• il y a 2 mois
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00:00:00Annie Lacroix-Risse, bonjour.
00:00:02Bonjour.
00:00:03Alors, on n'en finirait pas d'égréner vos titres, puisque vous êtes normalienne, agrégée d'histoire,
00:00:08professeure d'histoire contemporaine.
00:00:11Vous êtes avant tout une spécialiste des relations internationales,
00:00:15et vous publiez chez Armand Colin un ouvrage ayant pour titre « Les origines du plan Marshall »,
00:00:21mais qui pourrait aussi bien s'intituler « Les origines de la vassalisation de l'Europe »,
00:00:26ou encore « Comment l'Europe est devenue une colonie américaine ».
00:00:30Voilà.
00:00:31C'est un livre radical dans le sens précis où il va à la racine de l'asservissement des nations européennes
00:00:39par la puissance américaine.
00:00:42Mais avant de revenir sur le contenu, j'aimerais que vous me disiez un mot de votre méthode de travail
00:00:49qui repose sur un impressionnant travail d'archive.
00:00:53Moi, j'ai appliqué les méthodes que mes bons maîtres m'ont enseignées,
00:00:57qui étaient communes à toute ma génération,
00:01:01c'est-à-dire qu'un historien avait un double devoir d'une part de grande culture générale,
00:01:11c'est-à-dire qu'il avait la mission de se renseigner sur ce qui avait été écrit avant lui,
00:01:18sur le sujet qu'il avait choisi de traiter,
00:01:21à la fois évidemment pour se former et pour émettre un avis critique au sens général du terme,
00:01:31un avis critique favorable ou défavorable sur les travaux précédemment réalisés,
00:01:36et puis je dirais la base du métier d'historien au sens strict du terme,
00:01:43c'est-à-dire le travail sur archive originale.
00:01:47Puisque entre ce que les archives originales non destinées à la publication révèlent
00:01:55et le récit qui nous en parvient par la presse, par les souvenirs, par les interviews,
00:02:03évidemment il y a extrêmement peu de choses communes.
00:02:06Mais la plupart des travaux contemporains sont plutôt des travaux de seconde main en fait.
00:02:12C'est-à-dire qu'il est devenu très à la mode depuis plusieurs décennies,
00:02:18sous l'effet notamment de la mouvance Sciences Po,
00:02:23qui a, au sens strict du terme, pris possession de l'histoire contemporaine.
00:02:28Je dis au sens strict du terme parce qu'une partie considérable aujourd'hui
00:02:35des thèses d'histoire contemporaine sont préparées avec des professeurs
00:02:42et dans le cadre de Sciences Po.
00:02:44Ce qui était inconcevable à l'époque où moi-même j'ai commencé ma thèse d'État.
00:02:53Je dirais que l'artisan des thèses d'État c'était l'université,
00:03:00que ça avait toujours été une université,
00:03:03que même longtemps ça avait été la Sorbonne,
00:03:06puisque la Sorbonne était quasiment la maîtresse des thèses d'État,
00:03:10et que les méthodes instituées par Sciences Po,
00:03:14et qu'on voit notamment mises en œuvre par les colloques
00:03:18auxquels on invite des ministres, des personnalités de grande envergure
00:03:25pour leur demander ce qu'elles ont fait, sans contrôle,
00:03:29ce sont des méthodes que je trouve absolument incompatibles
00:03:36avec les règles méthodologiques de l'historien.
00:03:38C'est une caractéristique, je dirais,
00:03:41de certains des pays les plus dépendants de l'Union européenne et des États-Unis.
00:03:48C'est d'autant plus dommageable d'ailleurs qu'il existe aux États-Unis,
00:03:53et même dans certains pays d'Europe,
00:03:56une historiographie de très grande qualité,
00:04:00et qui respecte encore très largement, parfaitement même,
00:04:06les règles qui m'ont été enseignées.
00:04:09C'est d'autant plus remarquable que c'est valable
00:04:13pour ce qu'on peut appeler l'histoire critique,
00:04:16qu'on a appelée aux États-Unis l'histoire révisionniste,
00:04:19c'est-à-dire l'histoire qui révisait les grands thèmes de la guerre froide,
00:04:26avec l'Union soviétique dangereuse,
00:04:29qui menaçait l'ensemble de l'Europe de ses griffes,
00:04:33et qui en avait déjà saisi une partie,
00:04:36et puis évidemment qui ne rêvait que de s'étendre sur l'autre.
00:04:42Tout ça, évidemment, concordait avec une nouvelle vision des choses,
00:04:52c'est-à-dire une vision très politique, surtout pas économique.
00:04:58Il faut dire que j'ai eu la chance,
00:05:01avec les bons enseignements dont j'ai parlé tout à l'heure,
00:05:05d'être d'abord une spécialiste d'histoire économique et sociale.
00:05:08Et comme j'étais historienne de l'histoire économique et sociale,
00:05:13qui a représenté une partie très importante de l'historiographie française,
00:05:18et notamment d'ailleurs de l'historiographie de qualité du XXe siècle,
00:05:24j'ai été directement en contact avec ce qui m'a aidé beaucoup
00:05:33en matière de relations internationales,
00:05:35c'est-à-dire le primat de l'économie.
00:05:38Et c'est précisément ce primat de l'économie
00:05:41qui a fait disparaître ce que j'appellerais la méthodologie Sciences Po.
00:05:45Comment s'est produit cet enchlous de l'histoire contemporaine par Sciences Po ?
00:05:50Je dirais qu'elle est un des aspects de quelque chose que j'étudie en partie dans mon ouvrage,
00:05:55et dont je souhaiterais d'ailleurs faire un livre au sens propre du terme.
00:05:59Ça s'est inscrit dans ce que une remarquable politiste,
00:06:05qui malheureusement a arrêté très vite sa carrière d'historienne,
00:06:09une aristocrate britannique, en plus pleine d'humour,
00:06:13qui s'appelle Frances Saunders, a exposé dans un ouvrage paru en 1999,
00:06:21qui porte deux titres d'ailleurs,
00:06:26parce qu'il y a eu une édition la même année et en Angleterre et aux États-Unis.
00:06:33Les deux titres étaient presque également explicites.
00:06:43Le titre américain, c'était « The Cultural Cold War »,
00:06:49et le titre anglais, c'était « Who Paid the Piper ? »
00:06:54« Qui paye le flûtiste ? »
00:06:56Ça a été traduit par Miracle, c'est rare,
00:07:00ça a été traduit en français en 2003, chez Donoël.
00:07:05L'ouvrage, je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi,
00:07:09je dois dire que je me suis mal renseignée parce que j'avais moi-même lu l'ouvrage tout de suite,
00:07:14j'en avais beaucoup parlé à mes étudiants parce que je l'avais trouvé évidemment passionnant,
00:07:19et il se trouve que je ne me suis pas intéressée à sa traduction française,
00:07:26que je n'ai connu l'ouvrage dans sa traduction française que quand il a été épuisé.
00:07:31Mais je ne comprends même pas comment il a été épuisé
00:07:34parce que j'ai fait une recherche informatique peut-être insuffisante d'ailleurs ces derniers temps,
00:07:40j'ai essayé de voir quelles critiques il avait recueillies en France,
00:07:44et je n'en ai pas trouvé du tout.
00:07:48C'est un ouvrage qui montre comment les États-Unis, sous divers prétextes,
00:07:55parce que le prétexte idéologique est toujours pratiqué,
00:08:00c'est évidemment plus porteur que le thème des ambitions économiques,
00:08:06et donc Frances Sanders s'était intéressée à ce qu'elle a appelé la guerre culturelle,
00:08:14c'est-à-dire finalement l'arrière-plan culturel, intellectuel, politico-idéologique
00:08:24qui est indispensable à n'importe quel pays qui souhaite prendre le contrôle d'un autre ou d'autres pays.
00:08:30Vous ne pouvez pas assurer votre assise économique si,
00:08:35et c'est vraiment une caractéristique très forte des États-Unis,
00:08:41si vous ne vous appuyez pas sur les élites fabricantes de l'idéologie dans leur propre pays,
00:08:50et ces élites c'est quoi ?
00:08:52Ce sont les gens considérés comme les grands intellectuels,
00:08:58c'est l'enseignement, c'est la recherche,
00:09:02c'est-à-dire que les États-Unis se sont intéressés très tôt,
00:09:06bien avant ce que Sanders appelle la guerre culturelle.
00:09:11Elle la situe en 1949-1950 et l'année suivante.
00:09:17C'est ce qui est propre, je dirais, à une puissance colonisatrice.
00:09:24Vous prenez possession de toute une série des secteurs économiques
00:09:30et vous avez besoin de disposer d'un appui que les États-Unis recherchent,
00:09:37c'est classique, essentiellement parmi les élites.
00:09:42Finalement, évidemment, le peuple les intéresse au sens où il faut que le peuple soit convaincu,
00:09:48mais ce qui les intéresse directement et ce avec quoi ils ont contact direct,
00:09:54je dirais, dès leur arrivée quelque part, c'est ce qu'on appelle les élites.
00:09:58Évidemment les élites de l'économie, les élites intellectuelles,
00:10:03enfin tout ce qui compte, tout ce qui est important,
00:10:06je dirais, dans la gestion de la masse de la population
00:10:09et qui doit obtenir l'effort de formation, de conviction,
00:10:14enfin bref, assurer, je dirais, la propagande à tous les niveaux possibles,
00:10:19puisque la propagande, qu'elle soit conforme au fait ou qu'elle ne le soit pas,
00:10:26évidemment, il n'y a pas un domaine qui lui échappe.
00:10:31Et cette guerre culturelle, elle, elle l'a située à partir de 1949-1950
00:10:38quand se met en place le Congress for Cultural Freedom,
00:10:42le Congrès pour la liberté de la culture, qu'elle a décortiqué.
