DébatDoc - Les écologistes ont-ils perdu leur boussole ?

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En 1974, voilà maintenant un demi-siècle, René Dumont fut le premier candidat écologiste à l'élection présidentielle. Comment cet ingénieur agronome, pourtant maître d'oeuvre du productivisme agricole français de l'après-guerre, s'est converti à l'écologie, en fustigeant un modèle de croissance menaçant l'humanité ? Quel héritage a légué René Dumont aux mouvements écologistes français ?
Pour en parler, Jean-Pierre Gratien reçoit la secrétaire nationale du parti Les Écologistes, Marine Tondelier, l'ancien ministre de l'Environnement Brice Lalonde et le politologue Erwan Lecoeur

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:18En 1974, voilà maintenant un demi-siècle,
00:00:21René Dumont fut le premier candidat écologiste
00:00:24à l'élection présidentielle.
00:00:26Il figure aujourd'hui en haut de l'affiche
00:00:29avec tout d'abord le documentaire qui va suivre,
00:00:32René Dumont, géant vert, réalisé par Anne-Charlotte Gourault,
00:00:36ou comment cet ingénieur agronome,
00:00:38pourtant maître d'oeuvre du productivisme agricole français
00:00:41de l'après-guerre, s'est converti à l'écologie
00:00:44en fustigeant un modèle de croissance menaçant l'humanité.
00:00:48Je vous laisse le découvrir et je vous retrouverai
00:00:50sur ce plateau en compagnie de la secrétaire nationale
00:00:54du parti Les Écologistes, Marine Tondelier,
00:00:56de l'ancien ministre Brice Lalonde
00:00:58et du politologue Erwann Le Coeur.
00:01:00Avec eux, nous nous interrogerons sur l'héritage légué
00:01:04par René Dumont au mouvement écologiste français.
00:01:07Bon doc.
00:01:38Bravo !
00:01:39Bébé, bravo !
00:01:41René Dumont, c'est un personnage.
00:01:44On pourrait presque dire le personnage
00:01:46de cette campagne présidentielle.
00:01:48Il débarque sur le quai de la gare en vélo, sac au dos,
00:01:51accueilli par tout un monde folklorique qui est chevelu.
00:01:54C'est toi, c'est toi, c'est toi, c'est toi, c'est toi, c'est toi !
00:01:59C'est la coqueluche de la présidentielle de 1974.
00:02:03A deux jours du premier tour,
00:02:05René Dumont clôture sa campagne sur ses terres natales.
00:02:08René Dumont est l'homme des problèmes graves.
00:02:11La vie folle des pays développés, la faim dans le tiers-monde,
00:02:15des problèmes qu'il évoque au meeting au théâtre Sébastopol,
00:02:18devant 2 500 à 3 000 personnes.
00:02:21Est-ce que vous allez croire que, dans un monde affamé,
00:02:25vous pourrez digérer tranquillement
00:02:27votre surconsommation de protéines ?
00:02:30Non.
00:02:31La période de croissance que vous avez connue
00:02:34est une période anormale dans l'histoire.
00:02:37On ne peut pas doubler chaque dix années la consommation d'énergie
00:02:41comme on l'a fait depuis 20 ans.
00:02:44Non.
00:02:45Alors, qui sont les fous ?
00:02:51En 1974, René Dumont, lui, est passé pour un fou.
00:02:57A 70 ans, ce professeur d'agronomie s'est lancé dans l'arène politique.
00:03:02Il annonce la fin de l'abondance et exige des Français la sobriété.
00:03:07L'expert agricole a fait le tour du monde.
00:03:10Il veut dire ce qu'il a vu.
00:03:12En prophète de malheur, René Dumont a surgi
00:03:15dans la campagne présidentielle en cassant tous les codes.
00:03:27Je viens d'entrer chez vous sans avoir pu frapper à la porte.
00:03:30Il est bon de me présenter, d'abord de vous dire
00:03:33un certain nombre de choses et de réfuter un certain nombre d'arguments
00:03:37qu'ils ont fait contre moi.
00:03:39Je ne suis pas un candidat doux rêveur.
00:03:41Ça intéressait et les gens se demandaient ce qu'il allait faire.
00:03:46C'est le guignol d'une élection
00:03:49d'une campagne électorale très sérieuse avec des gens costards.
00:03:52Nous, les écologistes, on nous accuse
00:03:56d'être des prophètes de malheur et d'annoncer l'apocalypse.
00:04:00Mais l'apocalypse, nous ne l'annonçons pas.
00:04:03Elle est là parmi nous.
00:04:06Elle se trouve dans les nuages de pollution qui nous dominent,
00:04:10dans les eaux d'égout que sont devenues nos rivières,
00:04:13nos estuaires et nos littoraux marins.
00:04:16Les gens de l'époque qui ont connu cette campagne
00:04:19se souviennent du verre d'eau de René Dumont et de son pull rouge.
00:04:21Vous savez ce qui va se passer ? Nous allons bientôt manquer de l'eau.
00:04:26Et c'est pourquoi je bois devant vous un verre d'eau précieuse,
00:04:30puisque avant la fin du siècle,
00:04:32si nous continuons un tel débordement, elle manquera.
00:04:36À lundi, je vous dis au revoir et j'espère vous revoir
00:04:40pour vous expliquer notre projet global d'avenir.
00:04:43Merci, mes amis.
00:04:48C'est le premier acte de communication moderne,
00:04:50ce verre d'eau qu'ils boivent en direct à la télévision,
00:04:53alors que les autres candidats sont coincés dans leur fauteuil
00:04:56et débitent un discours convenu.
00:04:57Dumont a certainement été un lanceur d'alerte,
00:05:00et sur de très nombreux sujets.
00:05:01La plupart de ces combats, il les a perdus.
00:05:03Pas lui, mais la société dans laquelle il est inscrit.
00:05:10René Dumont restera le premier candidat écologiste au monde
00:05:13à une élection présidentielle.
00:05:16Mais il n'a pas traversé le siècle sur ce combat.
00:05:19Pendant 50 ans,
00:05:20l'agronome a essayé de transformer les agricultures.
00:05:24Il voulait d'abord nourrir la planète.
00:05:26L'écologie n'a pas toujours été sa priorité.
00:05:46Le 2 août 1914, il entend le toxin sonner
00:05:49et il est avec son oncle sur une colline
00:05:52dominant le village de Rubécourt,
00:05:55d'où est originaire sa famille.
00:06:00Il travaille avec son oncle.
00:06:01Je crois qu'ils font les foins, les moissons,
00:06:04mais il entend distinctement le toxin.
00:06:06Le toxin, c'est les cloches, c'est la fête du village, etc.
00:06:10C'est son oncle qui le remet immédiatement
00:06:12dans le droit chemin et lui dit que c'est la guerre,
00:06:15et la guerre, c'est l'assassinat des paysans.
00:06:17Et cette phrase, René Dumont, il s'en souviendra toujours.
00:06:23René Dumont est né en 1904 à Cambrai.
00:06:26Son père, descendant d'une lignée de paysans des Ardennes,
00:06:29a installé sa famille dans la région au début du siècle.
00:06:33René Dumont vient d'une famille
00:06:35qui est plutôt marquée républicain de gauche,
00:06:38qui a connu une ascension sociale grâce à l'école,
00:06:41puisqu'il est petit-fils de paysan et que ses parents, par les études,
00:06:45vont accéder à la fonction publique, à l'enseignement.
00:06:49Sa mère est l'une des premières agrégées de mathématiques en France.
00:06:52Son père commence comme instituteur
00:06:54et ensuite devient professeur d'agriculteur
00:06:57dans le Nord de la France.
00:06:59Son père n'était donc pas agriculteur.
00:07:00Il sait quand même lui qu'il avait rédigé le premier Larousse agricole.
00:07:05Et René Dumont fréquentait la ferme des oncles,
00:07:09et donc de la famille.
00:07:10Tout gamin, il était près des bêtes,
00:07:14il élevait des lapins,
00:07:17il avait son environnement qui était marqué.
00:07:21Il adorait ça.
00:07:22Il m'a toujours dit qu'il adorait marcher
00:07:26avec des bœufs attachés pour rentrer le foin.
00:07:31Parce que comme ça, en marchant près des bœufs,
00:07:33ça l'aidait à philosophier.
00:07:39À l'été 1914, la guerre sonne la fin de l'enfance.
00:07:45René Dumont quitte la ferme de son oncle dans les Ardennes
00:07:48et revient dans le Nord auprès de sa famille.
00:07:56Il est aux premières loges de la bataille d'Arras.
00:07:59Le jeune Dumont apporte des pulls tricotés par sa mère
00:08:02sur la ligne de front.
00:08:08À 10 ans, en octobre 1914,
00:08:11en allant porter les chandails dans les tranchées bordant Arras,
00:08:15j'avais appris à ramper bien à plat,
00:08:17le ventre trempant dans la boue, les balles sifflant autour de moi.
00:08:26J'avais posé la question,
00:08:28qu'est-ce qui t'a marqué le plus dans ton itinéraire ?
00:08:31Et sans hésiter une seconde, il m'a dit,
00:08:34c'est les atrocités de la guerre de 1914.
00:08:38Le collège où enseigne sa mère,
00:08:41qui est à quelques kilomètres de la ligne de front,
00:08:45sert Bannex à l'hôpital.
00:08:47Et lui, il est logé au collège avec sa maman.
00:08:51Et il entend toute la nuit les souffrances, les cris,
00:08:54et il voit les jeunes qui meurent,
00:08:58et il les voit mourir, il les entend souffrir.
00:09:00Et cette douleur, cette souffrance le marquera à jamais.
00:09:08J'ai vu mourir à côté de moi,
00:09:10et à dix ans et demi, j'ai commencé à dire
00:09:12que la guerre était un massacre,
00:09:14et non pas le drapeau, la gloire, la patrie.
00:09:18Non, c'était d'abord un massacre.
00:09:20Il fallait donc s'opposer à toutes les guerres.
00:09:25Il grandit à l'ombre de cette guerre
00:09:28qui marque en plus beaucoup les départements du Nord
00:09:31dont il est originaire.
00:09:32Donc c'est une expérience matricielle pour lui,
00:09:34qui va imprimer toute sa vie durant
00:09:36un fort courant pacifiste.
00:09:504 ans après la Grande Guerre,
00:09:51René Dumont entraîne l'Institut national d'agronomie.
00:09:56Le jeune étudiant veut devenir agronome colonial.
00:10:00Pour obtenir le poste auprès du ministère des colonies,
00:10:03il ne peut échapper aux 18 mois de service militaire.
00:10:07Son pacifisme est mis à l'épreuve.
00:10:13Ca a été très, très mouvementé, son service militaire.
00:10:16Lui, il ne ménage pas l'armée.
00:10:18Il joue au con, quoi.
00:10:21Il veut pas le faire, ce service. Il ne supporte pas.
00:10:24Il a failli devenir fou.
00:10:25On lui en a fait baver un peu plus que la moyenne.
00:10:28C'était une rébellion permanente, quotidienne,
00:10:31qui lui bouffait la tête, parce que c'était obsessionnel chez lui,
00:10:34de s'opposer à l'institution armée.
00:10:37Il en est ressorti, d'ailleurs, avec une dépression.
00:10:40Il a été même à Saint-Anne, je crois,
00:10:43tellement dépressif qu'il en est ressorti après,
00:10:48plus ou moins guéri, et pour se guérir davantage,
00:10:51il s'est engagé pendant un an comme ouvrier agricole,
00:10:54dans sa famille, d'ailleurs, chez ses cousins, je crois, de l'époque.
00:10:59Une fois rétabli,
00:11:00René Dumont obtient son diplôme d'agronome colonial,
00:11:04promotion 1928.
00:11:05Il s'est donné pour mission
00:11:08de nourrir les populations de l'Empire français.
00:11:17En janvier de l'année suivante, à 24 ans,
00:11:19il embarque pour le Tonquin.
00:11:22Le 19 janvier 1929,
00:11:24nous embarquons à Marseille, à bord du Cap Saint-Jacques,
00:11:27un vieux pack-boat que les cargos modernes dépassaient aisément.
00:11:32Port Saïd, Djibouti, Colombo, Penang,
00:11:36Singapour, Saïgon, Tourannes,
00:11:3840 jours pour gagner Haïfong, le grand port du Tonquin.
00:11:44Moi, j'ai décidé de connaître le monde.
00:11:46En 1929, c'était fonctionnaire colonial,
00:11:49il n'y avait pas de charters,
00:11:51vous vous emmenez pour des prix réduits à Bangkok ou Pérou.
00:11:54Et j'étais agronome colonial,
00:11:56mais j'ai vu bien vite que je ne pouvais pas rester complice
00:12:00du fait colonial.
00:12:09Quand il débarque et qu'on va le chercher,
00:12:11celui qui conduit la carriole,
00:12:14a une espèce de baguette, de fouet,
00:12:18pour écarter les gens qui se pressent autour.
00:12:22Et ça, il ne supporte pas.
00:12:24S'il ne supporte pas, il se lève,
00:12:26il prend la baguette et il la casse, il l'envoie balader.
00:12:29Il y avait deux mondes.
00:12:30Il y avait le monde occidental, expatrié,
00:12:36et puis, il y avait les indigènes,
00:12:37tout ce qui allait avec la colonisation.
00:12:40Donc, ça, ça ne lui plaisait pas.
