Rose Amelie ICARD, survivante du naufrage du Titanic, agee de 83 ans, raconte les circonstances du drame survenu en 1912. Elle lit la lettre qu'elle vient d'ecrire a madame Clensin dont la mere a peri lors de ce naufrage. Alors secretaire de Mme George STONE, elle embarqua le 10 avril 1912. Elle evoque l'equipage, les passagers, la journee et la soiree du 14 avril, le heurt du iceberg, le sauvetage, la fuite en canot, l'engloutissement du bateau et la mort des passagers restant ; son sauvetage a bord du Carpathia ; les scenes de douleur et les gestes sublimes. c'est la servante de Martha Evelyn Stone Harrington veuve de John H. Harrington.
Crédits :
Son : INA
Photo : La photo de Rose Amélie Icard nous a été gracieusement autorisée par l'Encyclopedia Titanica
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00:00Le naufrage du Titanic. Mon plus tragique souvenir de mes 17 années de voyage autour du monde est le
00:09naufrage du Titanic. J'ai 83 ans mais c'est une heure de ma vie que je n'oublierai jamais. J'étais
00:17à Paris lorsque je fis la connaissance par l'intermédiaire d'un ami interprète de Mrs.
00:23Johnstone, veuve du président de la belle compagnie, la compagnie générale des téléphones, qui
00:30recherchait une personne aimant les voyages pour la compagnie. Mon rêve de toujours était alors
00:36réalisé. Je décidai de partir avec elle en Amérique. Je ne puis énumérer tous les pays
00:43que nous avons parcouru. En hiver 1912, nous étions en Égypte. Notre voyage se poursuivit
00:51en terre sainte pour se terminer à Jérusalem. Il s'en fallait de peu que ce voyage inoubliable
00:58au pays de Jésus fut le dernier de tous. De retour en Europe, après avoir passé par Paris et Londres,
01:06nous nous sommes embarqués le 10 avril 1912 sur le Titanic. C'est Mrs. Johnstone qui prit les billets
01:14à Londres et m'annonça, ravie, que nous allions embarquer sur le plus beau paquebot. Les nuits
01:21précédentes, j'avais rêvé de mort, de mal séventré. Un pressentiment, peut-être, me fit dire que je
01:28n'aurais pas choisi le Titanic. Le commandant Schmitt, bien que sur le point de prendre sa
01:34retraite, fut désigné par la White Star Line pour conduire ce palais flottant à son premier voyage.
01:41Je le revois encore, un beau vieillard à barbe blanche, c'est lui-même qui m'aidait à monter
01:47dans la barque de sautage. Pendant quatre jours que dura la croisière éphémère du splendide
01:54transatlantique, ce ne furent que fêtes, dîners d'apparats d'un luxe vraiment royal. Toilettes
02:01les plus somptueuses, un étalage éblouissant de bijoux et de rivières de diamants dignes d'un
02:08faste oriental. Parmi les légumes d'assistance, se trouvaient sept avis jeunes couples de retour
02:15de leur voyage de Nance. Plusieurs ne nous étaient pas inconnus. Nous les avions rencontrés lors de
02:22notre séjour en Égypte. L'après-midi du 14 avril, la musique du port avait joué à plusieurs reprises,
02:29l'avait mariée Adegouno et la veuve Joyeuse. Il faisait un froid glacial. Nous étions près de
02:36l'île de Terre-Neuve. Je dus descendre dans ma cabine pour me réchauffer. Un bateau français,
02:43le Touane, je crois, avait signalé attention à Sperle, mais le président Bruce Ismay affirmait
02:52qu'il n'y avait rien à craindre que le Titanic était un Saint-Caos. La dernière soirée fut
03:00particulièrement mouvementée. Cancer, balles, réjouissance, et pourtant tout cela ne pouvait
03:07chasser l'angoisse confuse qui me tormentait toujours. Je ne changeais même pas de toilette.
03:13Je n'en avais nulle envie, alors qu'autour de moi les dames rivalisaient d'élégance. Vers les
03:20onze heures, Mrs Stone et moi allions me coucher. Trois quarts d'heure plus tard, alors que le
03:26paquebot marchait en pleine vitesse, un choc effroyable nous jeta hors du lit. Nous allions
03:32nous rendre compte de ce qui se passait lorsque un officier nous lança au passage « ce n'est
03:38rien, regagnez votre cabine ». Je répondis « écoutez ce grand bruit, on dirait que l'eau
03:44s'engouffre dans le bateau ». De retour dans ma cabine, je vis que notre voisine d'enfance s'était
03:50remise au lit. Sa fille arriva affolé en criant « maman, vite vite, lève-toi, c'est très grave ».
03:58J'aidais Mrs Stone à s'habiller, elle prit sa ceinture de sauvetage et me dit « venez vite ».
