Après la trêve olympique, place à une rentrée politique marquée par une profonde confusion démocratique, une confusion ouverte par la dissolution, mais qui couvait certainement depuis bien plus longtemps. Décryptage et débat dans ce format spécial, le Grand-face-à-face XXL. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-du-samedi-31-aout-2024-2959494
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00:00:00Bonjour, bonjour et bienvenue dans le Grand Face-à-Face, l'émission de débats et d'idées de France Inter qui est de retour aujourd'hui pour une nouvelle saison, au cours de laquelle je suis ravi d'être à nouveau aux côtés de Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne et de Gilles Finkelstein, secrétaire général de la Fondation Jean Jaurès.
00:00:19C'est aujourd'hui, pour cette première place, un Grand Face-à-Face XXL en direct jusqu'à 14h et il fallait bien ça pour tenter de mettre des mots sur l'état de notre démocratie après un été où la nation a paru unie comme rarement par l'élan olympique, moment précis où ses représentants se déchiraient, incapables eux de s'unir pour gouverner et tout cela à l'heure où une grande enquête révèle une défiance généralisée à l'égard des politiques.
00:00:43Qu'est-ce que ces dynamiques disent de notre démocratie, de notre personnel politique et de notre rapport à la politique et à qui profite la confusion actuelle ? Toutes ces questions et bien d'autres, nous les poserons à nos invités, philosophes, essayistes, journalistes qui ont accepté de débattre mais comme c'est la traduction, on commence avec le duel.
00:01:01Le Grand Face-à-Face XXL, Thomas Négarov sur France Inter.
00:01:08Bonjour Natacha et Gilles, très heureux de me trouver cette saison encore à vos côtés, vous allez nous éclairer, nous faire penser différemment, parfois contre nous-mêmes et parfois même peut-être contre vous-mêmes.
00:01:19Et allez, on va commencer avec un drame, un drame qui a déclenché beaucoup de réactions politiques. Lundi dernier, un gendarme, un adjudant Éric Comin, perd la vie percutée par un automobiliste après un refus d'obtempérer à Mougins.
00:01:31L'homme considère lui ne pas avoir vu le gendarme, la veuve de l'adjudant a pris la parole.
00:01:36Je remercie notre France d'avoir tué mon tendre époux, que j'aime tant le père de nos enfants. Attention, je ne parle pas d'étranger mais de récidiviste.
00:01:44La France a tué mon mari par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance. Pourquoi cet homme multirécidiviste peut-il évoluer en toute liberté ?
00:01:53Natacha, des propos très durs à écouter, à réécouter. Qu'est-ce qui vous inspire ces mots, cette histoire qui a mis en lumière la question d'un soi-disant laxisme de la justice ?
00:02:03Je précise que lundi, après-demain, un hommage national sera d'ailleurs présidé par Gérald Darmanin à Nice en hommage à cet adjudant.
00:02:10Il y a plusieurs impressions qui ressortent quand on entend cette femme et sa terrible colère.
00:02:21Le premier point, c'est que souvent on a tendance à préférer les victimes qui se taisent, les victimes qui pleurent mais qui n'expriment pas de colère.
00:02:32On admire les phrases telles que « Vous n'aurez pas ma haine ».
00:02:40Mais je pense que le discours de cette femme est tout aussi important à entendre et tout aussi essentiel.
00:02:47Deuxième point, immédiatement, les réactions qui m'ont suivi ont été de dire « Regardez, la droite et l'extrême droite se saisissent de ce discours ».
00:03:00Oui, en effet, les premiers à avoir repris les paroles de cette femme ont été Éric Ciotti, Éric Zemmour, Jordan Bardella, sans aucune surprise.
00:03:13Hélas, sans aucune surprise.
00:03:15Parce que le problème qui est posé, qui est mis sur la table par les mots de cette veuve devrait nous mobiliser tous.
00:03:26Pourquoi ?
00:03:28Parce que de fait, l'homme qui a tué son mari, l'a-t-il fait involontairement ? Le procès le dira, on n'en sait rien pour l'instant.
