Cette vidéo explore l'histoire de la guillotine, une invention emblématique de la Révolution française, qui symbolise à la fois la justice et la terreur. En examinant ses origines, son fonctionnement et son utilisation, la vidéo retrace son parcours depuis sa création par le docteur Joseph-Ignace Guillotin jusqu'à son adoption comme méthode d'exécution. Elle met en lumière les débats éthiques et sociaux qu'elle a suscités à travers les siècles, ainsi que son impact sur la culture et la mémoire collective en France.
Category
📚
ÉducationTranscription
00:00On lui a lié les mains derrière le dos avec la cordelette.
00:07Presque sans hésiter, je suis les gardiens qui poussent le condamné, et j'entre dans
00:16la cour intérieure où se trouve la guillotine.
00:18Tout va très vite, le corps est presque jeté à plat ventre, mais à ce moment-là,
00:27je me tourne, non pas par crainte de flancher, mais par une sorte de pudeur instinctive,
00:33viscérale.
00:34J'entends un bruit sourd, je me retourne.
00:37Du sang, beaucoup de sang.
00:41En une seconde, une vie a été tranchée.
00:44J'ai une sorte de nausée que je contrôle.
00:47J'ai en moi une révolte froide.
00:50Ce récit de Monique Babelli, juge d'instruction présente à la prison des Beaumet lors de
00:57la dernière exécution d'un condamné, a été rendu public à la demande de l'avocat
01:02Robert Badinter.
01:04Devenu ministre de la justice en 1981, il porte devant l'Assemblée nationale le premier
01:11grand débat du septennat de François Mitterrand, l'abolition de la peine de mort, et donc
01:17la disparition de la tristement célèbre guillotine.
01:22Demain, voyez-vous, demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice
01:35qui tue.
01:36Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, des exécutions
01:46furtives à l'aube, sous le denoir, dans les prisons françaises.
01:52Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.
02:00Demain, c'est l'abolition, législateur français, de tout mon cœur, je vous remercie.
02:16L'histoire de la guillotine commence au moment de la Révolution en 1789.
02:44Partout dans le monde, depuis la nuit des temps, les condamnés à mort sont exécutés
02:49par toutes sortes de techniques barbares, mais la France, elle, se distingue.
02:54Poussée par le courant humaniste et par les philosophes, elle veut en finir avec les supplices
03:01en vigueur sous la monarchie, tout en conservant la peine de mort, qui est largement approuvée
03:06par le peuple.
03:08Comment la rendre acceptable ? C'est l'objectif de Joseph-Ignace Guillotin, médecin, député
03:16du Tiers-État, il propose d'en finir avec les archaïsmes de la justice.
03:22Seuls les nobles avaient droit à être décapités, et c'était à l'épée de justice.
03:27Lui, il dit que, voilà, si on est condamné à mort, on doit être exécuté selon un
03:31procédé mécanique, le même pour tous.
03:34Et puis, il a une arrière-pensée en tant que médecin, c'est de rendre la mise à mort
03:37la plus brève, la plus courte possible, la plus indolore possible.
03:42L'idée va être approuvée, mais l'idée seulement, cette mécanique, on ne la connaît
03:47pas, lui-même ne l'a pas conçue, il n'est pas ingénieur, il n'a jamais fabriqué
03:52une machine à décapiter, et en fait, c'est surtout pour se moquer de lui que ses adversaires
03:57politiques vont donner le nom de Guillotin, vont donner son nom à cette machine qui
04:02va être construite.
04:03Plusieurs projets sont soumis aux députés, et c'est celui du docteur Antoine Louis,
04:12chirurgien militaire, qui est retenu en 1792.
04:16Une lame en biseau, entre deux montants de bois, s'abat en une fraction de seconde
04:21sur le coup du condamné.
04:22On procède à des essais sur des cadavres et des animaux, ils sont concluants.
04:27On estime à 18 000 le nombre de personnes qui ont eu la tête tranchée pendant la Révolution
04:33française.
04:34Dans les milieux bourgeois aussi, dans les milieux éduqués, il est bien vu d'assister
04:41à une exécution, surtout, bien sûr, si on est aux premières loges, à telle enceine
04:46qu'à Paris, la préfecture de police distribuait de véritables cartons d'invitations.
04:50Ça, c'est un carton pour assister à une exécution, pour franchir le cordon de sécurité
04:55et être aux premières loges.
04:56Et alors, ce carton comportait un coin détachable avec un pointillé, celui-là n'a pas servi,
05:02celui-là a servi, c'est-à-dire qu'on enlevait le coin pour vous laisser entrer.
05:06Ça, c'est le carton d'une exécution à laquelle, eh bien, on a assisté.
05:10Au XIXe siècle, la pratique ne change pas, la guillotine est toujours appréciée par
05:19la population.
05:20Mais une certaine répugnance commence à se ressentir dans les milieux politiques.
05:25Elle devient de moins en moins supportable.
05:27Dans un premier temps, on la fait migrer dans la périphérie des villes, puis en 1870,
05:37on supprime l'échafaud, cette estrade sur laquelle doit monter le condamné pour être
05:42vu de tous.
05:43À partir de 1906, la France n'est pas très loin d'abolir véritablement la peine de
05:50mort.
05:51Pourquoi ? Parce que d'abord arrive à l'Élysée un personnage qui s'appelle Armand Fallière,
05:56un personnage plutôt débonnaire, un avocat qui a toujours été abolitionniste.
06:02Et en tant que président de la République, même si le président a peu de pouvoir sous
06:06la Troisième République, il dispose d'une arme importante, c'est le droit de grâce.
06:10On va inventer une manœuvre pour tenter d'introduire, pour tenter d'imposer le débat sur l'abolition,
06:17supprimer les crédits du bourreau et donc ainsi supprimer la guillotine, en catimini
06:20en quelque sorte, sans qu'il y ait un grand débat.
06:22En 1908, on n'est pas très loin d'un vote majoritaire en faveur de l'abolition.
06:28Le président est pour, le chef du gouvernement est pour, la majorité est plutôt pour.