00:12:48Ça va être son premier poste en tant qu'ingénieur agronome,
00:12:51dans un moment particulier pour l'Empire colonial français,
00:12:55qui est celui de produire davantage,
00:12:57produire davantage au service de la métropole,
00:12:59et pour ce qui était du Tonquin,
00:13:01de produire davantage d'un point de vue agricole.
00:13:14À l'époque coloniale,
00:13:15il y avait une approche descendante, voire condescendante,
00:13:18envers les paysans, et lui, il s'inscrivait complètement en faux,
00:13:21en ayant beaucoup plus une posture d'écoute et de compréhension.
00:13:25Il voulait aller dans les rizières, dans les champs,
00:13:28à la rencontre des paysans.
00:13:33Il découvre le riz, cette céréale, miracle,
00:13:35pour nourrir les gens, pour nourrir les populations, toujours pareil.
00:13:39Et cette céréale le fascine,
00:13:42parce qu'elle permet de nourrir des gens.
00:13:46L'Asie s'est dansément peuplée,
00:13:49elle l'est parce qu'ils ont inventé très tôt la rizière.
00:13:52C'est parce que la rizière, c'était quelque chose de très performant.
00:13:55Il y avait cette reconnaissance qu'en dehors de la France,
00:13:58il y avait des paysanneries au travail
00:14:00qui avaient inventé des choses extraordinaires.
00:14:05Dans les rizières, René Dumont observe les savoirs locaux,
00:14:09mais il est saisi par la misère paysanne.
00:14:12L'exploitation des ressources et les progrès techniques
00:14:14bénéficient surtout à la métropole.
00:14:17Alors que les paysans ont faim, le riz s'exporte.
00:14:22La colonisation est foncièrement injuste,
00:14:24parce qu'elle se fait au profit de la seule métropole,
00:14:27parce qu'elle se fait par le mépris des populations locales.
00:14:31Et donc là, ça a vraiment renforcé chez lui
00:14:33un sentiment anticolonial très vif.
00:14:38C'est surprenant que des gens qui produisent du riz
00:14:40manquent de riz pour manger.
00:14:41On sait bien qu'il y avait des prélèvements,
00:14:43il y avait des impôts et ce genre de choses.
00:14:44Il raconte ça très bien, que le produit du travail de ces gens-là
00:14:48échappe à ces gens qui travaillent.
00:14:55En 1931, une révolte paysanne de grande envergure
00:14:59se développe au nord à Nam.
00:15:01L'adjudant aviateur de l'époque me dit son dégoût
00:15:04d'avoir mitraillé par avion leur pacifique cortège.
00:15:08Une famine s'ensuivit et quelques milliers de paysans,
00:15:12on a dit 6 000, surtout femmes et enfants, moururent de faim.
00:15:16Mais le pouvoir colonial voulait faire un exemple,
00:15:19punir la révolte.
00:15:21Pour s'opposer à la violence des troupes coloniales,
00:15:24René Dumont démissionne.
00:15:25Il a déjà dans sa chair l'expérience de la guerre
00:15:28et le pacifisme chevillé au corps.
00:15:40A son retour en France,
00:15:42il écrit un livre référence sur la culture du riz.
00:15:44À contre-courant du modèle colonial,
00:15:47il réhabilite les techniques traditionnelles
00:15:49des paysans du Tonquin.
00:15:50Devenu chef de travaux à l'Ecole nationale d'agronomie,
00:15:54il parcourt la France pour analyser son agriculture.
00:16:00Alors que la crise économique des années 30
00:16:03rallume la flamme des nationalismes,
00:16:05il profite du terrain pour animer des réunions pacifistes.
00:16:20Lorsque la guerre éclate à nouveau,
00:16:22René Dumont et les militants pour la paix s'en prient de coups.
00:16:27Au moment, justement, 1939,
00:16:29lorsque se pose la question de que faire face à Hitler,
00:16:33pour René Dumont, il s'agit de maintenir la paix à tout prix.
00:16:37Il n'a pas été résistant, il le dit très clairement lui-même.
00:16:41Certains lui ont même déjà reproché,
00:16:43il publiait quelques revues de techniques
00:16:45qui ont été utilisées pour faire face à Hitler.
00:16:47Il publiait quelques revues de techniques agricoles,
00:16:50c'était l'époque pétain.
00:16:51Certains lui disent qu'il a rédigé dans des revues pétinistes.
00:16:55Il faut être honnête, c'était des revues de techniques agricoles.
00:16:58Moi, j'ai jamais rien trouvé qui était un peu suspect
00:17:01d'une référence ou d'une déférence
00:17:05à l'égard des institutions du régime du Vichy.
00:17:08Il participe à une réflexion sur l'amélioration de la qualité,
00:17:11encore une fois, de la production agricole
00:17:14dans les territoires français.
00:17:16L'agronome se reprochera son attitude,
00:17:19mais selon lui, la guerre est d'abord gaspilleuse de ressources.
00:17:23Dans la France dévastée de 1945,
00:17:26la reconstruction de l'agriculture va se faire grâce au plan de Dumont.
00:17:46Le commissaire au plan de l'époque, Monet,
00:17:49lui donne la responsabilité de la relance économique
00:17:52du secteur agricole, parce qu'on sort de la guerre
00:17:55et on est pas en situation de famine,
00:17:57mais en situation de déficit alimentaire.
00:18:00Ce qui l'amène à aller aux Etats-Unis,
00:18:02qui est un itinéraire assez classique dans ce milieu,
00:18:05pour observer ces procédures de modernisation
00:18:07qui ont déjà eu lieu dans les années 30
00:18:10dans un certain nombre d'États américains,
00:18:12pour voir comment on peut les reproduire, les adapter,
00:18:16en France métropolitaine.
00:18:17Il y avait des tracteurs qui traçaient des sillons,
00:18:21qui labouraient la terre sur des kilomètres en ligne droite.
00:18:25Ils voulaient voir ça, parce que c'était l'intensification de l'agriculture.
00:18:32Je suis allé aux Etats-Unis, où 16 % de la population active dans l'agriculture
00:18:36suffisent non seulement à nourrir très largement la population rurale et urbaine,
00:18:41mais à un volume d'exportation
00:18:43dont nous avons apprécié récemment l'importance.
00:18:47Il était admiratif de cet énorme progrès.
00:18:51On peut produire plus avec la motorisation, la mécanisation,
00:18:54et aussi, déjà, les débuts de la chimisation,
00:18:57donc les engrais de synthèse, par exemple.
00:18:59Quand il est revenu en Europe,
00:19:01il a, Urbi et Torbi,
00:19:05fait la propagande pour mettre la France et l'Europe
00:19:09en culture intensive avec les tracteurs et tout.
00:19:14Il faut un tracteur de 40 chevaux à chenille.
00:19:17A l'époque, le ministère de l'Agriculture multiplie les films pédagogiques
00:19:21pour promouvoir ces recettes de modernisation.
00:19:25Engrais de synthèse, mécanisation et réforme des terres agricoles
00:19:29vont nourrir et transformer la France.
00:19:33La condition préalable à toute utilisation de la machine en agriculture
00:19:36est donc, pour la majorité des exploitations françaises,
00:19:39le rassemblement des parcelles et l'aménagement du réseau des chemins,
00:19:43en un mot, le remembrement.
00:19:46C'était quand même l'agrandissement des fermes,
00:19:48c'était quand même aussi retirer les haies,
00:19:51c'était quand même motoriser et remplacer des gens par des machines.
00:19:55Et comme c'est des machines qui bossent,
00:19:58c'est moins coûté en travail et donc on produit pour moins cher.
00:20:01Il était le pionnier de cette révolution agricole européenne.
00:20:06Et française.
00:20:08Et il y est allé sans retenue.
00:20:12Dès cette époque-là, le René Dumont était un René Dumont
00:20:14qu'on peut qualifier de productiviste.
00:20:16Quant au motoculteur, représenté par cet engin de 9 chevaux,
00:20:19consommant 1 litre un quart à l'heure...
00:20:21Le mot écologie, il ne le connaît pas, à cette époque-là.
00:20:23C'est pas son problème.
00:20:25C'est pas son problème, il faut produire, produire, produire,
00:20:28pour nourrir les gens.
00:20:32Son programme de modernisation
00:20:34pour lequel Jean Monnel avait sollicité fonctionne.
00:20:37La production agricole française y multipliée par 3.
00:20:42Récompensé, le professeur devient responsable
00:20:44de la chaire d'agriculture comparée.
00:20:47L'agronome de la fin, comme il se fait appeler,
00:20:49regarde désormais ailleurs.
00:20:53Les décolonisations s'amorcent
00:20:54et des pays en voie de développement le réclament.
00:20:58La situation s'aggrava dans les pays du Tiers-Monde.
00:21:00C'est à partir de 1956 que je lâche l'agriculture française
00:21:04et à partir de ce moment-là,
00:21:05c'est suffisamment plusieurs voyages en Amérique latine,
00:21:09plusieurs voyages en Afrique noire, à Madagascar.
00:21:13Il est sollicité en tant qu'expert.
00:21:15Il a justement une réputation
00:21:17de quelqu'un qui connaît les problématiques paysannes,
00:21:22qui est disponible pour cela aussi,
00:21:24sans compter qu'il a une vraie position institutionnelle forte
00:21:28et prestigieuse à l'Institut national d'agronomie de Paris.
00:21:31Dans les années 60,
00:21:32je pense que les jeunes Etats indépendants
00:21:35ont à coeur de nourrir leur population.
00:21:38C'est pourquoi beaucoup font appel à René Dumont,
00:21:40un agronome mondialement connu,
00:21:43en lui demandant d'apporter des conseils, une expertise.
00:21:46Ils sont souvent surpris,
00:21:47car c'est un expert qui va d'abord être à l'écoute des paysans
00:21:51et qui n'a pas des recettes toutes prêtes.
00:21:57Cela nous mène en 1971,
00:22:00qui a été vraiment l'année africaine.
00:22:02Cette voyage en Afrique,
00:22:03une situation vraiment de mauvais démarrage
00:22:07des jeunes Etats indépendants,
00:22:09et ceci m'incite à sortir un peu du domaine du technicien
00:22:13et même de l'économiste pour écrire
00:22:15L'Afrique noire est mal partie.
00:22:23René Dumont, c'est un agronome français
00:22:27qui a posé des questions aux Africains et à l'Afrique
00:22:33concernant les choix qu'il faut porter
00:22:36pour le développement de l'agriculture en général.
00:22:41Lui, il demandait qu'on tienne compte
00:22:46de l'agriculture traditionnelle familiale,
00:22:49qui est la base de l'alimentation chez nous,
00:22:52pour faire des stratégies de politique agricole, etc.
00:22:55Ce qui est le bon sens.
00:22:57René Dumont a très bien vu
00:22:58que l'accent aurait dû être mis sur les cultures vivrières.
00:23:02Parce que le fait d'exporter les cultures de rente,
00:23:06ça ne constituait pas des réserves alimentaires.
00:23:08Lorsque l'Etat faisait des bénéfices colossaux,
00:23:11ça n'était absolument pas répercuté sur le paysanat.
00:23:14Donc, ceux-ci se trouvaient privés
00:23:17d'une partie des bénéfices qu'ils auraient dû faire.
00:23:19Et donc, étant privés de cet argent,
00:23:21ils ne pouvaient pas acheter des engrais,
00:23:23mécaniser un peu leur culture,
00:23:24améliorer la qualité de leur vie.
00:23:27Et lui, ça le révulsait,
00:23:28parce que c'était visiblement injuste et immoral.
00:23:33Ce qu'il critique, c'est la reproduction du modèle colonial
00:23:35et le fait que les élites
00:23:37ne s'éloignent pas suffisamment de ce modèle-là.
00:23:40Les bourgeoisies africaines s'étaient emparées du pouvoir,
00:23:44enfin, les bourgeoisies et les bureaucraties,
00:23:46et buvaient beaucoup d'alcool,
00:23:49s'étaient payées des belles voitures,
00:23:50s'étaient commencées à construire des maisons,
00:23:53faisaient des voyages.
00:23:54Et donc, il était très déçu et très critique.
00:23:58Lui, René Dumont dit,
00:23:59d'accord, il y a l'indépendance,
00:24:00mais malgré cette indépendance politique,
00:24:04d'un point de vue économique, d'un point de vue modèle de développement,
00:24:06l'Afrique noire est mal partie.
00:24:08Évidemment, j'ai dit que l'Afrique était mal partie,
00:24:10parce que j'estime qu'elle est dans une ornière,
00:24:12qu'il faut lui dire, tout le monde n'ose pas lui dire,
00:24:14je suis bien placé pour cela.
00:24:15Mes amis africains comprennent
00:24:17que c'est dans leur intérêt que j'ai fait ce livre,
00:24:19mais il y a tous les éléments en Afrique
00:24:20pour sortir de l'ornière.
00:24:22Nous, nous avons été colonisés.
00:24:25Et ce sont peuples qui nous ont colonisés.
00:24:27Le fait que lui,
00:24:30il reprenne tout ça pour dire qu'il y a un problème,
00:24:34c'est réconfortant.
00:24:36Parce qu'il pouvait écrire ses livres et rester tranquille chez lui,
00:24:39mais il s'est levé pour aller faire le tour du monde.
00:24:42Ça, c'est quand même aussi quelque chose d'important.
00:24:48L'expert agricole est un voyageur infatigable.
00:24:53Inde, Chine, Brésil, Algérie, Congo.
00:24:59René Dumont parcourt chaque année plusieurs pays.
00:25:02Il y conseille parfois directement leurs dirigeants.
