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00:00Dernier jour officiellement de la première campagne d'arrachage sanitaire dans le Bordelais.
00:04Une autre est déjà lancée pour l'an prochain, mais au-delà de la paperasse, des chiffres
00:07de surface de vignobles disparus, il y a des vignerons qui arrachent à contre-cœur, qui
00:11ne s'en sortent plus.
00:12Notre invitée Marie Roarch a lancé un message d'alerte il y a quelques jours sur les réseaux
00:16sociaux.
00:17Bonjour Amandine Noriega.
00:18Bonjour à vous.
00:19Vous avez repris le domaine familial, la maison Berneuil-Starbis près de Cadillac il y a
00:22six ans.
00:23Comment vous allez aujourd'hui ?
00:25Pas très bien, clairement.
00:28On pourrait aller mieux.
00:30Le vignoble Bordelais pourrait aller mieux et moi personnellement je pourrais aller mieux.
00:34On va parler évidemment de votre situation.
00:37D'abord une question puisqu'on parle de l'arrachage aujourd'hui.
00:39Vous-même vous avez arraché des vignes sur vos parcelles ?
00:41Oui.
00:42Aujourd'hui à l'heure où je vous parle, dans quelques minutes, on va terminer d'arracher
00:45nos derniers pieds de vigne puisque c'est effectivement la date butoir et aujourd'hui
00:50donc à contre-cœur j'ai arraché plus de quatre hectares de vignes.
00:53Parce qu'aujourd'hui ça ne va pas dans votre domaine, on résume malheureusement
00:59la situation comme ça ?
01:00On va le dire.
01:01On va être même très cru.
01:02On est dans la merde.
01:03Clairement, aujourd'hui il ne faut pas se voiler la face.
01:05Le vignoble Bordelais, le vignoble français va très mal et une des solutions a été
01:11l'arrachage.
01:12Mais ce n'est pas une solution pérenne, c'est une solution à court terme.
01:17Vous avez publié, on le lisait, un message sur les réseaux sociaux, un long message
01:21où vous expliquez votre mal-être, celui d'une profession, mais le vôtre aussi.
01:25Vous parlez de cette réalité dont on ne parle pas, justement, de monde paysan à l'agonie,
01:29de corps abîmés, d'esprit fatigué, de vie brisée.
01:32Les mots sont très très forts.
01:34Vous avez eu beaucoup de réactions à ce message ?
01:36Oui, ça m'a été impressionnant.
01:39Moi j'ai fait ce message suite à un passage aux urgences.
01:43J'ai fait un burn-out, comme on dit, le corps a dit stop et j'ai fait ce message
01:50en rentrant des urgences parce que la lettre du sien en trop, le coup de fil en trop et
01:58j'ai eu besoin de lâcher prise, d'arrêter de faire semblant et de dire oui à ma petite
02:02communauté.
02:03Voilà la réalité de mon terrain, voilà ma réalité à moi et voilà la réalité du
02:07monde agricole, viticole et effectivement j'ai été inondée de messages de soutien
02:13aussi bien de consommateurs mais surtout d'agriculteurs, de viticulteurs, de céréaliers qui m'ont
02:18dit merci.
02:19Merci d'avoir mis ces mots parce qu'en fin de compte c'est ce que l'on vit au quotidien
02:23plus ou moins mais la réalité elle est là, en fin de compte le monde agricole c'est pas
02:28tout beau tout rose et le monde viticole, dans l'inconscient collectif les gens disent
02:33le monde viticole c'est pas des agriculteurs, ils vivent dans des châteaux, tout va bien
02:36et c'est une grosse bêtise.
02:37Justement pour les gens qui n'ont pas lu votre message sur Instagram, c'est quoi votre quotidien
02:43aujourd'hui Amandine Aurigue ?
02:44Le quotidien aujourd'hui d'un viticulteur c'est de faire face à des dettes, faire face
02:49à une charge mentale au quotidien, de savoir si on va s'en sortir, si on va pouvoir payer
02:54ses fournisseurs déjà, payer la MSA, les banques, les emprunts puisqu'on est obligé
02:59d'emprunter, on ne le fait pas pour le plaisir, on ne s'en aide pas pour le plaisir parce
03:03qu'il y a du renouvellement de matériel, il y a plein de choses à faire donc ça c'est
03:07vraiment une charge au quotidien parce qu'en fin de compte on n'a plus de rentrée d'argent
03:10ou très peu, on vend en dessous de notre prix de revient ce qui est inadmissible.
03:14Donc aujourd'hui le peu de rentrée d'argent qu'on a, on va faire tampon pour essayer
03:19de payer les salariés, pour essayer de payer les fournisseurs et c'est ça le quotidien
03:23aujourd'hui d'un agriculteur, ça plus toute la charge administrative et puis on a aussi
03:28aujourd'hui on nous demande d'être community manager, de pouvoir être les pros du marketing
03:33et ça en fin de compte on est multi casquette et les gens ne se rendent pas compte du travail
03:38que l'on fait pour vendre une bouteille de vin.
03:40France Beugyron de 7h49 avec nous Amandine Noriega, viticultrice qui lance un cri d'alerte
03:44ce matin sur France Beugyron à la réponse à vos questions.
03:47D'autant que vous ne faites pas que du vin, vous avez plusieurs activités, on est multi
03:52casquette.