06:32Malheureusement, il y a à ce moment-là un crime assez abominable, un triste individu
06:37du nom de Soleillan qui entraîne une jeune voisine et qui la tue, dissimule le cadavre
06:44de façon sordide.
06:45Et on assiste en quelques semaines à un retournement de l'opinion.
06:49À partir de là, les parlementaires les moins convaincus, les plus indécis vont finalement
06:54voter pour le maintien de la peine de mort.
06:56Le tournant, c'est la Grande Guerre, le tournant, c'est 1914.
06:59Pourquoi ? Parce que la France entre dans une période de guerre presque continuelle.
07:04Quand elle est en guerre, la France, quand elle est en guerre mentalement, à quoi ça
07:07sert de se battre, franchement, pour sauver une ou deux mauvaises têtes de criminels
07:12alors qu'il y a des centaines de milliers de bons Français honnêtes qui meurent sur
07:16les champs de bataille pour défendre leur pays ?
07:18En fait, il n'y a pas de débat parlementaire sur la peine de mort depuis 1909.
07:23Il faudra attendre véritablement 1979-1981 pour qu'il y ait un débat parlementaire.
07:30C'est ainsi que 500 têtes continuent de tomber.
07:34Comme aucune loi ne régit l'organisation des exécutions, un rituel s'est établi
07:41qui varie très peu dans le temps.
07:43Lorsqu'une condamnation à mort est prononcée, lorsque les différents recours ont été
07:48rejetés, la justice, comme on dit, suit son cours.
07:56C'est le compte à rebours qui se met en place.
07:58Il sait qu'il n'a plus que quelques heures, voire quelques minutes, à la fin du 19e siècle,
08:04avant de mourir.
08:05Et c'est un moment qui est extrêmement scruté par les témoins parce que c'est véritablement
08:10le moment où la justice s'imprime dans le corps du condamné.
08:14On va également ensuite l'amener au greffe, c'est-à-dire une pièce de la prison où
08:20on va le mettre pour la première fois en présence de l'exécuteur qui n'a pas le
08:26droit de venir dans la cellule pour le réveiller, qui l'attend au greffe.
08:29Ce qui est intéressant à noter, c'est qu'une fois que les gardiens ont amené le condamné
08:37au greffe, c'est l'exécuteur en chef qui signe une levée d'écrou.
08:45Et on dit, en termes de la profession de bourreau, à ce moment-là, le condamné m'appartient.
08:54Et puis, il y a ce qu'on appelle la toilette, qui est faite à ce moment-là par des aides
09:00de l'exécuteur, qui va consister à couper les cheveux au 19e siècle, à couper ensuite
09:08simplement le col de la chemise, à l'échancrer celle-ci, à dénuder les épaules.
09:11Ensuite, on peut laisser quelques minutes au condamné pour se restaurer, manger au 19e
09:20siècle. Par la suite, on se contentera d'un verre de cordial, d'un verre d'alcool et de
09:26quelques cigarettes, dire quelques mots encore au prêtre, lui recommander des choses à
09:35transmettre à la famille ou à l'avocat. Et enfin, on va l'amener devant la guillotine.
09:41La guillotine, elle est montée en 30-45 minutes. Et puis, à l'aube, vers 4h du matin, souvent,
09:52on va chercher le condamné dans sa cellule. Et entre le moment où on va le chercher dans
09:56sa cellule et où il est exécuté, grosso modo, il y a une demi-heure.
10:05C'est au petit matin, toujours en public, devant les portes des prisons, que se déroulent les
10:13exécutions. Mais en 1939, juste avant la déclaration de guerre, l'affaire Eugène
10:21Weidmann va bouleverser la pratique. Cet Allemand, né en 1908 à Francfort,
10:30dans une famille aisée, plonge très jeune dans la délinquance. Il multiplie les séjours en prison
10:37dans son pays. Narcissique, mythomane, habité par un sentiment de toute puissance, il s'est joué de
10:45son physique avenant. À Francfort, il séduit une riche héritière qui l'enlève pour rançonner sa
10:51famille. Arrêté, emprisonné, il rencontre deux truands français. Le trio arrive à Paris.
11:01Il arrive en pleine exposition universelle, en 1937. Et là, il est toujours à l'affût d'un
11:13mauvais coup et il va commettre l'irréparable. La première personne qu'il a tuée, c'est
11:19Jeanne de Coven, une jeune danseuse américaine venue en France pour découvrir l'exposition
11:25universelle de 1937. Cette jeune femme, il a pour idée de la kidnapper et de lui demander
11:32une rançon. Deux jours après, le voilà qui arrive, qui va chercher Jeanne de Coven à son
11:36hôtel. Jeanne de Coven part avec lui et on ne la reverra plus jamais. Il est pris d'un moment de
11:43folie. Il lui saute à la gorge et il l'étrangle. Alors il dira lui-même que cette première
11:51expérience d'avoir donné la mort lui est apparue comme très facile. Et à partir de là,
11:58il tuera les autres personnes d'une balle dans la nuque. Et les autres crimes vont être commis
12:03tout simplement pour payer son loyer. C'est des sommes dérisoires. Quand il est effectivement
12:10arrêté le 9 décembre 1937, son arrestation représente un soulagement très certainement
12:18pour lui parce qu'il va dire à la veille de sa mort qu'il est content de ne pas vieillir.
12:48A la prison Saint-Pierre de Versailles, il occupe la même cellule que Landru quinze ans
13:00plus tôt. Après un an d'instruction, le procès devant la cour d'assises de Sénéoise s'ouvre en
13:07mars 1939. Eugène Weidmann et sa bande sont accusés de six meurtres avec préméditation.
13:17Le procès, c'est le spectacle du siècle. Les plus grandes personnalités y sont Cocteau,
13:22Colette qui va en tant que journaliste, il y a Maurice Chevalier et il y a le plus beau de tous
13:30et celui qui donne le plus envie de l'écouter, il y a le superbe Weidmann. Toutes les femmes le
13:36regardent, qu'est-ce qu'il est beau, quel beau monstre, c'est pas possible. Colette dit c'est
13:41très malvenu de vouloir couper une si belle tête. Versailles connaît ce matin une vive animation.