00:10:46Et comme c'est une dame britannique qui avait beaucoup d'entre-gens,
00:10:51je crois qu'elle appartient à une famille aristocratique britannique,
00:10:54on lui a ouvert non seulement beaucoup de fonds,
00:10:57mais je dirais beaucoup de contacts avec les employés de haut rang CIA
00:11:09qui avaient pris leur retraite et elle a eu contact très approfondi
00:11:15avec toute une série de responsables tous CIA des institutions culturelles
00:11:27et ça donne un livre détonnant, d'abord qui est très drôle,
00:11:32parce qu'évidemment quand ils sont à la retraite, ils sont comme des militaires,
00:11:36ils disent ce qu'ils n'ont pas dit quand ils n'y étaient pas.
00:11:40Et voilà, elle montre ce que d'autres ont montré avant elle.
00:11:47Je pense en particulier à un ouvrage que je cite d'ailleurs dans mon livre
00:11:54d'un universitaire américain qui s'appelle Winks
00:12:00et qui a fait un livre qui s'appelle Cloak and Gown,
00:12:04qui est à peu près intraduisible en français, c'est-à-dire je dirais
00:12:08l'avance masqué, c'est celui qui se met sous un masque
00:12:13et sous une vaste tenue qui dissimule ses formes,
00:12:19c'est-à-dire comment s'est organisée la guerre culturelle
00:12:22qui n'avait pas commencé avec la Deuxième Guerre mondiale,
00:12:26qui avait commencé après la Première Guerre mondiale en ce qui concerne l'Europe.
00:12:34Mais dans la Deuxième Guerre mondiale, Winks montrait quelque chose d'absolument essentiel
00:12:39et que j'évoque là un petit peu dans l'ouvrage,
00:12:42bien que je parle beaucoup plus de l'ouvrage de la britannique Saunders,
00:12:52c'est-à-dire comment dès qu'est constituée en 1941 l'Office of Strategic Services,
00:13:01c'est-à-dire l'ancêtre de la CIA,
00:13:04le service de renseignement utile à l'État américain pour conduire la guerre et préparer la paix,
00:13:13donc dès la constitution d'OSS, il montre comment l'université est mobilisée,
00:13:21je dirais la crème de l'université.
00:13:26Les universités de la Heavy League, de la Ligue du Lierre,
00:13:30parmi lesquelles bien sûr Princeton, Harvard, Yale, etc.,
00:13:35et comment une série de sociologues, d'historiens, de spécialistes de sciences humaines
00:13:46sont mobilisés partout dans le monde pour répandre ce que les Américains ont appelé les area studies,
00:13:58les études de zones.
00:14:00Chaque zone devant être conquise et contrôlée,
00:14:05devant faire l'objet évidemment d'une préparation intellectuelle et culturelle
00:14:12avec à l'appui des gens de la plus grande qualité,
00:14:16mais des gens de la plus grande qualité qui étaient bien sûr alignés sur les prescriptions de leur propre État.
00:14:24Et c'est ainsi, a montré Winks, que s'est affirmée la personnalité d'un très grand historien
00:14:34qui s'appelle William Langer,
00:14:36et qui a fait un ouvrage qui a été je crois assez connu,
00:14:41en tout cas dans les milieux spécialisés français,
00:14:45qui s'appelait Vichy Gamble, le jeu que nous avons joué à Vichy,
00:14:52et qui était un ouvrage commandé à cet historien de Harvard
00:14:57pour démontrer pourquoi Roosevelt et tout l'appareil d'État avaient fort bien fait de soutenir Vichy
00:15:06et de combattre de Gaulle.
00:15:08C'est un bouquin passionnant, j'allais dire fascinant,
00:15:13parce qu'il met l'accent sur une des qualités de la recherche anglo-saxonne,
00:15:19à la fois un très grand conformisme
00:15:22et une reconnaissance des faits,
00:15:26ce qui n'est pas le cas des cultures dépendantes,
00:15:30ou d'une partie des cultures dépendantes, dont celle de la France.
00:15:35C'est-à-dire, ce que nous faisons est bien, c'est l'idéal,
00:15:41on ne peut pas faire mieux, ce qui n'a aucun intérêt,
00:15:44mais en revanche, nous avons le devoir de connaître les faits,
00:15:50et c'est ainsi qu'on découvre dans le livre à quel point les élites
00:15:56avec lesquelles les Américains ont noué contact
00:16:02ont été les élites de Vichy, les plus collaborationnistes,
00:16:07mais évidemment qu'il était indispensable, j'allais dire,
00:16:12de courtiser ou de continuer à courtiser,
00:16:14puisque c'étaient les élites décisionnaires en France,
00:16:20comme c'est le cas ailleurs, et par conséquent,
00:16:23vous avez des jugements dans l'ouvrage qui sont effrayants,
00:16:28et que j'ai d'ailleurs, évidemment, beaucoup utilisé
00:16:31sur l'appareil financier et intellectuel,
00:16:37l'appareil financier français,
00:16:42pour montrer comment Lange et les siens considéraient les élites françaises,
00:16:49c'est-à-dire des élites qui s'étaient appuyées essentiellement sur le Reich,
00:16:54à l'époque où le Reich s'était considéré comme le meilleur instrument
00:16:59pour contrôler les populations, et le Reich étant, à partir de 1941,
00:17:05je dis bien 1941 et pas seulement 1943,
00:17:08le Reich étant depuis la liquidation du Blitzkrieg,
00:17:15c'est-à-dire l'été 1941, quand ça se gâte finalement pour l'Allemagne,
00:17:22les élites comprenant très bien, je dis comprenant très bien dès ce moment-là,
00:17:27et je cite souvent, y compris dans ce livre,
00:17:30un jugement catégorique et significatif,
00:17:36c'est-à-dire nous avons joué les Allemands,
00:17:40c'est le jugement d'un chef militaire français, le général Doyen,
00:17:47nous avons choisi la carte allemande,
00:17:51nous avons fait une bêtise, enfin elle n'est plus opératoire,
00:17:56et par conséquent il nous faut rallier dans les meilleurs délais
00:18:02le vainqueur américain futur,
00:18:05qui a été déjà le principal vainqueur de la Première Guerre mondiale,
00:18:10mais qui sera le vainqueur, toute catégorie de la guerre en cours,
00:18:15il appelle ça la Grande Guerre, de la guerre en cours,
00:18:18et dit-il, il faut compter que pendant plusieurs décades,
00:18:27nous serons obligés d'en passer par toutes les décisions,
00:18:36tous les dictates des Américains.
00:18:39C'est un texte du 16 juillet 1941,
00:18:44et donc contrôle d'un côté, contrôle des âmes de l'autre,
00:18:51et vous ne pouvez pas contrôler les âmes d'une population
00:18:55si vous ne contrôlez pas ceux qui fabriquent l'âme de la population,
00:19:01c'est-à-dire les dirigeants vernaculaires de chaque État.
00:19:07Un très bon politologue néerlandais que j'aime beaucoup,
00:19:12qui d'ailleurs, je dirais comme tous ses collègues anglo-saxons,
00:19:19n'est pas traduit, parce que chez nous il y a un mur anti-traduction,
00:19:24a fait un ouvrage sur la classe dirigeante atlantique,
00:19:33enfin en anglais puisqu'il n'a pas été traduit,
00:19:36et il fait cette analyse, il remonte au début de la période impérialiste,
00:19:43c'est-à-dire de la période qui au fond a vu le déploiement des États-Unis
00:19:48depuis la fin du XIXe siècle,
00:19:50et il explique que l'objectif des États-Unis,
00:19:54c'est évidemment un objectif de conquête économique globale,
00:19:58puisque les États-Unis le revendiquent.
00:20:01Vous datez ce plan de conquête mondiale à l'année 1890, est-ce que vous pouvez…
00:20:08Des années 1890, c'est-à-dire que les États-Unis émergent à la toute puissance
00:20:16en 1890 quand ils deviennent les premiers producteurs du monde,
00:20:20les premiers producteurs industriels du monde.
00:20:23Je note que c'est dans une période de crise générale,
00:20:29puisque la première crise capitaliste globale, c'est la crise de 1873,
00:20:37qui démarre aux États-Unis, qui s'étend sur l'ensemble du monde capitaliste,
00:20:43et que les États-Unis voient leur émergence s'affirmer dans cette période de crise,
00:20:52à laquelle ils n'échappent pas.
00:20:54Exactement d'ailleurs comme l'Allemagne,
00:20:56qui voit se déployer son potentiel industriel dans le troisième quart du XIXe siècle,
00:21:04c'est-à-dire à une époque caractérisée par ce qu'on appelle la phase impérialiste,
00:21:12c'est-à-dire la phase où le capitalisme décidément craque
00:21:19dans les frontières intérieures de chaque pays représenté,
00:21:26à des surplus énormes, des surplus agricoles et des surplus industriels,
00:21:31et on est en phase de crise.
00:21:33Je rappelle que la première crise du capitalisme,
00:21:36elle dure de 1873 à 1914, c'est la première guerre mondiale,
00:21:41qui amorce la solution de cette crise,
00:21:46et donc on se trouve avec un pays en développement mais en phase de crise,
00:21:54caractérisé par une surproduction systémique permanente.
00:22:00Grosso modo, par exemple, la surproduction agricole américaine
00:22:04n'a jamais cessé depuis les années 1990, sauf dans les deux guerres mondiales.
00:22:10Et les années consécutives.
00:22:14Donc, les États-Unis connaissent une situation de surproduction agricole endémique.
00:22:20Ils connaissent une situation de surproduction industrielle intérieure endémique.
00:22:27Comment la régler ?
00:22:29Évidemment en exportant massivement des capitaux
00:22:33et en faisant en sorte que les marchandises excédentaires soient vendues à l'étranger.
00:22:39C'est la clé des choses.
00:22:41Au moment même où le Royaume-Uni se renferme un peu sur lui-même ?
