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Cet épisode de "42 - La réponse à presque tout" aborde une question sociologique intrigante : pourquoi la fréquence des rapports amoureux semble-t-elle diminuer dans nos sociétés modernes ? À travers des études, des témoignages et des analyses, l'épisode explore les facteurs culturels, émotionnels et technologiques qui influencent nos vies intimes. Il examine également les conséquences de cette tendance sur les relations amoureuses et la manière dont nous percevons l'intimité aujourd'hui, offrant un éclairage sur un sujet qui touche de nombreux couples.
Transcription
00:00Ça vous intéresse de savoir à quelle fréquence les autres font l'amour ?
00:10A votre avis, à quelle fréquence une femme de mon âge a-t-elle des rapports sexuels ?
00:18Aujourd'hui, l'intimité se vend sur Internet. Tout se sait. Je préfère garder cette info pour moi.
00:23Je ne peux pas vraiment répondre parce que j'ai de longues phases où je me désintéresse
00:29totalement du sexe. Fait-on trop souvent l'amour ou pas assez ? Pas étonnant qu'on s'interroge. Il
00:37faut dire qu'entre les applications de rencontres, les soirées à thème et l'offre en ligne qui
00:41semblent illimitées, le sexe est partout. La pop culture, elle aussi, célèbre l'hypersexualisation.
00:48Il y a des chansons qui parlent de wet ass pussies. Et si tout cela n'était finalement qu'une façade ?
01:01Et qu'en réalité, nous avions beaucoup moins de relations sexuelles qu'avant ?
01:18Laissons d'abord parler les chiffres. En Allemagne, on le fait environ six fois par mois.
01:35Attention, il s'agit là de rapports sexuels avec d'autres personnes, mais pas forcément avec des
01:42partenaires fixes. Six fois donc. Est-ce beaucoup ou peu ? Nos études comparatives historiques nous
01:53fournissent un certain nombre de données et l'une d'elles révèle que le sexe avec partenaire est
02:00en recul. Il est moins fréquent qu'il y a quelques décennies. Concrètement, il y a environ 35 ans,
02:07on faisait l'amour en moyenne neuf fois par mois. Une chute de près d'un tiers, ce n'est pas rien.
02:17Cette tendance a été observée dans de nombreux pays occidentaux. Allemagne, France ou encore
02:24Etats-Unis. Et ce semble-t-il depuis plusieurs générations et dans tous les groupes sociaux.
02:29Les jeunes, les vieux, les homos, les hétéros, les personnes en couple, les célibataires, les gens très ou peu éduqués.
02:41C'est un fait. Tout le monde fait moins l'amour. Mais entre nous, peut-on faire confiance aux
02:50chiffres sur un sujet aussi intime que le sexe ? N'y a-t-il pas parfois un peu d'exagération ?
02:57En matière de sexualité aussi, on a envie de faire bonne figure. On veut pouvoir entrer dans
03:09les cases. Alors je ne sais pas si ces réponses correspondent toujours à la réalité. Bref, il y a
03:15peu de chances que les personnes interrogées minimisent les chiffres, qui pourraient de ce
03:20fait être encore plus bas. Effectivement, même s'il y a des exceptions que j'ai pu mentionner,
03:26ça ne change pas la tendance générale. Et de toute façon, moi je reçois beaucoup dans mon
03:33cabinet, par exemple, des personnes qui s'identifient comme queer et ils ont les mêmes problématiques
03:39sexuelles que les autres. Les couples hétéros, les couples homos ont les mêmes problématiques
03:45sexuelles en général. Il est très important de ne pas toujours se fier aux statistiques,
03:52mais d'en tirer une interprétation. Alors allons-y. D'où vient cette récession alors
04:05qu'on a l'impression de vivre dans la période la plus sexuelle de tous les temps ? D'une
04:16certaine façon, on parle énormément de sexe. Les magazines féminins regorgent de conseils,
04:25d'astuces et de témoignages. Et même à la télé, dans les programmes d'après-midi et les matinales,
04:31il y a toujours un moment où il est question de sexe. On évoque d'ailleurs bien plus ouvertement
04:36les nouveaux modèles, le polyamour, les relations libres, jusque dans les milieux les plus conservateurs
04:42et les séries grand public. Dans Succession, par exemple, un des personnages principaux ultra
04:49conservateurs remet en question le concept de monogamie lors de sa nuit de noces.