00:25:10A Paris, ses cours d'agriculture comparés font sale comble.
00:25:14Je l'ai eu comme professeur.
00:25:16Ce professeur, il était souvent absent.
00:25:18C'est-à-dire, les amphithéâtres étaient pleins,
00:25:21donc il était admiré.
00:25:22C'était le monsieur qui parlait des agricultures concrètes,
00:25:25mais il en parlait de concrètement,
00:25:26puisqu'il revenait à chaque fois d'un voyage
00:25:28et il nous racontait son voyage qu'il avait vu.
00:25:30Il débarque comme ça, il s'assoit sur l'estrade.
00:25:34Souvent, il amenait une banane ou une orange.
00:25:37Je ne sais pas très bien pourquoi.
00:25:39Il est toujours là.
00:25:40Souvent, il amenait une banane ou une orange.
00:25:43Je ne sais pas très bien pourquoi.
00:25:44Je crois que c'était pour montrer que c'était un personnage proche de nous.
00:25:48Que ce n'était pas le prof avec sa cravate, etc.
00:25:51Mais René Dumont, non, c'était concret.
00:25:53Il y a des gens qui vivent, qui bossent, qui souffrent,
00:25:56qui mangent à leur faim, qui ne mangent pas à leur faim.
00:25:59Il nous demandait, nous aussi, de participer à son combat très tôt.
00:26:03Il fallait qu'on prenne part à cette grande croisade
00:26:06qu'il avait entreprise contre l'injustice du monde.
00:26:10A partir de la question agricole,
00:26:12Dumont interroge les modèles politiques.
00:26:15Intransigeant sur l'émancipation des peuples,
00:26:18il critique l'accaparement des richesses
00:26:20par les pays capitalistes occidentaux,
00:26:22qui compromet pour lui l'avenir du Tiers-Monde.
00:26:28En 1959, la révolution cubaine a pourtant fait naître en lui un espoir.
00:26:34Il propose ses services à Fidel Castro
00:26:36et réalise quatre missions sur l'île.
00:26:39Il est très enthousiaste sur ce qu'a fait Fidel Castro
00:26:42sur l'émancipation du travail du paysan,
00:26:45sur la reconnaissance de l'identité du paysan.
00:26:47Il ne faut jamais oublier qu'à Cuba, à l'époque,
00:26:50ce n'est pas la figure de l'ouvrier
00:26:51qui est centrale dans la mythologie de l'émancipation de Cuba,
00:26:55c'est la vécure du paysan.
00:26:56L'espoir, c'est une réforme agraire.
00:26:59Il découvre que ce n'est pas tant une réforme agraire,
00:27:02mais plutôt une collectivisation.
00:27:04On expropriait au grand propriétaire,
00:27:06qui faisait de l'élevage, qui produisait peu,
00:27:08qui ne créait pas d'emplois,
00:27:10on l'expropriait, mais non pas pour redistribuer aux paysans,
00:27:13mais pour en faire des fermes du peuple, on disait à l'époque.
00:27:16Donc, oui, à la fin, il a été obligé de dire,
00:27:18« Cuba est-il socialiste ? » Pour lui, la réponse était non.
00:27:22Très vite, l'agronome prend ses distances avec le régime cubain,
00:27:26alors que les intellectuels français louent la révolution castriste.
00:27:31C'est Jean Bolsart arrivant chez Fidel Castro en janvier 1960
00:27:34et disant, « Tout ce que vous faites dans le domaine économique
00:27:37est donc la quasi-perfection. »
00:27:39Quelques mois après lui,
00:27:41je commence à montrer toutes les erreurs des coopératives agricoles
00:27:44de Cuba débutant.
00:27:46On me mène jusqu'à Fidel Castro, qui me dit,
00:27:48« Je ne comprends pas.
00:27:50Jean Bolsart nous a dit que tout ce que nous faisions était parfait.
00:27:53Et toi, tu dis que ça ne va pas. Alors, qu'est-ce qui se passe ? »
00:27:55Je dis, « Ce qui se passe, c'est que Jean Bolsart est, en France,
00:27:58un écrivain renommé.
00:28:00Mais en tant qu'économiste, on ne le connaît pas beaucoup.
00:28:03En tout cas, en tant qu'économiste, nous ne le connaissons pas.
00:28:06Alors, nous n'avons pas les mêmes raisons de juger un même phénomène.
00:28:14Edes chante très vite parce qu'il s'aperçoit que,
00:28:17bon, ben voilà,
00:28:19à Cuba, socialiste comme ailleurs,
00:28:23les grands oubliés, c'est les paysans.
00:28:25Il a une entrevue très orageuse, toute une nuit, ça dure.
00:28:28Toute une nuit, où il s'engueule à n'en plus finir.
00:28:31Il se hurle dessus. Il se hurle dessus.
00:28:34J'ai eu un témoin qui était dans le couloir à la porte.
00:28:38Il s'insulte et, en gros,
00:28:41Castro dit à Dumont, « Tu ne comprends rien.
00:28:43Au contraire, que nous avons ta-ta-ti-ta-ta-ta, il y a l'ordre du monde. »
00:28:46Et Dumont lui dit, « Va te faire voir. Écoute tes paysans. »
00:28:52Il reprenda son autobus pour aller à l'aéroport,
00:28:55sans fanfare ni détachement armé pour le saluer.
00:29:00Comme c'était toujours le cas quand il arrivait.
00:29:05À cette époque-là, dénoncer Cuba,
00:29:08dénoncer les indépendances,
00:29:11la manière dont se passent les indépendances,
00:29:13les régimes du Tiers-Monde,
00:29:16ce n'est pas très bien vu
00:29:17dans la catégorie de gauche de la population.
00:29:22René Dumont fait le lien
00:29:24entre la dépossession de l'activité agricole pour le petit paysan,
00:29:30de l'insertion dans un réseau de spéculation financière,
00:29:34d'une exploitation par des régimes colonialistes,
00:29:38d'une dépossession de la liberté individuelle
00:29:41par l'oppression d'un ordre politique,
00:29:44qu'il soit capitaliste ou soviétique, etc.
00:29:47Et donc, René Dumont, finalement,
00:29:48montre sa singularité en disant
00:29:50qu'à partir de la question agricole,
00:29:52il y a un certain nombre de dysfonctionnements
00:29:55dans l'organisation politique nationale et internationale.
00:29:58L'agrodome critique autant le bloc capitaliste
00:30:01que le bloc communiste et ses dérives totalitaires.
00:30:05Sa boussole, c'est le Tiers-Monde,
00:30:07et là-bas, les famines guettent.
00:30:10Il était productiviste, tiermondiste,
00:30:12et il nous disait qu'il fallait produire plus à l'économie,
00:30:15qu'il fallait produire plus à l'économie,
00:30:17il nous disait qu'il fallait produire plus à l'hectare
00:30:20pour que les gens puissent en sortir.
00:30:22Très clairement, ces années-là, il nous mettait en garde,
00:30:24on commençait à entrevoir dans les pays qualifiés du Tiers-Monde,
00:30:28un accroissement démographique exponentiel.
00:30:30Depuis les années 50, la population mondiale
00:30:33connaît une croissance extrêmement forte,
00:30:35que ce soit dans les pays développés,
00:30:37on est à l'époque du baby-boom,
00:30:38mais également dans ce qu'on appelle le Tiers-Monde
00:30:41ou les pays en voie de développement,
00:30:43ce qui induit chez lui une véritable hantise
00:30:46de la fin dans le monde,
00:30:47et de la fin dans le monde, non pas à horizon 2030 ou 2050,
00:30:51mais maintenant,
00:30:53en tout cas à la fin des années 60, au début des années 70.
00:30:57Il avait prédit la famine aux Indes pour 1966.
00:31:00Il a eu malheureusement raison, et une fois lui suffit.
00:31:04Nous, les agronomes, nous jetons l'éponge,
00:31:07nous sommes battus par la croissance démographique.
00:31:09Nous pouvons faire un petit peu mieux, mais pas beaucoup mieux.
00:31:13Il est vraiment malthusien au sens premier du terme,
00:31:15au sens de comment on va pouvoir mettre en adéquation
00:31:19une quantité de nourriture avec une quantité de population.
00:31:24Si on veut éviter la famine, il faut que l'accroissement démographique
00:31:27ne soit pas supérieur à l'accroissement de production.
00:31:30Il n'y a pas 36 solutions, planning familial.
00:31:33La première grande proposition qu'il a faite,
00:31:35c'est la réduction de la démographie,
00:31:37c'est-à-dire l'accès à des moyens de contraception pour toutes les femmes,
00:31:41parce qu'il a très bien vu que cette bombe démographique
00:31:43menace l'avenir de la planète.
00:31:45Puisque nous étions 3 milliards, je crois, en 1960,
00:31:51ensuite 4 milliards en 1973,
00:31:54et maintenant nous sommes 9 milliards.
00:31:56Donc il a très bien vu que c'est la principale menace
00:31:59de l'avenir de l'humanité, c'est l'explosion démographique.
00:32:02Si l'homme ne réussit pas à rétablir artificiellement
00:32:06un équilibre biologique qu'il a détruit artificiellement,
00:32:09par la médecine notamment, en éliminant ses ennemis,
00:32:12il va à la catastrophe.
00:32:13Notre monde est un monde limité, un monde fini.
00:32:19Face à l'explosion démographique,
00:32:21René Dumont commence à réaliser les dysfonctionnements
00:32:23du modèle productiviste.
00:32:26L'extension des surfaces cultivées accélère la déforestation,
00:32:30mécanisation et engrais de synthèse ne suffisent plus.
00:32:36Dans ses rapports de terrain,
00:32:37René Dumont s'inquiète très tôt des premiers signes d'épuisement des sols.
00:32:44Il fait tous les pays du monde, Dumont, quand on fait le compte.
00:32:48Il est allé partout et il constate partout,
00:32:51il voit cette dégradation et il anticipe.
00:32:54C'est ce qu'il appelle son pifomètre.
00:32:56Il n'a pas de théorie, il a un pifomètre.
00:32:58Et il sent que cette dégradation des conditions naturelles,
00:33:02l'eau, les forêts, le climat,
00:33:05il sent que c'est une vague qui va tout submerger.
00:33:09Peut-être qu'il a fait des calculs, etc.,
00:33:11mais l'essentiel, il a dit, attendez,
00:33:14cette terre nous produit pour nous,
00:33:16mais elle a besoin aussi qu'on s'en occupe, qu'on la soigne, etc.
00:33:20Et ne pas prendre cela en compte et en faire une stratégie
00:33:24dans l'agriculture, c'est aller dans les murs.
00:33:26On va épuiser les conditions de vie des populations locales.
00:33:29Et c'est au nom de cet effet contre-productif
00:33:33de l'exploitation de la nature
00:33:34qu'il en vient à s'interroger sur les conséquences
00:33:37d'un modèle productiviste agricole
00:33:39sur les autres espèces vivantes.
00:33:46À Washington, un événement va définitivement
00:33:49faire basculer René Dumont vers l'écologie politique.
00:33:53Après des décennies de croissance, d'énergie fossile à bas prix,
00:33:57de triomphe de la société de consommation,
00:34:00des scientifiques américains questionnent la révolution des 30 Glorieuses.
00:34:05En 1972, des chercheurs du MIT publient le rapport Meadows.
00:34:10L'étude a été financée par le Club de Rome,
00:34:13une association d'experts et d'industriels.
00:34:16Les auteurs du rapport sont alarmistes
00:34:18sur le modèle de croissance des pays développés
00:34:21et l'avenir de la planète.
00:34:22Le rapport du Club de Rome,
00:34:24les limites de la croissance,
00:34:26suivant l'expression qu'on veut bien conserver,
00:34:30veut dire que le Club de Rome
00:34:31va le marquer,
00:34:33parce qu'il y a la force de la démonstration mathématique,
00:34:37par des modèles informatiques,
00:34:39qui établit des scénarios jusqu'en 2050
00:34:43qui ont une force de conviction qui est indéniable.
00:34:47Si nous continuons un système d'accumulation
00:34:51et d'exploitation des ressources
00:34:53pour produire une abondance fictive,
00:34:57l'accumulation des biens de consommation,
00:34:59nous allons épuiser les ressources de la planète.
00:35:03Je pense que René Dumont a été un peu admiratif
00:35:06de gens qui avaient su théoriser ce que lui disait,
00:35:09mais sans le mettre comme un discours construit.
00:35:14Je n'avais pas vu la menace d'ensemble
00:35:16qui pesait sur notre civilisation.
00:35:19J'avais bien vu la menace sur l'agriculture,
00:35:21j'avais bien vu la famine dans le Tiers-Monde,
00:35:23puisqu'en 1966, j'écrivais
00:35:25« Nous allons à la famine. »
00:35:26Mais je n'avais pas vu que la menace était aussi effroyable
00:35:29qu'elle menaçait la disparition
00:35:31de nos ressources principales d'énergie,
00:35:33qu'elle menaçait nos climats, nos rivières, notre air pur.
00:35:36Finalement, qu'elle menaçait la planète qui risque de disparaître.
00:35:39On nous dit, le Club de Rome, au cours du siècle prochain,
00:35:42« L'humanité, pas la planète, qui risque de disparaître. »
00:35:47Le problème, c'est que le rapport Midos l'explique très bien,
00:35:50c'est qu'à partir du moment où vous avez mis en place un système
00:35:53où vous promettez l'abondance aux individus,
00:35:57grâce au système productif,
00:35:59les individus s'habituent à la réalité
00:36:03de ce système de production et de biens de consommation.