00:22:47C'est-à-dire qu'il ne se renferme pas encore,
00:22:49et que d'ailleurs il y a des contradictions au Royaume-Uni,
00:22:55qu'a très bien souligné un de mes collègues français
00:22:58qui a fait l'objet d'une espèce de multisme systématique depuis quelques décennies,
00:23:04qui s'appelle Richard Farnetti,
00:23:06et qui a montré dans plusieurs synthèses à quel point, en Grande-Bretagne,
00:23:14à la fois l'affaiblissement avait profité aux États-Unis
00:23:20et avait été provoqué en partie par les États-Unis,
00:23:25et parce que cette Grande-Bretagne était soumise, je dirais,
00:23:34à deux influences contradictoires,
00:23:36celle de la finance, celle du secteur bancaire, du secteur financier, évidemment,
00:23:43je dirais qui passe son temps au-delà des frontières,
00:23:46et qui peut très bien se porter quand l'industrie du pays s'effondre.
00:23:52C'est le cas d'ailleurs depuis les années 1890,
00:23:58et l'industrie qui est une victime permanente, je dirais,
00:24:04depuis les années 1870 de la concurrence internationale,
00:24:10de celle de l'Allemagne, de celle des États-Unis,
00:24:12de celle de tous les pays en émergence,
00:24:14de sorte qu'il y a eu une contradiction très forte en Angleterre,
00:24:19et qui a duré très longtemps, et qui dure encore,
00:24:22et qui est globalement toujours réglée aux bénéfices de la finance
00:24:28qui privilégient ces relations extérieures,
00:24:31notamment avec les États-Unis,
00:24:33alors même que le pays s'effondre.
00:24:35Et il est tout à fait significatif, d'ailleurs,
00:24:38mon collègue a fait une petite synthèse en 1994, je crois,
00:24:44sur la situation du Royaume-Uni,
00:24:46et a montré, déjà dans les années 1990,
00:24:50une situation de colonisation et d'affaiblissement effrayante.
00:24:54Je dois dire d'ailleurs que ça s'est fait en même temps
00:24:59que l'ouvrage d'un haut fonctionnaire français
00:25:02dont à peu près plus personne ne connaît le nom,
00:25:05qui a quand même, si je ne m'abuse, été promu directeur
00:25:10des antennes de télévision,
00:25:12qui s'appelait Jacques Thibault,
00:25:16et qui a fait à peu près au même moment,
00:25:18enfin non, avant même,
00:25:20qui a fait un ouvrage paru en 1979,
00:25:24que je regrette d'ailleurs de ne pas avoir lu ou relu,
00:25:27je l'avais peut-être lu, mais je l'avais un peu oublié,
00:25:30je l'ai relu après avoir bouclé mon ouvrage,
00:25:35ça s'appelle « La France colonisée »,
00:25:38et ça donne de la France un spectacle pitoyable il y a 40 ans.
00:25:45Et ça commence de manière assez superficielle,
00:25:49c'est normal, il n'y avait pas les éléments,
00:25:52et c'est un ouvrage frappé par la conquête des élites intellectuelles,
00:25:58entre autres, et qui montre comment
00:26:02s'est installé en France,
00:26:04on est, je le répète, à la fin des années 1970,
00:26:07une espèce d'abhésion généralisée des élites intellectuelles
00:26:13à tout ce qui vient des États-Unis.
00:26:16Et bien c'est ça qui a conquis l'université,
00:26:19je dirais entre les années 1960 et aujourd'hui,
00:26:24avec un projet longuement mûri,
00:26:27que j'ai évoqué pour la Deuxième Guerre mondiale,
00:26:31mais que je pourrais évoquer pour la période antérieure,
00:26:36car en fait, à l'époque de la puissance et de la revendication d'hégémonie,
00:26:41de ce qu'on a appelé la porte ouverte,
00:26:44c'est-à-dire finalement depuis le début du XXe siècle,
00:26:48les États-Unis avaient absolument revendiqué le contrôle intellectuel
00:26:56et ils ont commencé, dans l'entre-deux-guerres,
00:27:00via deux fondations,
00:27:05la Fondation Carnegie et la Fondation Rockefeller,
00:27:12à prendre le contrôle d'un certain nombre de secteurs intellectuels,
00:27:16je dis bien dans l'entre-deux-guerres,
00:27:20y compris en France,
00:27:25y compris via le financement de la recherche
00:27:31à l'École libre des sciences politiques,
00:27:37prédécesseur direct de l'Institut d'études politiques,
00:27:42et ce qu'on ne connaît pas, ce qu'on ne sait pas,
00:27:46parce que ça n'est pas suffisamment diffusé,
00:27:49que je vais un peu évoquer là, mais qui mérite un ouvrage particulier,
00:27:53c'est que cette influence s'est exercée par cette école,
00:27:59avec un financement de la recherche,
00:28:02et que c'est le maître des relations internationales français,
00:28:07Pierre Renauvin, qui a été en France la cible de ces efforts.
00:28:12Et c'est d'ailleurs lui qui a protégé,
00:28:16qui a promu un élève qui n'était pas le sien,
00:28:20mais qui a eu son entier soutien,
00:28:24d'autant plus qu'ils étaient tous les deux des catholiques fervents.
00:28:29L'un connu le jeune, c'est-à-dire Jean-Baptiste Duroselle,
00:28:37l'autre clandestin, celui qui avait commencé sa carrière à la Sorbonne en 1920,
00:28:46à l'université, dans l'entre-deux-guerres,
00:28:50je dirais que le cléricalisme n'était pas encore de mise.
00:28:54Et par conséquent, Renauvin, qui avait été déjà financé,
00:29:01s'est battu pour que Duroselle, non seulement enseigne à Sciences Po,
00:29:08mais soit élu à la Sorbonne,
00:29:11et on peut dater, en tout cas en histoire contemporaine,
00:29:14le triomphe américain, le triomphe anglo-saxon,
00:29:20de la victoire électorale, si je puis dire,
00:29:25de Duroselle en 1964,
00:29:28qui n'est plus seulement enseignant à Sciences Po
00:29:31et dans des universités de moindre prestige que la Sorbonne,
00:29:38mais qui devient professeur à la Sorbonne,
00:29:41et qui, à partir de 1964,
00:29:45avec le rôle que peut jouer un maître de la Sorbonne
00:29:49et un maître des éditions de la Sorbonne,
00:29:52et qui, à partir de 1964, je dirais,
00:29:56est un élément majeur pour faire triompher
00:29:59les méthodes qui ont été mises en place
00:30:03à l'école libre des sciences politiques,
00:30:06puis directement implantées dans le successeur direct,
00:30:10c'est-à-dire l'Institut d'études politiques.
00:30:13Et c'est comme ça, ce qui est complètement ignoré du public,
00:30:19que se met en place un des aspects de la guerre culturelle,
00:30:26de cette guerre culturelle, il en est beaucoup question d'ailleurs
00:30:29dans mon ouvrage, de cette guerre culturelle,
00:30:31qui passe aussi, on le sait, par la conquête du cinéma.
00:30:35Ce qui m'a servi dans l'introduction de Guyde
00:30:42pour montrer ce qu'est le mythe de l'aide américaine,
00:30:48c'est une émission culturelle, une émission historique,
00:30:54vous savez qu'en France, comme ailleurs d'ailleurs,
00:30:57nous avons une diffusion de ce que j'appellerais
00:31:02la propagande historique depuis quelques décennies,
00:31:05tout à fait impressionnante.
00:31:06C'est-à-dire que des émissions historiques,
00:31:08vous demandez à n'importe quelle personne
00:31:10qui regarde régulièrement la télé,
00:31:12elle est frappée par vraiment la profusion
00:31:15de connaissances historiques qu'on nous dispense.
00:31:17Et donc nous en avons beaucoup désormais
00:31:20des émissions historiques, et nous avons eu droit,
00:31:23je crois que c'était en 2021 ou 2022,
00:31:27mais le film, le documentaire et le débat
00:31:32sont régulièrement reprojetés par la chaîne parlementaire, LCP.
00:31:39C'était un documentaire qui avait, je dirais,
00:31:46un titre tout à fait iconoclaste,
00:31:51vu l'image générale qu'on nous donne
00:31:55de cet extraordinaire plan Marshall,
00:31:57de cette bénédiction, de cette aubaine,
00:32:01un titre tout à fait iconoclaste,
00:32:05puisque ça s'appelait le plan Marshall,
00:32:07une bonne affaire pour les États-Unis,
00:32:10point d'interrogation.
00:32:11Et même, si je me rappelle bien,
00:32:14il y avait un autre sous-titre,
00:32:15un jackpot pour les États-Unis.
00:32:17Quelle familiarité de langage !
00:32:19Et alors ça a été très drôle,
00:32:21parce qu'évidemment le film était très largement
00:32:25conforme à ce qui nous est servi
00:32:27depuis plusieurs décennies,
00:32:29c'est-à-dire le plan Marshall établi
00:32:32pour évidemment empêcher l'Europe
00:32:36de tomber dans les griffes abominables
00:32:38de Staline qui contrôlent déjà
00:32:41et écrasent l'Europe orientale.
00:32:45Enfin bon, on a droit à ça.
00:32:47Les étapes, ce que j'appellerais
00:32:50les fausses étapes de la guerre froide,
00:32:55c'est-à-dire les grèves,
00:33:00les grèves de 47 ans de France,
00:33:04le coup de Prague,
00:33:06le fameux coup de Prague,
00:33:07qui est un coup de Prague inversé,
00:33:08puisque ça ne correspond pas du tout
00:33:10à ce qu'on nous raconte.
00:33:11C'est une tentative de la droite
00:33:12pour contrôler le gouvernement
00:33:13et pas une tentative communiste.
00:33:15Enfin bon, on a droit à tout ça.
00:33:17Il y a vraiment un risque,
00:33:19mais on a droit surtout à quelque chose
00:33:21de très nouveau sur nos antennes,
00:33:24c'est-à-dire un plan Marshall
00:33:26qui est concocté pour répandre
00:33:32à travers l'Europe ou la partie européenne
00:33:37que contrôlent alors les États-Unis,
00:33:39que contrôlent alors totalement
00:33:40les États-Unis,
00:33:42c'est-à-dire ce qu'on appelle
00:33:43l'Europe occidentale.
00:33:47Donc il est question là
00:33:51que les États-Unis aient dans cette affaire
00:33:54réalisé une bonne affaire,
00:33:57que c'était utile aux États-Unis
00:34:00qu'il y avait des surplus grandieux,
00:34:04des surplus agricoles,
00:34:06des surplus de marchandises industrielles.