03:53Effectivement, moi j'ai essayé d'anticiper la crise, malheureusement pas assez au goût
03:57de mon banquier, mais effectivement depuis plus d'un an maintenant je suis apicultrice,
04:04je suis éleveuse de poules et aussi surtout on a développé le non-tourisme avec l'accueil
04:10de camping-car, une tiny house sur le vignoble, on fait des accueils de groupe et c'est ça
04:15aussi la réalité d'un agriculteur, d'un viticulteur, notre travail ne se résume pas
04:20à vendre juste notre production, il faut faire plein d'autres choses à côté pour
04:23pouvoir s'en sortir.
04:24Donc on sort vraiment de notre travail en fin de compte.
04:26Et vous avez une famille ?
04:27Et j'ai une famille, j'ai deux enfants, deux petits garçons de 9 et 11 ans, je suis maman
04:31divorcée et ça il faut l'assumer aussi, donc c'est des journées très longues comme
04:37beaucoup de français, mais on ne se rend pas compte de la dureté du métier parce
04:41qu'à côté il faut aussi assurer, il faut aussi jongler avec les enfants.
04:44C'est la question que j'allais vous poser, il n'y a pas assez de 24 heures dans vos
04:47journées ?
04:48Non, clairement, il n'y a pas assez de 24 heures, on court tout le temps après le temps
04:53et je crois que c'est ce qui nous écrase aussi, nous les agriculteurs, c'est ce temps
04:58après lequel, parce qu'on a le temps de la culture, où avec les aléas climatiques,
05:03la météo, etc., on est obligé de tout le temps courir après le temps pour pouvoir
05:08sauver nos récoltes, mais on a aussi l'administratif qui nous prend une part folle, la paperasse,
05:15et ça aussi c'est un gros emploi du temps, moi je le fais la nuit personnellement, donc
05:21jusqu'à minuit, une heure du matin, je fais tout mon administratif, et puis effectivement
05:25il y a une vie de famille à gérer, donc non, les semaines à 35 heures, moi je les fais
05:30en deux jours et demi.
05:31Et quand vous dormez, vous arrivez à trouver du temps pour vous reposer ?
05:33Très peu, on dort très très peu, sur des périodes de vendange, on va dormir 2-3 heures
05:38par nuit, c'est tout, on essaie de compenser l'hiver, on dort un petit peu plus l'hiver
05:43et on dort un petit peu moins l'été.
05:44On est en pleine vendange en plus, donc la période doit être d'autant plus dense pour
05:48vous, vous gardez le sourire, c'est assez impressionnant, alors le mot crise il est
05:52sur toutes les lèvres, mais c'est ce qu'on disait tout à l'heure, derrière ce mot,
05:56derrière les surfaces arrachées des chiffres, il y a des réalités comme la vôtre, on
06:00parle de votre exemple, malheureusement c'est une réalité aussi pour d'autres de vos
06:03collègues vignerons, et vous employez le mot de honte de ne pas y arriver, il est hyper
06:10fort ce mot.
06:11Oui, et en fin de compte on se cache, clairement, on n'ose pas le dire que ça va pas, on n'ose
06:17pas, parce que souvent c'est des exploitations familiales, on a repris, on est passionné
06:20de notre métier, on est passionné de nos terres, on travaille la terre, enfin je veux
06:24dire c'est hyper beau comme métier, et de se dire on n'y arrive pas, c'est vraiment
06:30honteux, on a cette honte de ne pas y arriver, et puis effectivement il y a aussi, si on
06:36n'y arrive pas, c'est pas si facile que ce que tout le monde me dit sur les réseaux,
06:39t'as qu'à vendre et ça va plus vite, non, on est hypothéqué, les trois quarts du temps
06:44tous nos biens sont hypothéqués à la banque, si on n'y arrive pas on est saisi, comment
06:49on fait demain si on n'a plus de matériel, si on n'a plus de maison, si on n'a plus
06:52de biens, c'est toute une vie mais pas que la nôtre, celle de plusieurs générations
06:56qu'on va mettre en l'air, et ça c'est inadmissible.
06:58Qu'est-ce qui vous fait tenir aujourd'hui Amandine Henry ?
07:01Plusieurs choses, la première mes enfants, clairement, parce que je veux me battre pour
07:05eux pour pouvoir effectivement qu'ils aient un toit sur leur tête, qu'on ne saisisse
07:10pas ma maison, qu'ils aient de quoi manger dans leur assiette, mais je crois que ce qui
07:15me fait tenir le plus c'est ma banque, parce que si demain je ne rentre pas d'argent, si
07:20je ne trouve pas de solution, on me saisira tout, et c'est la réalité en fin de compte
07:24de grand nombre d'agriculteurs, si on est passionné de notre métier, mais au-delà
07:28de ça on est à l'échafaud, on a un coup près sur la tête, et on est obligé de se
07:34battre tous les matins, de se lever, on n'a pas le choix, il faut avancer, malgré tout
07:38il faut avancer.
07:39Merci beaucoup Amandine Henry d'être venue témoigner aujourd'hui sur France Bleu.
07:44Je vous rappelle que vous êtes vigneronne du côté d'Arbis, à la Porte de Benoges,
07:48et bon courage pour les vendanges.
07:49Merci.
07:50Merci beaucoup.