04:53Par rapport au passé, beaucoup de choses sont désormais ok pour pas mal de gens. Merci la
05:13révolution sexuelle du 20e siècle. Une des caractéristiques essentielles de la révolution
05:19sexuelle, c'est que les anciennes normes morales ou les interdictions dictées par l'église et
05:26parfois la justice ont perdu de leur importance. A la fin des années 1960, des manifestations ont
05:34eu lieu pour que le sexe ne serve pas qu'à procréer. Cette liberté sexuelle, c'était
05:41vraiment merveilleux. Des portes se sont ouvertes à l'époque. On s'est soudain mis à parler de
05:49plaisir sexuel. On pouvait l'expérimenter, y compris en tant que femme. Alors oui, certes,
05:56il y a eu la pilule qui est arrivée sur le marché en France en 1968 et la légalisation de
06:02l'avortement en 1975, qui étaient vraiment des étapes très importantes, qui ont permis pour la
06:08première fois de dissocier la sexualité reproductive et la sexualité récréative, sans avoir
06:13peur de conséquences et d'enfants non désirés. Conséquence de cette séparation entre plaisir,
06:19désir et reproduction, la possibilité d'avoir des rapports sexuels dans une relation ou en dehors,
06:26que l'on connaisse bien son partenaire ou non. Seulement en pratique, voilà ce que ça donne
06:31pour beaucoup de gens. Si je compare la sexualité à la musique ou à la danse, c'est comme si
06:41finalement on n'utilisait pas tout ce potentiel, cette résonance, ces rythmes, ces différentes
06:49variations. Ça veut dire qu'avec le temps, ça devient ennuyeux et l'ennui entraîne aussi
06:59l'absence de désir. Aurions-nous désappris cette danse de couple ou notre désir connaîtrait-il
07:06globalement une phase de régression ? Un tiers des femmes qui vivent en couple reconnaissent un
07:12manque de désir sexuel et entre 10 et 15 % des hommes disent qu'il leur arrive de ne pas en
07:20ressentir. Les raisons de cette baisse de libido collective font l'objet de différentes études.
07:28La crise économique et climatique nous stresse trop, nous prenons des médicaments psychotropes et
07:33abusons de malbouffe. Au lit, nous sommes distraits par les téléphones portables tandis que les réseaux
07:38sociaux et les longues heures de travail empiètent sur notre temps libre. Vous avez peu d'heures de
07:43sommeil, vous allez travailler, vous arrivez le soir, vous vous êtes harassé après une heure de transport
07:49en commun et en plus il faudrait avoir envie de faire l'amour. Evidemment ce n'est pas possible.
07:53Donc il faut se tranquilliser aussi sur ça. Donc c'est tout à fait normal d'avoir moins de libido
08:00dans ce cadre là. Ce stress crée une telle tension musculaire que tout ce qu'on parvient encore à
08:07percevoir dans le corps c'est cette tension. Mais ne peut-on pas relâcher cette tension
08:14physique d'une manière ou d'une autre ? Trouver certains écrous à desserrer ou à réajuster ?
08:23C'est très bien de se rendre compte que la libido ne s'explique pas uniquement par les hormones et
08:31les facteurs physiques. Le corps existe dans ce monde, appartient à ce monde et doit toujours
08:38être pensé à travers ses interactions avec ce monde. L'une des découvertes fondamentales de la
08:45sexologie moderne c'est que la sexualité humaine n'est pas quelque chose de biologiquement
08:51prédéterminé. C'est une construction sociale qui évolue au cours de l'histoire.