00:34:12On insiste moins là-dessus,
00:34:14mais ça apparaît peut-être,
00:34:16je n'ai plus le souvenir très exact.
00:34:19Des investissements de capitaux,
00:34:21ben oui bien sûr,
00:34:22pour nous aider à nous reconstruire,
00:34:24puisque les États-Unis disposent
00:34:26d'une avance industrielle énorme
00:34:28et que nous en avons tous besoin,
00:34:30mais il reste l'histoire du jackpot,
00:34:34c'est-à-dire un plan Marshall,
00:34:36somme toute,
00:34:37élaboré pour se débarrasser
00:34:40des surplus américains,
00:34:42au sens non pas strict du terme,
00:34:44celui que j'évoque assez longuement dans l'ouvrage,
00:34:49mais des surplus globaux.
00:34:51Trop de récolte,
00:34:52trop de coton,
00:34:54trop de blé,
00:34:55trop de tout,
00:34:56et évidemment trop de marchandises industrielles
00:35:00alors que la guerre générale se clôt
00:35:03et que les marchés se ferment.
00:35:06Eh bien, nous sommes à un tel degré
00:35:11de dépendance intellectuelle
00:35:15que l'organisateur et le conseiller historique de l'affaire,
00:35:19qui m'avait semblé cette fois faire preuve
00:35:22d'une audace tout à fait nouvelle
00:35:27et de bonne aloie,
00:35:30M. Olivier Viejurka,
00:35:33s'est fait littéralement prendre à partie
00:35:36par un de mes collègues que je connais fort bien
00:35:39parce que je dirais qu'il a fait sa thèse
00:35:43un peu après la mienne,
00:35:45qui s'appelle Gérard Bossua,
00:35:48avec le soutien d'un député centriste
00:35:54connu depuis des décennies,
00:35:56M. Bourlange,
00:35:58je dirais comme député atlantiste à toute épreuve,
00:36:04tous deux lui sont tombés dessus
00:36:07et lui ont reproché en termes très vifs
00:36:10de tromper les téléspectateurs
00:36:14puisque la question ne se posait pas,
00:36:17il y avait identité d'intérêt
00:36:20entre les États-Unis et nous-mêmes
00:36:23et la question de la divergence d'intérêt
00:36:27ne se posait tout simplement pas.
00:36:30De sorte qu'arrassé par l'assaut
00:36:36et alors même que se trouvait, j'allais dire,
00:36:40entre ces messieurs assis,
00:36:44un maître de conférence manifestement informé
00:36:50mais qui n'a pas jugé bon de dire tout ce qu'il savait
00:36:54parce que je pense que je suis été fatal à sa carrière,
00:36:58donc le maître de conférence s'est vite retiré du débat
00:37:02et le débat s'est terminé avec M. Villiers-Vurka reconnaissant,
00:37:08frappé par les arguments de ses interlocuteurs,
00:37:13que oui, la France avait choisi la voie américaine
00:37:17par appétence pour l'American way of life.
00:37:22Eh bien, vous avez une vision,
00:37:25évidemment qui peut sembler caricaturale
00:37:28à quelqu'un qui a vu des archives, bien sûr,
00:37:30mais vous avez une vision tout à fait exacte
00:37:34de ce qu'est la guerre culturelle réussie, remportée.
00:37:41Comment est-ce que les États-Unis parviennent à une situation de monopole
00:37:47sur une Europe, alors dit-on, à reconstruire ?
00:37:56Il faut se mettre d'accord, c'est vrai que
00:37:58l'Europe occidentale, ou une partie de l'Europe occidentale,
00:38:03a été très affectée par l'occupation allemande,
00:38:07mais quand même, je le rappelle pour nos auditeurs,
00:38:11nos spectateurs, il est clair qu'il n'y a pas de commune mesure
00:38:16entre l'affaiblissement de l'Europe occidentale
00:38:19et les ravages de l'Europe orientale.
00:38:23C'est-à-dire que, oui, les populations ont beaucoup souffert,
00:38:28oui, l'Allemagne a énormément pillé,
00:38:32avec l'aval d'ailleurs des classes dirigeantes
00:38:35qui, elles, n'y ont rien perdu,
00:38:38mais même s'il y a beaucoup de destructions,
00:38:44d'abord il y a des destructions,
00:38:47la France a été vidée par l'Allemagne,
00:38:50bien que ses classes dirigeantes s'en soient fort bien sorties,
00:38:54comme je l'ai montré notamment dans l'ouvrage
00:38:56« Industriel et banquier sous occupation ».
00:38:58Mais, outre qu'il y a eu beaucoup de pillages,
00:39:06ce sont quand même des pays moins détruits,
00:39:09et ce sont des pays dont, en fait,
00:39:12la reconstruction stricto sensu est faite avant même le plan Marshall.
00:39:19Et pas sur la base des pré-américains,
00:39:24mais, comme je l'ai montré notamment avec l'exemple du charbon,
00:39:29sur la base de l'effort vernaculaire, de l'effort intérieur.
00:39:34La France récupère sa production de charbon en 1947.
00:39:42Donc, il faut bien comprendre que la thèse de l'Europe détruite,
00:39:49c'est évidemment une thèse qu'on peut soutenir concernant l'Europe orientale,
00:39:56c'est une thèse qui ne peut pas être soutenue concernant l'Europe occidentale,
00:40:01sachant, et il faut le dire, je ne dis pas ça par choix idéologique,
00:40:07que, en ce qui concerne les destructions proprement dites,
00:40:12je dis bien les destructions,
00:40:15celles de la France, par exemple, sont des destructions largement américaines.
00:40:20C'est-à-dire, par exemple, la destruction des ports,
00:40:23les bombardements américains,
00:40:28qui ont été d'effet nul sur l'appareil de guerre allemand.
00:40:33Je l'ai montré dans un ouvrage sur les élites françaises
00:40:38de la collaboration avec l'Allemagne à l'alliance avec les États-Unis.
00:40:45Les bombardements américains,
00:40:48outre qu'ils ont fait 75 000 morts en France,
00:40:51ça a été l'épisode le plus sportif et célébré comme tel par la grande presse américaine.
00:40:57On ne le sait pas, on a l'impression qu'il n'y a que l'Allemagne qui a été…
00:41:01C'est vrai que Paris n'a pas été détruit, alors que Berlin l'a été.
00:41:05Mais l'appareil industriel allemand a été intact.
00:41:10Tout le monde le reconnaissait, même dans les années 1950,
00:41:15sauf quelques cas particuliers,
00:41:18très liés d'ailleurs aux intérêts américains en Allemagne occidentale.
00:41:23Mais l'essentiel, je dis bien des destructions,
00:41:30a été les destructions portuaires,
00:41:35les destructions de l'infrastructure française.
00:41:41D'ailleurs, je raconte dans le livre comment les États-Unis,
00:41:44des représentants américains se promènent à travers la Normandie
00:41:48en plaisantant beaucoup parce que finalement ils trouvent
00:41:53que les destructions sont vraiment au-delà de ce qu'ils imaginaient.
00:41:58Il se trouve que, je l'ai dit tout à l'heure,
00:42:02j'ai eu la chance de faire de l'histoire économique et sociale.
00:42:07Et comme j'ai consacré ma thèse d'État à la reconstruction de la France,
00:42:14j'avais découvert, j'ai fait ma thèse d'État dans les années…
00:42:20J'ai soutenu en 1981, j'ai fait ma thèse d'État dans les années 1970.
00:42:24Vous savez bien comment la France s'était reconstruite.
00:42:27Elle ne s'était pas reconstruite avec des crédits américains,
00:42:30elle s'était reconstruite par l'effort de sa classe ouvrière.
00:42:34Et en particulier, elle avait reconstitué sa production de charbon en deux ans,
00:42:43là où il avait fallu dix ans après la Première Guerre mondiale.
00:42:48Dix ans.
00:42:50Donc le thème du médecin se pensant sur le malade près de la mort
00:43:00et venant le sauver avec le plan Marshall des cadeaux américains
00:43:08est un argument de propagande, ça n'a rien à voir avec ce qui s'est effectivement produit.
00:43:14Et ce que je montre dans le livre, ce sont les prolégomènes de cette situation,
00:43:20c'est-à-dire en fait comment le plan Marshall,
00:43:24qui les historiens américains d'irrévisionnistes l'ont montré.
00:43:30Le plan Marshall, c'est au fond l'ultime phase de la victoire américaine,
00:43:38c'est-à-dire du moyen pour les États-Unis de conquérir l'Europe.
00:43:44Finalement, on arrive en 1947 à une situation où, au contraire de ce qu'on raconte,
00:43:51l'Europe est reconstruite.
00:43:53Et elle est reconstruite par les efforts des classes ouvrières,
00:43:59des travailleurs concernés,
00:44:02sachant que toute une partie de l'Europe occidentale
00:44:07qui fait partie des 16 du plan Marshall n'est pas affectée par la guerre.
00:44:15Les pays neutres ne sont pas du tout affectés par la Deuxième Guerre mondiale,
00:44:19qui ont été parmi les 16 qui se trouvent aujourd'hui dans l'OTAN.
00:44:27Ça vous montre ce que c'est d'ailleurs que le succès de la propagande.
00:44:32On a fait en 1991 en France un colloque international,
00:44:38vraiment international, sur le plan Marshall.
00:44:42Il est là, je l'ai dans ma bibliothèque, c'est un gros, gros livre.
00:44:46Et moi, j'avais dix ans avant soutenu ma thèse d'État,
00:44:50dans laquelle j'avais montré que non seulement les États-Unis
00:44:54n'avaient pas favorisé la reconstruction de la France,
00:44:57mais à quel point ils l'avaient gênée.
00:45:00Ce qui m'avait évidemment, j'allais dire,
00:45:04soustrait presque d'emblée de la communauté universitaire.
00:45:08Ça, c'était déjà très inconvenant.
00:45:11Et puis d'autres que moi, d'ailleurs, avaient travaillé.
