DOJO Violaine Lochu

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Invitée à travailler sur le sport à l’occasion des jeux olympiques 2024 dans le cadre d’une résidence de création, Violaine Lochu interroge cette pratique comme zone d’empowerment et de collectivité. Portant une attention particulière aux sons, gestes et rites entourant le sport contemporain, l’artiste transpose son expérience au sein de différents clubs sportifs, dans une fiction en s’inspirant des arts martiaux. Faisant vivre une communauté de vocalistes de combat fictive au sein de la galerie, cette dernière se transformera en une vaste installation dans laquelle se déploieront performances, pièces sonores, vidéos et dessins-costumes.
Transcription
00:00Je suis Violaine Lochu, je suis artiste, performeuse, chanteuse, compositrice aussi on pourrait
00:15dire.
00:16J'ai une pratique qui évolue entre les champs de l'art contemporain, de la poésie sonore
00:21et de la musique expérimentale.
00:24Mon travail traite de la métamorphose, qu'elle soit visuelle, intime, spirituelle, politique
00:34ou vocale, et surtout vocale.
00:36Souvent les projets partent de longues phases d'immersion dans des contextes spécifiques
00:42au sein desquels je vais aller collecter, recueillir des paroles ou des éléments visuels
00:49par exemple, à partir desquels ensuite je vais recomposer des éléments qui vont donner
00:54lieu à des performances ou des installations dans lesquelles interagissent son dessin graphique
01:02et vidéo.
01:03Dojo, c'est né de l'invitation que m'a faite la directrice du centre d'art Camille
01:08Lambert, Morgane Prigent, à inventer une forme en lien avec le sport et ça m'intéressait
01:16beaucoup et tout de suite j'ai voulu m'approcher du sport par des notions qui sont déjà présentes
01:22dans ma pratique, à savoir le combat, l'empowerment, c'est-à-dire la réappropriation de sa propre
01:29puissance d'agir suite à un traumatisme, et la cérémonie, le rituel.
01:34Donc à partir de ces notions-là, très rapidement je me suis dirigée vers l'observation de
01:41pratiques d'arts martiaux dans les clubs sportifs de Juvisy et d'Atismos, de Viedvodao,
01:49de Karaté, d'Aïkido, lors de ces rencontres en fait j'ai recueilli des sons qui étaient
01:56produits par les corps sportifs, les corps combattants, ensuite au moment où j'ai conçu
02:02le projet, c'est aussi une phase durant laquelle je lis beaucoup, et l'un des ouvrages qui
02:09était important pour Dojo, c'est une philosophie de la violence d'Elsa Dorelin.
02:15Dans cet ouvrage, l'auteur, l'autrice, parle en fait du sufragitsu, c'est-à-dire de la pratique
02:22du jujitsu par les suffragettes à Londres dans les années 30, les suffragettes se sont formées
02:29à l'art de l'autodéfense qui venait à l'époque du Japon, de l'Asie, pour pouvoir en fait se
02:36défendre lors des manifestations qu'elle faisait pour obtenir le droit de vote, se défendre en
02:41fait surtout des policiers. Et c'était quelque chose pour moi de très intéressant, l'articulation
02:47entre des luttes politiques féministes et les sports de combat. La première pièce dans laquelle
02:53on rentre, qui est la grande galerie du centre d'art, on voit quoi ? On voit un tatami, et on
03:02est invité à se déchausser pour venir sur le tatami, donc au cœur de l'installation. Le dojo,
03:11le tatami, en fait, est conçu comme une sorte de damier, c'est-à-dire c'est à la fois, ça s'inspire
03:16des tatamis du karaté, et à la fois ça fait référence à un jeu de société, une sorte de
03:21damier inspiré par le suffragetto. Le suffragetto, c'est un jeu de société qu'ont conçu les
03:27suffragettes pour justement développer des arts de stratégie, de tactique, pour accéder à la chambre
03:35de vote, la chambre du Sénat, là où on aurait pu leur donner le droit de vote à l'époque. Et donc
03:40elles ont conçu des jeux de société pour sensibiliser d'autres femmes à ces stratégies
03:44militantes, et aussi les enfants. Donc c'est pour ça que je parle de pions, et qu'on voit que les
03:51pions sont avancés sur le tatami, sur le damier, comme une partie amorcée. Ici, on peut s'asseoir,
04:00on peut s'allonger, et puis on va être immergé, déjà parce qu'on va être dans une attitude de corps
04:06au repos, et puis il y a les lumières qui passent du rose au vert au blanc, qui viennent nous baigner
04:13aussi, nous mettre dans un certain type d'ambiance. C'est vraiment des sons issus du réel, donc des
04:20souffles, des cris, des chutes, des coups. Et moi, après, j'ai pris tous ces sons, et ça crée une
04:26composition sonore, une pièce sonore que j'ai pensé justement spatialiser. Paf, à droite, à gauche, devant.