00:36:06Et donc, le rapport Midos dit « Attention, ce système-là,
00:36:09il est basé sur un système qui n'est pas durable. »
00:36:12A ceci près que le rapport Midos, il ne faut jamais oublier
00:36:15que c'est une commande du Club de Rome,
00:36:16et le Club de Rome, ce n'est pas des philanthropes.
00:36:19Le Club de Rome est financé par des grands industriels,
00:36:23notamment des grands industriels italiens,
00:36:25ce qui en fait un objet extrêmement intéressant pour l'époque,
00:36:28et en rupture, mais cette rupture n'est pas totale,
00:36:31puisque l'horizon qui est envisagé reste un horizon
00:36:35dans lequel le capitalisme n'est pas critiqué, finalement,
00:36:37alors que pour René Dumont, il doit être critiqué.
00:36:43Un an après le rapport Midos,
00:36:45René Dumont publie « L'utopie ou la mort ».
00:36:48Selon lui, il faut désormais changer de civilisation.
00:36:52Réduire notre consommation, taxer les familles nombreuses,
00:36:56annuler la dette du tiers-monde,
00:36:58protéger d'abord les sols et les climats.
00:37:02Il renonce à tout ce à quoi il croyait auparavant.
00:37:05Il a 70 ans.
00:37:07Il a 70 ans.
00:37:08À 70 ans, il dit « Je me suis trompé ».
00:37:11« Ça ne va pas durer comme ça parce que nous sommes en train de détruire
00:37:13l'environnement à tel point que dans 10 ou 15 ans,
00:37:15on aura atteint le point de non-retour.
00:37:16La solution, c'est qu'il faut d'abord arrêter
00:37:18la croissance de la population et d'abord dans les pays riches
00:37:21parce que c'est ceux qui gaspillent le plus
00:37:23et puis arrêter certaines formes de production industrielle
00:37:26qui sont absurdes.
00:37:27Il critique le système capitaliste et parle beaucoup de gaspillage.
00:37:31Il dit que les pays occidentaux vivent au-dessus de leurs moyens
00:37:34et qu'il faut un partage des ressources
00:37:36non seulement entre riches et pauvres au sein des pays,
00:37:39mais entre pays riches et pays pauvres.
00:37:40C'est là où il a ses précurseurs.
00:37:42Évidemment, il est à contre-courant
00:37:45de la classe politique et des intellectuels.
00:37:47C'est vraiment important.
00:37:49Tous les intellectuels qui ont pignon sur rue à l'époque,
00:37:52les Sarthes et compagnie, rien sur la question de l'écologie.
00:37:58À l'époque, la France du président Pompidou inaugure le Concorde,
00:38:02mise sur l'industrie automobile, les autoroutes et le nucléaire.
00:38:06Dans ce décor, Dumont, l'agronome pionnier de l'écologie politique,
00:38:10n'est pourtant pas complètement isolé.
00:38:11Gardez les lits d'un sac ! Gardez les lits d'un sac !
00:38:16Gardez les lits d'un sac !
00:38:18Au début des années 70,
00:38:19deux petits groupes militants fleurissent en France.
00:38:27Dans leurs publications, ils défendent la protection de la nature,
00:38:30s'opposent à la construction de centrales nucléaires
00:38:33ou de terrains militaires, comme au Larzac.
00:38:36Ils s'inquiètent aussi de la pollution atmosphérique
00:38:38relevée par les scientifiques.
00:38:40L'utopie ou la mort leur apparaît comme un livre-programme.
00:38:45A l'époque, en 1974, il n'existait pas de Parti écologiste.
00:38:50Donc, le mouvement écologiste, c'était une poussière d'association
00:38:54dans laquelle il y en avait deux ou trois qui étaient plus fortes que les autres.
00:38:58J'étais, moi, aux Amis de la Terre,
00:39:00les Amis de la Terre qui étaient un mouvement international, déjà à l'époque.
00:39:04Et lorsque Pompidou est mort, notre première réaction a été de se dire
00:39:09qu'il faut absolument qu'on présente un candidat.
00:39:10Il faut absolument que le monde entier connaisse le mot écologie.
00:39:13Est-ce que ça représente ?
00:39:15Il ne faut pas oublier qu'on est dans la France de l'ORTF.
00:39:18Donc, l'accès, notamment à la télévision,
00:39:20est quasiment impossible pour ces associations.
00:39:23D'où l'idée de tirer parti de la campagne télévisée officielle
00:39:28qu'il y aurait si, justement, ils présentaient un candidat
00:39:31ou une candidate, d'ailleurs, à l'élection présidentielle.
00:39:34Parmi les grandes voix possibles
00:39:36pour représenter le mouvement écologiste, il n'y en avait pas tant que ça.
00:39:40Alors, on aurait pu prendre Cousteau, Mtazieff...
00:39:44Dumont me paraissait parfait parce qu'il avait écrit cet ouvrage,
00:39:48qui représentait, en quelque sorte, réellement le choix.
00:39:52Le choix, ou bien on va vers une société un peu différente,
00:39:56on fait attention à la nature, ou bien la nature va disparaître, et nous avec.
00:40:00C'était quand même aussi dramatique que ça, le choix.
00:40:03Et d'ailleurs, le choix, aujourd'hui, est toujours le même, en quelque sorte.
00:40:06René Dumont n'est pas en France à la mort de Pompidou.
00:40:09Il rentre quelques jours plus tard,
00:40:11et donc un certain nombre de militants vont le trouver à l'aéroport.
00:40:15À l'époque, il n'y avait pas les passerelles,
00:40:17et on pouvait descendre sur le tarmac.
00:40:19Et donc, arrive René Dumont avec une magnifique djellaba rouge,
00:40:23superbe, en haut de l'escalier.
00:40:25Et on attend, dès qu'il arrive en bas, on lui dit
00:40:27« Monsieur le professeur, nous sommes des associations d'environnement,
00:40:31d'écologie, est-ce que vous voudriez être notre candidat ? »
00:40:34Alors, il était un peu surpris.
00:40:36On était arrivés avec une vieille deux-chevaux.
00:40:38On l'a ramenée en voiture chez lui, il nous a dit
00:40:40« Bon, laissez-moi réfléchir 24 heures et revenez demain. »
00:40:43Le lendemain, nous sommes allés le voir, il a dit oui.
00:40:49René Dumont offre ses trois semaines de vacances aux écologistes.
00:40:52Le professeur veut bien être leur porte-parole,
00:40:55à condition de parler du tiers-monde.
00:40:58La campagne s'improvise à la hâte sur une péniche des quai de Seine.
00:41:02Quand vous étiez un intellectuel très reconnu dans les milieux internationaux,
00:41:06notamment sur la question du tiers-mondisme,
00:41:09il fallait être sacrément courageux de prendre le risque
00:41:12de porter tout ça sur un projet qui était balbutiant.
00:41:16Ça partait dans tous les sens.
00:41:17C'était pas un programme construit comme ça,
00:41:20mais son premier ennemi, c'était la bagnole.
00:41:23C'était l'objet typique de la dérive de notre monde.
00:41:28La bagnole, c'est la régression de l'intérêt collectif.
00:41:31C'est l'étalement de la richesse individuelle.
00:41:35En plus, c'est une imposition aussi d'un modèle de développement
00:41:38dans les pays du Sud.
00:41:39Ayez aussi votre propre voiture, vous serez un individu autonome et libre.
00:41:48René Dumont fait sa campagne à vélo, veut augmenter le prix de l'essence,
00:41:53promouvoir l'énergie solaire, le recyclage,
00:41:55stopper le gigantisme industriel et la construction de centrales nucléaires.
00:42:00Le décalage est total avec les programmes des autres candidats.
00:42:05La gauche est unie autour du programme commun de gouvernement.
00:42:08François Mitterrand sera le représentant de ce programme commun.
00:42:12Et à droite, on va avoir une concurrence
00:42:16entre une droite gaulliste et une droite non gaulliste.
00:42:20Il y a une offre politique relativement diversifiée,
00:42:23mais dont le point commun est d'adhérer à un modèle de développement
00:42:26reposant sur l'industrie et la croissance économique, malgré tout.
00:42:32À partir de dorénavant, les pays sous-développés sont des pays majeurs.
00:42:36Le professeur a tourné la page des 30 Glorieuses
00:42:39et annonce la fin du monde,
00:42:41à contre-courant dans les propositions comme dans le style.
00:42:45Déjà depuis plusieurs mois, il porte son pull rouge en public.
00:42:49Un technicien de l'ORTF,
00:42:50lui a promis de marquer les esprits, ainsi habillé.
00:42:53...
00:42:56En tout cas, ça a fonctionné sur le plan journalistique,
00:42:59sur le plan de l'attention qu'il a tirée.
00:43:02Il imprime. Il imprime quelque chose,
00:43:05pas seulement parce qu'il a le fameux geste de je bois un verre d'eau,
00:43:09c'est peut-être la dernière fois que je pourrais le faire,
00:43:12mais parce qu'il a la science intuitive,
00:43:15il a le savoir-faire de la communauté.
00:43:18C'était tellement facile. Tout le monde le voulait.
00:43:21Je me souviens du meeting, c'était bourré à craquer.
00:43:24Lui, il arrivait pile à l'heure, boom, boom, et hop.
00:43:27C'était vraiment assez frappant.
00:43:29Nous avons décidé, devant l'extrême gravité de la situation,
00:43:32de ne plus nous contenter de bonnes promesses
00:43:35qui n'étaient jamais tenues.
00:43:37Il sait communiquer ses indignations, ses observations,
00:43:41au reste des gens.
00:43:43Et ça, ça touche, ça touche les gens.
00:43:46Il y a un petit côté cabotin, quand même, chez lui.
00:43:49Il joue à René Dumont, quand même, à un moment donné.
00:43:52Il faut créer ça, ça se crée.
00:43:54En politique, il y a beaucoup de banquets.
00:43:56On déjeune, on digne, on est très contents de faire ça.
00:43:59Et lui, quand le hors-d'oeuvre était terminé,
00:44:02il disait, stop, tout le reste, il volait au tiers-monde.
00:44:05Donc ça jetait un peu un froid.
00:44:07Et même pendant la campagne,
00:44:10il ne se privait pas de dire à Nantes et à Bordeaux
00:44:14que les gens qui venaient l'écouter
00:44:16étaient les descendants des négriers.
00:44:18C'était pas très électoraliste
00:44:20pour chercher les suffrages de ces électeurs.
00:44:23A 20 heures précises, nous pourrons vous donner,
00:44:26grâce à la même opération Sophrès-ORTF,
00:44:29un chiffre très précis,
00:44:31concernant notamment les principaux candidats.
00:44:34Le 5 mai 1974, au soir du 1er tour,
00:44:37Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand sont en tête.
00:44:41Avec sa campagne iconoclaste,
00:44:43le candidat écologiste est loin derrière.
00:44:46René Dumont, le dernier des candidats
00:44:49à franchir la barre des 300 000 voix avec 1,32 %.
00:44:52René Dumont n'a jamais eu l'intention de se faire élire
00:44:55en se présentant à l'élection présidentielle.
00:44:58Si l'objectif était de diffuser, de faire connaître des thèses
00:45:02au-delà du cercle des personnes déjà sensibilisées,
00:45:05au moins, c'est accompli.
00:45:07Il a essayé, pendant un certain temps, après la campagne,
00:45:10à nous aider à unifier toutes les associations
00:45:13pour créer le mouvement écologique qu'on a voulu appeler.
00:45:16Ça n'a pas marché, et lui, c'est pas son métier.
00:45:19De temps en temps, il venait de lui donner un coup de main.
00:45:22Et lui, il a ensuite continué sa vie
00:45:25d'agronome globe trotter.
00:45:30René Dumont ne se rêve ni en chef de file des écologistes
00:45:34ni en homme de parti.
00:45:36S'il garde son pull rouge,
00:45:38le professeur, à la retraite, ne tient toujours pas en place.
00:45:44Il repart au Sahel, alerté sur la famine,
00:45:47et rejoint des anciens élèves en mission.
00:45:55J'ai appelé René et j'ai demandé
00:45:57s'il viendrait pas pour cette mission au Balouchistan,
00:46:00qui est une région négligée par le gouvernement iranien.
00:46:03Et le gouvernement iranien voulait développer cette région.
00:46:07Et René Dumont a immédiatement accepté.
00:46:10La semaine suivante, il débarquait de l'avion.
00:46:13Et donc, on est descendus en Landrovers.
00:46:15Et de là, on a parcouru le Balouchistan,
00:46:18j'allais dire, dans tous les sens.
00:46:20Les stations économiques,
00:46:22interview avec les paysans, interview avec les éleveurs, etc.
00:46:27L'ancien élève de Dumont le filme pendant la durée de leur mission.
00:46:31Thierry Brun est un expert en malnutrition.
00:46:34Dumont vient analyser le système agricole du Balouchistan.
00:46:38Sur ces images inédites,
00:46:40la méthode Dumont initiée au Tonquin se répète.
00:46:44Alors, il interroge méthodiquement les femmes, les paysans,
00:46:49les cadres agricoles.
00:46:51Je me souviens toujours d'une scène qui m'a frappé,
00:46:54et je crois que nous l'avons filmée.
00:46:56C'est cette scène où il y a des paysans qui attendent
00:47:00parce qu'on leur a dit qu'il y avait un agronome
00:47:03qui voulait leur parler, et ils sont là.