13:46Devant le palais de justice, une foule curieuse et avide d'émotions fortes se presse pour assister
13:52au procès de Weidmann et de sa bande. Six crimes affreux commis en quatre mois vont être évoqués
13:59successivement dans l'enceinte d'une cour d'assises qui depuis l'affaire Landru n'avait pas connu de
14:04débat criminel d'une telle ampleur. L'air là est déprimé, le criminel est peu loquace et semble ne
14:16pas se faire d'illusions sur le sort qu'il attend. Le verdict ne fait pas de doute, si ses complices
14:22sauvent leur tête pour Weidmann, c'est la mort. Tous les recours sont rejetés, la grâce présidentielle
14:30est refusée. L'exécution est prévue pour le 17 juin à 3h50 du matin. A la lumière des projecteurs,
14:39sur le trottoir devant la prison, le bourreau Jules Defourneau, pour qui c'est la première
14:44exécution, positionne mal la machine. La lame refuse de descendre, il faut tout démonter,
14:51le temps passe. A 4h40, lorsque tout est prêt, il fait jour. Christophe Hurley, le comédien britannique,
15:03futur Dracula dans les films d'horreur, se trouve dans l'assistance. Les portes s'ouvraient du prison,
15:10il est sorti, chemise blanc, pantalon, je crois les pieds nus, je ne me rappelle pas très bien,
15:17mais je crois les mains ligotées, la chemise déchirée, avec un homme sur chaque bras,
15:25tout était arrangé, il avait le panier, la bascule, la lunette, tout ça, la lame, tout ça,
15:32incroyable. Et puis, heureusement, je n'ai pas vu, j'ai tourné la tête, j'ai entendu la descente de la
15:42lame, parce qu'il y a du bruit, et puis, peut-être, c'est l'imagination, je ne sais pas. Et puis,
15:55quand je regardais de nouveau, le panier est parti, et ils étaient en train de démonter la machine.
16:04C'est la première et seule exécution jamais filmée en France.
16:26Et là, ce sont des cris de joie, on sable champagne, on danse, des dames même trempent
16:32leurs mouchoirs dans le sang du supplicié, en disant que c'est bon pour la fertilité.
16:39Cette exécution va donner lieu à de tels débordements, et on considère la prise de vue
16:44commune de ces débordements à l'époque, que là, la décision est prise de cesser les exécutions publiques,
16:50ce qui fragilise le principal argument des partisans de la peine de mort, l'exemplarité.
16:56La peine de mort ne peut plus, si jamais elle l'a été, être exemplaire, dans la mesure où elle n'est plus vue,
17:01elle n'est plus publique, elle est simplement sue par une brève dans les journaux.
17:05Même dissimulée dans l'enceinte des prisons, le cérémoniel des exécutions reste inchangé.
17:12Personnels pénitentiaires, greffiers, avocats, magistrats, prêtres, chacun joue son rôle dans la discrétion.
17:22Seul le bourreau focalise l'attention du public et de la presse.
17:28Les bourreaux ont toujours été à la fois craints, détestés et secrètement admirés.
17:40Les bourreaux, c'est d'abord une affaire de famille. C'est toujours comme ça. Il y a eu des dynasties.
17:46Il y a eu la fameuse dynastie Samson. L'autre grande, grande dynastie, ce sont les Demlers.
17:52C'était payé au mois, non pas par exécution, comme on pourrait l'imaginer.
17:57Il n'y avait pas non plus de... Certains ont dit une prime qu'on aurait appelée une prime de panier ou...
18:02Bon. Il venait tous les mois, l'exécuteur, à la direction des affaires criminelles et des grâces, chercher son enveloppe
18:09pour lui et ses aides. Il avait un premier aide et deux autres. Autour de la guillotine, ils étaient 4, en général.
18:16Bon. Et j'ai fait le calcul. Aujourd'hui, un exécuteur gagnerait à peu près en chef 3 500 € par mois, son premier aide 2 500 €
18:27et les autres 1 500 € par mois. — Des hommes comme Anatole Desblères, qui commence à exécuter en 1885 et qui achève en 1939,
18:37qui a fait tomber près de 400 têtes, soit au titre de bourreau en chef ou d'adjoint, dans ses carnets d'exécution,
18:44il met une note de façon très administrative, le nom du condamné, la date de l'exécution. En revanche, il met peu de notations personnelles.
18:56Mais moi, je fais l'hypothèse que, finalement, c'est la nature même de ces carnets qui nous informent sur la façon dont le bourreau
19:05affronte son travail, la difficulté de ce travail. Il le routinise d'une certaine façon. Il le rend administratif.
19:14Il prend une forme de distance par rapport à celui-ci. — Oui. Alors c'est assez particulier. Ce n'est pas évident de tuer de sang-froid
19:22un être humain. Et moi, ce que j'ai pu lire dans les travaux que j'ai effectués et ce que je peux retirer des entretiens que j'ai eus avec l'exécuteur,
19:36c'est qu'en réalité, j'ai eu le sentiment qu'il se raccrochait, pour supporter la situation, à des éléments techniques, à des procédures, à des gestes,
19:48à des rituels, un petit peu comme les urgentistes dans la médecine de catastrophe, parce que c'est tellement effrayant, tout ce qui se passe,
19:56qu'on se réfugie derrière les procédures pour supporter la situation. — Mais au fond, les bourreaux, si je m'en tiens à celui que j'ai connu, M. Obrecht,
20:08c'était pas des espèces d'horribles personnages, etc. C'était des Français moyens.
20:17Il est pourtant des condamnés à mort pour lesquels le bourreau et son équipe éprouvent une réelle aversion à exercer leur office. Ce sont les femmes.
