Général à vendre

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performance de Patrick Chatelier créée le 25 mai 2019 à la galerie SBC, Montréal, dans le cadre de l'événement Publishing Sphere organisé par la chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques, université de Montréal.
Transcript
00:00Salut les instigniennes, salut les instigniens, c'est Patrick Châtelier qui vous parle.
00:18Alors aujourd'hui, je vais vous présenter une sorte de nouvelle éditorialisation du
00:25Général Instinct. Une histoire autre. Allez, c'est parti.
00:31Annonce numéro 1. Le 9 novembre 2011, le courrier du cœur du journal Métro, aujourd'hui disparu,
00:44publie un message intitulé « Et moi, militaire, signez ton Général Instinct ». On ignore qui en
00:52est l'auteur. C'est le point de départ du GI Général Instinct, INSTIN. A partir de là,
01:04le phénomène est sème dans l'avenir comme dans le passé. Six ans plus tôt,
01:12je rencontre pour la première fois Lily Instin, H I N S T I N, à Montparnasse,
01:20au café Gymnase ou Gymnaise. Elle me dit « Pourquoi avez-vous enlevé le H ? » En effet,
01:29pourquoi Lily ? Lily est devenue en 2018 directrice du festival cinématographique de l'Ocarno,
01:40taguée sur cette URL Lily Instin, sans H. Onze ans plus tôt, Lily réalise un documentaire
01:51intitulé Le Zombie, racontant sa quête en Afrique des traces de son grand-père Charles H. Instin,
01:58qui sera le héros d'une nouvelle de Kessel intitulée Le Zombie, dont le recueil Tous
02:03n'était pas des anges, paru en 1963. Charles, aventurier, ancien résistant,
02:11s'est suicidé un an plus tôt le 28 juillet à Kaboul, inhumé dans le cimetière britannique.
02:1757 ans plus tôt, on enterre le grand-oncle de Charles, Général du Génie Adolphe H. Instin,
02:29mort le 27 juillet 1905 à Cotteray. Son portrait sur verre dans la tombe du cimetière Montparnasse,
02:47éclaté par une tension centrifuge, évoque une technique de camouflage. Moi, j'y voyais une image
02:55de Paris, ville morte, comme langue morte, sans plus de locuteur. C'est le point de départ du
03:06G.I. Général Instin. C'est le point zéro de sa timeline sur laquelle funambule il oscille.
03:14G.I. qui fut résumé ainsi « Prendre acte, faire geste. Prendre acte des gestes faits,
03:25faire geste des actes pris. Dans une perpétuelle revenance entre moi et nous,
03:32intime estime, réelle fiction, marge centre. » 93 ans plus tard, Momo Basta, un artiste du
03:48squat de la Grande Jobelle à Paris, s'empare du Général dans une performance censée rejouer
03:54une naissance, la sienne, devant ses propres fantômes.
04:54Momo Basta inaugure l'aspect collectif du G.I. Dans l'image brouillée représentant le Général
05:01H. Instin, il lit l'image du père, le sien qu'il a défiguré par accident quand il était enfant.
05:08Il voit les visages intacts. C'est le point de départ du G.I. Général Instin. Mais si le G.I.
05:21sera collectif, ce n'est pas un collectif, plutôt une interface individu collectif.
05:28« Mon Général, dit-on. Ton Général, dit-il. » Les 200 contributeurs accèdent à différents
05:37stades de l'interface, d'une simple participation artistique ou en atelier à une implication
05:43profonde sur des années, voire un déplacement du sujet, initiant d'autres façons de vivre et de
05:50faire. Le G.I. n'est pas un collectif, mais un mouvement de collectivité des individus,
05:58question sur l'apparition d'une communauté, de sentiments d'appartenance, histoire prenant
06:05source à la fin de l'histoire, qui n'était qu'un leurre comme chacun sait.
06:10On retrouve Momo en 2007, lors d'un premier festival Instin, au milieu des débris muséifiés
06:22d'un chantier. Ainsi les modes opératoires du Général le font passer de cimetière à squat,
06:28chantier, rue, émeute. Hétérotopie énervée par des récits parallèles, hétérochronie de
06:39mauvaises herbes et de rebuts. En 2013, en résidence à Montpellier,
06:49nous investissons une caserne militaire désaffectée, vouée à être rayée de la carte,
06:54en même temps qu'un site web de création, le Textopoly, aujourd'hui disparu. La villa du
07:02Général de caserne, une maison hantée, tout ce qu'il y a d'ordinaire, est instinée in situ et
07:09in web. 1964 sans villa, 2009 la villa, 2017 sans villa. On peut voir le terrain de tennis privé du
07:27Général où l'herbe envahit la terre battue en hybride en tente cordiale Roland-Garros Wimbledon.