08:58Biologiquement parlant il n'y a donc pas de fréquence idéale. Le sexe n'est pas une notion
09:04purement physique. Notre désir est aussi influencé par la société. Mais comment exactement ?
09:11Petit flashback. On ne sait pas combien de fois les gens faisaient l'amour autrefois. On sait que les
09:16relations sexuelles devaient avoir lieu dans le cadre du mariage et avaient pour objectif de faire
09:20des enfants. Sous l'influence de la religion les convenances et la morale étaient importantes.
09:24En dehors de ça il n'y avait pas vraiment de règles. Personne ne serait allé consulter un
09:30médecin pour un manque de libido ou parce que son pénis n'était pas assez souvent en érection.
09:36La question c'est d'où vient l'idée qu'on doit absolument désirer l'autre dans une relation et de
09:42préférence toujours à la même fréquence. L'origine de cette idée remonte au 18e et 19e siècle.
09:49Au Royaume-Uni, en France et dans d'autres pays occidentaux, des sciences comme la médecine et la
09:55psychiatrie observent le corps humain à la loupe et déterminent également la manière dont il doit
10:00fonctionner. A la fin du 19e siècle, la sexologie apparaît comme un domaine dans lequel le sexe
10:08est analysé, examiné à la loupe et classé dans de nombreuses catégories. Grâce à cette façon
10:16d'en parler, à cet éclairage et aux nombreux termes tiroir et étiquette employés, une toute
10:22nouvelle compréhension du sexe voit le jour. L'accent n'est plus seulement sur la reproduction,
10:26désormais on s'interroge comment fait-on l'amour, avec qui, de quelle manière. Les notions
10:32d'hétérosexualité et d'homosexualité apparaissent, le désir façonne l'identité, les femmes doivent
10:37aussi connaître l'orgasme et ce qui n'entre pas dans la norme doit être disséqué en thérapie.
10:42Et puis il y a les approches scientifiques qui nous encouragent à entrer dans cette
10:48norme, en mettant à notre disposition différents médicaments. Et cela influence notre désir. Il
10:57ne vient pas spontanément, de manière animale, du plus profond de nous, il suit des schémas et des
11:02règles culturelles. Dès notre plus jeune âge, on nous apprend ce qui est sexy et ne l'est pas,
11:08ce qui est permis ou interdit, comment les relations intimes doivent se dérouler ou pas.
11:13C'est comme si nous suivions le scénario d'un film ou d'une pièce de théâtre. Sur scène,
11:19les actes s'enchaînent, nous jouons et rejouons les mêmes rôles en les interprétant légèrement
11:24différemment. C'est pour cette raison que les sociologues John Gagnon et William Simon ont
11:30baptisé cette influence sociale sur notre vie sexuelle des scripts. Et ces scripts évoluent,
11:38comme le montrent des études sur les relations hétérosexuelles. Si dans les années 1950,
11:44les rôles des hommes et des femmes ressemblent encore à ça, l'homme embrasse la femme comme
11:49la belle au bois dormant pour l'arracher au sommeil et la femme s'éveille de manière passive,
11:53y compris dans sa sexualité, au milieu des années 1970, un changement de décor s'opère
12:00avec la légalisation de la pornographie. Les adultes doivent alors considérer le
12:05sexe comme un jeu et découvrir leur sexualité unique et personnelle. Les rôles se diversifient,
12:12comme chez Barbie et Ken, tantôt au sport, tantôt à la plage et toujours un peu plus
12:20libre que les contes de fées d'avant. En résumé, deux légalités en plus,
12:28des tabous en moins, en tout cas en apparence. Et nos ébats ne sont pas plus nombreux aujourd'hui,
12:34cherchez l'erreur. Si on voit le mouvement 68 arts comme une révolution sexuelle,
12:42il faut savoir qu'il n'a pas atteint tout le monde, et de loin. Car nous avons aussi
12:50grandi avec des règles très claires, à savoir que la sexualité doit s'exprimer dans le mariage,
12:56et ces règles, le mouvement 68 arts ne pouvait pas les balayer du jour au lendemain.