20:30— Les exécutions de femmes, techniquement, ne sont pas censées différer de celles des hommes. Cependant, les exécuteurs disent très nettement
20:41que les femmes, elles n'ont pas l'habitude de les manipuler, parce que c'est quand même faire violence à une femme et que ça ne rentre pas
20:52dans l'éthos masculin de l'époque, surtout l'éthos des exécuteurs qui se veulent des instruments de la justice et qui, là, ont l'impression
21:01d'être ramenés vraiment à leur rôle de brutes.
21:05D'ailleurs, les exécutions de femmes sont rares. Elles ne représentent que 7% de l'ensemble des condamnés à mort. Aucune femme n'est exécutée
21:15pour crime de droit commun entre 1887 et 1941. Après la guerre, elles ne sont qu'une poignée à passer sous le coup près. Germaine Loi-Godefroy
21:28va entrer dans l'histoire criminelle. Elle est la dernière Française guillotinée le 21 avril 1949, derrière les murs de la prison d'Angers, dans le Maine-et-Loire.
21:46Germaine vit à Bogé, dans la Sarthe. Réputée travailleuse, mais volage, elle dirige avec son mari Albert un négoce de charbon.
21:56Un jour, elle tombe amoureuse de Raymond Boulissière, un jeune employé, au point de vouloir supprimer son mari pour vivre avec lui.
22:09Le 10 décembre 1947, à 22h30, Germaine assène à Albert 20 coups de feuilles de boucher pour 20 ans de mariage.
22:19Sa version d'un cambriolage n'est pas crédible aux yeux des enquêteurs. Elle passe aux aveux.
22:28Le crime de Germaine Loi est une double transgression, d'abord parce qu'elle a exercé la violence alors que normalement la violence est masculine,
22:35et puis aussi parce qu'elle a tué son mari, son époux, et elle a renversé, du coup, en quelque sorte, la hiérarchie conjugale,
22:43puisque la femme, par le mariage, est soumise à son mari, et c'est une transgression qui est sévèrement réprimée.
22:50D'ailleurs, c'est assez frappant de constater, si on regarde les annales judiciaires, qu'en réalité, il y a beaucoup plus d'hommes qui tuent leur épouse que d'épouses qui tuent leur mari,
23:00et pourtant, les hommes qui tuent leur femme ne sont quasiment jamais condamnés à mort, alors que les femmes qui tuent leur époux, elles, au contraire,
23:07elles sont quasiment toutes condamnées à mort de façon systématique.
23:12L'instruction est expédiée, et le procès fixé au 26 novembre 1948 ne dure qu'une seule journée.
23:20La culpabilité de Germaine Leloy-Godefroy et de son amant, Raymond Boulissière, ne fait aucun doute.
23:32Germaine n'a pas une attitude qui lui permettrait de susciter la sympathie du jury.
23:38Tout au contraire, même, voilà, on sait bien que dans la cour d'assises, c'est un peu une loterie, finalement, et c'est vrai que beaucoup de choses reposent sur la personnalité de l'accusé.
23:47Il se montre très froid, très passif, sans réaction, comme l'a été Germaine, et là, il y aura toutes les chances que cet accusé soit condamné à mort, et c'est effectivement ce qui se passe pour Germaine.
23:58Après 1949, il n'y aura plus d'exécution de femmes.
24:02Il y a des femmes qui continuent à être condamnées à mort, mais on en revient à cette abolition de fait qui avait existé pendant la plus grande partie de la Troisième République,
24:11c'est-à-dire que les présidents successifs, après Vincent Auriol, vont accorder systématiquement la grâce pour les femmes.
24:19Mais la guillotine n'en reste pas moins active pour les hommes.
24:24Une machine reste à Paris, les deux autres sillonnent la France au gré des décapitations, une cinquantaine jusqu'à la tuerie de Clairvaux en 1971.
24:38Claude Buffet, 38 ans, réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre.
24:43Roger Bontemps, 35 ans, 20 ans de réclusion pour attaque à main armée.
24:48C'est pour cela que Buffet et Bontemps se trouvent à la centrale de Clairvaux, le 21 septembre 1971, où ils purgent leur peine.
24:57Les deux hommes se sont fait admettre à l'infirmerie.
25:01Ils prennent en otage, sous la menace de leur couteau, Guy Girardot, un gardien, et Nicole Comte, une infirmière.
25:09C'est le branle-bat de combat à la prison, à la chancellerie et au ministère de l'Intérieur.
25:15Le responsable de la police judiciaire de Reims, Charles Pellegrini, est le premier sur les lieux.
25:21Très tard dans la soirée, même au début de la nuit, on vous passe Paris.
25:26C'était le garde des Sceaux, René Pleven, directement au téléphone.
25:30Donc, monsieur le commissaire, oui, monsieur.
25:33Et donc, combien avons-nous de chances de sauver les otages ?
25:36Pas beaucoup, monsieur le président, pas beaucoup.
25:39Mais dites-moi un pourcentage.
25:4210 à 15 %, c'est bien, donnez l'assaut.
25:46Donc, autre temps, autre meurtre, Clairvaux, maison centrale de force, détenu hautement dangereux.
25:52Mais les ordres du ministère de la Justice étaient, on ne sort pas d'une maison centrale de force.
26:02On a mis une charge très importante sur la porte de l'infirmerie.
26:08L'explosion était violente.
26:10On s'était mis un peu en retrait sur l'escalier, mais ça a bien soufflé.
26:14Et on est rentrés.
26:16Il y avait le surveillant Girardot qui avait été égorgé.
26:20Son sang avait giclé jusqu'au plafond.
26:22Et Mme Comte qui a agonisé dans la pièce à côté.
26:27Le procès pour séquestration et double crime s'ouvre le 17 juin 1972 à 3 dans l'aube.
26:34Buffet est défendu par maître Thierry Lévy et bon temps par maître Robert Badinter.
26:40Claude Buffet se distingue d'entrée.
26:43Comme vous l'ont dit mes avocats, maître Thierry Lévy et maître Croce ont dit que je réclamerais la peine de mort.
26:50C'est bon, tant fait.
26:52Et vous me la donnerez.
