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AmusantTranscription
00:00Je ne suis pas un grand fan de ce qu'on appelle traditionnellement la musique contemporaine.
00:09Je ne suis pas un grand fan, mais ça ne veut pas dire que ça ne m'intéresse pas.
00:13Souvent on associe ce terme de contemporain à des compositeurs du XXe siècle qui se
00:18sont essayés à déconstruire les codes de la musique savante en surchargeant la partition
00:22d'effets, d'instruments percussifs, d'annotations, donnant un joli teint amarre avec par exemple
00:27ça de John Cage, ou au contraire les compositeurs sont allés dans la plus grande épuration
00:40de la partition, faisant de la recherche qui s'apparente plus à de l'expérience sociologique
00:45avec par exemple ça de John Cage.
01:15Bon, je pense que vous avez compris, en tout cas attention, j'adore John Cage et ses travaux,
01:19il y avait lui et d'autres et sans doute que leur travail a été nécessaire et a
01:22permis d'ouvrir de nombreuses portes, mais je crois qu'on a dépassé ça maintenant,
01:28même si on est encore souvent dans un langage musical bien éloigné de la période romantique
01:32par exemple.
01:33Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, on ne devrait peut-être plus parler de musique
01:36contemporaine mais plutôt de… bah de musique d'aujourd'hui, et tout ça me rend bien
01:43curieux.
01:44Alors, quand l'ensemble Musica 13 m'a contacté pour venir assister à une représentation
01:48de Renrenu de Zanmoutaka, en présence de compositeurs à Marseille, j'ai tout de
01:52suite dit oui.
01:53Faisons les présentations ! Musica 13, c'est un ensemble vocal fondé en 87 par un monsieur
01:59adorable qui s'appelle Roland Hérabédian, ils se sont spécialisés dans la défense
02:03de la musique du XXe et surtout dans l'accompagnement à la création de compositeurs d'aujourd'hui,
02:08avec une préférence pour la musique venant de tout le pourtour méditerranéen.
02:12Zanmoutaka quant à lui, c'est un compositeur et plasticien libanais réputé dont j'avais
02:17déjà découvert la musique au lycée avec mon option musique, et ce que j'avais entendu,
02:21j'avais beaucoup apprécié.
02:25Alors forcément avec tout ça, avoir l'occasion d'assister à une séance de travail entre
02:29un compositeur et un chœur pour créer une nouvelle œuvre, ça m'excitait pas mal.
02:32La pièce en question s'appelle donc Renrenu.
02:36L'inspiration de Zan, c'est le Livre des Morts de l'Egypte Ancienne.
02:40Il a donc composé un rite funéraire imaginaire autour de ça.
02:44Les chanteurs de musique à 13 y représentent les prêtres, et le chœur amateur qui viendra
02:48s'ajouter ensuite représente la foule.
02:50Ils chantent des phonèmes inspirés de l'ancien égyptien et les noms des dieux égyptiens,
02:55avec une vraie recherche sur l'intonation et la couleur du son.
02:59Et c'est ça qui m'a vraiment intéressé, c'est que y'a ce qui est écrit sur la partition,
03:04mais y'a aussi tout ce qui va au-delà en fait.
03:06Parce que ce que j'ai trouvé vraiment passionnant dans cette séance de travail à laquelle j'ai
03:09assisté, c'est l'adaptation permanente entre la partition, le compositeur et le chœur.
03:15Moi je chante beaucoup, c'est-à-dire les premières répétitions, par exemple y'a
03:18des choses sur la partition, on me dit bon, ça c'est comment ? Alors je chante, et je
03:23leur dis voilà comment j'aimerais l'entendre, donc par mimétisme, ils essayent de faire
03:29ce que...
03:30Alors d'où ça vient moi en fait la manière de chanter, ça je sais pas, c'est la culture
03:35en fait.
03:36Donc y'a beaucoup de choses qui passent comme ça par l'oralité, et aussi on peut pas se
03:42braquer sur ce qu'on veut entendre, parce qu'on a une matière en face, une matière
03:46humaine avant tout, qui sont les chanteurs qui sont là, et grâce à qui la partition
03:54peut exister.
03:55Donc il faut aussi s'adapter par rapport à ce qu'ils sont, et par rapport à ce qu'ils
03:59peuvent faire, et par rapport à ce qu'ils ne peuvent pas faire.
04:02Donc je chante beaucoup pour essayer de les faire arriver à quelque chose que j'ai envie
04:06d'entendre, mais à un moment donné il faut lâcher, il faut laisser aussi la matière
04:10évoluer par elle-même, comme vous dites, et que la partition évolue aussi par elle-même.
04:14Et ce qui est important pour moi c'est qu'il y ait toujours du sens, c'est-à-dire s'il
04:17y a un effet, il y a même dans la répétition par exemple, y'a un effet où ils font...