13:04Ça profitait plus aux hommes, qui profitaient plus d'une liberté sexuelle qui était plus
13:10difficile et qui était peut-être moins acceptée pour les femmes, donc il y avait quand même deux
13:15poids, deux mesures. Et puis au niveau des personnes homosexuelles, qu'elles soient gays
13:20ou lesbiennes, il a fallu quand même attendre les années 80 pour que la dépénalisation de
13:26l'homosexualité. Depuis, beaucoup de circonstances ont modifié notre comportement sexuel, et pas
13:33seulement l'épidémie de sida. D'autres ombres au tableau ont entraîné une diminution des rapports.
13:38Il y a une prise de conscience de la violence et des abus, à partir du moment où les rapports
13:46entre les sexes et les gens sont considérés comme des rapports de pouvoir et de dépendance.
13:50Ce discours gagne en visibilité à la fin des années 1980, surtout d'un point de vue féministe.
13:57Et dans les années 1990, une autre révolution se met en place.
14:04C'est la révolution néo-sexuelle, la deuxième phase de la révolution sexuelle.
14:12Néo est synonyme de pluralisation, de diversification et de fragmentation de la sexualité.
14:20Des nouvelles pratiques succèdent au rapport à l'ancienne, et la culture sexuelle unique se scinde en sous-culture.
14:27Les néo-sexualités entrent en scène par le biais des médias.
14:35Sur internet, on découvre plus de pratiques, plus de fétichismes, plus de niches, mais aussi plus d'images standardisées.
14:46Oui, le porno, parlons-en.
14:49Le fait est que les jeunes, et ce que pratiquement tout le monde regarde à 99%, même plus, c'est le porno mainstream.
14:55Pour ou contre le porno, ce n'est pas le sujet de cette émission.
14:59Mais comment la consommation de pornographie influe-t-elle sur la fréquence des rapports ?
15:04C'est la question que se posent les chercheurs.
15:07Une étude révèle par exemple que la consommation de porno est liée à une certaine curiosité sexuelle.
15:14Cela peut, entre autres, amener les femmes à avoir plus de rapports avec d'autres personnes.
15:19En revanche, le porno peut aussi limiter nos fantasmes.
15:24Là où auparavant, les magazines que les garçons collectionnaient contenaient des photos sur lesquelles ils pouvaient fantasmer,
15:32aujourd'hui, il ne s'agit plus d'images fixes, mais de films.
15:40Et de ce fait, on ne peut plus fantasmer, parce que l'image animée ne fait pas intervenir l'imaginaire.
15:49En général, les gens qui regardent du porno vont aller direct, même accélérer, à la scène principale.
15:57Donc ça va être vraiment pour avoir un orgasme en 2-3 minutes.
16:01Donc on n'est vraiment pas dans quelque chose de l'imaginaire érodique.
16:04On est vraiment dans le génital, dans la consommation rapide un peu effrénée.
16:09Bien souvent, le sexe avec un ou une partenaire n'est pas aussi simple et rapide.
16:15Un détail qu'on oublie parfois.
16:19Alors si nous faisons moins l'amour, cela veut-il dire que la révolution sexuelle des hippies est un échec ?
16:26Moi, je vois ça plutôt comme quelque chose de positif et de réjouissant.
16:31Je pense qu'aujourd'hui, les gens veulent peut-être du sexe meilleur et recherchent plus le plaisir.
16:38Donc je pense que c'est plutôt très positif, plutôt que d'être dans ce qu'on pourrait appeler le devoir conjugal, qui existe encore beaucoup.
16:46Une petite minute. Comment ça ?
16:49Nous sommes moins actifs sexuellement ?