00:45:13En particulier, une collègue, dans le nom de mes chapes,
00:45:18qui doit être professeure aujourd'hui,
00:45:21qui avait fait une étude sur le charbon européen
00:45:24et qui s'était rendu compte que les importations de charbon américain
00:45:30avaient été funestes à l'Europe,
00:45:33que ça avait fait fermer les mines
00:45:37et qu'il avait fallu le plan Marshall et la suite
00:45:42pour obtenir de chacun de ces pays
00:45:45le maintien d'un courant d'importation de charbon américain
00:45:49qui était absolument funeste.
00:45:51Il y a aujourd'hui des parallèles saisissants.
00:45:54C'est exactement la même chose pour le gaz aujourd'hui,
00:45:56les sanctions européennes.
00:45:57Pour le gaz, pour les poulets, pour les surplus agricoles, voilà.
00:46:02Les Américains arrivent à nous caser des produits
00:46:05qui sont invendables dans les conditions normales de la France,
00:46:09tout en promouvant la…
00:46:11Mon ouvrage montre…
00:46:13J'ai choisi quelques cas types
00:46:15parce que je ne pouvais pas faire défiler le botaille,
00:46:17c'est déjà très gros,
00:46:18mais je montre par exemple le cas du coton
00:46:22qui est invendable en 1945, absolument invendable.
00:46:27Il est hors de prix,
00:46:28il est de moindre qualité que certains autres cotons,
00:46:32il se heurte à la concurrence des textiles,
00:46:36à l'époque des textiles artificiels
00:46:39vont relayer les textiles synthétiques
00:46:43et par conséquent la situation du coton est en 1944-1945,
00:46:48je le dis bien, insurmontable.
00:46:51Il faut donc des mesures contraignantes
00:46:56qui ne sont adoptables, je dirais,
00:46:58parce que les États-Unis occupent une position hégémonique
00:47:05dans l'Europe qu'ils contrôlent.
00:47:07Il faut donc trouver des conditions contraignantes,
00:47:12j'insiste bien sur le terme de contraignantes,
00:47:15c'est-à-dire contractuellement qu'on ne peut pas fuir,
00:47:20je ne trouve pas l'équivalent du mot anglais inescapable,
00:47:27auquel on ne peut pas échapper.
00:47:29Et ces clauses contraignantes, c'est quoi ?
00:47:32C'est Bretton Woods,
00:47:36c'est-à-dire un programme…
00:47:40Alors, j'ai beaucoup plus travaillé d'ailleurs
00:47:43dans un gros article qui va paraître,
00:47:46qui est plus spécifiquement tourné vers le cas britannique,
00:47:49là j'ai étudié le cas britannique,
00:47:51j'ai évidemment surtout étudié le cas français.
00:47:54Eh bien, il se trouve que les clauses de Bretton Woods,
00:48:01essentiellement deux clauses,
00:48:04les clauses de Bretton Woods sont prêtes à la virgule près,
00:48:10Bretton Woods, c'est une décision américaine,
00:48:13ce n'est pas une discussion anglo-américaine.
00:48:16C'est une discussion anglo-américaine
00:48:19dont les Anglais sortent étriers,
00:48:22c'est-à-dire Keynes écrasé par le plan de White,
00:48:27le second du secrétaire au trésor, Morgenthau.
00:48:32Et donc, de quoi s'agit-il ?
00:48:36Il s'agit de la priorité des priorités,
00:48:41qui est devenue, je dirais, une priorité parodante
00:48:45avec la crise des années 30,
00:48:48il s'agit de liquider le concurrent anglais.
00:48:52Or, le concurrent anglais, à la faveur de la crise,
00:48:57s'est protégé et a décidé de renoncer au libre-échange
00:49:05et de pratiquer la préférence impériale,
00:49:10c'est-à-dire de continuer tranquillement
00:49:13à développer les accords bilatéraux extrêmement avantageux.
00:49:17Ottawa.
00:49:18Voilà, c'est la conférence d'Ottawa de juillet-août 32
00:49:22et la décision finale dite de préférence impériale.
00:49:28On se ménage de manière plus exclusive
00:49:33une zone à nous entre le Commonwealth, les colonies, l'Angleterre.
00:49:42Je ne vous dis pas que ce soit avantageux pour tout le monde,
00:49:44ça n'est pas du tout pour les colonies,
00:49:46mais ça assure à la Grande-Bretagne un répit dans la crise.
00:49:53Et d'ailleurs, la crise anglaise est beaucoup moins sévère
00:49:57que la crise allemande et la crise américaine,
00:50:01sachant d'ailleurs que les Anglais ont connu la catastrophe dans les années 1920.
00:50:07Et sur cette base des années 1930,
00:50:12les Anglais récupèrent un peu les jours roses,
00:50:16c'est-à-dire que leur effondrement des années 1930 est moindre,
00:50:20sachant qu'il y a eu une très forte déperdition dans les années 1920.
00:50:26Leur commerce extérieur souffre beaucoup moins.
00:50:30Il se détourne en partie du commerce extérieur américain
00:50:35et ça se termine en 1939 avec le tiers du commerce mondial
00:50:41et une zone sterling qui est encore solide entre la Grande-Bretagne,
00:50:49son empire au sens strict et au sens large du terme.
00:50:54Bref, l'Angleterre a un petit peu repris forme.
00:51:01Je ne parle pas de sa population, je parle des dirigeants de son économie.
00:51:07C'est ça qui va devenir impossible avec, je dirais d'ailleurs,
00:51:13une très forte responsabilité des pays européens
00:51:17et notamment des vainqueurs de la Première Guerre mondiale
00:51:20ou des vainqueurs apparents de la Première Guerre mondiale.
00:51:23C'est-à-dire que la France et l'Angleterre, comme d'autres d'ailleurs,
00:51:30c'étaient les principaux bénéficiaires théoriques de la victoire de 1918.
00:51:35La France et l'Angleterre ont considéré, pour toute une série de raisons,
00:51:43économiques et politiques, qu'il était bon, ma foi,
00:51:48de faire comme si l'Allemagne n'allait pas redéclencher la guerre de revanche.
00:51:55Ils savaient parfaitement. J'ai consacré deux livres à le montrer
00:52:01et puis l'un des deux est vraiment très gros.
00:52:05Il va d'ailleurs faire l'objet d'une réédition en proche,
00:52:09ça s'appelle « Le choix de la défaite ».
00:52:11Donc, on a eu pendant cette période un triomphe de ce qu'on appelle l'apaisement.
00:52:24L'Angleterre et la France avaient, avec l'Allemagne,
00:52:28des relations commerciales et des relations financières tout à fait privilégiées,
00:52:34ne voulaient pas y renoncer, n'ont pas eu à y renoncer d'ailleurs,
00:52:38et on a cet effet fait comme si l'Allemagne n'allait pas refaire de guerre,
00:52:43comme si elle avait accepté sa défaite,
00:52:46en sachant parfaitement que l'Allemagne n'avait pas accepté.
00:52:49Mais avec les yeux de Chimène, pour un pays tout de même
00:52:55qui allait débarrasser le monde de l'expérience soviétique
00:53:00qui était vraiment très, très, très contrariante.
00:53:02Et il faut le dire, j'y insiste, pas du tout exclusivement pour des raisons idéologiques,
00:53:08parce que, évidemment, le bolchevisme c'est très fâcheux,
00:53:12mais parce que les pays concernés, vainqueurs et vainqueuses d'ailleurs,
00:53:20avaient beaucoup profité de la phase antérieure de la Russie,
00:53:24et que l'expérience bolchevique leur avait largement supprimé les avantages acquis.
00:53:32Ils contrôlaient toute l'industrie moderne de la Russie.
00:53:35Bon, ce sont des choses qu'on ne fait pas.
00:53:38Et par conséquent, après avoir tenté dans les années 1920
00:53:42de faire disparaître les soviets de la terre,
00:53:45comme il n'y était pas parvenu, il comptait beaucoup sur l'Allemagne.
00:53:50Vous voyez, il y a une double dimension tout de même
00:53:52dans les bontés à l'égard de l'Allemagne.
00:53:54Mais c'est que ça a fait que la fourmi, quand l'abysse fut venue,
00:54:02s'est trouvée fort dépourvue.
00:54:04Comment ? Je dis une bêtise.
00:54:07La cigale.
00:54:08La cigale s'est trouvée fort dépourvue quand l'abysse fut venu,
00:54:13c'est-à-dire quand l'Allemagne a quand même décidé de la faire, la guerre.
00:54:18Et l'Europe occidentale s'est trouvée et confrontée
00:54:23à quelque chose d'encore plus difficile qu'avec la Première Guerre mondiale
00:54:27où elle avait fait somme toute un peu la même chose.
00:54:29On avait essayé de s'arranger.
00:54:31L'Angleterre avait dit aux Allemands en 1912
00:54:34« Si vous voulez, on vous donne toutes les colonies de nos rivaux,
00:54:37les Français, les Néerlandais, les Portugais, les Belges, tout pour vous.
00:54:44Et puis nous, on garde les nôtres. »
00:54:46Ça n'avait pas marché.
00:54:48Ils ont fait la même chose avant 1940.
00:54:51Sauf qu'en Angleterre, il y a eu un blocage.
00:54:56C'est-à-dire qu'il y a une partie des impérialistes, dont Churchill
00:55:01était le porte-parole, qui ont dit non.
00:55:05On leur a laissé l'Europe, mais non, on ne leur laissera pas nos colonies.
00:55:10Et donc la Grande-Bretagne,
00:55:13ce qui est exalté aujourd'hui comme un héroïsme extraordinaire,
00:55:17elle a dit non.
00:55:19Elle a décidé de rester dans le combat.
00:55:21Mais de moyens de combat, elle n'avait pas.
00:55:25Donc elle s'est mise l'apaisement,
00:55:29l'a mise entièrement à la merci des États-Unis,
00:55:33sachant que l'entre-deux-guerres…
00:55:36Et Churchill mange son chapeau en 1941.
00:55:38Absolument.