04:21comme ça, et je les voyais faire, et je sentais que c'était juste un geste qu'ils faisaient
04:26comme ça, qu'ils étaient pas reliés à quelque chose, donc c'est très important par l'oralité
04:30aussi de dire pourquoi il y a ce geste, c'est pas juste un effet comme ça, c'est relié
04:35à une vibration, si on fait ce geste-là par exemple c'est parce qu'il y a une espèce
04:40de frémissement, peut-être d'une peur de quelque chose qui est en train de se passer
04:44par rapport au texte, etc., donc c'est à chaque fois de contextualiser un geste ou
04:50une sonorité pour que ça crée sens, du moment qu'il y a un sens qui se crée, la
04:55musique peut exister et peut se faire d'une manière naturelle.
04:58Un chœur, c'est un objet vivant, il a son propre son, sa propre conscience de la musique,
05:07et d'un chœur à un autre, d'un orchestre à un autre, ou même d'une représentation
05:11à une autre, bien qu'on ait la même matière de base pour travailler, ça ne sonnera jamais
05:17pareil, et c'est ça qu'on appelle le spectacle vivant.
05:22C'est pour ça que certaines personnes vont voir des dizaines de fois les mêmes opéras
05:27ou les mêmes symphonies, parce que d'un interprète à un autre, bien que ce soit
05:30la même œuvre, on n'entend jamais la même chose, et on recherche toujours le frisson
05:35qui fera l'authenticité et la singularité d'une représentation.
05:38Mais je digresse.
05:39Ce qui est fou aussi dans la création, c'est qu'on travaille sans repère, sans avoir
05:45déjà entendu l'œuvre auparavant, d'où l'importance de la présence du compositeur
05:48qui doit guider le chœur pour obtenir ce qu'il avait en tête au moment de l'écriture,
05:52en prenant en compte ce qu'il a à sa disposition.
05:54Bon, là c'est un peu triché, l'œuvre avait déjà été créée en 2018, mais c'est
06:19une partition qui évolue avec le temps, avec l'expérience des précédentes représentations,
06:24l'envie du compositeur, et la vie du chœur.
06:27Et là, c'était plutôt facile pour tout ce petit monde, parce que ça fait 7 ans
06:31qu'ils collaborent ensemble sur ce projet, et d'autres avant.
06:33Alors c'est drôle de voir des automatismes se mettre en place, et des regards qui remplacent
06:38des mots.
06:39Je pense que dans la production de Zade, c'est un point d'arrivée, c'est un peu
06:48une somme de ce qui a été fait avant, c'est des compositeurs souvent, il y a des moments
06:52comme ça un peu charnières, je pense que c'est une œuvre charnière, parce qu'elle
06:57parle de l'absence, c'est-à-dire que quand le chœur, comme ça doit être joué, les
07:03chœurs au départ sont en dehors du champ du public, ça parle de l'absence.
07:09La deuxième partie, les chanteurs-musicatrices arrivent sur le plateau, sur la scène, et
07:16puis s'installe une espèce de rituel complètement fou, et complètement inventé, mais inventé
07:23à partir de l'idée du Livre des Morts, du rituel égyptien.
07:27Cette invention-là, moi, elle me fascine.
07:31C'est ça, il y a un fourmillement d'idées, de petites choses qui se passent dans ce second
07:37mouvement.
07:38Le troisième mouvement, on a tout d'un coup l'apparition du chœur, du grand chœur
07:42qui a été caché, qui est normalement dévoué à des amateurs, et qui envahissent l'espace
07:51de l'auditorium, de l'église, etc.
07:55Et c'est cette idée de sortir au jour, c'est-à-dire d'apparaître, enfin, et
08:04je trouvais que c'était très touchant.
08:06J'ai donc vu ce rite funéraire imaginaire prendre vie sous mes yeux, avant l'exécution
08:11le lendemain devant un public intrigué, concentré, surpris, parfois déstabilisé, mais toujours
08:17bienveillant et heureux d'avoir assisté à la recréation de cette œuvre si particulière.
08:22Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire au sujet de Renrenu, de Musica 13, de
08:28Zadmultaka, et de ce moment passé avec eux, mais je crois que ce qui est le plus important
08:32à retenir de tout ça, c'est que la musique est vivante, et que vous devez absolument
08:38assister à des concerts, que ce soit pour de la musique composée il y a 300 ans, ou
08:42qui n'a encore jamais été entendue.
08:43Laissez-vous surprendre.
08:47Je ne connais rien de mieux que de vivre la musique en live.
08:49Le CD c'est bien, c'est un beau souvenir, mais c'est une image figée qui ne change
08:55jamais, alors que le spectacle vivant c'est ça l'essence même de cet art qu'est la
08:59musique.
09:00Et puis aujourd'hui, plus que jamais, le monde de la culture a besoin qu'on le soutienne
09:06et qu'on se déplace pour lui.
09:08Alors faites-moi plaisir et faites-vous plaisir, prenez un billet pour le prochain opéra,
09:12pour la prochaine symphonie qui se passe près de chez vous, et vivez ça en live au
09:16moins une fois dans votre vie.
09:18Voilà, je crois que c'est tout ce que j'avais à vous dire pour aujourd'hui, c'était
09:22Guillaume, salut.