26:54Mardi, quand j'ai quitté le palais de justice, dans les fourgons, la foule réclamait à mort ces fumiers.
27:04Si elles savaient qu'on fond, elles me rendaient service.
27:09Le verdict tombe deux jours plus tard.
27:12En conséquence, la cour et le jury, après en avoir délibéré en commun à la majorité et sans désemparer,
27:18condamnent Buffet-Claude et bon temps Roger à la peine de mort.
27:23Silence ! Silence !
27:25Expulsez cet individu !
27:27Expulsez cet individu qui s'est levé pour applaudir.
27:30C'est honteux !
27:34Robert Badinter, l'avocat de bon temps, est en première ligne.
27:38Car il apparaît que son client n'a pas tué.
27:41Et il multiplie les recours en 20.
27:43Car finalement, Georges Pompidou rejette la grâce pour les deux hommes.
27:49Ils sont transférés à Paris, dans la maison d'arrêt de la santé.
27:53Et le 28 novembre 1972, Buffet et bon temps sont exécutés à l'hôpital.
27:59Dans la petite cour prévue à cet effet.
28:02Cette double exécution marque les esprits.
28:05Pour plusieurs raisons, elle devient mythique.
28:10D'abord la personnalité de Buffet, qui a dit tout le temps
28:13il faut me condamner à mort parce que je recommencerai.
28:16Ce n'est pas courant dans les cours d'assises.
28:18Deuxièmement, bon temps, je pense qu'il n'a sans doute pas tué madame Comte.
28:25Honnêtement, j'en ai lu tellement, mais je pense.
28:28Mais il avait été condamné pour un délit qui aujourd'hui lui vaudrait
28:32tout au plus un an de prison.
28:34Il avait braqué un chauffeur de taxi avec un pistolet factice.
28:37Mais il avait été envoûté par Buffet, qui n'avait qu'un leitmotiv.
28:41Nous sommes deux, on l'a fait à deux et on partira à deux.
28:45Elle est aussi devenue mythique parce que Badinter était l'avocat de bon temps.
28:49Je crois qu'il a fait une plaidoirie remarquable.
28:52Je suis devenu, après cette exécution, un militant.
28:56Un militant de l'abolition.
28:58J'ai dit, je ne peux pas aussi longtemps que je devrais,
29:04je me battrai contre la peine de mort.
29:07C'est incompatible avec tout ce que je crois être la justice.
29:13Dans ces années 70, la cause abolitionniste
29:18Dans ces années 70, la cause abolitionniste progresse.
29:23Après l'affaire Buffet-Bontemps, dix condamnés à mort seront graciés
29:28par les présidents Pompidou et Giscard d'Estaing,
29:31mais l'assassinat d'une enfant va relancer le débat.
29:34Le 3 juin 1974, Maria Dolores Rambla, 8 ans,
29:40qui joue avec son petit frère devant chez elle,
29:43citée Sainte Agnès à Marseille, dans les bouches du Rhône,
29:46est enlevée par Christian Ranucci.
29:51L'affaire Ranucci est au fond assez simple.
29:54On ne sait pas pourquoi.
29:56Il dit que c'est pour l'emmener faire une promenade.
29:58C'est possible.
30:00Une petite fille, la petite Dolores Rambla,
30:03il l'enlève, il lui demande de monter dans sa voiture.
30:08Et puis, à un carrefour, Ranucci, avec la petite dans la voiture,
30:11a un accident.
30:13Pas grave, mais quand même, de la tôle froissée,
30:16il heurte une autre voiture.
30:18Il prend la fuite.
30:20L'autre voiture, elle roule quand même,
30:22et il la poursuit.
30:24Et il voit la voiture s'arrêter.
30:26Le conducteur de cette voiture descend,
30:28portant, on ne sait pas si c'était un bébé
30:30ou si c'était un enfant, un jeune enfant,
30:32ou une poupée, je ne sais pas quoi,
30:34mais il s'enfonce dans un petit bois qui était là.
30:38Christian Ranucci, le propriétaire de la voiture,
30:42un coupé Peugeot 304, est identifié.
30:46La gendarmerie est mobilisée.
30:49Des chiens suivent une piste qui mène à une champignonnière.
30:55On cherche et on trouve le cadavre de la petite
30:58qui a été tuée à coups de couteau et ventrée.
31:01C'est évidemment abominable.
31:04Le 5 juin 1974, Ranucci est arrêté chez lui à Nice.
31:10Le lendemain, après 18 heures de garde à vue,
31:13il passe aux aveux.
31:15Pourtant, les témoins de l'enlèvement ne l'ont pas reconnu.
31:18Et ils n'ont pas davantage identifié son véhicule
31:21comme étant celui du ravisseur.
31:24Six mois plus tard, Ranucci se rétracte.
31:27Il affirme ne pas se souvenir d'avoir enlevé
31:30ni tué Marie-Dolores Rambla.
31:33Mais il reconnaît avoir indiqué l'endroit où était l'arme du crime,
31:37le couteau taché de sang.
31:39Le procès est fixé au 9 mars 1976.
31:43Mais deux semaines avant son ouverture,
31:46un crime particulièrement horrible bouleverse l'opinion.
31:52La France a peur. Je crois qu'on peut le dire aussi nettement.
31:55La France connaît la panique depuis qu'hier soir,
31:58une vingtaine de minutes après la fin de ce journal,
32:01on lui a appris cette horreur.
32:03Un enfant est mort, assassiné.
32:05La France a peur.
32:07Chaque mère, chaque père a la gorge nouée
32:10quand ils pensent à ce qui s'est passé à Troyes,
32:13quand ils pensent à cet assassin de 23 ans.
32:16Une relation des parents du petit Philippe,
32:19un petit commerçant bien mis,
32:21qui a fait croire jusqu'au bout aux parents que l'enfant était vivant.
32:24Patrick Henry a commis ce crime horrible
32:27et il a tué l'enfant, il l'a étranglé,
32:30il a mis le cadavre ensuite sous le lit de la chambre d'hôtel où il habitait.