00:55:39Churchill mange son chapeau, qui est, je dirais,
00:55:43le symbole de l'impérialisme anglais.
00:55:46Churchill, une partie très importante de toutes ses affectations étatiques
00:55:52nombreuses depuis 1908, c'est la garde de l'Empire.
00:56:00Donc comme vous dites, il mange son chapeau.
00:56:02Est-ce que vous pensez qu'avec le phénomène des BRICS actuellement,
00:56:07on revient plus vers des accords bilatéraux ?
00:56:10Est-ce que la dollarisation de l'économie mondiale,
00:56:13et finalement le globalisme comme perspective intellectuelle,
00:56:17sont en train d'être à l'agonie ?
00:56:19C'est ce qui me frappe, c'est qu'après 80 ans de verrouillage,
00:56:23c'est Bretton Woods qui est en cause.
00:56:27Bretton Woods qui, je vous le rappelle,
00:56:29alors j'ai oublié je crois de regarder,
00:56:32ou alors je ne l'ai pas noté,
00:56:35combien Bretton Woods faisait de pages d'archives dans le monde.
00:56:39Mais ces dernières années, on nous disait encore
00:56:42« Vive un nouveau Bretton Woods ! »
00:56:44Bon mais Bretton Woods, c'est la catastrophe caractérisée
00:56:47pour l'ensemble de ce qui n'est pas les États-Unis.
00:56:50Donc tout le monde y va reculons.
00:56:53Les premiers à y aller reculons, c'est les Anglais.
00:56:55C'est l'entrée en dépendance coloniale de l'ensemble de la planète.
00:56:58C'est-à-dire, dollar international.
00:57:04Mais ça pose un problème, cette première mesure contraignante.
00:57:09Si on ne peut plus user de deux monnaies quand on est en échange,
00:57:15s'il faut toujours échanger du dollar
00:57:18pour faire du commerce international,
00:57:20on fait comment pour gagner des dollars
00:57:24quand on n'est pas un pays dollar ?
00:57:27On ne peut pas. Pourquoi ?
00:57:29Parce que les États-Unis sont entourés d'un mur tarifaire.
00:57:35Qu'est-ce qui les intéresse ?
00:57:37Avoir des matières premières à bas prix.
00:57:40Ça, pas de taxe là-dessus.
00:57:43Et les matières premières à bas prix,
00:57:45tout le monde l'a tout de suite aux oreilles ou à la tête,
00:57:49c'est quoi à l'époque ?
00:57:51C'est essentiellement les colonies.
00:57:55Et qui les possède ces colonies ?
00:57:58Évidemment, pas les États-Unis,
00:58:01qui ne disposent que d'une partie.
00:58:08Ça veut dire que ces pays dépendants
00:58:14peuvent vendre les produits de leurs colonies,
00:58:17qui sont d'ailleurs des produits à bas prix,
00:58:19parce qu'ils sont vendeurs de matières premières.
00:58:22Et puis ce qui serait le mieux,
00:58:24c'est qu'ils ne contrôlent plus ces matières premières.
00:58:27Ça veut dire quoi ?
00:58:28Ça veut dire, une des revendications,
00:58:31un des points de la Charte de l'Atlantique,
00:58:35le fameux point selon lequel les populations
00:58:40qui ont été spoliées et forcées
00:58:45vont pouvoir s'exprimer librement,
00:58:49c'est-à-dire la libération des colonies.
00:58:53Vous me direz tout de même,
00:58:55voilà quelque chose à l'acquis d'une nation anticolonialiste.
00:58:59Le problème est que la nation anticolonialiste
00:59:02elle-même dispose d'une arrière-cour,
00:59:06qu'elle a conquise de hautes luttes
00:59:10au prix très lourd pour les populations,
00:59:13de la conquête de la Californie
00:59:16à celle de l'ensemble de l'Amérique latine.
00:59:20Et l'arrière-cour,
00:59:22c'est l'offense qui est promis au monde, l'arrière-cour.
00:59:26C'est-à-dire, nous, on veut vos matières premières à bas prix,
00:59:29quelle est la solution la plus avantageuse ?
00:59:32C'est qu'il n'y ait plus de colonies.
00:59:34Donc, les États-Unis passent pour puissance anticoloniale,
00:59:39méthode qu'ils n'ont jamais pratiquée,
00:59:43je dirais, à l'égard de ceux qui le colonisent,
00:59:48mais vous voyez, ça fait des États-Unis un pays anticolonial.
00:59:51Ça veut dire quoi ?
00:59:52Ça veut dire que Bretton Woods, ça signifie la mort des colonies,
00:59:58ce qui a déjà été acté par les Britanniques
01:00:03avec l'acceptation officielle en février 1942
01:00:10de ce qu'on appelle le prébail.
01:00:13Bon, c'est développé dans le livre, j'y renvoie.
01:00:18Donc ça, c'est un premier point.
01:00:22Les États-Unis auront la liberté totale de commerce
01:00:31facilitée, bien entendu, par la liquidation des impôts.
01:00:36De la charte de l'Atlantique à Bretton Woods,
01:00:39on est dans la même logique.
01:00:41Donc, monnaie internationale.
01:00:44Monnaie internationale, comment on fait ?
01:00:48Alors, monnaie internationale pour payer,
01:00:51évidemment aussi, des produits américains en surplus.
01:00:55Mais comment on va faire pour les acheter ?
01:00:58Ce progrès des dollars, puisqu'on ne peut rien vendre
01:01:01sauf les matières premières à bas prix de l'Empire.
01:01:04On va emprunter.
01:01:06C'est-à-dire que…
01:01:07Oui, parce qu'il y a aussi une interdiction d'exportation
01:01:09de produits similaires.
01:01:11Là, c'est l'horreur, parce que ça se fait dès 1941.
01:01:14C'est tout à fait extraordinaire.
01:01:16Ça a d'ailleurs provoqué en Angleterre des débats épiques.
01:01:20Mais les débats épiques, c'est toujours…
01:01:22C'est les guerres picro-collines.
01:01:24Les débats épiques en Angleterre ont toujours fini
01:01:27dans une tasse d'eau, je dirais, dans tous les parlements européens.
01:01:32C'est-à-dire que quand je dis débat épique,
01:01:35quand le Parlement britannique a été informé,
01:01:38mal d'ailleurs, de l'acceptation par Eden en septembre 1941
01:01:45de l'exportation non pas de produits américains,
01:01:50mais de tous produits semblables à ceux importés des États-Unis.
01:01:56Comme la Grande-Bretagne importait tout et n'importe quoi,
01:02:00tout le commerce extérieur de la Grande-Bretagne était bloqué.
01:02:05Donc il y a eu des séances épiques aux communes
01:02:09qui se sont terminées exactement comme la séance
01:02:13du près du 6 décembre 1945.
01:02:20Un ouragan qui s'est terminé en pipi-cha.
01:02:24C'est-à-dire que, oui, la Grande-Bretagne a accepté
01:02:29de devoir ligoter son commerce extérieur.
01:02:32C'est-à-dire que les États-Unis ont conquis les zones britanniques
01:02:37pendant la guerre, par exemple.
01:02:40Alors, comment ils ont fait ?
01:02:42Comme la Grande-Bretagne devait emprunter,
01:02:46puisqu'elle n'avait pas…
01:02:49D'abord, de 1939 à 1941, elle n'a pas le droit au prêt,
01:02:53parce qu'elle n'a pas remboursé toutes ses dettes de guerre de la première.
01:02:57Alors, qu'est-ce qui se passe ?
01:03:00Il faut qu'elle paie en or.
01:03:03Il faut qu'elle cède ses parts
01:03:07dans toute une série de secteurs qui intéressent les États-Unis.
01:03:11Alors, le pompon du pompon, ça a été la vente de Courtaud,
01:03:16qui était un énorme machin textile, un énorme groupe textile,
01:03:20avec la filiale américaine vendue.
01:03:24Ça a été épouvantable.
01:03:27Alors, tout ça, c'est 40-41.
01:03:32J'ai oublié d'ailleurs de parler des cessions de base.
01:03:36Vous savez ce que c'est qu'une cession de base.
01:03:39La Grande-Bretagne, si j'ose dire, avait le choix entre
01:03:43céder à vie ou céder à bail de 99 ans.
01:03:46Elle a quand même préféré céder à la bail de 99 ans.
01:03:49Je signale que le bail va être à échéance
01:03:52en 2039, bientôt.
01:03:57On va voir.
01:04:00Donc, les bases.
01:04:02Les premières bases sont cédées en 40-41.
01:04:04Les bases extérieures, pas seulement les bases aux États-Unis,
01:04:07en Angleterre, en Écosse.
01:04:11Dans l'Empire, ça commence.
01:04:14Et puis, comme on ne pourra pas rembourser les États-Unis en dollars,
01:04:22qu'est-ce qu'il faut faire ?
01:04:24Il faut emprunter les dollars.
01:04:26Donc, ce créé avec les pratiques de la guerre confortées,
01:04:33confirmées, rendues obligatoires par Bretton Woods,
01:04:37se confirme ce qui va caractériser tout l'après-guerre,
01:04:42c'est-à-dire les emprunts.
01:04:45Et les emprunts à très haut taux d'intérêt,
01:04:49jusqu'à 3 %, ce qui est fort à l'époque,
01:04:52les emprunts sont liés.
01:04:55Ils sont liés à quoi ?
01:04:57Ils sont liés à l'achat de produits américains
01:05:01qui sont tous concurrents des produits des pays européens.
01:05:07Et c'est comme ça que se met en place le dispositif
01:05:13qui a été verrouillé, verrouillé malgré ces crises
01:05:19et dont la plus importante, on le sait,
01:05:23est la crise avouée du dollar sous Nixon,
01:05:2770-71, mais qui n'a pas empêché Bretton Woods
01:05:34de continuer à être mis en œuvre.
01:05:37Et l'extéritorialité totale du dollar
01:05:42de fonctionner, l'extéritorialité totale d'ailleurs pour les États-Unis,
01:05:46parce que toute loi américaine est de ce fait une loi mondiale.