00:47:06Et René Dumont s'avance, et la première personne qu'il salue,
00:47:10c'est le petit berger qui est là
00:47:13et qui est très surpris que ce grand bonhomme se penche sur lui.
00:47:17C'était sa façon de montrer que tout le monde était important,
00:47:20en particulier les plus humbles.
00:47:22Il allait beaucoup voir ce que faisaient les femmes.
00:47:25La fabrication du pain, la corvée de l'eau.
00:47:28Il se préoccupait beaucoup du statut des femmes.
00:47:32La fabrication du pain au village de Hebik, un domestique.
00:47:39René Dumont milite pour une agriculture
00:47:42à la fois productive et durable.
00:47:45En Iran, comme dans toutes ses dernières missions,
00:47:48il conseille des technologies simples et économes en énergie.
00:47:52Il répète qu'il vaut mieux un âne en bonne santé
00:47:55qu'un tracteur sans essence.
00:47:57Il ne parle pas d'agroécologie,
00:47:59mais il défend cette agriculture
00:48:01qui va permettre de nourrir les populations actuelles
00:48:04sans compromettre les ressources
00:48:06qui permettront de nourrir les générations futures.
00:48:09Pour lui, de plus en plus,
00:48:11la question écologique est devenue une totalité.
00:48:14Une totalité politique,
00:48:17éthique, économique, évidemment.
00:48:21Il est totalement mobilisé
00:48:23par la cause écologique sur les dernières années de sa vie.
00:48:27Les 20 dernières années de sa vie, c'est pas rien.
00:48:30Là, il pèse de tout son poids.
00:48:32J'estime que tous les grands partis sont irresponsables.
00:48:35En refusant d'aborder les problèmes du Tiers-Monde,
00:48:38en refusant d'aborder les problèmes qu'a soulevés le Club de Rome,
00:48:42nous allons vers la disparition des ressources naturelles de la planète.
00:48:46Nous allons vers une pollution qui tue les forêts.
00:48:49En 1974, quand j'ai dit que les forêts sont menacées,
00:48:52on m'a rigolé au nez.
00:48:54Plus personne ne m'a rigolé au nez.
00:48:57Dans les années 80,
00:48:59les données scientifiques sur les changements climatiques s'accumulent.
00:49:03René Dumont alerte sur l'inaction des Etats.
00:49:06Il reste un compagnon de route des écologistes français,
00:49:09mais se tient à l'écart des débats restreints à l'Hexagone.
00:49:13L'accélération du libre-échange dans le monde l'inquiète.
00:49:17Avec sa compagne Charlotte Paquet,
00:49:19il continue de voyager pour défendre les paysanneries fragilisées.
00:49:23Leur message s'appuie sur ses fondamentaux.
00:49:26Ecologie, tiermondisme et défense de la paix.
00:49:31Au fil des années, il était de plus en plus en colère
00:49:35contre le fait que son message n'était pas entendu,
00:49:38que ses injonctions n'étaient pas mises en pratique.
00:49:42On le sent très bien quand on lit son dernier livre,
00:49:45là, cette guerre nous déshonore, quoi.
00:49:48En 1991, un nouveau conflit international éclate.
00:49:52Une coalition menée par les Etats-Unis frappe l'Irak.
00:49:56René Dumont veut aller sur place.
00:49:58Il rejoint une mission de l'ONU.
00:50:00C'est l'un de ses derniers voyages. Il a 87 ans.
00:50:04La raison essentielle de la guerre du Golfe,
00:50:06que j'ai soulignée dans mon livre,
00:50:08cette guerre nous déshonore,
00:50:10c'est le désir des Etats-Unis
00:50:12de prolonger le gaspillage de quantités illimitées de pétrole
00:50:16et d'un pétrole à bon marché.
00:50:18Et c'est pour le pétrole
00:50:20que les Etats-Unis sont allés démolir l'Irak
00:50:23dans des conditions contraires à toutes les lois de la guerre,
00:50:26contraires aux conventions de Genève.
00:50:28On est partis tous les trois avec Charlotte Paquet à Bagdad
00:50:32et on s'est retrouvés pour certaines visites
00:50:35dans des usines qui avaient été bombardées par les Américains.
00:50:38Les Américains ont toujours prétendu
00:50:40qu'ils avaient fait une intervention
00:50:42avec des bombardements d'une précision chirurgicale.
00:50:45Et donc, c'est dans ce contexte
00:50:47que René Dumont a voulu montrer
00:50:49qu'ils avaient fait des tas de bombardements absurdes,
00:50:52bombardant des stations agricoles, des usines de lait en poudre,
00:50:56bombardant des entrepôts de semences.
00:51:00Enfin, lui était absolument bouleversé
00:51:04par la misère qu'il avait côtoyée
00:51:07et dont il était témoin.
00:51:09Ce qui dominait, pour lui,
00:51:11c'était la colère et l'écoeurement.
00:51:15Il voit la guerre. Il revoit la guerre.
00:51:18Son enfance, ses souffrances,
00:51:20la souffrance des soldats dans les tranchées.
00:51:23Il revoit la guerre de 1914.
00:51:25Mais il voit que tout ça se termine en un conflit
00:51:28dont, comme d'habitude, les paysans seront assassinés.
00:51:31Pour lui, c'est l'aboutissement
00:51:33de l'impasse, de l'impasse générale.
00:51:38La guerre du Golfe est, selon ses mots, la défaite de sa vie
00:51:41et le début d'un grand affrontement Nord-Sud.
00:51:46Pendant 10 ans, René Dumont poursuit son combat pour la paix
00:51:50et l'écologie, sans trouver l'apaisement.
00:51:55Il a continué à s'informer, jusqu'à la veille de sa mort,
00:51:59sur l'état du monde, mais il était pessimiste.
00:52:02Il était devenu très amère de ce qu'il sentait venir.
00:52:06Comment ne pas être en colère quand vous arrivez à la fin de votre vie,
00:52:10que vous vous rendez compte que la dégradation
00:52:13du système planétaire se poursuit et s'accélère,
00:52:16que les inégalités sociales
00:52:18n'ont jamais été aussi importantes que les inégalités écologiques
00:52:22qui explosent sur l'ensemble du système planétaire ?
00:52:25Et comment ne pas être désappointé en vous disant
00:52:28que ça fait 50 ans que je vous le dis ?
00:52:30Personne ne m'a écouté.
00:52:33René Dumont meurt à 97 ans, le 18 juin 2001,
00:52:37sans que son appel soit entendu.
00:52:39Les visionnaires passent souvent pour des illuminés.
00:52:42...
00:52:46Ces cris d'alerte,
00:52:47prononcés dans une grande traversée du XXe siècle,
00:52:50n'auront trouvé que tardivement un écho.
00:52:52...
00:53:02En 1974, voilà maintenant un demi-siècle,
00:53:05René Dumont fut donc le premier candidat écologiste
00:53:09à l'élection présidentielle,
00:53:10comme vient de nous le rappeler à l'instant
00:53:13ce documentaire réalisé par Anne-Charlotte Gourault,
00:53:16où comment cet ingénieur agronome,
00:53:18pourtant maître d'oeuvre du productivisme agricole français
00:53:21de l'après-guerre, s'est converti à l'écologie
00:53:24en fustigeant un modèle de croissance menaçant l'humanité.
00:53:27Mais quel héritage aura légué René Dumont
00:53:30au mouvement écologiste français ?
00:53:32Nous allons poser la question à nos invités,
00:53:34présents aujourd'hui sur ce plateau de débats d'octobre.
00:53:37D'abord, avec nous, bienvenue à vous, Brice Lalonde.
00:53:40Nous vous avons entendu témoigner dans ce documentaire.
00:53:44Et pour cause, vous avez été le directeur de campagne
00:53:47de René Dumont en 1974.
00:53:48Vous étiez alors le tout jeune président
00:53:50de l'association Les Amis de la Terre.
00:53:53En 1981, vous êtes à votre tour candidat
00:53:56à l'élection présidentielle.
00:53:58Vous arrivez d'ailleurs en 5e position,
00:54:00avec 3,9 % des suffrages.
00:54:02C'est pas le plus mauvais score des écologistes
00:54:05à une élection présidentielle.
00:54:07Vous serez ensuite secrétaire d'Etat, ministre délégué,
00:54:10ministre de l'Environnement sous les gouvernements
00:54:13de Michel Rocard puis Edith Cresson.
00:54:15C'est entre 1988 et 1992.
00:54:18A vos côtés, Marine Tondelier.
00:54:21Bienvenue à vous, Marine Tondelier.
00:54:23Vous êtes la numéro 1, la secrétaire nationale
00:54:26du parti Les Écologistes, anciennement Europe Écologie-Les Verts.
00:54:29Vous êtes par ailleurs élue d'opposition
00:54:32au conseil municipal d'Énin-Beaumont,
00:54:34depuis 2014,
00:54:35et conseillère régionale des Hauts-de-France depuis 2022.
00:54:39On citera aussi ce livre,
00:54:41Nouvelle du Front,
00:54:42édité aux éditions Les Liens qui Libèrent.
00:54:45C'est en 2017, un témoignage, le vôtre,
00:54:48sur la gestion de la ville d'Énin-Beaumont,
00:54:50dirigée par l'élu du Front national à l'époque
00:54:53et aujourd'hui Rassemblement national,
00:54:55Steve Briouat.
00:54:56Et puis, enfin, avec nous, Erwann Lequeur.
00:54:59Bienvenue à vous.
00:55:00Vous êtes sociologue, politologue, enseignant-chercheur
00:55:03à l'université Grenoble-Alpes
00:55:05et spécialiste, de longue date,
00:55:07de l'écologie politique et du mouvement écologiste français.
00:55:11Ca tombe bien, c'est notre sujet d'aujourd'hui,
00:55:14après ce documentaire sur René Dumont.
00:55:16C'est vous qui avez été le chercher, René Dumont,
00:55:19pour se présenter en 1974.
00:55:20C'est ce qu'on a découvert dans ce documentaire
00:55:23sur le tarmac bourget.
00:55:24Vous l'interpellez, vous essayez de le convaincre,
00:55:27il vous donne 24 heures pour vous donner une réponse.
00:55:30Vous dites souvent que René Dumont, c'était un prophète.
00:55:33N'exerguez pas de félicitations concernant René Dumont.
00:55:39C'est quand même extraordinaire de penser, quand même.
00:55:42Il arrive avec sa djellaba rouge, là, de la caravele,
00:55:45c'était des caraveles, il descend,
00:55:47et hop, on le retrouve là, on le coince.
00:55:49Monsieur le professeur,
00:55:51accepteriez-vous d'être notre candidat ?
00:55:53Il ne comprenait pas de quoi il s'agissait,
00:55:55candidat, quoi, pourquoi, etc.
00:55:57Et à la fin, donnez-moi 24 heures,
00:55:59et en 24 heures, il dit oui, c'est absolument extraordinaire.
00:56:02Il ne comprend pas ce que dit René Dumont,
00:56:05mais son courage, un courage inouï.
00:56:07Il fallait le voir arriver devant les foules.
00:56:09D'abord, il était toujours à l'heure.
00:56:11Il n'acceptait pas qu'on soit en retard.
00:56:13Il arrive, il parle, et ça dévide, comme ça,
00:56:16aucune inquiétude, aucune émotion,
00:56:18il parle avec son coeur, c'est extraordinaire.
00:56:21Donc, moi, je suis soufflé de cet homme,
00:56:24un vrai prophète, en effet.
00:56:25Il arrive, il annonce les difficultés qui viennent.
00:56:28Et puis...
00:56:29C'est le bébé Dumont, Brice Lalonde.
00:56:32C'est un bébé Dumont, parce qu'après cette fameuse élection
00:56:35de 1974, il y aura toujours un candidat écologiste
00:56:38à l'élection présidentielle, sauf en 2017,
00:56:41où Yannick Jadot ira sous les couleurs de Benoît Hamon,
00:56:45qui était, lui, l'élu qui était sorti des primaires socialistes.
00:56:49Vous êtes un bébé Dumont, vous ?
00:56:51Vous vous considérez comme tel ?
00:56:52Bien sûr, mais pas simplement Dumont.
00:56:55Il y avait énormément de personnes qui nous ont influencés.
00:56:58Et puis, je suis aussi un bébé 68.
00:57:01On a appris à militer, à l'époque.
00:57:04Et puis, il y a le fameux rapport Meadow,
00:57:07ce qu'on évoque dans ce film, en 1962.
00:57:09C'est un marqueur.
00:57:11Dumont fera un livre, L'utopie ou la mort, je crois.
00:57:14Et à la sortie de ce rapport, il y a six commentations.
00:57:18Le président de la Commission européenne,
00:57:20Ursula von der Leyen, disait la même chose.
00:57:23Mais oui, il faut une économie stationnaire.
00:57:25Immédiatement, colère de qui ?
00:57:27Du patronat français et de Georges Marchais,
00:57:29parti communiste.
00:57:30Ils rouspètent le plus en disant que c'est un véritable scandale.
00:57:34Bon, c'était quand même très frappant.
00:57:36Ce rapport disait qu'il faut stopper la croissance.
00:57:39C'était le Club de Rome.
00:57:40Le Club de Rome était financé essentiellement
00:57:43par des industriels, d'ailleurs.
00:57:45D'où l'impact de ce rapport.
00:57:47On s'est dit que si les industriels
00:57:48commencent à être d'accord avec ce type d'approche,
00:57:51il y a peut-être un début de quelque chose.
