"Les Deux Anglaises et le Continent", le film raconté le monteur Yann Dedet

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Transcription
00:00Par exemple, il envoyait des montages idéaux d'une séquence.
00:02Il me disait, voilà l'éclairage de cette séquence,
00:04ça serait bien que vous la montiez en 35 plans,
00:06description de tous les plans, etc.
00:08Ce qui a été formidable, c'est que souvent sur les 35 plans,
00:11il y en a, disons, 5 qui n'existaient pas.
00:13Donc, il fallait trouver quelque chose qui ressemble à son désir du plan idéal.
00:17Je crois que notre éducation nous a caché des choses essentielles.
00:21Par exemple, je comprends le mot vierge seulement depuis que j'ai lu Germinal.
00:26Et toi, Muriel ?
00:27Pour choisir entre deux choses, il faut les connaître toutes les deux.
00:31Je ne peux pas choisir entre le vice et la vertu.
00:33Par hasard, je ne connais que la vertu.
00:42Comme très souvent, Truffaut est totalement à l'opposé de son époque.
00:45C'est-à-dire, il ne veut pas parler de l'époque comme on parle de l'époque.
00:48Donc, il en parle de façon plus littéraire, de façon moins directe,
00:52bien qu'il n'hésite pas à intégrer dans ses films des choses frappantes
00:56comme la tâche de sang dans celui-ci, etc.
00:58Et comme le journal sur la masturbation de Muriel,
01:02qui est effectivement directement adressé à ça.
01:05Mais ce ne sont pas les mots de l'époque quand même.
01:07Voilà, il n'en parle pas à la façon de l'époque.
01:09Il en parle très crûment et ça vient d'ailleurs majoritairement du Rimbaud.
01:13Mais il a cette espèce de...
01:15J'ai toujours pensé que les films de Truffaut, il y avait un petit peu de poussière dessus
01:19déjà quand ils apparaissent, c'est-à-dire qu'ils sont de l'époque.
01:21Il y a des choses, il y a Jean-Pierre Léo qui est typiquement de l'époque, etc.
01:24Mais quelque chose fait que quand on les voit, même Bézévolé,
01:27même des films soi-disant très modernes à l'époque,
01:29il y a quand même quelque chose qui est un peu passéiste,
01:31un peu un goût du passé qui reste là,
01:33comme moi j'appelle ça une petite couche de poussière,
01:35qui fait que les films de Truffaut vieillissent très très bien.
01:54C'est une scène où il y avait beaucoup de rush, pas mal de grosseur et tout ça,
02:11elle n'est pas très longue, mais elle était assez découpée.
02:14Et puis comme souvent il y avait pas mal d'improvisation par rapport à Léo,
02:19il voulait le laisser libre de faire ce qu'il voulait.
02:23D'ailleurs, il a gardé ce geste bizarre en enlevant le son et tout ça.
02:27On voit que Léo rit de lui-même après et tout ça.
02:30Donc, c'est vraiment, moi, la famille des acteurs que j'aime bien
02:33parce que c'est comme quelqu'un qui aime laisser les « erreurs » ou les dérapages,
02:38ce qui rend les choses souvent plus vivantes que quelque chose de très carré et tout ça.
02:44Alors que dans ce film, il y a beaucoup de choses très littéraires, très écrites
02:47et qui ne débordent pas.
02:49Sinon que Léo a cette façon un peu particulière avec tout le temps son doigt en l'air.
02:53D'incarner ça à la Léo, absolument.
03:18Le plan de séquence, évidemment, il doit être parfait,
03:20mais non de cette perfection esthétique et formelle totale.
03:24Une perfection, justement, qui comporte les aléas de la vie,
03:26qui comporte des glissements de terrain, etc.
03:29Sinon, effectivement, si ce n'est qu'une beauté formelle, c'est très ennuyé.
03:34Puis ça se sent, ça sort du film d'une certaine façon.
03:36Ça fait exploit, voilà, ça fait exploit et c'est très douloureux.
03:39Mais ce que j'apprécie beaucoup, justement, c'est le truc fou puisque j'en ai monté cinq
03:42et j'ai travaillé sur dix avec les cinq assistadas.
03:45C'est que tous ces films sont très alternés.
03:47Il y a un plan de séquence, une séquence très montée, des plans de séquence,
03:50souvent pas aussi long qu'il les a tournés, raccourcis un peu par le début ou par la fin.
03:54Quelques fois avec un jump cut au milieu, ça arrive aussi.
03:57Mais j'aime beaucoup cette alternance de temps, de temps réel qui se développe,
04:01ce qui est le sentiment quand on envoie un plan de séquence,
04:04c'est des séquences tout d'un coup très, très montées.