32:34Et après de l'avoir tué,
32:36il a continué à demander une rançon aux parents.
32:40C'est dans cette ambiance incandescente
32:43que débute le procès Ranucci
32:45devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.
32:49Parmi les 9 jurés tirés au sort,
32:52une seule femme, Geneviève Donadimi,
32:55est la plus jeune.
32:57Lorsque Christian Ranucci arrive,
33:00il est vêtu d'un costume bleu flashy,
33:04mais bleu vraiment flashy.
33:07Il a une soupule blanc
33:09et sur ce soupule blanc,
33:12on distingue une croix, une grande croix.
33:15Dans les débats, Christian Ranucci est arrogant.
33:19Il est arrogant,
33:22il est désagréable.
33:24On dirait qu'il regarde ceux qui sont là,
33:27les 9 jurés,
33:30de manière très vannicative.
33:33L'air de dire,
33:35vous êtes là, vous allez me juger
33:38alors que vous ne savez même pas ce que j'ai fait.
33:41Vous allez me juger sur des idées.
33:44Il était très, très, très arrogant.
33:47Ranucci emploie un ton péremptoire,
33:53cassant, prétentieux même.
33:56Il y a un moment donné, une altercation qui fait mémoire
33:59entre lui et le commissaire de police qui avait conduit l'enquête,
34:03le commissaire Alessandra, je crois, de mémoire,
34:06où Ranucci lui dit, je vous briserai.
34:09Je vous casserai, je briserai votre carrière.
34:12Et là, Alessandra lui répond, vous êtes un monstre.
34:16Une fois de plus, le procès est expédié en 2 jours.
34:20Paul Lombard défend Ranucci
34:23et Gilbert Collard représente la famille de la victime,
34:26les Ramblas.
34:28Maître Collard ne réclame pas la peine de mort,
34:31mais il quand même, il fait bien référence
34:37à ce meurtre qui a eu lieu,
34:40à la cruauté de ce meurtre,
34:42à la tristesse,
34:44enfin tristesse, c'est même plus que tristesse, quoi,
34:47au désespoir des parents de cette petite fille
34:50qui a été assassinée
34:53et qui demande une peine juste
34:56par rapport à l'horreur de ce crime.
34:59Donc moi, j'étais d'abord convaincu que
35:03cette affaire ne méritait pas la peine de mort,
35:05à supposer que l'on fut pour la peine de mort,
35:08mais moi, j'étais contre la peine de mort
35:10parce que c'est pour moi un châtiment archaïque, ignoble
35:13et donc je ne la soutiendrai pas.
35:15Mais la culpabilité,
35:17pour moi, à la lecture du dossier,
35:19ne fait aucun doute.
35:21Paul Lombard plaidera et dira que,
35:24dans le cadre de sa plaidoirie,
35:26qu'il a trois ennemis.
35:28Le premier ennemi, c'est la partie civile, Gilbert Collard.
35:32Le deuxième ennemi, c'est l'avocat général.
35:35Et le troisième ennemi, il dira,
35:37en s'adressant à Christian Rannocci,
35:39mon troisième ennemi, c'est vous.
35:41Parce que c'est vrai qu'au moment du procès,
35:44il a eu une attitude très désagréable,
35:47je dirais même détestable.
35:50Le verdict tombe le 10 mars.
35:53Les jurés n'ont mis que deux heures pour se prononcer.
35:56Ils ont été sensibles au climat délétère
35:59qui a entouré les débats
36:01et à l'opinion publique chauffée à blanc.
36:04Qu'est-ce qui a pu jouer sur l'opinion publique ?
36:07Tout joue sur une opinion publique.
36:09Tout joue. Tout.
36:11Parce que l'opinion publique, elle est émotive.
36:14Donc on ne peut pas dire que...
36:16Dans quelles proportions ? On n'en sait rien.
36:18Mais on ne peut pas dire que la phrase de Jiquel,
36:21la France a peur, n'a pas eu d'effet.
36:24Allez savoir dans la mémoire, dans l'émotion,
36:28dans le psychisme d'un juré,
36:30quel impact ce genre de réflexion,
36:33de phrase, d'alerte, peut avoir.
36:36Nul ne le sait.
36:37Mais la peine de mort,
36:39c'est quand vous avez devant vous
36:41un jeune homme qui a une vingtaine d'années
36:45et que vous avez la possibilité,
36:49vous avez même le droit,
36:51vous avez le droit de lui faire couper la tête.
36:56C'est ça, la peine de mort.
36:58C'est ça.
37:00Le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing,
37:04a désormais en main le destin de Christian Ranucci.
37:09Le 26 juillet 1976, il refuse d'accorder sa grâce.
37:14Jean Le Canuet, ministre de la Justice,
37:17justifie la décision du chef de l'État.
37:21Personnellement, j'espère que cet acte sera exemplaire
37:29et que ceux qui croyaient pouvoir commettre des crimes
37:35aussi odieux et échapper au plus grand des châtiments,
37:41mesurons maintenant le risque qu'ils en courent.
37:47Le 28 juillet, Christian Ranucci est réveillé à 4 heures du matin
37:52dans sa cellule des Beaumettes.
37:54Il proteste de son innocence une fois de plus,
37:58refuse de boire le verre d'alcool,
38:01mais accepte une dernière cigarette.
38:04Les gardiens ont posé des tapis sur le parcours
38:07pour ne pas alerter les autres prisonniers.
38:10Christian Ranucci reste silencieux.
38:22Selon ses avocats, ses dernières paroles auraient été
38:27« Réhabilitez-moi ».
38:30Il est guillotiné à 4h13.
38:35Je me souviens des bruits horribles
38:41qui brusquement viennent saigner le silence.
38:45Un premier bruit, sourd,
38:49c'est le corps du supplicié que l'on met en place.
38:53Un second bruit de catastrophe,
38:57c'est le couteau qui s'abat.
39:01Et puis, peut-être le plus atroce,
39:05le bruit du saut d'eau
39:09que l'on lance sur la machine
39:12pour laver le sang d'un jeune homme.