00:03:38Mais une chose est sûre, il avait dix condamnations, notamment pour infraction routière, mais aussi pour atteinte aux personnes.
00:03:50Dix condamnations et de très nombreuses infractions diverses dont certaines n'avaient pas donné lieu à condamnations.
00:03:57Donc, on peut dire que les précédents existent.
00:04:01Cet homme se retrouve au volant d'une voiture et commet ce refus d'obtempérer.
00:04:08Ce n'est pas la première fois et en fait, la colère de cette femme vient du fait que les refus d'obtempérer certes ont un peu baissé sur les trois dernières années,
00:04:16mais qu'ils révèlent une absence totale de peur de la sanction et de peur de l'autorité de l'État.
00:04:24Ou au contraire, c'est aussi la peur du gendarme qui produit parfois le refus d'obtempérer dans le cas présent.
00:04:32Alors, qu'appelle-t-on dans ces cas-là ? La peur du gendarme.
00:04:36C'est-à-dire que oui, il peut y avoir aussi la réaction pulsionnelle de celui qui se sait coupable de quelque chose et panique et se dit « je vais ».
00:04:46Ce qui signifie tout de même qu'il y a l'idée qu'on va pouvoir échapper au droit, à la justice, à la loi.
00:04:55Là, c'est un problème absolument majeur.
00:04:57Deuxième point, cette femme ajoute « 1981 n'aurait jamais dû exister ».
00:05:04On s'est focalisés sur ces mots parce que de fait, on ne voit pas bien en quoi ils répondent au problème ponctuel.
00:05:15Le sous-texte, c'est la loi.
00:05:17Voilà, c'est la peine de mort.
00:05:18C'est-à-dire que cette phrase, hélas, vient colorer le problème qui est pointé auparavant.
00:05:26Et c'est bien dommage parce qu'il faudrait avoir ce débat de fond sur le rapport à la loi et sur la façon de rétablir l'autorité de la loi.
00:05:38Gilles, sur ce fait divers, fait de société, d'ailleurs, vous l'appelez comment, ça ? Vous dites quoi, vous ?
00:05:44Je ne sais pas, fait divers.
00:05:46En tout cas, j'ai été saisi comme tous les Français par les propos de sa femme.
00:05:52Je me souviens avoir été saisi la veille ou l'avant-veille par le drame lui-même et par le témoignage d'un des collègues d'Éric Commun qui racontait, qui parlait d'Éric Commun,
00:06:06qui expliquait qu'il allait partir dans quelques mois à la retraite et qu'il avait tout prévu de s'occuper de ses enfants, etc.
00:06:15Et c'est toujours difficile, a fortiori, quand on entend cette femme, de trouver le bon registre, de trouver la bonne distance.
00:06:23Mais je crois que c'est bien d'en parler, de ne pas être dans l'évitement et de ne pas être non plus dans la surenchère.
00:06:29Y compris d'affronter les propos de cette femme, je crois qu'ils sont très forts, ça ne veut pas dire nécessairement qu'ils soient fondés.
00:06:36Et pas seulement pour la question que vous avez évoquée de cette référence à 81, lorsqu'elle parle du sort trop enviable des prisonniers ou de la nécessité de rétablir le bagne.
00:06:49Je crois qu'on n'est pas obligé d'aller dans cette direction-là.
00:06:52Et il y a beaucoup de sujets qui sont, en revanche, soulevés par cette question.
00:06:56Il y a des sujets d'ordre généraux, la sévérité de la justice, la question de la violence dans la société.
00:07:03Il y a des sujets très spécifiques, la question du renouvellement des cartes de séjour, la question des délits routiers.
00:07:09Mais je crois qu'au cœur, il y a cette question qu'a évoquée Natacha, qui est celle des refus d'obtempérer.
00:07:15Et c'est de ça dont je voudrais parler.
00:07:17Je voudrais en parler d'autant plus qu'en me plongeant dans les dossiers, j'ai vu qu'il y a eu un rapport parlementaire,
00:07:23un rapport d'information qui vient d'être rendu au mois de mai, à la fin du mois de mai dernier.