16:52Et ce serait une bonne chose ?
16:56C'est lié à un effet positif et émancipateur.
17:00Aujourd'hui, il faut davantage de discussion et de clarté entre les partenaires.
17:05L'éthique de négociation, ou l'éthique consensuelle comme on l'appelle, s'est imposée.
17:09Et elle veut que l'acte sexuel n'ait lieu que si les deux parties le souhaitent réellement.
17:14C'est génial qu'il y ait moins de sexe pas vraiment consenti,
17:18et qu'on puisse désormais se permettre davantage de dire non pour laisser la place à des rapports dont on a vraiment envie.
17:24C'est tout à fait clair. L'autodétermination et l'émancipation font que de nos jours, on ne mène plus des relations à tout prix, comme si c'était une question de survie.
17:35On retient donc un surcroît d'égalité et d'exigence, ainsi qu'un recul des contraintes de rôle dans les relations hétérosexuelles.
17:43Autant de facteurs positifs qui entraînent moins de sexe.
17:47Seulement, si certaines contraintes se sont évaporées, d'autres surgissent, qui conduisent également à moins de sexe.
17:54Nous voulons faire nos preuves, impressionner les autres, réussir, bref, être parfait en tout.
18:00Avec la dictature du corps parfait, on n'est jamais vraiment sûr de soi.
18:06On vise aussi l'orgasme parfait, et pour ça, il faut faire le bon geste au bon moment.
18:14On se met énormément de pression, et cela crée des attentes.
18:19Car si on ne peut pas y répondre pour soi, on espère évidemment que l'autre le fera.
18:24Cette pression qui s'insinue au lit, ou à tout autre endroit où l'on fait l'amour, fait partie d'un contexte plus vaste.
18:31On vit toujours dans une société néolibérale, et cela a des répercussions sur notre comportement sexuel.
18:38Il existe une étude passionnante intitulée « Why sex ? », qui énumère 2 à 300 raisons d'avoir des relations sexuelles.
18:46Pourquoi les gens font-ils l'amour ?
18:49Voici quelques exemples.
18:51Par vengeance.
18:53Par peur de la séparation.
18:55Pour brûler des calories.
18:58Selon cette logique, le sexe sert à obtenir quelque chose.
19:05C'est comme si on utilisait les autres comme des kleenex pour les jeter ensuite.
19:10Cela s'exprime dans les pratiques sociales pour séduire.
19:14Les applications de rencontre sont d'ailleurs souvent critiquées à cause de ça.
19:19On est dans un script assez normé quand on est sur un date Tinder, avec le premier rendez-vous où il faut se raconter.
19:26Et puis il y a cette idée un petit peu comme une course effrénée que peut-être on pourra toujours trouver une personne mieux, meilleure, qui correspondra peut-être mieux à nos attentes.
19:35Pour beaucoup, il devient de plus en plus difficile d'entretenir des relations à long terme.
19:40Aujourd'hui, sur les applications de rencontre, on ne s'arrête pas au premier match.
19:45On cherche encore et encore.
19:47Une étude norvégienne révèle que les utilisateurs d'applications de rencontre n'ont pas plus de rapports sexuels que les autres.
19:54Le fait de s'engager et de construire une histoire à deux, ça implique de passer par des phases difficiles.
20:01Cela crée de la souffrance.
20:03Alors ces phases finissent par disparaître à cause du manque de volonté et d'investissement.
20:09Cela cache quelque chose de plus général.
20:12Nous raisonnons moins en termes de communautés et de liens qu'auparavant.
20:16C'est ce que le sociologue Robert Putnam appelle le phénomène « bullying alone ».
20:22Nous entretenons de moins en moins de relations sociales.
20:25Nous sommes moins impliqués dans les associations et les syndicats.
20:28Et peut-être qu'on joue plus au bullying, mais tout seul, pas au sein d'un club.
20:34Personnellement, j'aime utiliser le terme « singularisation ».