00:57:54Si on a bien compris.
00:57:55Oui, absolument.
00:57:56Maintenant, ça a eu quand même une influence extrêmement importante.
00:58:00Quand vous dites Bébé Dumont,
00:58:02la réalité, c'est qu'aujourd'hui, tous les partis politiques,
00:58:05tous les dirigeants savent qu'il faut s'occuper de l'écologie.
00:58:09Ca fait partie des affaires publiques,
00:58:11à côté de la culture, de la santé, de la défense, etc.
00:58:14Est-ce qu'ils le font plus ou moins bien ?
00:58:16Est-ce que les écologistes sont capables
00:58:18d'influencer suffisamment ou de prendre la tête de ce mouvement ?
00:58:22Je ne pense pas qu'ils en soient capables,
00:58:24mais en revanche, ce que je vois,
00:58:26c'est que tous les partis sont obligés de parler d'écologie
00:58:30et de faire concurrence entre eux,
00:58:32en disant qu'ils s'en occupent mieux que l'autre et pour moins cher.
00:58:35Si on va aujourd'hui se promener du côté du siège
00:58:39de cette formation, les écologistes,
00:58:41il ne faut plus appeler Europe Écologie Les Verts.
00:58:44Vous nous appelez comme vous voulez.
00:58:46Ca nous fait plaisir. On sait qui on est.
00:58:48Vous avez gardé le code couleur.
00:58:50Dumont, c'était le pull rouge, et vous, c'est la veste verte.
00:58:53Il y a peut-être quelque chose avec René Dumont,
00:58:56de ce point de vue-là,
00:58:57d'un point de vue de communication, de reconnaissance.
00:59:00Est-ce qu'au siège...
00:59:01Quand on est colo, on ne veut pas passer la journée
00:59:04à savoir comment on va s'habiller.
00:59:06C'est un point commun avec René Dumont.
00:59:08Quand vous mettez un pull rouge ou une veste verte,
00:59:11vous gardez beaucoup de temps pour penser sur le fond
00:59:14plutôt que de choisir vos vêtements dans un garde-robe.
00:59:17C'est l'efficacité énergétique.
00:59:19Si on va au siège de votre partie aujourd'hui,
00:59:21on voit peut-être encore une affiche,
00:59:23une photo de Dumont, son bouquin qui traîne sur une table,
00:59:27l'Utopie ou la Mort.
00:59:28On a une salle René Dumont.
00:59:30C'était important pour nous.
00:59:31Et puis, on a des vieilles affiches de campagne.
00:59:34Cette histoire de notre mouvement,
00:59:36elle est importante pour tous ces militants,
00:59:39et en particulier pour sa secrétaire nationale.
00:59:42Je suis née après René Dumont.
00:59:43Ce ne sont pas des moments que j'ai connus.
00:59:46Mais je sais qu'en cette année mémorielle,
00:59:48c'est les 50 ans de sa candidature à la présidentielle
00:59:51et les 40 ans de la naissance du Parti des Verts,
00:59:54qui naît en 1984.
00:59:55On parle beaucoup d'histoire dans notre mouvement.
00:59:58Ca fait du bien.
00:59:59Quand on mène des combats aussi difficiles
01:00:02que peut l'être le combat écologiste,
01:00:04savoir d'où on vient, qui sont nos précurseurs,
01:00:06c'est important.
01:00:08J'en ai toujours tiré une force énorme.
01:00:10Être écologiste, à toute époque, c'est jamais simple.
01:00:13On fait face à des gens qui sont contre nous.
01:00:15Vous avez dit, M. Lalongue,
01:00:17qu'il y a un concours entre partis pour savoir qui va en parler le plus.
01:00:21Nous, ce qui nous intéresse, c'est ce qu'on va en faire.
01:00:24Là, c'est plus compliqué.
01:00:26Je dois dire qu'à chaque fois que c'est dur,
01:00:28je pense souvent aux personnes comme René Dumont
01:00:31qui ont porté ces idées à un moment où ça faisait rire les gens.
01:00:34C'est quelque chose qui revient dans votre documentaire.
01:00:37La dernière phrase du documentaire, c'est que les visionnaires
01:00:41passent souvent pour des illuminés.
01:00:43C'est intéressant. Il a choisi d'appeler son livre
01:00:46Souvent, quand on a des grands meetings écolos,
01:00:49je cite souvent ce titre en disant que je n'étais pas un utopiste,
01:00:53que je suis avant-gardiste.
01:00:54Pour moi, les utopistes, ce sont les autres.
01:00:57Nous, écologistes,
01:00:58c'est quelque chose qu'on partagera avec Brice Lalongue et Erwann Lecoeur,
01:01:02nous sommes les réalistes.
01:01:03Les utopistes disent qu'on pourra tout continuer comme avant,
01:01:07qu'on peut consommer autant d'eau qu'on veut
01:01:09parce qu'il y a des bassines, autant d'énergie parce qu'il y a du nucléaire,
01:01:13c'est un point gagné sur la vie, peu importe comment il a été gagné,
01:01:17peu importe à qui il profite.
01:01:19Pour moi, c'est de l'utopie.
01:01:21Les réalistes, c'est nous.
01:01:22Ce ne sont plus juste des politiques écologistes qui le disent,
01:01:26c'est un consensus scientifique inédit dans l'histoire de l'humanité.
01:01:30C'est peut-être plus confortable de porter l'écologie aujourd'hui.
01:01:33Je ne dis pas que c'est simple,
01:01:35mais les gens n'ont pas l'impression
01:01:37qu'on a inventé un truc cette nuit et qu'on propage la bonne parole.
01:01:41J'ai beaucoup d'admiration pour celles et ceux,
01:01:44les premiers qui ont dit que le gaz d'échappement,
01:01:46c'est dangereux pour la santé.
01:01:48On leur disait de retourner au Larzac,
01:01:50garder vos pulks et vos sandales, laissez-nous tranquilles.
01:01:53Aujourd'hui, quand on dit ça, à part le lobby automobile,
01:01:57tout le monde a compris que c'était vrai
01:01:59et qu'on se battait pour la santé des gens.
01:02:01C'est un vrai progrès.
01:02:02Merci à ceux qui l'ont porté quand c'était dur.
01:02:05Il y a toujours un débat qui a taraudé pendant de longues années
01:02:09les mouvements écologistes.
01:02:10L'écologie politique, et vous vous êtes penché dessus
01:02:13il y a quelques années, c'est de savoir si l'écologie
01:02:16et les mouvements écologistes devaient être de droite, de gauche,
01:02:20ni de droite, ni de gauche.
01:02:22Est-ce que ce débat est toujours d'actualité ?
01:02:24Est-ce qu'il a encore du sens ?
01:02:26En Europe et en France, plus tellement, en réalité.
01:02:29Il y a une écologie politique, un écologisme, on pourrait même dire,
01:02:33parce que c'est une des rares idées qui ne prend pas l'isme à la fin,
01:02:37contrairement à libéralisme, socialisme, communisme.
01:02:39L'écologisme, qui devrait s'appeler normalement comme ça,
01:02:43est une vision du monde au sens idéologique du terme, quasiment.
01:02:46René Dumont et d'autres ont écrit dès les années 70
01:02:49et ont porté dès les années 70 l'idée que c'était une vision du monde
01:02:53et pas seulement une façon de faire de la politique.
01:02:55En cela, il y a une façon de faire de la politique
01:02:58qui est proprement écologiste.
01:03:00La fameuse question, est-ce qu'on est de droite, de gauche ?
01:03:03La réponse de l'époque, c'était on n'est ni de droite, ni de gauche,
01:03:07qui vient d'être dit, on est en avance.
01:03:09On voit les choses qui vont arriver dans 50 ou 100 ans sur la planète.
01:03:13René Dumont avait un côté prophétique,
01:03:15aujourd'hui moins, parce que, comme ça vient d'être dit,
01:03:18le GIEC vient dire exactement ce qu'il disait.
01:03:21Note juste une chose, la plupart des écologistes au démarrage
01:03:24sont des scientifiques, pas des gens qui viennent de la sphère politique.
01:03:28D'ailleurs, les premiers écologistes étaient souvent des gens
01:03:31qui venaient de la sphère scientifique, de la sphère associative,
01:03:35qui ne savaient pas très bien de quoi ils parlaient en termes d'écologie.
01:03:39Donc ça, c'est la première chose.
01:03:41Elle est devenue de gauche à la fois par opportunisme,
01:03:44parce que le mode de scrutin en Allemagne, en France, en Belgique,
01:03:47et dans d'autres pays, permettait à ces écologistes
01:03:50de se faire élire grâce à la porte de voix de la gauche.
01:03:53Mitterrand et Bristolonde en ont été l'emblème, je dirais.
01:03:5781 candidats, 90, ils créent Génération écologie,
01:04:00et il est ministre d'un gouvernement rocard,
01:04:03pas d'un gouvernement à l'époque autre.
01:04:05Très rapidement, dans les années 80, le choix est fait,
01:04:08l'écologisme devient de gauche, pour plein de raisons,
01:04:11notamment la composition sociale des gens qu'on voit dans le film.
01:04:14Bristolonde l'a rappelé, on est après mai 68,
01:04:17et l'écologie se développe après mai 68,
01:04:19comme l'a très bien expliqué Serge Moscovici,
01:04:22qui, pour moi, est le penseur de l'écologisme
01:04:24que les écologistes n'ont pas lu, malheureusement,
01:04:27mais qui a été le penseur vraiment avant 68, après 68,
01:04:30de ce que l'écologie pouvait être.
01:04:33Je pense que c'est la question du mouvement social-écologiste
01:04:36et du parti écologiste,
01:04:37c'est poser en termes, je le disais, d'opportunités,
01:04:40mais aussi de développement dans une sphère sociologique
01:04:44qui était clairement la deuxième gauche.
01:04:46PSU, CFDT, etc., tous ces mouvements associatifs
01:04:49qui ont porté l'écologisme dans les années 70-80
01:04:52jusqu'à la réparition des verres.
01:04:54Pour illustrer ça, vous ne donnez aucune consigne de vote en 1981,
01:04:58autrement dit, vous n'appelez pas à voter France 1081,
01:05:01il n'y a aucune consigne de vote,
01:05:03d'ailleurs, du côté des autres candidats à la présidentielle
01:05:06en 88 et 95.
01:05:10Ce n'est qu'en 97, on va y revenir avec vous,
01:05:12que la gauche choisit, par opportunisme électoral,
01:05:15de rejoindre le camp de la gauche.
01:05:17Je vais vous poser la question.
01:05:19Vous avez un regret sur ce choix
01:05:21qui a longtemps taraudé la famille écologiste
01:05:24et ce qu'il fallait écologiser tous les partis
01:05:26ou créer son propre parti
01:05:28pour se présenter face aux électeurs ?
01:05:33Non.
01:05:34Je suis de l'époque de 68 et on n'aimait pas les partis.
01:05:37Les partis, ça fige une doctrine, ça donne des bureaucrates,
01:05:42ils ne pensent qu'à la prochaine élection
01:05:44et ils oublient le fond.
01:05:46On pourra discuter de ça, si vous voulez, à l'infini.
01:05:50Ce qui est très important,
01:05:51c'est qu'il faut un président de la République écologiste,
01:05:55parce qu'on a besoin d'écologie au pouvoir,
01:05:57on a besoin d'avoir une écologie, comment dirais-je,
01:06:00de gouvernement, très importante,
01:06:02et donc, c'est pas si simple, l'écologie.
01:06:05En revanche, sur Dumont,
01:06:06il y a quelque chose que je voudrais dire,
01:06:09c'est qu'à l'époque, on ne parlait pas de changement climatique.
01:06:12Ca n'était pas apparu encore.
01:06:14Il a fallu attendre 87, 88.
01:06:16La première grande tempête en France, c'est 87.
01:06:19La seconde, 99. Donc, ce n'est arrivé qu'après.
01:06:22Et puis, il y a eu quelque chose que Dumont n'a pas vu,
01:06:25ou n'a pas... Il était avant.
01:06:27C'est la Chine.
01:06:29La Chine s'est développée de manière incroyable après Dumont.
01:06:32Et ce développement incroyable a donné beaucoup à réfléchir
01:06:36au pays du tiers-monde, dont Dumont était vraiment l'avocat.
01:06:40Il n'arrêtait pas de parler du tiers-monde,
01:06:43il n'aimait pas l'injustice mondiale.
01:06:45La Chine a démontré qu'on pouvait se développer
01:06:47de manière incroyable.
01:06:49On pourra discuter de savoir l'impact sur l'environnement,
01:06:52mais ça a donné une espèce d'optimisme
01:06:55à tous les peuples du tiers-monde.
01:06:57Ils ont profité de la mondialisation.
01:07:00Il y a des choses qui ont changé depuis Dumont.
01:07:02Le changement climatique a beaucoup changé aussi.
01:07:05Par exemple, on a besoin du nucléaire.
01:07:07Ah, des accords avec Marine.
01:07:09On a besoin de stocker l'eau.
01:07:11Comment on le stocke ? Discussion.
01:07:13Pas forcément dans les bassines,
01:07:14mais on a besoin de stocker car il y a moins d'eau en été
01:07:17et peut-être un peu trop en hiver car il n'y a pas de neige.
01:07:21Le changement climatique a beaucoup transformé
01:07:23les conditions du débat politique.
01:07:25Et donc, si vous voulez, à l'époque, gauche et droite,
01:07:28c'était deux parties qui se battaient
01:07:30pour faire plus de croissance, plus de tout ce que vous voulez,
01:07:34plus de routes, de bagnoles.