39:15Dans son livre « Le Pulot vert-rouge »,
39:18best-seller paru en 1978,
39:21Gilles Perrault met en doute la culpabilité de Christian Ranucci.
39:26Il reprend l'enquête point par point,
39:29mettant en avant des éléments occultés,
39:32des pistes oubliées,
39:34des témoignages à décharge passés sous silence.
39:37L'enquête, elle a été menée
39:41par le commissaire Alessandra de la Sûreté urbaine de Marseille.
39:47Que me dit le commissaire Alessandra ?
39:50L'unique fois où je l'ai rencontré après,
39:53il a refusé de me rencontrer.
39:57Il me dit que le 28 juillet, on a appris
40:01qu'il avait été guillotiné Ranucci.
40:04On a tous eu la gueule de bois.
40:07Ça veut bien dire ce que ça veut dire.
40:10C'est-à-dire que tout le monde croyait qu'il serait gracié.
40:15Lorsque j'ai lu le livre « Le Pulot vert-rouge »,
40:19je n'ai pas pensé à l'erreur judiciaire.
40:25Parce qu'on nous avait démontré
40:29que c'était vraiment lui le coupable.
40:33Par contre, j'ai relevé des éléments
40:37qui auraient dû être émis au moment du procès.
40:42Des éléments peut-être à décharge.
40:46Et ça, ça m'a beaucoup contrariée.
40:51Il y a huit témoins.
40:55Tous ont été présentés pour un tapissage.
41:02On leur a présenté Christian Ranucci.
41:05Aucun ne l'a reconnu.
41:08Le petit frère de Marie Dolores n'a pas reconnu non plus Ranucci.
41:12De même que le garagiste Spinelli,
41:15témoin clé qui a assisté à l'enlèvement.
41:18Il se trouve que la voiture dans laquelle est monté l'enfant
41:21n'était pas la Peugeot de Ranucci, mais une Simca.
41:29Sur procès verbal, l'inspecteur Porte,
41:32celui qui a reçu les soi-disant aveux de Christian Ranucci,
41:38va lui faire dire « Mais vous savez, j'ai vu ça à 40 mètres.
41:43Et puis de trois quarts arrière, ces deux véhicules se ressemblent.
41:48J'ai pu confondre. »
41:50Il le fait signer à Spinelli.
41:53Et Spinelli dit « Mais pas du tout.
41:56Non, non, mais je suis dans la carrosserie depuis 20 ans.
41:59Croyez pas que je peux confondre deux voitures comme ça. »
42:02Selon Gilles Perrault, des pièces du dossier Ranucci
42:06n'ont pas été suffisamment prises en compte lors de l'instruction.
42:10Notamment le couteau et un pullover rouge
42:13trouvé par la police sur les lieux du crime.
42:16Erreur ou négligence qui ouvre la porte aux circonstances atténuantes.
42:25Le juge Michel qui va assister à l'exécution de Ranucci.
42:28Le juge Michel a dit
42:32« Le dossier Ranucci, c'est un bâton merdeux.
42:39L'enquête de police est à chier.
42:44L'instruction judiciaire est à chier.
42:48Mais Ranucci était coupable. »
42:52J'ai toujours dit que Ranucci n'avait pas été victime d'une erreur judiciaire
42:57mais d'une erreur de justice.
42:59Parce que jamais il n'aurait dû être condamné à mort.
43:02Combien depuis qui ont fait pire vivent.
43:06Christian Ranucci, de sa propre bouche, avait dit
43:11ou il l'avait écrit
43:14« J'ai tiré le ticket perdant sans avoir jamais joué à la loterie. »
43:20Et il avait eu conscience que de bout en bout, il n'avait pas eu de chance.
43:23Et de bout en bout, le sort s'est acharné sur lui.
43:26Le sort s'acharne souvent sur certains condamnés.
43:29Et l'histoire judiciaire démontre aisément que la peine de mort,
43:33le châtiment suprême, relève bien souvent de l'adversité,
43:38des circonstances, de la chance.
43:42D'abord, ça dépend de l'endroit où vous êtes jugé.
43:45La cour de Rennes, par exemple, dans les années 70-80,
43:51ne condamne jamais à la peine de mort.
43:53Sans doute parce que les magistrats, le procureur y est hostile.
43:56Alors que la cour d'Aix-en-Provence, la cour de Lille, par exemple,
43:59sont beaucoup plus sévères.
44:01Ensuite, vous avez le procureur, le talent du procureur
44:04qui se fait fort d'obtenir la tête comme un challenge,
44:07comme un défi de l'accusé.
44:09Et puis, vous avez aussi le talent de l'avocat.
44:11Il y a aussi les circonstances.
44:13Si l'affaire a fait du bruit, si l'opinion publique s'est manifestée,
44:17s'il y a la pression de cette opinion publique, la pression de la presse.
44:20Donc, il y a tout un tas de circonstances
44:22qui font qu'il n'y a pas d'équité dans cette histoire.
44:29Aujourd'hui, les avocats qui, avant 1981, ont défendu des accusés
44:35contre qui la peine capitale était demandée ne sont plus qu'une poignée.
44:40Pour eux, l'attente du verdict reste le moment le plus éprouvant de leur carrière.
44:46Moi, j'ai plaidé six fois dans des affaires
44:50où non seulement la peine de mort était encourue,
44:53mais où elle était requise formellement par un avocat général.
44:57Et quand on attendait le résultat, on attendait les questions,
45:02les réponses aux questions.
45:04Et il y avait toutes les questions posées aux jurés sur les faits.
45:07« Monsieur un tel a-t-il fait ceci, a-t-il fait cela ? »
45:10Et puis, il y avait une dernière question.
45:12Et une seule qui était intéressante quand la peine de mort était encourue,
45:16c'était « Existe-t-il des circonstances atténuantes ? »
45:19Et là, il y avait un moment terrible
45:21que le président, quand il était un peu cruel, faisait attendre sa réponse.
