• il y a 2 mois
Après son exploit cet été au K2 (Pakistan, record en 10h59), l'intrépide alpiniste français Benjamin Védrines nous a raconté en vidéo son ascension record et sa descente en parapente, deux ans après un échec cuisant et dramatique.

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Transcription
00:00Est-ce que tu peux nous raconter un peu dans quel état tu es et l'Ascension, comment tu l'as vécu justement ?
00:27En fait, après beaucoup de péripéties par rapport à la météo et au fait qu'on ne savait pas trop si ça allait être possible de tenter,
00:39on a vu le créneau arriver effectivement de plus en plus de manière fiable, avec un indice de confiance de plus en plus important.
00:46Et donc le 28 juillet semblait être vraiment la meilleure période.
00:49Et là, tu rentres dans une case vraiment de concentration, un peu comme si tu étais dans les vestiaires,
00:54mais ça dure longtemps parce que du coup, tu es toujours au pied de cette montagne et puis tu te concentres sur l'objectif,
00:59tu es de plus en plus focus. Moi, je me mets vraiment dans une bulle à ce moment-là, mais je suis dans une bulle de sérénité un petit peu quand même.
01:06J'ai un stress qui est presque limité. Et le 27 juillet au soir, je pars au camp de base avancée,
01:12donc c'est vraiment le pied de la montagne à 5 300 m à peu près. Et c'est là en fait d'où est parti le précédent Rock'n'Roll Man
01:22qui s'appelle Benoit Chamoux, qui est un français. C'était en 1986. Et de cette pierre, parce qu'il y a une pierre en fait qui est assez symbolique
01:29au niveau de ce camp de base avancée, il avait mis 23 heures pour aller jusqu'au sommet.
01:34Je ne suis pas bon en prière, mais faites que ce jour soit sommital et faites que le cadeau me procure des émotions exceptionnelles.
01:43Et à minuit dix, donc le 28 juillet, je me suis mis en action pour me diriger vers le sommet.
01:50Et là, en fait, personne, je suis tout seul. Il se met en place une sorte de routine gestuelle parce qu'en fait, ce n'est pas du tout un 100 mètres.
01:58On est sur un effort qui, moi, je l'avais planifié sur à peu près 15 heures. Donc 15 heures, tu as le temps de te mettre en place, de t'écouter, de gérer.
02:10Et pour autant, chaque chose que tu vas faire au début, sur les premières heures, peut avoir un énorme impact sur l'ascension finale.
02:20Au-dessus de 8000 mètres, notamment. Et donc, moi, toute cette période là, entre le camp de base avancée et le camp 3 qui est à 7400 mètres,
02:26je suis sur un rythme qui est plutôt moyen, j'ai envie de dire. On est sur une pente qui est très raide, qui est en moyenne à 55 degrés dans ces eaux là.
02:35Donc on a toujours les pointes des crampons avant qui mordent la neige et la glace. Et on est dans la nuit. Donc là, il fait nuit noire.
02:43Il y a du vent, mais je suis quand même très confiant. C'est-à-dire que je sens que ça va, mais je ne vais pas non plus trop accélérer parce que je vais en garder pour après.
02:53Et c'est à partir du camp 3 où je change un peu de mode. C'est-à-dire que plutôt que de regarder la montre, comme je le faisais jusque là, entre le camp de base avancée et le camp 3,
03:00pour gérer un peu ma vitesse ascensionnelle et savoir si je n'étais pas trop en retard par rapport à ce que j'avais planifié.
03:07À partir du camp 3, je me mets vraiment dans une optique uniquement de gestion physique et symptomatique dans le sens d'écoute.
03:16D'écoute de ce qui se passe au niveau de mon cerveau pour éviter justement cette hypoxie sévère que j'avais eue il y a deux ans. Je ne veux absolument pas du tout retomber là-dedans.
03:24Et donc je ne regarde plus la montre parce que je ne voulais pas que ça m'influence d'aller plus vite, d'accélérer, etc.
03:29Et même presque, à partir du camp 4, je ralentis d'un cran pour pareil, vraiment me donner toutes les chances d'aller au sommet.
03:36Pour moi, à ce moment-là, le chronomètre n'a presque plus d'importance finalement.
03:41Ce qui m'importe le plus, c'est de revenir vivant et de toucher la cible.
03:46Et aussi, ce qui m'importe beaucoup et ce qui m'amène pas mal d'angoisse, c'est de remettre les pieds là où j'ai eu ce souci il y a deux ans.
03:56C'est symbolique pour moi, mais c'est important.
03:58Et donc quand je suis rentré un petit peu, j'ai ouvert la porte un petit peu de ce lieu symbolique.
04:04C'était vraiment fort. Il y a un truc qui s'est passé.
04:09Avant, j'étais très angoissé. Et puis pendant, c'était presque une libération un peu.