20:38Les gens continuent à nouer des relations, mais ce qui est typique de notre époque,
20:42c'est qu'entre les phases de relations, il y a des périodes de célibats plus longues.
20:46Et celles-ci paraissent plus faciles à supporter.
20:49Cela a évidemment un impact sur la fréquence des rapports sexuels.
20:53En effet, selon les études, une grande partie des célibataires n'en ont pas du tout.
20:58Et une fraction d'entre eux nettement moins que les couples, à savoir trois fois par mois.
21:0390% des actes sexuels sont réalisés dans le cadre d'un couple stable.
21:08Et comme les gens ont tendance à vivre plus souvent au singulier, les rapports deviennent aussi plus rares.
21:14Voilà qui est pour le moins contradictoire.
21:17Nous aspirons à des relations stables, mais nous en vivons moins.
21:20Le sexe n'est plus réservé au mariage, mais il intervient quand même le plus souvent au sein d'un couple établi.
21:26Et bien que le désir se présente désormais comme un buffet à volonté, avec des milliers d'options différentes,
21:32il semble que nous soyons quelque peu saturés.
21:37Face à ce grand renouveau, nous n'arrivons pas à faire un choix.
21:42Nous sommes comme dépassés par ce déferlement.
21:46Quand un buffet propose tous les plats possibles et imaginables,
21:51on ne peut pas se concentrer et choisir quoi mettre dans son assiette.
21:57Et surtout, il n'y a même plus rien à convoiter, puisque tout est déjà là.
22:04C'est formidable d'avoir un buffet avec des options supplémentaires pour enrichir sa vie sexuelle et se permettre davantage de liberté.
22:12Mais cet espace de possibilités peut aussi se conjuguer à l'impératif.
22:17Le fait qu'on puisse s'envoyer en l'air de toutes les manières possibles peut devenir une injonction à le faire.
22:23Car autrement, on risque de passer à côté de quelque chose, de ne pas s'aimer assez,
22:28de ne pas être assez queer ou tout autre reproche qu'on pourrait se faire.
22:34En d'autres termes, le sexe se déroule de manière finalement assez normée.
22:38Un peu comme en pâtisserie, on suit la recette et on utilise des moules préformés.
22:45Il peut y avoir encore plus de choix.
22:48Le polyamour, les relations libres, l'anarchie relationnelle, les différentes orientations sexuelles, le BDSM.
22:58Mais on pourrait aussi considérer les choses autrement
23:02et se dire qu'il est possible de vivre sa sexualité sans avoir besoin d'un moule.
23:08Partir de cette masse informe que chacun pourrait ensuite modeler
23:12selon ses envies, ses désirs, ses fantasmes
23:17et voir quelle formation étrange, insoupçonnée et inouïe en résulte.
23:28Franchement, je trouve ça bien plus sexy que ça !
23:34Le sexe doit être plus libre, plus varié.
23:37Mais il met les partenaires sous pression.
23:39Il doit être consenti, sans pour autant écarter toute forme de violence,
23:43à la fois routinier et effréné.
23:46Peut-être est-ce pour cela que le sexe a perdu de son attrait aux yeux de certains.
23:51La tendance se poursuit avec la génération Z, c'est-à-dire les personnes nées après 1995.
23:57Un sondage américain révèle en effet qu'une bonne moitié des jeunes adultes
24:01souhaiteraient moins de scènes de sexe dans les séries et les films
24:04et plus de relations platoniques et d'amitié à la place.
24:08Aujourd'hui, ce qui est intéressant, c'est que dans la hiérarchie des relations humaines,
24:12on avait tendance, si on crée une pyramide des relations humaines,
24:16à mettre le couple là, vraiment tout en haut de la hiérarchie des relations humaines
24:20et puis peut-être sa famille, puis ses amis, puis ses collègues.
24:26Et on voit que petit à petit, on remonte l'amitié tout en haut de la pyramide.