04:37Donc Dojo Sisters, c'est une vidéo performance, mais vraiment on a fait un tournage pour
04:46réaliser cette vidéo performance, en collaboration avec le chef opérateur Makoto Seifriedman, avec
04:53qui je travaille depuis de longues, nombreuses années. Et c'est une vidéo performance qui est
04:58divisée en quatre parties. La première partie, c'est une phase de naissance, d'éveil. Donc nous sortons
05:05de sorte de couverture de survie, que l'on roule, et on découvre nos corps humains. Au début, on voit
05:12comme des cocons, on ne sait pas exactement ce que c'est. Et le matériau qu'on retrouve tout le long
05:17de l'exposition, c'est du papier isolant, qui évidemment fait référence à la couverture de
05:23survie, et aussi tout un imaginaire futuriste. Ensuite, la deuxième phase de la performance, c'est une
05:30phase d'échauffement. Donc là, on nous voit faire des gestes qui sont issus d'échauffements vocaux,
05:37mais aussi d'échauffements d'arts martiaux. Puisque, à la fois dans le chant et dans des arts martiaux
05:45comme l'aïkido, le travail sur le souffle et la colonne d'air est vraiment nécessaire et crucial.
05:53Donc ça, c'est la seconde phase de la performance, qui est recoupée aussi avec des gestes pouvant
05:59rappeler la prière. Le sol, on se relève, et on sent vraiment que ce sont des personnages habités
06:06et connectés à une puissance. Voilà. Cet aspect un peu spirituel de la performance est vraiment
06:14développé sur la troisième partie. On nous voit mettre nos bandes, des bandes de boxe, pour nous
06:22préparer au combat, et on est en train de réciter quelque chose qui serait de l'ordre d'un langage
06:27imaginaire. Mais cette improvisation, elle est née vraiment du protocole que j'ai donné aux
06:32performeuses, qui était prière. On passe ensuite à la quatrième phase, où là, ce sont des jeux,
06:39donc des exercices pour se préparer au combat. Ici, au fur et à mesure que les quatre personnages
06:46jouent, et donc elles jouent avec leur voix, puisque ce sont des combattantes vocales, dans
06:53les jeux, elles vont gagner des points. D'où pourquoi, au fur et à mesure, l'arbitre donne
06:57les points. Elles passent du rôle d'arbitre au rôle de joueuse, de combattante joueuse, et donc,
07:03au fur et à mesure, elles se couvrent de points qui sont des sortes de trophées. On voit l'importance
07:09donnée au travail du maquillage sur Dojo Sisters. Et puis, on a tout un travail sur la bouche,
07:15puisque Dojo Sisters s'inspire des arts martiaux. Pour beaucoup d'entre eux, ils viennent du Japon.
07:21Les dents en noir, c'est en référence à un critère de beauté chez les femmes japonaises de
07:27se peindre les dents en noir. C'est aussi le cas chez les geishas. Et puis, l'intérieur de la bouche
07:33noire, c'est quelque chose qui fait plus référence à mon travail en amont, où la bouche est conçue
07:40comme un masque. C'est l'endroit où on se transforme, c'est l'endroit de notre puissance.
07:44Donc, l'intérieur de la bouche est peint. Au niveau des yeux, c'est très inspiré des geishas. Voilà,
07:51un peu du côté du maquillage. La cinquième partie, ce que j'ai dit que c'était séparé en quatre,
07:55en fait, c'est séparé plutôt en cinq ou six. On voit ici reprendre ce qu'on avait pris pour des
08:02couvertures de survie au début de la performance, l'ouvrir de nouveau, le déployer, et on voit le
08:08recto du verso, c'est-à-dire ce qu'on a autour de nous ici. Ce sont donc des capes partitions.
08:16Donc ici, ce sont des partitions, c'est la retranscription graphique de kata. Les kata,
08:23ce sont des combats solos au karaté. Ici, donc, la première ligne équivaut au mouvement du bras
08:29droit, la seconde, bras gauche, le troisième, les jambes. À l'intérieur de la notation graphique,
08:35on a aussi des indications sur le port du buste et de la tête. Donc, à ce moment-là, dans la
08:41performance, on voit les femmes reprendre leur espèce de cocon couverture de survie, en montrer
08:47l'envers, qui est cette partition graphique, qui est un kata. Les trois autres le lisent,
08:52lisent cette partition, et par leur voix, par cette polyphonie, elles deviennent symboliquement
08:58un seul corps. Et une fois qu'elles ont toutes lues les unes les autres, leur âme de kata,
09:04leur kata-âme, si on pouvait dire, voilà, elles s'en habillent, elles le revêtent, et donc la
09:12partition couverture devient cape, et elles se mettent à tourner autour du tatami. Ici,
09:19c'est plutôt une petite référence au cloître, on peut penser aux cisterciennes, on peut penser
09:24aux ordres religieux féminins, en tout cas tout le côté spirituel où on tourne autour. Et puis là,
09:30on a une fondue au noir, c'est la fin du film, et on peut imaginer qu'elles sont prêtes maintenant
09:35à sortir combattre. On ne sait pas quoi, on ne sait pas qui, mais elles sont prêtes. Dans mes
09:40expositions, étant performeuses, la question cruciale de l'ensemble de mes expositions,
09:44c'est comment rendre compte de l'intensité d'une présence, d'une performeuse, en dehors de son
09:51corps et de sa voix directe. D'où pourquoi la trace des corps, la trace par le son, la trace par
09:57la vidéo, la trace par le costume, tout est à la fois archive et œuvre dans l'exposition. Il faut
10:04toujours l'aborder sous cet angle-là. Il est très important de toujours se poser la question du
10:09sens global, de comment tout est un jeu de traduction et de métamorphose à l'intérieur même des formes.

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