01:07:36De productivisme.
01:07:37Exactement.
01:07:38Il n'y avait aucun intérêt à s'allier avec l'un ou l'autre.
01:07:41Et même en ce moment, la gauche, en principe, c'est plus.
01:07:45C'est plus d'égalité, plus de revenus pour la population,
01:07:50plus de production.
01:07:51Et l'écologie, c'est moins.
01:07:53Attention, on ne fait pas n'importe quoi, là.
01:07:56On ne peut pas continuer comme ça jusqu'à l'infini.
01:07:58Cette espèce de heure entre la gauche et l'écologie,
01:08:01à mon avis, est en train de détruire la gauche complètement.
01:08:05On voit bien qu'en ce moment, le pauvre PS et les autres,
01:08:08ils ont beaucoup de mal à intégrer l'écologie dans leur corpus.
01:08:13Ca ne colle pas.
01:08:15Où va se situer le...
01:08:16Je voulais répondre déjà sur le truc de...
01:08:1897, alors ça, c'est la bascule.
01:08:20Je réponds au Bristol-Andes de 1968,
01:08:23qui se méfie des partis et qui dit...
01:08:25Les écologistes choisissent la gauche.
01:08:27Je voulais te rassurer sur une chose,
01:08:29depuis 2024, c'est que les écologistes
01:08:32sont un parti qui continue à faire des choses très sérieuses,
01:08:35mais sans se prendre au sérieux.
01:08:37On est très différents des autres partis.
01:08:39Je le vois, ce week-end, je suis allée avec ma voiture
01:08:42jusqu'à la manif anti-nucléaire contre le père de Painly,
01:08:45rejoindre les copains anti-nucléaires de France.
01:08:48J'étais en week-end de famille en Picardie.
01:08:51Ils disaient qu'ils pensaient que les chefs de partis,
01:08:54ça venait avec 50 personnes.
01:08:55On est chez les Verts.
01:08:57Je pense que, de ce point de vue-là,
01:08:59les Verts sont restés fidèles à l'étape,
01:09:01à l'idéal type de leurs précurseurs.
01:09:04C'est quelque chose que je tiens comme l'ensemble des militants.
01:09:07Sur la question de savoir si on est de gauche ou de droite.
01:09:10Vous avez choisi la gauche en 97.
01:09:12Vous y êtes restée.
01:09:14Je sais dans quelle partie j'y ai adhéré et je sais pourquoi.
01:09:17Et pourquoi l'avenir des écologistes,
01:09:19si on en croit votre partie,
01:09:21est allé chercher dans une coalition de gauche aujourd'hui ?
01:09:24Je vous parle d'un territoire
01:09:26qui est très renié par l'extrême-droite,
01:09:28d'une région gouvernée par la droite.
01:09:30Je suis dans l'opposition à Xavier Bertrand.
01:09:33Souvent, on m'a posé la question,
01:09:35en disant que je suis écolo, mais pourquoi l'écologie, c'est gauche.
01:09:39Je leur disais, tu penses quoi de ce que je fais dans ma vie ?
01:09:42On est d'accord avec tout sauf quand tu vas aider les migrants.
01:09:45Si tu veux défendre les animaux,
01:09:47tu veux défendre le droit des animaux,
01:09:50des yorkshires, des dauphins, les fleurs et les oiseaux.
01:09:53Par contre, les migrants à Calais, non.
01:09:55Ils doivent rester dans leur pays.
01:09:57Je leur disais que l'écologie, c'est un rapport
01:09:59des espèces entre elles, un rapport à son écosystème.
01:10:02On ne peut pas décider qu'on a de l'empathie
01:10:05pour les animaux et pour les fleurs,
01:10:07mais pas pour d'autres êtres humains.
01:10:09C'est un tout global.
01:10:10En cela, l'écologie s'inscrit à gauche.
01:10:13L'écologie, c'est aussi rendre indissociablement liée
01:10:16la justice environnementale et la justice sociale.
01:10:18C'est important de le dire.
01:10:20Vous savez, moi, je constate ce que je vois.
01:10:23On a M. Barnier, aujourd'hui.
01:10:24J'ai eu des questions pendant trois semaines.
01:10:27Il a dit qu'il y avait une dette écologique.
01:10:29Parce qu'il avait dit le mot dette écologique,
01:10:32on devait être content, sinon, ça voulait dire deux choses.
01:10:35Soit qu'on n'était jamais content, soit qu'on était sectaire.
01:10:39Il a dit dette écologique, c'est très bien.
01:10:41Dette financière et écologique, c'est pas pareil.
01:10:44On ne peut pas la rembourser.
01:10:45Il y a un effet cliqué sur le climat, l'extinction des espèces.
01:10:49On n'a pas fait de la dette, les générations d'après
01:10:52rembourseront.
01:10:53Les générations d'après auront une planète inhabitable.
01:10:56Vous n'avez pas connu Barnier, ministre de l'Environnement.
01:11:00Il a été plutôt un bon ministre.
01:11:01J'ai travaillé dans les associations de surveillance
01:11:04de la qualité de l'air qu'il avait contribué à créer.
01:11:07Si en 93, il avait dit le mot dette écologique,
01:11:10ça aurait été moderne.
01:11:11Là, on est en 2024. Je m'en fiche des mots qu'il emploie.
01:11:14Quand je vois le budget qu'il propose,
01:11:16avec 35 % de budget en moins pour l'ADEME,
01:11:19avec le fond vert qui baisse de 60 %,
01:11:21je ne peux pas vous faire tout ce qui baisse dans ce budget,
01:11:24mais ça ne va pas être possible.
01:11:26Sur le rapport de la gauche à l'écologie,
01:11:28il y a une gauche productiviste.
01:11:30Pour moi, toute la gauche n'est pas écolo.
01:11:32Dans les négociations de Nouveau Front Populaire,
01:11:35l'écologiste n'est pas juste la couleur de ma veste.
01:11:38C'est la première fois qu'il y avait une plateforme de gouvernement
01:11:42qui disait, moratoire sur les projets autoroutiers,
01:11:44moratoire sur les méga-bassines,
01:11:46et le PS et le Parti communiste, quoi qu'on en pense, ont signé.
01:11:50J'ai trouvé ça hyper intéressant. Je me suis dit, en avance.
01:11:53Vous avez laissé le nucléaire de côté.
01:11:56Là, vous nous dites que vous avez participé
01:11:58à une manifestation antinucléaire.
01:12:00Il y a quand même un vrai débat chez les écologistes.
01:12:03Ce programme de gouvernement disait ce qu'on allait faire
01:12:06En deux ans, on ne sait pas ouvrir d'EPR,
01:12:08on ne s'est pas enfermés non plus.
01:12:10Par contre, on peut développer le renouvelable.
01:12:13Petite anecdote, vendredi soir, pas plus tard qu'il y a trois jours,
01:12:17on avait un débat avec plein de jeunes sur l'écologie populaire,
01:12:20avec des jeunes des quartiers, où on a ce débat droite ou gauche.
01:12:24Il y en a un qui dit que c'est pour l'écologie de gauche,
01:12:27parce qu'il y a des écologistes de droite et d'extrême droite.
01:12:31Pour lui, l'écologie peut être que de gauche.
01:12:33Ce n'est pas d'écologie politique.
01:12:36Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a le copain à côté de moi
01:12:39qui lui dit qu'il n'est pas d'accord.
01:12:41L'écologie est de gauche et la gauche est écologiste.
01:12:44Ceux qui ne sont pas écologistes, c'est qu'ils n'ont pas de gauche.
01:12:48En 2024, on ne peut pas être de gauche sans être écologiste.
01:12:51Je me suis dit que c'était intéressant,
01:12:54parce que ce débat continue à vivre chez les jeunes générations.
01:12:58On ne va pas être d'accord avec M. Lalonde.
01:13:00Je ne sais pas si François de Rugy...
01:13:02Il a écrit... François de Rugy, c'est un écolo.
01:13:05Il a même créé un parti écologiste, à un moment,
01:13:08qui s'appelle l'Ecologiste.
01:13:09Il avait écrit un livre sur une discussion
01:13:12qu'il avait eue au sein du Parti Vert.
01:13:14C'était sans doute une des raisons de son départ.
01:13:17Il avait dit que s'il était d'abord écologiste
01:13:20et qu'il voulait faire une alliance avec la gauche,
01:13:23à quoi on lui a répondu à l'époque, c'était Cécile Duflo.
01:13:26Non, je suis de gauche d'abord et écologiste ensuite.
01:13:29A ce moment-là, il a dit qu'il quittait le Parti Vert
01:13:32si c'est comme ça.
01:13:34D'ailleurs, il a rejoint...
01:13:35Moi, je suis écologiste, et pour moi, l'écologie
01:13:38s'inscrit à gauche.
01:13:39Vous savez, M. de Rugy, il est parti du Parti écolo,
01:13:42pas pour des raisons de désaccord, il est parti pour être ministre.
01:13:46Vous êtes là, tout de suite, c'est mesquin.
01:13:49Vous disiez que les partis, ça devient la bureaucratie.
01:13:52Certains sont partis de notre parti par bureaucratie,
01:13:55ce qui est autre chose.
01:13:56Avant que vous deveniez vous-même ministre, Marine,
01:14:00vous devriez dire...
01:14:01Vous voudriez dire que la plupart des militants du Parti Vert,
01:14:06qui sont passés aux responsabilités,
01:14:08ont été obligés de quitter le Parti Vert.
01:14:11Autrement, ils n'auraient pas pu accéder aux responsabilités.
01:14:14C'était un problème structurel du parti
01:14:16auquel nous sommes en train de travailler.
01:14:19J'espère qu'on a signé avec la refondation du parti.
01:14:22Nous sommes dans progression.
01:14:24Erwann Le Coeur, j'ai noté une phrase prononcée
01:14:27dans une interview réalisée par Abel Quentin.
01:14:29Abel Quentin, c'est un passionné d'écologie,
01:14:32il est écrivain, ancien avocat.
01:14:34Il a cette phrase,
01:14:35le climat est une question de vie ou de mort,
01:14:37pas les toilettes non genrées.
01:14:39Il laisse entendre que les écologistes ont un risque,
01:14:42c'est un peu partout et nulle part, ils ont perdu le fil.
01:14:45Le fil serait celui qui aurait été tissé par René Dumont.
01:14:49Est-ce qu'il y a cette même perception aujourd'hui
01:14:51dans l'opinion, lorsqu'on nous parle des mouvements écologistes,
01:14:55est-ce que c'est quelque chose qui est important
01:14:58pour bien comprendre où va aller la boussole
01:15:00et où devrait aller la boussole du mouvement écologiste ?
01:15:03Oui, sociologiquement, les écologistes ont été,
01:15:06dès les années 70, en pointe sur un certain nombre de sujets sociétaux.
01:15:10Extrêmement en pointe.
01:15:12Serge Moscovici expliquait que le mouvement féministe
01:15:15était arrivé et s'était accroché avec 68.
01:15:17En gros, l'écologie était un peu l'enfant,
01:15:20un peu l'enfant U1 des enfants de mai 68,
01:15:22sur tout un pan.
01:15:23Cohn-Bennett a mis longtemps à le comprendre,
01:15:26mais d'autres sont allés plus vite,
01:15:28comme Bristalonde et quelques autres.
01:15:30Beaucoup de 68ards sont devenus écologistes assez rapidement.
01:15:34Les babacools, c'était un peu les mêmes.
01:15:36Aujourd'hui, ce qui se passe, en effet,
01:15:39c'est que, sociologiquement, il y a,
01:15:41on le voit dans les enquêtes,
01:15:43quand on fait de la sociologie qualitative,
01:15:45pas mal de gens considèrent que les écologistes
01:15:48sont environnementalistes,
01:15:50à la René Dumont ou, éventuellement, à la Pierre Rabhi,
01:15:53dont je considère, moi, qu'il a été un peu
01:15:55un René Dumont bis, différemment considéré,
01:15:58mais sur le même sujet, en gros,
01:16:00l'agriculture, l'agronomie et la façon dont les terres...
01:16:04Et avec le même côté, pour les deux,
01:16:07j'en déplaise à certains,
01:16:08le même côté un petit peu conservateur.
01:16:11Ne pas oublier que l'écologie est aussi une forme de conservation,
01:16:14conservation du littoral, de la nature, etc.
01:16:17Il y a une dimension conservatrice dans l'écologie...
01:16:20Non, conservatrice.
01:16:22Et le conservatisme peut être tout à fait de gauche,
01:16:25à partir du moment où...
01:16:26Les conservatrices, sauf sur l'environnement.
01:16:29Mais sur un certain nombre de sujets,
01:16:31la gauche a été conservatrice sur bien des sujets,
01:16:34elle a notamment inventé un certain nombre de choses,
01:16:37dès le 19e et le 20e siècle.
01:16:39Néanmoins, pour répondre à votre question,
01:16:41il y a beaucoup de gens qui considèrent
01:16:44que les écologistes, à force d'être sans arrêt en avance,
01:16:47parce qu'ils sont un peu les bobos de cette société nouvelle,
01:16:50sont toujours trop en avance et sont toujours, en effet,
01:16:53du côté des PD et des drogués, pour le dire rapidement,
01:16:57et de toutes les théories du genre,
01:16:59que l'extrême-droite va inventer comme un terme,
01:17:01ça va être le wokisme, l'éveil wok,
01:17:04l'extrême-droite va accuser les écologistes.