45:25Et sa réponse, quand c'était oui, ça voulait dire
45:27« Il existe des circonstances atténuantes, il n'y aura pas d'exécution. »
45:30Et à ce moment-là, même si le type était condamné à perpète,
45:33ce qui était toujours le cas, on était sur un petit nuage.
45:39Ces circonstances atténuantes, la cour d'assises des Bouches-du-Rhône
45:43ne les accordera pas à Hamida Djandoubi.
45:47Ce jeune Tunisien, arrivé en 1968 à Marseille, est ouvrier agricole.
45:53Sa vie bascule lorsqu'il perd une jambe dans un accident du travail.
45:57Il se sent diminué, devient irascible, violent.
46:02Sur fond de prostitution, il se livre sur une jeune femme
46:06à des actes de torture, de viol avant de l'étrangler.
46:10L'affaire Hamida Djandoubi est parasitée par une autre affaire,
46:13celle de Patrick Henry, qui vient d'être jugée à trois
46:16et qui n'a pas été condamnée à mort, à la surprise générale,
46:19alors que toute l'opinion réclamait la mort, la mort pour Patrick Henry.
46:23Assassins ! Assassins !
46:31Si le 20 janvier 1977, Patrick Henry a sauvé sa tête devant la cour d'assises de l'aube,
46:38il le doit uniquement à son avocat, ténor du barreau, Robert Badinter.
46:44Et on peut se souvenir de l'extraordinaire plaidoirie de maître Badinter,
46:50qui n'avait qu'une chose à plaider, et il l'a fait, l'horreur de la guillotine.
46:55Je le revois encore, s'adressant aux jurés un par un.
46:59Vous, monsieur, si le jeune homme qui est là est condamné à mort,
47:04c'est vous qui l'aurez coupé vivant en deux.
47:07C'était donc la condamnation à mort qui était en question,
47:10et les jurés ont condamné la peine de mort.
47:13Donc c'était important, c'était significatif, ça ne pouvait pas être décisif.
47:18On n'abolit pas une disposition légale quand on connaît le relativisme judiciaire,
47:24simplement dans un grand procès.
47:27On marque un point essentiel, mais c'est tout.
47:30La preuve de cette réalité judiciaire est apportée à peine un mois plus tard.
47:35Le balancier de la justice va une dernière fois pencher en faveur d'une loi moribonde,
47:41mais encore vivante.
47:43Et là, à ce moment-là, est jugée Ameda Djandoubi,
47:46et les jurés sont dans cette ambiance, et donc une ambiance implacable.
47:51Et puis il faut dire aussi qu'Ameda Djandoubi, il ne se comporte pas
47:54comme devrait se comporter un accusé repentant.
47:58Il conteste sur des petits points, il a ce masque impassible.
48:04Il reste froid, très froid, et ça, ça déplaît énormément aux jurés.
48:07Le châtiment suprême ne fait pas de doute une fois de plus.
48:11Le verdict tombe après deux jours d'audience dans l'indifférence générale.
48:16On ne relève que quelques articles dans les journaux locaux
48:19et dans le quotidien Le Monde.
48:21L'exécution a lieu le 10 septembre à 4h40 du matin.
48:24On a installé la guillotine sous un préau,
48:28dissimulée, comme si on en avait honte, comme si on voulait la cacher.
48:33Dans sa lettre, Monique Mabelli, la juge d'instruction,
48:38relate les derniers instants d'Ameda Djandoubi.
48:43Le cortège s'arrête auprès d'une table.
48:46On assiedt le condamné sur une chaise.
48:48Un gardien lui donne une cigarette.
48:50Il fume sa cigarette, qui est presque terminée,
48:53et on lui en donne une autre.
48:55Il fume lentement.
48:57À ce moment, je vois qu'il commence vraiment à réaliser que c'est fini,
49:01que les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette.
49:06Quand il en demande une troisième,
49:08là, cette fois-ci, le bourreau dit, ah non, c'est fini.
49:11On a perdu assez de temps.
49:13En fait, ça paraît inhumain, mais il a l'œil fixé sur sa montre.
49:18Il ne veut surtout pas que le soleil se lève et qu'on puisse voir l'exécution.
49:23Nul ne le sait encore,
49:25mais Ameda Djandoubi est le dernier guillotiné d'Europe occidentale.
49:30Pourtant, l'Eglise, le Conseil de l'Europe et le Parlement européen
49:35avaient émis le vœu que la France raye cette pratique de son code pénal.
49:41Il faut attendre la campagne présidentielle de 1980.
49:46Elle oppose Valérie Giscard d'Estaing à François Mitterrand,
49:49qui d'entrée se prononce.
49:51Je n'ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire.
49:56Une opinion majoritaire est pour la peine de mort.
49:59Eh bien, moi, je suis candidat à la présidence de la République
50:03et je demande une majorité de suffrage aux Français,
50:06mais je ne la demande pas dans le secret de ma pensée.
50:10Je dis ce que je pense, ce à quoi j'adhère, ce à quoi je crois,
50:14ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles,
50:19ma croyance, mon souci de la civilisation.
50:23Je ne suis pas favorable à la peine de mort.
50:27François Mitterrand est élu.
50:30Le 18 septembre 1981, après deux jours de débat,
50:35le projet de loi si longtemps attendu est soumis au vote des députés.
50:41Sur l'ensemble du projet de loi portant abolition de la peine de mort,
50:47contre 117 pour 363, l'Assemblée nationale a adopté.
50:5519h28, l'Assemblée nationale vient d'abolir la peine de mort
51:00par 363 voix contre 117.
51:03Les députés debout applaudissent.
51:10À compter de ce jour, la machine du bon docteur Guillotin
51:15disparaît de l'arsenal judiciaire.
51:18Les trois dernières deviennent des pièces de musée.
51:21C'en est fini de la guillotine, instrument des gouvernements
51:25qui en ont usé au gré des circonstances et des humeurs de l'opinion publique.
51:31Après deux siècles, la France, pays des droits de l'homme,
51:35a enfin effacé une part sombre de son histoire, le châtiment suprême.
51:51Musique douce
52:21Sous-titrage MFP.