50où on a des histoires très sombres et où on va se mettre à chanter le réel
05:55et où le réel et la chanson deviennent le monde onirique.
05:59C'est-à-dire que le chorégraphe de « All That Jazz »
06:02met en scène sa propre mort alors qu'il est sur son lit d'hôpital en train de mourir.
06:06Il voit la mort qui vient de chercher Jessica Lange dans un balai dingue.
06:10Et là, c'est la même chose.
06:12C'est-à-dire que c'est ce que tu dis, Marie.
06:14Au réel, vient se substituer et c'est ça qui est beau.
06:17C'est-à-dire que l'horizon du film musical
06:22comme horizon psychotique du personnage.
06:24Comme une bouffée délirante.
06:26C'est passionnant.
06:27Une bouffée délirante, mais enviable.
06:29Oui, c'est du fantasme plutôt enviable, en effet.
06:31C'est ça qui est différent par rapport au premier.
06:33Mais est-ce que c'est un film sur le Joker ?
06:35Alors, c'est un film qui est censé être en train de problématiser
06:38qui est le Joker, ce que le Joker aurait voulu être
06:41et ce que le Joker ne peut pas être, finalement.
06:43Voilà, qui était déjà une question...
06:45Du premier.
06:46Mais oui, mais aussi une question dans « Batman », dans son mémésis.
06:48Bah, faut pas oublier que...
06:50Est-ce que « Batman » est à la hauteur du héros qu'on voudrait qu'on fasse ?
06:54Et moi, j'ai l'impression que c'est ça, la limite.
06:56C'est-à-dire que toi, tu parlais presque d'une sorte de premier degré d'innocence au film.
07:00Mais c'est un film qui est tout sauf innocent.
07:02C'est un film qui a comme horizon, comme disait Philippe,
07:04que le cinéma.
07:05C'est-à-dire que c'est un film qui se regarde sans cesse.
07:07Est-ce que c'est un problème ?
07:08Bah, c'est une sorte de solipsisme, en fait.
07:10C'est-à-dire qu'en fait, le film n'existe qu'à l'intérieur de lui-même,
07:13qu'à l'intérieur du cinéma, qu'à l'intérieur d'Hollywood.
07:15Il n'a aucun rapport à la vie, au réel, à rien, il n'existe.
07:20Le goût pour le cinéma, il est très vivant.
07:22Il n'est qu'en lui-même, il n'est qu'en lui-même.
07:24Moi, j'ai vraiment l'impression qu'on est face à de nouveaux auteurs
07:27qui sont des sortes de auteurs professionnalisants en ce moment.
07:29C'est-à-dire des gens qui ont une sorte de cahier des charges,
07:32de « je vais réfléchir à mon film par rapport à mon précédent film ».
07:35Mais c'est ce qu'on disait à l'époque !
07:37Oui, 100% d'accord.
07:38Mais si, c'est ce qu'on disait à l'époque !
07:41Vous savez bien que Scorsese, il parle de quelqu'un,
07:43il parle vraiment de personnages qui sont pris dans le monde.
07:45Mais là aussi, vous allez être obligé d'aller chercher une hache
07:46pour vous arrêter, les amis.
07:47Mais là aussi, qu'est-ce que c'est que cette tyrannie du réel, par ailleurs ?
07:50C'est vrai ça, Frédéric ?
07:51Mais dites là-dessus !
07:53Mais c'est une excellente question.

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