07:32Chaque matin, à l'aube, deux soldats viennent frapper à la porte de la villa pour conduire
07:43le Général sur la place d'armes où il sera exécuté. Christophe Cayet écrit à la fois sur
07:57Textopoly et sur le sol à l'emplacement de la villa détruite, mot que l'œil de Google n'a
08:03pu capter avant qu'il soit dispersé par le vent. À l'instant, il y avait une place,
08:10il y avait des soldats, il y avait des baïonnettes. À l'instant, la place était rouge, mais tu le vois
08:18bien, ce n'était qu'une illusion. Après la place rouge, il y a eu le brouillard, et maintenant,
08:25cette chambre, et maintenant ce lit où tu reposes, non, où tu t'ennuies, où tu t'ennuies à mourir.
08:32Tu voudrais te lever, mais deux femmes t'en empêchent. Ne vous agitez pas comme ça,
08:37vous n'avez pas le droit de vous lever. Tu dis d'une voix timide, il est interdit d'interdire.
08:44La révolution t'apparaît désormais comme un rêve.
09:07Post scriptum. Parmi les 200 contributeurs du GI, au moins cinq personnes sont aujourd'hui décédées.
09:24Elles occupent une place privilégiée dans la mouvance. Ainsi, nous discutons beaucoup avec
09:32la dernière en date, Dominique Dussidour, qui a créé le feuilleton GI sur Remus.net en 2007.
09:38Nous lançons des salves en son honneur. Quand le 200ème contributeur aura lui aussi
09:46rejoint son général, nous publierons une annonce. Annonce numéro 2. Cette même année 2007,
10:04répondant à une voix intérieure non identifiée, le street artiste SP38 inaugure une campagne
10:11mondiale d'affichage, propagande, SOS ou cri de ralliement. Il passe par Montréal en 2010.
10:19Et vous savez, c'est un sentiment à nul autre pareil quand on est à Montréal,
10:25de pénétrer en territoire conquis.
10:41Nous sommes dans une épopée minuscule et grandiloquente. Le GI se veut potentiellement
11:01partout. Reconfiguré, recyclé, détourné. Mégalomanie des qualcomaniacs. Sans pourtant
11:10être démurge, créateur, auteur, plutôt assembleur. Revenu du pays de la magie.
11:19Prestidigitation de l'uniforme versus prestige de l'uniformisation.
11:27Le soir de ses 40 ans où j'offre à Lily une pièce unique de SP38 avec le H retrouvé,
11:39je lui demande sa main. Je précise, un mariage blanc, pour quelques mois, le temps d'adopter
11:48son nom comme nom d'usage, comme tout conjoint en a la possibilité.
11:52« Tu comprends, Lily, avec cet acte antipatriarcal, j'instinerai tout le temps sans y penser.
11:59Certains protestent que je prendrai alors trop de place, que j'annexerai le GI, mais
12:05c'est tout le contraire. Lily dit oui. Non, elle ne dit pas oui, elle dit bah oui. Une
12:16évidence qui ponctue douze ans d'une relation fictionnelle. Puis elle ajoute, il faut que
12:24j'en parle à mes frères. »
12:54Deux ans plus tôt est organisé un festival nommé Rue Instinct, proclamation d'indépendance
13:07d'une rue à Paris-Belleville. Chaque soir, un membre de la famille H. Instinct vient
13:14me trouver. Jean-Claude, Laura, Jacques H. Instinct, oncle de Lily, me dit avec émotion
13:25que le général a déplacé le regard de la famille sur elle-même, notamment dans
13:29son rapport à la judéité, alors que pendant un siècle et demi, elle voulait essayer de
13:35le gommer pour mieux se fondre à la nation française.
13:37Jacques, je n'y suis pour rien, c'est lui qui… H. Instinct est la francisation
13:49de H. A. I. N. S. T. H. E. I. N., nom juif alsacien, me dit Lily en 2005. Mais désormais
13:59j'hésitais à le croire. 869 ans plus tôt, une charte signée par Thierry, comte de Flandre,
14:10évoque la concession à l'Église, par Gomart et main son épouse, d'un bonnier d'Alleux
14:17sur la Marque, rivière, et un jardin à Instinct, qui était donc un domaine. Une note du bulletin
14:26de la Société d'études de la province de Cambrai, 1903, précise qu'un Henri de
14:33Instinct figure en 1176 dans un titre de l'abbaye de L'os. Instinct sans H, c'est-à-dire que
14:43le H, avant de disparaître, à un moment est apparu. Sans doute reviendra-t-il ? Sans
14:54doute y verra-t-on le point de départ du G.I. Général Instinct.
15:21Annonce numéro 3. Général à vendre. Machines de guerre en bon état, semblant avoir à
15:28peine servi, pouvant se décliner en inflexion, stratégie, déroute, en tout genre, arrière-garde,
15:36à patresse, in équireau, errant sans entrave, super anti-héros. ACD. Un général parfois
15:45collant, mais qui vous prend, qui vous a compris. C'est comme un animal domestique
15:56perché sur votre épaule, revenant à l'état sauvage. C'est le point de départ, le cœur
16:05d'un G.I. Général Instinct, et c'est ce qu'on va entendre.
16:33Mes instignannes et les instignants, voilà, c'est terminé. Je vais vous laisser pour cette fois.
16:39Je vous laisse continuer votre voie, continuer à instigner, à vous persévérer. Et peut-être,
16:48un jour, en voir la fin.