01:17:06Rappelons-le.
01:17:07Mais ça a une conséquence immédiate.
01:17:10Ce dont on parlait tout à l'heure, sur droite ou gauche,
01:17:13en réalité, on voit bien que sociologiquement,
01:17:15évidemment que les écologistes sont plutôt de tendance gauche,
01:17:19dans l'acception générale, notamment libérale,
01:17:23voire libertaire, comme l'était Brice Lalonde à l'époque.
01:17:26L'écologisme vient du mouvement libertaire.
01:17:28Et donc, la gauche, aujourd'hui,
01:17:30féminine, féministe et écologiste,
01:17:33est clairement identifiable.
01:17:35Elle est accusée de wokisme alors qu'elle est juste dans un éveil
01:17:38à l'égard des nouveaux mouvements sociaux.
01:17:41Et on voit bien qu'il y a une forme de rétractation,
01:17:43quelque chose de l'ordre, plus que le conservatisme,
01:17:46c'est un retour en arrière, qui est anti-écologiste.
01:17:49Aujourd'hui, on voit bien comment des mouvements entiers,
01:17:52dont l'extrême-droite, je rappelle qu'on parle de René Dumont,
01:17:56il y avait un autre candidat à l'élection présidentielle,
01:17:59c'est un certain M. Le Pen, il a fait 0,7 % à l'époque,
01:18:02la moitié moins que René Dumont.
01:18:04Aujourd'hui, on voit bien que le score n'est plus tout à fait le même
01:18:07entre sa fille, puisque c'est une dynastie,
01:18:10et les candidats écologistes.
01:18:11On se visionne des lecteurs aux dernières législatives.
01:18:14Il y a là, je pense, une forme de réponse à la question.
01:18:17Aujourd'hui, la droite la plus dure
01:18:19est en train de devenir très anti-écologiste,
01:18:22et l'écologisme est en train de devenir encore,
01:18:24comme elle l'a toujours été, une espèce d'avant-scène
01:18:27ou d'avant-garde, peut-être, des sujets sociétaux
01:18:30mais aussi environnementaux.
01:18:32L'écologie aussi à l'avant-garde sur le combat
01:18:34contre l'extrême-droite, ce qu'il faut souligner,
01:18:37ça s'est vu cet été, c'était important,
01:18:39juste peut-être pour...
01:18:41Ces questions-là me heurtent toujours,
01:18:43y compris la citation que vous faites.
01:18:45Elle est dénigrante vis-à-vis de notre mouvement.
01:18:48Les écologistes sont des avant-gardistes,
01:18:50et on est à l'avant-garde sous le combat environnementaliste.
01:18:54Je ne prends pas de leçons de moral sur l'environnementalisme.
01:18:57Je suis adhérente à Greenpeace, à la Ligue de protection des oiseaux,
01:19:01et j'étais dans ces associations bien avant d'être en politique.
01:19:05Je trouve que...
01:19:06Je vais vous le dire sur plein de plateaux télé,
01:19:09je me bats pour parler d'écologie.
01:19:11J'arrive, on négocie les sujets.
01:19:12La veille, on dit qu'il n'y a pas d'environnement.
01:19:15Je relance mon équipe, on va en parler.
01:19:18En dernier, on parlera de ça.
01:19:19C'est toujours le truc qui passe à la trappe.
01:19:22Je dois me battre pour le mettre dans mes réponses quand je le peux.
01:19:26Il ne tient qu'à vous qu'il passe à la trappe.
01:19:28Il ne tient qu'à vous.
01:19:30Ce que j'ai bien compris depuis le temps,
01:19:32c'est qu'on ne peut compter que sur nous-mêmes.
01:19:35Je me bats contre des journalistes,
01:19:37pour mettre le sujet à l'agenda,
01:19:39et je continuerai à le faire.
01:19:41Après, quand on parle de féminisme,
01:19:43ce n'est pas un gadget pour faire jeune.
01:19:45Les mouvements d'oppression et d'accaparement
01:19:48des ressources naturelles sont quand même assez liés
01:19:51aux mouvements d'oppression contre les femmes,
01:19:53les personnes racisées, les minorités.
01:19:56Tout ça est assez lié.
01:19:57Je refuse les gens qui nous expliquent
01:19:59qu'à balai vert, il ne sert à rien.
01:20:01Je n'arrive même pas à prendre au sérieux
01:20:04les gens qui disent ça,
01:20:05parce que c'est souvent du parti les verts bashing,
01:20:08parce qu'on a pris notre voix,
01:20:10et qu'on veut dire que les verts sont nuls.
01:20:12Ca ne fait pas avancer le schmilblick.
01:20:14Je pense faire avancer la cause
01:20:16plus que ceux qui râlent toute la journée.
01:20:18Je vais citer un fait qui va parler à tout le monde.
01:20:21C'est le jour du dépassement.
01:20:24Le jour du dépassement, c'est le jour où l'humanité
01:20:27a consommé l'intégralité de ce que la planète
01:20:30peut générer en une année.
01:20:32Le jour du dépassement, en cette année 2024,
01:20:35c'est le 1er août.
01:20:36Voilà. Depuis 1970,
01:20:38cette date a avancé de cinq mois.
01:20:41Ca, je pense que ça parle à tout le monde.
01:20:44Et moi, ce que je voulais vous demander,
01:20:46Brice Lalonde, et à vous également,
01:20:49c'est quand l'écologie politique sera-t-elle capable
01:20:52d'engendrer les bénéfices électoraux,
01:20:54bien sûr, de la force du message
01:20:56qu'elle porte dans la société,
01:20:58et ces chiffres, ce jour du dépassement,
01:21:00en dit très très long sur les enjeux.
01:21:03Le job des écologistes, à mon avis,
01:21:05c'est de préserver les conditions de vie
01:21:08à la surface de la Terre.
01:21:09C'est un boulot énorme.
01:21:11C'est un boulot qui n'est pas fait
01:21:13parce qu'une grande partie des conditions
01:21:16pour vivre bien sur la Terre ne dépendent pas du vote.
01:21:19Les partis ne s'en occupent pas, c'est pas des électeurs.
01:21:22C'est le monde, ce sont les mondes des animaux,
01:21:25le monde des plantes, le monde des écosystèmes.
01:21:27Ca ne vote pas.
01:21:29Il faut absolument qu'il y ait une force politique
01:21:31qui s'occupe que de ça.
01:21:33Préserver les conditions de vie à la surface de la Terre.
01:21:36Ce que je reproche aux partis verts...
01:21:38Il faut parler de décroissance, c'est ce que disait Dumont.
01:21:42C'est pas un sujet tabou, la décroissance,
01:21:44surtout pas chez les écologistes.
01:21:46Il y a des choses qui doivent décroître et croître.
01:21:49Il faut être plus subtil.
01:21:50Le problème des verts, ce que je reproche aux verts,
01:21:53c'est qu'ils sont restés coincés
01:21:55à la doctrine écologiste des années 70.
01:21:57Ils sont antinucléaires,
01:21:59c'est pas le moment d'être antinucléaires.
01:22:01C'est pas le moment d'être contre le stockage de l'eau.
01:22:04C'est une erreur. Le changement climatique a tout changé.
01:22:07Il faut que le parti vert, le parti écologiste,
01:22:10s'adapte aux nouvelles réalités, change sa doctrine,
01:22:13s'adapte et fasse des alliances
01:22:15pour préserver les conditions de vie à la surface de la Terre.
01:22:18C'est pas Brice Lalon contre Marine Tondeuil.
01:22:21Il y a des scientifiques sur ce débat.
01:22:23Je précise qu'il n'y a pas d'un côté un parti des verts
01:22:26qui fait des élections tout seuls,
01:22:28et de l'autre, des écologistes environnementalistes
01:22:31qui font du bien à l'environnement.
01:22:33Les environnementalistes des assos sont en politique,
01:22:36parfois élus de notre parti.
01:22:37Dans notre mouvement, on n'a qu'une casquette politique.
01:22:41On est dans le syndicat, dans l'association de parents d'élèves,
01:22:44et on est multi-cartes dans plein d'associations
01:22:47qui font du bien à l'environnement.
01:22:49Je répète à chaque émission qu'on est en 2024
01:22:52et que les enfants qui naissent cette année,
01:22:54on ne sait pas leur garantir l'habitabilité de la planète.
01:22:57C'est ce que je fais en tant que secrétaire nationale des verts.
01:23:01Quoiqu'on ait l'image de personnes un peu loin en ce moment,
01:23:04mais oui, c'est une bagarre.
01:23:06Quand je vois le WWF qui sort la semaine dernière le chiffre,
01:23:0973 % de baisse en 10 ans des espèces sauvages vertébrées.
01:23:1373 % en 10 ans !
01:23:14On voit comment ça se projette dans les 50 prochaines années.
01:23:18Ca devrait obséder tous les politiques.
01:23:20Je veux bien qu'on ne se raconte pas que c'est de la faute des verts.
01:23:24En 1981, Mitterrand promettait la rupture avec le capitalisme.
01:23:28Aux prochaines élections présidentielles,
01:23:31si c'est vous qui y allez,
01:23:32vous n'avez pas proposé la rupture avec la croissance.
01:23:35C'est notre programme.
01:23:37La décroissance de quoi ?
01:23:38Vous allez théoriser la décroissance dans les années à venir.
01:23:42La décroissance,
01:23:43appelée des voeux de René Dumont,
01:23:45parce que c'est lui qui provoque ce débat.
01:23:47La décroissance va arriver.
01:23:49Vous allez la théoriser dans les années à venir.
01:23:52C'est pas une théorie, c'est la réalité.
01:23:54Si vous vous rendez pas compte qu'on ne va pas pouvoir
01:23:57tout ce qui est en train de croître pendant encore 50, 100 ans...
01:24:00Soit la décroissance est travaillée, préparée,
01:24:05accompagnée sous forme de transition,
01:24:07soit elle va arriver mécaniquement, sous forme de punition,
01:24:10et ce sera beaucoup plus violent.
01:24:12On prévoit l'accompagnement de ce changement de modèle.
01:24:15Pour être concrète, on n'a pas le choix.
01:24:17Vous aurez le mot de l'affaire.
01:24:19Est-ce que c'est ça, la porte de sortie politique
01:24:22pour l'écologie politique demain ?
01:24:24C'est peut-être d'insister sur une rupture
01:24:26avec la croissance telle qu'elle existe aujourd'hui.
01:24:29C'est ce que René Dumont voulait incarner.
01:24:32Qu'il est arrivé en 1974.
01:24:33Non seulement, la question n'est pas est-ce que c'est possible,
01:24:37la question est est-ce que c'est nécessaire ?
01:24:39Oui, c'est absolument nécessaire.
01:24:41On est passé 50 ans à se poser la question de comment, avec qui ?
01:24:45Les écologistes ont manqué de puissance.
01:24:47Ils étaient une minorité active, comme le dit Serge Moscovici,
01:24:51et ils ne sont pas devenus un mouvement social suffisamment puissant
01:24:55avec des entreprises, la prise du pouvoir à l'Elysée, etc.
01:24:58Par contre, sur le terrain, dans les municipalités,
01:25:01ils sont de plus en plus présents, de plus en plus puissants,
01:25:04de plus en plus incontournables.
01:25:06A la présidence de la République, ils n'y arrivent pas.
01:25:09Pas encore.
01:25:11Mais ils n'y arriveront peut-être pas encore.
01:25:13On bat notre record d'adhérents de l'histoire des Verts.
01:25:16200 000 soutiens.
01:25:17D'avoir un échec à la présidentielle,
01:25:20électoralement, le Parti écologiste n'est pas équipé
01:25:23pour concourir au même niveau que d'autres partis,
01:25:26comme le RN, qui était moins apprécié,
01:25:28mais pour lequel on votait plus.
01:25:30Les écologistes, on les aime bien, mais on ne les prend pas au sérieux.
01:25:34On vient de faire un livre sur l'écologie ou la barbarie.
01:25:37C'est ça, le sujet que posait déjà René Dumont,
01:25:39et que les autres ont posé à la présidentielle.
01:25:42Les écologistes ne sont pas très bons.
01:25:44Dans d'autres élections, ils sont meilleurs.
01:25:47du mouvement social-écologiste, pas seulement du Parti politique.
01:25:50On gère les plus grandes villes de se payer.
01:25:53Des millions de Français ont changé leur vie grâce aux écolos.
01:25:56Le Parti est en train de se réorganiser.
01:25:58Vous allez voir.
01:26:00On va finir là-dessus.
01:26:01Les écologistes dirigent plusieurs grandes villes françaises.
01:26:04C'est en 2020.
01:26:06Conquête de Lyon, Bordeaux, Strasbourg,
01:26:08Grenoble, réélection, Besançon,
01:26:10et participent à l'exécutif de deux grandes villes françaises,
01:26:13qui sont Paris et Marseille.
01:26:16Voilà.
01:26:17Merci à tous les trois d'avoir participé à cette émission.
01:26:20Après ce documentaire sur René Dumont,
01:26:22vos réactions, ce sera sur hashtag Débadoc.
01:26:25Merci à Félicité Gavalda, Victoria Bellé,
01:26:27qui m'a aidé à préparer cette émission.
01:26:29Prochain rendez-vous avec Débadoc,
01:26:31toujours avec son documentaire et son débat.
01:26:34A très bientôt.
01:26:35SOUS-TITRAGE ST' 501
01:26:46SOUS-TITRAGE ST' 501

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