04:05Cette alternance est très riche.
04:07Je crois que je n'ai pas remarqué ça autant que chez lui.
04:11Voilà, c'est quelque chose qui me faisait aimer beaucoup son cinéma.
04:18J'admire complètement parce que c'est, je veux dire,
04:20c'est le contraire de l'imaginaire que nous sommes.
04:22C'est comme l'imaginaire de la langue.
04:23C'est que tu es aussi une langue, tu as une langue, tu es sans-dépense,
04:27tu as un impact sur la langue.
04:28Tu n'as pas de raison de faire de la langue une langue qui était lain,
04:31qui évitait les valeurs qu'on avait.
04:32Ça, c'est une aigne qui était avec nous.
04:33Et puis, il y en a une autre qui est là.
04:35Ça, c'est la langue...
04:36C'est celui de La Malinche, qui est en train d'être en train d'être une langue.
04:38C'est un knight, qui est en train d'être une langue.
04:39L'histoire, j'admire complètement puisque c'est le contraire de l'image cinématographique
04:48où les gens sont sous des projecteurs et pour qu'on voit bien leur visage, c'est
04:53des jeux d'ombre et de lumière, des films éclairés à la bougie, comme disait François,
04:57etc.
04:58C'est quand même une photo justement très, très… Oui, c'est des tableaux.
05:02Ça, c'est le côté, j'allais dire bêtement non-vivant, c'est pas non-vivant, mais en
05:07tout cas classique.
05:08C'est ça, de peinture classique à l'intérieur duquel une vie justement avec ses hasards
05:14truffaut la fenêtre à l'intérieur d'un cadre picturalement très, entre guillemets,
05:18parfait.
05:19Comme toute belle photo, c'est-à-dire qu'on a d'autant plus de plaisir à monter un film
05:23que la photo est belle, pas belle pour mettre l'esthétique en premier, mais pour mettre
05:28l'esprit du film, voilà, en premier, je dirais.
05:30Il y a donc de l'espoir.
05:32Il y a un début d'espoir.
05:35Un début d'espoir.
05:38Bien.
05:39François avait très peur que ce film ne marche pas.
05:42Avant la sortie, une semaine avant la sortie ou deux, on avait préparé avec lui et Martine
05:48Barraquet, je crois que c'est huit coupes.
05:51C'est-à-dire si le film ne marchait pas le mercredi, jeudi, vendredi, pour le week-end,
05:56on allait raccourcir le film.
05:58Ce qu'on a fait avec Martine Barraquet le vendredi, on est allé dans les 10 salles,
06:02je ne sais plus, dans lesquelles passaient les films et sur l'enrouleuse, on a coupé
06:06nos huit séquences prévues.
06:08Donc, c'était assez criminel.
06:09Mais François était tellement, ça fait tellement longtemps qu'il voulait faire ce film qui
06:14était plus difficile, d'une certaine façon, parce que c'est plus ludique que Jules et
06:17Jim, qui est plus sautillant, je dirais.
06:19Et donc, on avait préparé ça et le film n'a pas mieux marché pour autant, bien évidemment.
06:23Et donc, en 82, je crois, deux ans avant sa mort, il a remis toutes ses coupes avec Martine
06:28Barraquet et refait une sortie.
06:29Je crois qu'ils ont en profité pour refaire quelques commentaires, quelques voix de François
06:34et des choses comme ça.
06:35Tu as une grande curiosité, les hommes, une curiosité, qu'il y a quelque chose de sacré.
06:39À cause de cela, tu auras plusieurs amours, tu crois ? Je ne sais pas, je veux travailler
06:49et encore travailler.
06:50Je ne veux pas faire des enfants, mais des statues, des statues.
06:55J'ai l'impression que les films de François vieillissent très bien, autant les films
06:58romantiques à photo d'Almenrose que les films énergiques à photo William Gled, quelque
07:03chose quand même reste très, très vivant, même s'il a été taxé un peu de classicisme
07:09légèrement académique sur certains films, etc.
07:12Il y a quand même quelque chose dans la vie de ces personnages, dans le goût qu'il a
07:17pour les personnages et pour la littérature autant que le cinéma, etc.
07:21Tout ce mélange fabrique quelque chose qui continue à attirer.
07:25Moi, je rencontre beaucoup de gens, peut-être plus que avant, d'ailleurs, je pense que le
07:28temps augmente ça, qui aiment beaucoup Truffaut.
07:30Philippe Léchin, par exemple, est un immense Truffaldien, les gens d'aujourd'hui, disons.

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