24:32Une partie de la génération Z renonce même complètement au sexe
24:36et prône l'abstinence sur différents réseaux sociaux.
24:40On peut comparer ce phénomène au mouvement féministe des années 1970.
24:46C'était de véritables mouvements politiques qui prônaient le célibat.
24:50Il ne s'agissait pas de sortir du couple pour des raisons religieuses ou spirituelles,
24:55mais plutôt de tirer un trait sur ce qu'on n'avait plus envie de faire.
24:58Mais cette chasteté volontaire fonctionne-t-elle ?
25:03Ou nos envies et nos désirs empruntent-ils simplement de nouvelles voies ?
25:09Il est très clair que la fréquence des rapports sexuels avec partenaires a chuté
25:13et que la fréquence des rapports en solo, c'est-à-dire la masturbation, a grimpé en flèche.
25:19A tel point, d'ailleurs, que l'auto-érotisme a plus fortement augmenté
25:23que la fréquence des relations sexuelles avec partenaires n'a diminué.
25:28On ne peut donc pas dire que les gens sont moins actifs sexuellement qu'auparavant.
25:33Ils organisent simplement leurs plaisirs sexuels autrement.
25:37Moins de sexe ? Non. Mais plus souvent seuls ? Oui.
25:42En clair, moins de tango ? Non.
25:45En clair, moins de tango et plus de rave.
25:50Bienvenue au nouveau script intitulé « Sex for One ».
25:58De toute évidence, nous nous affranchissons des anciennes normes sociales pour réécrire nos scripts.
26:09Faut-il y voir l'aube d'une nouvelle révolution sexuelle ?
26:13Qui est en train de s'écrire actuellement ?
26:15Je pense que les trois aspects principaux de cette nouvelle révolution sexuelle,
26:19c'est d'être dans le consentement et non dans les violences sexuelles,
26:25être dans un plaisir partagé, il y a cette notion de plaisir qu'on ne met pas assez en avant encore dans la sexualité,
26:31et aussi, troisièmement, je dirais, moins d'attente sur les relations romantiques,
26:36en mettant un peu plus ses amis ou d'autres cercles au centre aussi de sa vie émotionnelle.
26:45Je suis totalement pour cette révolution.
26:48Ce serait vraiment bien si cette nouvelle vision de la sexualité laissait aussi la place à la sexualité.
26:57Pas dans le sens où il faut immédiatement que ça refonctionne, mais en laissant de la place à l'absence de désir.
27:03Le désir et l'absence de désir vont résolument de pair.
27:07Le sexe n'est pas la seule façon de vivre sa libido.
27:11C'est d'ailleurs ce qu'affirment les personnes asexuelles.
27:14La libido peut aussi s'exprimer à travers une vitalité générale.
27:20Moi, en consultation, je demande toujours aux personnes, qu'est-ce qui vous fait plaisir dans la vie ?
27:24Parce que c'est ce plaisir que vous allez trouver, aussi bien un plaisir peut-être à déguster un mets particulier, très délicat,
27:33à voir une œuvre d'art, à ressentir le vent quand vous courez sur la plage.
27:39C'est tous ces plaisirs sensoriels que vous allez emmagasiner qui peuvent vous donner envie d'avoir cette libido.
27:47Danser, peindre la barrière du jardin, construire une bibliothèque, manifester, se rassembler.
27:54Tant qu'on suit son ressenti, on est forcément à la bonne place.
27:59On va faire l'expérience d'une rencontre avec les autres et avec soi-même, dans laquelle chacun s'épanouit réellement et ça crée quelque chose.
28:11Peut-être est-ce l'objectif vers lequel nous tendons tous.
28:15Pas forcément plus de sexe, mais plus d'envie dans chaque domaine de la vie.
28:20Pour cela, réorganiser la chambre à coucher ne suffit pas.
28:25Il faut aussi revoir le monde qui nous entoure.

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