01:05:54C'est d'ailleurs la clé des sanctions.
01:05:59On a eu quelques élections ici avec des entreprises sanctionnées.
01:06:03Voilà, voilà.
01:06:06C'est une autre révélation de votre livre.
01:06:10Il n'y a pas eu d'aide américaine.
01:06:12Il n'y a jamais eu d'aide américaine.
01:06:14Il y a eu des préliés, il y a eu une extraterritorialisation du droit.
01:06:19Oui, non seulement il n'y a pas eu d'aide américaine,
01:06:22mais il y a eu une contribution américaine éminente
01:06:26à l'affaiblissement de l'Europe.
01:06:30Est-ce qu'on peut parler un peu de ces circuits de financement
01:06:33des partis politiques d'après-guerre et du syndicalisme non-communiste ?
01:06:39C'est extrêmement intéressant parce qu'on ne le sait pas non plus en général,
01:06:45mais c'est un phénomène qui a commencé d'abord après la Première Guerre mondiale,
01:06:52mais qui a échoué.
01:06:54On a échoué beaucoup des projets américains après la Première Guerre mondiale
01:06:58puisque Wilson considérait qu'il allait emporter le morceau,
01:07:02mais il restait dédans aux pays européens et tout n'a pas été possible.
01:07:08Je dirais que l'audace du syndicalisme américain,
01:07:13entièrement sous la coupe de l'État américain,
01:07:16avec l'American Federation of Labor,
01:07:19a fait beaucoup de tentatives qui ont avancé un peu,
01:07:22mais qui ont finalement échoué.
01:07:25Donc il faut le savoir ça.
01:07:27Ces efforts ne commencent pas du tout avec Irving Brown,
01:07:32ils commencent avec la gestion de Campbell's.
01:07:36En Europe, quand est-ce que ça se détermine ?
01:07:42Ça se détermine avec les années 30.
01:07:45Dans les années 30, les États-Unis sauvent un certain nombre de dirigeants syndicaux et politiques de gauche,
01:07:56exclusivement anticommunistes.
01:07:58Il y a un absolu veto contre toute aide à des opposants communistes.
01:08:06Mais ça se fait avec un financement par un mécanisme étudié par un historien américain,
01:08:15dont j'établis les droits,
01:08:18historien américain naturellement inconnu en France,
01:08:22qui a montré quels étaient les mécanismes de financement des partis de gauche anticommunistes à partir des années 30.
01:08:31Et c'est ce mécanisme-là qui s'opère via le truchement de l'American Federation of Labor,
01:08:44puis avec l'adhésion du CIO plus progressiste mais très acquis à l'impérialisme américain.
01:08:55Pourquoi ? Parce que d'abord il est très anticommuniste,
01:09:00tout ça va aider à se débarrasser des communistes dans le mouvement ouvrier,
01:09:04et puis c'est un syndicalisme qui adore l'impérialisme américain
01:09:12parce que la puissance américaine à l'extérieur est un facteur de puissance
01:09:18et, expliquons aux travailleurs, une garantie que les travailleurs américains trouveront leur part.
01:09:26Donc nous, nous mangeons la laine sur le dos des autres mais ça n'est pas grave.
01:09:33Aujourd'hui encore, l'AFL-CEO a ce genre de...
01:09:38Alors écoutez, je dois vous dire d'ailleurs que ça fait partie de mes indignations méthodologiques ou déontologiques.
01:09:51Et pour ce qui est des formations politiques, ou plus globalement de la politique européenne,
01:09:57vous signalez aussi que l'idée d'une fédération européenne, de la construction européenne même,
01:10:01a été soufflée par Washington.
01:10:03Pour des raisons très simples, les États-Unis ont besoin d'un marché unique, je dirais partout.
01:10:13Un marché mondial.
01:10:17Un marché mondial, dans le marché mondial, évidemment, l'aspect européen est une donnée fondamentale
01:10:28puisque, tout de même, l'Europe, même à Fedli, c'est un morceau considérable de la production,
01:10:36de la fabrication des produits finis, et d'autres, et de services, etc.
01:10:43Donc comment faire un marché européen ?
01:10:48En unissant les pays de la zone occidentale immédiate,
01:10:55mais ça c'est quelque chose qui est observable pour chaque pays pendant la guerre.
01:11:00Il suffit de prendre des archives américaines publiées, je rappelle,
01:11:05les Foreign Relations of the United States, qui sont disponibles en ligne,
01:11:13et qu'est-ce que vous voyez ? Que les protégés américains, de droite ou de gauche,
01:11:19importés aux États-Unis pendant la guerre, visitant les États-Unis pendant la guerre,
01:11:27et souvent d'ailleurs avant, ont été, je dirais, l'objet de la lutte pour fabriquer,
01:11:36comme dit Kees Van Puy, le néerlandais dont je vous ai parlé,
01:11:44ils ont été cajolés, financés pour devenir les porteurs de la classe dirigeante atlantique.
01:11:54Donc ces gens sont venus aux États-Unis pendant la guerre, ou en Angleterre,
01:12:03et puis on leur a expliqué comment il fallait faire une fédération européenne, etc.
01:12:09L'Europe était, je dirais, très mal vue avant la guerre,
01:12:16mais alors inutile de vous dire qu'elle était particulièrement mal vue en Europe pendant la guerre.
01:12:22Pourquoi ? Parce qu'elle était le champion de l'Europe pendant la guerre.
01:12:27L'Allemagne, c'est l'Allemagne qui voulait faire l'Europe.
01:12:31Elle aussi voulait un marché européen global.
01:12:36Donc, au contraire de ce qu'on nous raconte, l'Europe n'était pas du tout populaire, pas du tout.
01:12:47Elle était une sorte d'élément étranger à mi-chemin entre les exigences allemandes et les exigences américaines.
01:12:57Imaginez quelle fraction de la population était favorable à ça en 1944-1945.
01:13:04En revanche, les élites dirigeantes qui s'étaient pliées au programme allemand d'Europe
01:13:13et qui s'étaient tout à fait adaptées à ce que je vous ai dit tout à l'heure pour les Français,
01:13:19c'est-à-dire, bon, les Allemands sont dans les choux, il va falloir se reconvertir.
01:13:25Et ça dès 1941.
01:13:30Dès 1941. Je vais vous dire même ce que j'étudie dans l'ouvrage
01:13:35« Les élites françaises, la collaboration avec l'Allemagne et l'alliance avec les États-Unis ».
01:13:40En fait, les prémices en sont largement perceptibles à partir de l'été 1940.
01:13:46Quand ? Pourquoi l'été 1940 ?
01:13:50Parce que les Européens et notamment les Français comprennent très bien
01:13:56qu'il ne va pas se passer du tout ce qu'elles ont espéré pendant les années 30.
01:14:01Ce qu'elles ont espéré pendant les années 30, ce qui les arrangeait bien,
01:14:05vu qu'il était absolument impossible d'avoir des relations avec les États-Unis insupportables sur le plan économique,
01:14:13elles en avaient quand même, mais bon, voilà, elles étaient prémontées.
01:14:19Ce qu'elles ont espéré, ce qu'elles ont cru à un moment,
01:14:24c'est que les États-Unis étaient prêts à laisser l'Europe à l'Allemagne.
01:14:29Les États-Unis mangeraient l'ours, ça, personne n'y était arrivé quand même.
01:14:37Comme disaient les armateurs suédois en 1937 au moment de l'affaire Tukhachevsky,
01:14:43« Oh, alors si les Allemands veulent nous débarrasser des Soviétes, y compris en barbotant l'Ukraine,
01:14:51on peut accepter, c'est le prix à payer ».
01:14:54C'est les archives que j'ai exploitées dans « Le choix de la défaite ».
01:15:02Donc, ils se sont dit, ils en laisseront bien un bout pour les autres.
01:15:07Mais c'est que dès 1940, 1941, s'est dessiné l'appétit américain,
01:15:18n'excluant pas l'Europe et même intégrant l'Europe,
01:15:24ce qui voulait dire que ce n'était pas l'Allemagne qui l'aurait.
01:15:27Et à partir du moment, comme le montre très bien la lettre de Doyen dont je vous ai parlé,
01:15:34la lettre du 16 juillet 1941, qui est une lettre à pétain,
01:15:38à partir du moment où il est clair que les Allemands vont perdre la guerre,
01:15:44parce que si la résistance effrayante des Soviétiques se prolonge deux mois,
01:15:51ils sont déjà très mal, si elle se prolonge trois mois, ils sont vaincus,
01:15:56c'est quand même ce qui se dit à l'été 1941.
01:16:00À partir de ce moment, tout le monde comprend que l'appétit américain
01:16:06n'est pas du tout limité au monde, moins l'Europe.
01:16:11Et qu'est-ce qui se passe ?
01:16:14Les élites, évidemment, se rallient aux Américains,
01:16:18elles deviennent aussi pro-américaines qu'elles ont été pro-allemandes,
01:16:24avec des transitions…
01:16:25Oui, mais alors, les élites françaises ont largement collaboré.
01:16:28Jusqu'en 1944.
01:16:30Ils ont signé des accords bloombergs qui sont strictement insigniables.
01:16:36Oui, ils le disaient d'ailleurs, mais…
01:16:40Quelle garantie ont-ils pu obtenir du gouvernement américain
01:16:44pour prie de leur trahison en fait ?
01:16:46Pour ?
01:16:47Pour prie de leur trahison, quelle garantie ?
01:16:49Je ne sais pas si…
01:16:51La trahison de l'intérêt national, je veux dire.
01:16:53Voilà, comme avait très bien montré le haut fonctionnaire dont je vous ai parlé,
01:17:02qui n'est pas du tout un haut fonctionnaire subversif,
01:17:07pro-communiste, pas du tout, il est anticommuniste, il est gaulliste,
01:17:11ça lui fait évidemment un point commun, je dirais, avec les communistes,
01:17:16puisque ni les gaullistes, ni de Gaulle, ni les communistes,
01:17:21même la tutelle américaine.
01:17:23Vous aimez bien de Gaulle en fait ?