04:12Je continue de monter à un rythme normal jusqu'à rencontrer un Pakistanais que je connaissais, qui avait fait le sommet avec Oxygen juste avant moi.
04:23Et donc ce Pakistanais, il me demande « Tiens, combien de temps t'as mis ? »
04:26Alors là, c'est la première fois que je regarde la montre.
04:29Et ça, c'est une chose fatale, j'aurais pas dû le faire parce que je regarde la montre et je vois 10 heures.
04:33Alors quand je vois 10 heures, je me dis « Bon ben là, c'est pas mal en fait ! »
04:37Et donc je me remets dans un processus presque de performance.
04:41Or, je m'étais dit « Non, il faut absolument que je me mette dans un processus de gestion, d'écoute et de garantie de faire le sommet en bonne conscience, en bonne lucidité. »
04:52Et donc là, je me remets à accélérer, mais accélérer là où il faut pas.
04:54Parce qu'on est à 8500, l'air est vraiment appauvri en oxygène.
04:59Donc si tu rajoutes un air appauvri en oxygène plus un effort accéléré, c'est pas terrible.
05:06C'est pas mon cocktail.
05:07Là, je dois être à plus 8500.
05:10Ça commence à se sentir là.
05:13J'espère juste pas avoir de problème avant.
05:15J'ai réussi à ne pas avoir cette hypoxie sévère, mais je pense que cette dernière partie a été presque à la limite.
05:21Et pour autant, j'accélère là où je devrais pas accélérer.
05:25Je continue, je continue, je continue.
05:26J'arrive pas loin du sommet et là, je regarde la montre à nouveau.
05:29Et je vois 10h50 et je suis vraiment pas loin.
05:31Il reste rien.
05:33C'est fini.
05:35Mais bon.
05:35Alors je me dis « Tiens, peut-être que si je mettais moins de rondeur, c'était pas mal. »
05:39Alors j'accélère encore.
05:41Et quand je repense à ça, en fait, et même sur place, presque, avec un tout petit peu de recul,
05:46il y avait une forme de ridicule de la situation.
05:48Là, sur le moment, là où il fallait surtout pas accélérer, je suis à la minute près, à la seconde près.
05:54Et c'est pour ça que j'arrête le chrono, une fois arrivé au sommet, à 10h59 et 59 secondes.
05:58Et ça me fait rire, au fond, parce que je me dis « Mais je ne cherchais absolument pas le temps à la base. »
06:03Et là où il fallait absolument pas le chercher, je le cherche.
06:07Et tu ressens quoi à ce moment-là, justement ?
06:08Je pense que l'effort que j'ai fourni sur la fin a été violent.
06:13Et il m'a inhibé un peu la joie et la légèreté que je pouvais avoir, que je pouvais ressentir.
06:20Je suis allé loin dans l'effort.
06:21Et c'est presque, quand tu vas très loin dans l'effort,
06:24c'est pas un dégoût, mais c'est le temps que tu t'es mis en danger, en plus.
06:29Pour être tout à fait honnête, je suis arrivé au sommet, je me suis...
06:33J'ai observé un peu la vue, je n'ai toujours pas donné de nouvelles à la radio.
06:36Et puis je me suis accroupi.
06:37Et puis là, je suis tombé en larmes, alors que ça ne m'arrive jamais, d'habitude.
06:43Et c'est des larmes qui sont venues très naturellement.
06:46Et c'était des larmes à la fois de bonheur et en même temps, comme je te disais,
06:49sûrement de plein de choses qui me semblaient peut-être être tristes, au fond, de fin de projet.
06:55Et puis peut-être que je n'ai pas encore toutes les réponses à ça.
06:58Mais je l'ai ressenti.
07:00Et quand c'est ça, ce n'est pas compliqué de se dire, tiens, maintenant, vous avez la descente ?
07:02Alors moi, j'avais la voile dans le dos.
07:04Donc moi, mon but, c'était de décoller du sommet du K2.
07:06Parce que ça n'avait jamais été fait, ça avait déjà été tenté plusieurs fois.
07:11Mais personne n'avait réussi à décoller de ce sommet.
07:14C'était souvent la météo, c'était souvent le terrain qui empêchait ces gens de monter.
07:19Et donc là, quand j'arrive au sommet, je sais d'avance que ça va être possible de décoller.
07:23Parce que le vent, il est entre 0 et 5 km heure.
07:27Très vite, je me mets en place avec ma sellette de parapente.
07:30Et là, je décolle du côté chinois avec un vent de nord-ouest d'à peu près 5 km heure.
07:34Là, pour le coup, j'ai eu quand même une sensation, même en y repensant, d'aboutissement réel.
07:42Et puis de me dire que j'étais en train de vivre un truc de fou.
07:45Parce que tu es à 8600 m et puis tu sautes, tu pars de la montagne en une seconde.
07:51C'est la magie du parapente.

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