04:04Je tremblais et toujours en robe de chambre, je pris mon manteau, ma ceinture de sauvetage et la
04:12suivi sur le pont. Là, je retrouvais ma couverture de voyage et mon manteau de fourrure laissé sur
04:19ma chaise longue. Il devait me préserver miraculeusement par la suite. Nous sentions
04:24sous nos pas le pont s'incliner vers l'abîme. Je voulais redescendre dans ma cabine et dans
04:30celle de Mrs Stone où étaient restés ses bijoux. Elle m'en empêcha en mémorant que valent des
04:37fortunes à un tel moment. Nous avons assisté à ce moment à des scènes inoubliables où l'horreur
04:43se mêlait à l'héroïsme le plus sublime. Des femmes encore en robe de balle, quelques-unes
04:50sortant du lit à peine vêtues, échoulées, affolées, se ruaient vers les embarcations.
04:56Le commandant Schmitt avait crié « les femmes et les enfants d'abord ». Fermes et calmes dans
05:03la couille, officiers et marins prenaient les femmes et les enfants par le bras et les dirigeaient
05:09vers les barques de sa otage. Près de moi étaient deux beaux vieillards, Mr et Mrs Strauss,
05:15propriétaires des grands magasins messés de New York. Elle refusa d'aller dans la barque après
05:23y avoir fait descendre sa femme de chambre. Elle se suspendit au coup de son mari en lui disant
05:29« nous sommes mariés depuis cinquante ans, je ne veux pas te quitter, je veux mourir avec toi ».
05:35À demi-évanoui, on mit dans une barque voisine la jeune épouse du milliardaire Aston. Elle avait
05:43vingt ans, lui cinquante-trois. Elle s'accrocha à lui, il dut la repoussir avec force. Les marins
05:51en blouson bleu, ceinturon berré, entonnèrent le beau cantique « plus près de toi, mon Dieu,
05:57c'est le cri de ma foi, plus près de toi ». Les canots de sortage furent rapidement descendus
06:04par miracle, Mr Strauss et moi, nous sommes retrouvés dans la même barque, où nous étions
06:10une trentaine de personnes. Une fois à l'eau, l'officier nous dit « ramez fort, vous n'avez
06:17que vingt-cinq minutes pour sauver votre vie ». Je pris les avirons et ramais avec tant d'énergie
06:24que j'en ai les mains en sang et les poignets paralysés, car il fallait faire vite pour échapper
06:31au grouvre immense qu'allait ouvrir le Titanic en sombre. C'est à ce moment que je m'aperçus que
06:39quelqu'un était tapis sous mon banc. Je n'ai pas la force de révéler sa présence, je ne suis
06:45jamais qu'elle était l'homme qui sauva ici sa vie. Tout en nous éloignant sur la mer presque calme,
06:52éclairé faiblement par la lanterne que tenait l'officier, je ne quittais pas des yeux le Titanic
06:59éclatant de lumière. Soudain, l'obscurité se fit complète et impénétrable. Des cris, des hurlements
07:08horribles s'élevèrent au milieu des craquements du navire, puis ce fut tout. Il m'arrive, 43 ans après
07:16le drame, d'y rêver encore. Des 2229 passagers et membres d'équipage, 745 seulement furent sauvés.
07:26Après cette nuit d'épouvante, aux premières lueurs du jour, avant l'arrivée du Carpathia qui
07:33devait nous recueillir tranchés, complètement épuisés, notre barque et quelques autres
07:40retournèrent sur les lieux de la tragédie. Les eaux étaient calmes et nues et rien ne pouvait
07:46laisser supposer que le géant des mers s'était englouti là, seul devant nous. Deux cathédrales
07:54de glace qui rosissaient sous les premiers rayons du soleil offraient un spectacle d'une rare beauté.
08:02Lorsque nous fûmes rassemblés dans la salle à manger du Carpathia, des scènes très douloureuses
08:08se déroulèrent. Des jeunes femmes étaient là sans leur mari, des mères sans leur fils. Une jeune
08:15mère dont une vague avait arraché son enfant était devenue folle et prit pour son enfant,
08:22un enfant qu'on lui présentait, d'y rescaper, fuir le récide des mauvais moments atroces au
08:32cours desquels s'opposèrent tous les sentiments humains. Il eut des gestes sublimes. Un inconnu
08:39dénoua sa ceinture de sauvetage pour l'offrir à une vieille femme qui n'avait pu trouver place
08:45dans une embarcation et lui dit « vous prierez pour moi ». Le milliardaire Benjamin Guggenheim,
08:52après avoir aidé au sauvetage de femmes et d'enfants, se mit en habit, une rose à sa
08:59boutonnière pour mourir. Un pasteur dit les prières pour les disparus. Le Carpathia qui
09:06se rendait à Genne fit demi-tour pour nous ramener à New York. Je ne parlerai plus.