01:17:25Oui, j'adore de Gaulle, parce que de Gaulle est un personnage
01:17:28que je n'aime pas beaucoup, que je n'aime même pas du tout par beaucoup d'aspects,
01:17:34mais de Gaulle et qu'Esmentail l'a montré.
01:17:37De Gaulle est le seul homme politique occidental, le seul, il n'y en a eu qu'un,
01:17:43qui, avec les faibles moyens, très faibles qu'ont y disposé,
01:17:48ils sont d'autant plus faibles que de Gaulle ne dispose d'aucune maîtrise
01:17:53sur le plan économique, et il le sait.
01:17:56Donc, c'est quelqu'un qui a joué un rôle d'autant plus méritoire
01:18:04qu'il a été le seul à être capable, même quand ça n'était pas suivi des faits,
01:18:11de dire non. Et quelquefois, ça a été tout de même un peu suivi des faits.
01:18:17Pourquoi de Gaulle nomme-t-il Monet, un caniche américain ?
01:18:21Parce que le plan est présenté comme une espèce de sucre d'orge
01:18:31qui séduit les Américains. Personne n'y croit.
01:18:35Mais voilà, c'est pour montrer que la France s'est reconstruite,
01:18:39ça les arrange tellement les Américains que la France s'est reconstruite.
01:18:42Alors, ce que montre cette concession gigantesque de la part de de Gaulle,
01:18:51ça signifie simplement que de Gaulle est impuissant sur le plan économique,
01:18:56absolument impuissant.
01:18:58Une dernière question sur les accords Bloomberg.
01:19:02Il est question bien sûr d'effacer le cinéma national,
01:19:07comme les Américains veulent effacer tous les cinémas nationaux.
01:19:10Oui, absolument.
01:19:11Dans leur zone d'influence. Est-ce que selon vous il s'agit, à ce moment-là,
01:19:17est-ce qu'il s'agit exclusivement de business ou est-ce que déjà
01:19:21il y a une dimension de guerre cognitive qui est présente ?
01:19:25Il y a les deux. Il y a la guerre culturelle qu'on a évoquée,
01:19:27le cinéma en fait partie.
01:19:29C'est-à-dire que c'est conçu déjà comme une guerre culturelle ?
01:19:31Absolument. D'ailleurs, une des vedettes américaines de mon ouvrage,
01:19:38c'est le chef du cinéma américain, c'est-à-dire Eric Johnson,
01:19:45qui le dit explicitement.
01:19:47Il dit, nous c'est la conquête de la liberté, c'est le triomphe de la démocratie.
01:19:59Mais comme l'a montré un historien américain, Jarvis,
01:20:07les achats suivent les images.
01:20:12Les États-Unis ont réalisé une partie de leur conquête commerciale via l'image.
01:20:20Pas seulement après les accords Bloomberg ou tous les accords
01:20:25qui ont été conclus à partir de 1945, parce qu'il y a eu une masse…
01:20:30Tout le cinéma européen a été anéanti, presque anéanti,
01:20:34comme disait Johnstone.
01:20:38Et puis alors, formidable, ces accords, on va pouvoir fouguer tous les nanars.
01:20:46C'est même extraordinaire ce texte.
01:20:50On va pouvoir évacuer tous les films amortis depuis je ne sais combien de temps.
01:20:58Mais ce qui est le plus intéressant, alors que ces accords sont une catastrophe,
01:21:03mais que, somme toute, on l'a su pendant longtemps,
01:21:06et on l'a su à cause de l'extrême résistance du cinéma français,
01:21:17il faut bien le dire, qui était un fief de la CGT, des unitaires de la CGT,
01:21:22qui s'est battu.
01:21:23C'est vraiment un secteur qui s'est battu comme un lion.
01:21:25Mais ce qu'on ne sait pas, c'est que finalement,
01:21:29l'accord sur le cinéma est presque un accord mineur que les accords Bloomberg.
01:21:34Parce qu'il est monstrueux.
01:21:36Puis en plus, celui-là, on le connaît.
01:21:38On a le texte du 27 mai, redaté après du lendemain.
01:21:44Là, vous le lisez, vous comprenez tout de suite.
01:21:48Donc les gens en parlent, mais ils ne l'ont pas lu.
01:21:51Bon, là je leur ai donné un peu de lecture.
01:21:53Mais surtout, c'est ce que j'ai appelé l'huile feuille.
01:22:02Ça m'a fait un chapitre 8 très long d'ailleurs, parce qu'il fallait bien m'exposer.
01:22:08Vous ne pouvez pas dire que c'est une catastrophe et ne pas la décrire.
01:22:13Donc j'avais obligation et c'était compliqué.
01:22:17Je dirais que c'est un des accords les plus malhonnêtes
01:22:21que j'ai jamais vu dans ma vie de plus de 50 ans de recherche.
01:22:26C'est-à-dire que c'est un accord de règlement des dettes de guerre,
01:22:31pas du tout un accord d'amorce de reconstruction,
01:22:35c'est un accord de règlement des dettes de guerre,
01:22:38mise à la seule décision des États-Unis.
01:22:41C'est eux qui fixent le montant.
01:22:44Avec, comme vous dites, beaucoup de clauses secrètes.
01:22:46Voilà, et des clauses secrètes qui annulent
01:22:49ou qui modifient certaines des clauses officielles.
01:22:53Alors il y a ça, c'est-à-dire le gros du millefeuille,
01:22:56l'accord de règlement des dettes de guerre.
01:22:58Ça c'est le gros du millefeuille.
01:23:00Mais le gros du millefeuille, personne ne le connaît
01:23:02s'il n'est pas allé aux archives,
01:23:05parce que c'est bourré de clauses secrètes.
01:23:08Bon, alors, elles ne sont pas publiées.
01:23:12Et puis il y a tous les accords annexes,
01:23:15c'est-à-dire conclus à la même époque,
01:23:21l'accord aéronautique.
01:23:24Alors là, tout le monde comprend,
01:23:26je l'ai quand même un peu décrit,
01:23:28je veux dire, il n'est pas sorti des placards avant 1970.
01:23:36C'est vous dire ce qu'il y avait dedans.
01:23:38Bon, j'ai donné quelques clauses.
01:23:40Les accords sur les bases, ils sont secrets.
01:23:43Je vous signale d'ailleurs que je me suis fait dire,
01:23:45alors que j'ai eu une communication
01:23:47vraiment de beaucoup de documents,
01:23:49dont j'avais vu beaucoup à l'époque de ma thèse d'État,
01:23:53c'est-à-dire dans la deuxième moitié des années 70.
01:23:56Et je me suis fait dire officiellement
01:23:59par les services des affaires étrangères
01:24:04que tous les accords militaires étaient secrets.
01:24:07Donc, entre ce qu'on connaît des accords Bloomberg,
01:24:14ce qu'on croit connaître,
01:24:16sans la plupart du temps l'avoir lu,
01:24:19parce que vous avez vu, je l'ai montré dans l'ouvrage,
01:24:23l'entreprise de valorisation des accords Bloomberg
01:24:27qui s'est déclenchée depuis les années 1980.
01:24:32Je dois constater, avec beaucoup d'intérêt,
01:24:35que ça a correspondu au combat
01:24:39contre mes travaux sur la question.
01:24:43J'ai eu toute une série de collègues
01:24:45qui ont été manifestement mandatés
01:24:50pour combattre la thèse
01:24:52que les accords Bloomberg sur le cinéma étaient une catastrophe.
01:24:57J'ai eu une excellente étudiante
01:25:00qui a fait une maîtrise très honnête,
01:25:02très bien, infiniment meilleure
01:25:04que tous ces articles popularisés,
01:25:08et qui avait montré dans une maîtrise de 2001,
01:25:15elle a bien sûr eu sa place dans l'ouvrage,
01:25:19et qui avait montré que c'était une catastrophe
01:25:22que le milieu du cinéma avait reconnu comme telle
01:25:25et contre laquelle il avait lutté.
01:25:27Mais il luttait bien imparfaitement.
01:25:29Non pas parce qu'il n'avait pas fait le maximum,
01:25:33mais parce qu'entre la conjonction des élites françaises,
01:25:40les coups de boudoir des États-Unis,
01:25:45et évidemment cette absence de résistance générale de la France
01:25:51du fait du comportement de ces élites,
01:25:55ils ont fait ce qu'ils ont pu,
01:25:57ils ont un peu limité la casse,
01:25:59mais ils n'ont pas supprimé la casse.
01:26:03On le voit très bien dans l'état actuel du cinéma français tout de même,
01:26:11où le cinéma américain a établi sa prééminence,
01:26:17ça ne me fait aucun doute.
01:26:19Si je ne m'abuse, je viens de protester
01:26:23un excellent metteur en scène dont le nom m'échappe…
01:26:27Ah oui, le metteur en scène, comment il s'appelle ?
01:26:33Mollick je crois, je ne me rappelle pas bien son nom,
01:26:37qui a fait « La nuit du 12 »,
01:26:39un très remarquable film sur une énigme criminelle non résolue,
01:26:44c'est un chef-d'œuvre,
01:26:46qui a eu tous les Césars en 2022, je crois ou 2023,
01:26:51et il vient de dire à quel point il était indigné
01:26:56par le fait qu'un extraordinaire documentaire sur l'accès à l'eau
01:27:02disposait de cinq salles ou de six salles,
01:27:08parce que l'essentiel était consacré au Napoléon
01:27:13vu par les yeux américains,
01:27:15et disposant d'à peu près toutes les salles de l'hexagone.
01:27:21Annie Lacroix-Rize, merci.
01:27:23Est-ce que vous allez nous proposer une suite quand même ?
01:27:27L'énigme du plan Marshall est à moitié résolue.
01:27:31Oui, mais j'espère bien.
01:27:34Je souhaite vivement, je l'ai dit d'ailleurs à mon éditeur,
01:27:39je dirais que ça dépendra du succès remporté,
01:27:42de l'éventuel succès remporté par le premier.
01:27:45Il sera au rendez-vous.
01:27:47Merci beaucoup.
01:27:48C'est moi qui vous remercie.