00:07:28Un rapport transpartisan d'un député socialiste, Roger Vico, et d'un député macroniste, Thomas Rudigoz.
00:07:35Après six mois de travail, six mois d'audition, dans le contexte très différent du refus d'obtempérer de Nahel.
00:07:43Et je trouve que les conclusions sont intéressantes.
00:07:46Le premier, sur le constat, Natacha disait que depuis trois ans, et c'est vrai, il y a un recul.
00:07:53Ce que montre le rapport, c'est que sur dix ans, la progression est très spectaculaire.
00:08:00Elle est très spectaculaire sur les refus d'obtempérer simples, 33%, et sur les refus d'obtempérer aggravés,
00:08:07c'est-à-dire là où on met en danger l'intégrité physique des forces de l'ordre, c'est pratiquement un doublement en l'espace de dix ans.
00:08:16Ça montre ce que l'on ne sait pas, qu'on dit souvent que c'est en zone urbaine, que la progression se fait d'abord en zone gendarmerie,
00:08:24et surtout, et c'est intéressant par rapport à l'échange que vous-même avez eu, Thomas et Natacha,
00:08:29c'est qu'il n'y a aucune étude pour savoir quelles sont les causes de ces refus d'obtempérer.
00:08:36Et donc là, il y a un grand vide qu'il va falloir combler.
00:08:40La deuxième chose, et aussi je crois qu'il faut avoir le courage de le dire, c'est que quand on regarde le cadre législatif,
00:08:46eh bien, il a beaucoup évolué, il a évolué toujours dans le même sens, d'une sévérité de plus en plus grande,
00:08:56et le problème n'est sans doute pas là.
00:08:58Lorsqu'on est dans le cas de figure, je ne parle même pas du meurtre, de la mort, de la mise en cause de l'intégrité physique,
00:09:06la peine est une peine qui est très lourde.
00:09:08C'est jusqu'à 7 ans de prison, c'est non pas la suspension, mais c'est l'annulation du permis de conduire,
00:09:13c'est la confiscation de votre véhicule, mais même des autres véhicules que vous possédez,
00:09:17et surtout, et c'est une dérogation à notre droit commun, il n'y a pas de confusion des peines.
00:09:24C'est-à-dire que la peine que vous avez pour avoir blessé le policier s'ajoute aux 7 ans de prison que j'évoquais du refus d'obtempérer.
00:09:34Donc je crois qu'on peut toujours modifier le curseur, durcir un peu ici ou là,
00:09:39mais le problème n'est pas le problème du cadre législatif qui est la première tentation dans laquelle beaucoup se sont engouffrés.
00:09:45Et donc je crois qu'il y a beaucoup de sujets, une fois que j'ai dit ça, qu'il faut traiter,
00:09:51d'abord il faut connaître davantage, il faut faire savoir le risque que l'on encourt avec ce refus d'obtempérer.
00:09:59Il y a la sécurité routière, il y a des campagnes à faire, et puis il y a, à chaque fois, il semble que,
00:10:05en tout cas dans l'immense majorité des cas, il y a un délit connexe qui est un délit routier,
00:10:11et donc c'est sans doute par là aussi qu'il faut commencer.
00:10:13Vous nous avez amené vers le droit, vers ces rapports, ça veut dire que vous considérez que la parole politique sur un tel sujet,
00:10:20elle n'est pas à écouter, elle n'est pas à entendre ?
00:10:22Natacha a évoqué l'omniprésence de la droite sur le sujet, et une forme d'absence de la gauche sur le sujet.
00:10:27Mais c'est pour ça que j'ai dit en commençant qu'il fallait éviter l'évitement.
00:10:32Et l'évitement c'est ne pas en parler, c'est être gêné d'en parler ou c'est en parler de travers.
00:10:37J'ai vu que l'humanité rangeait ce fait divers dans la catégorie plus générale des accidents du travail.
00:10:45Non, il faut le prendre pour ce qu'il est, la question de la violence, du refus d'obtempérer.
00:10:50Et écoutez les victimes, un mot Natacha.
00:10:53Un mot rapidement, en effet les peines ne sont pas suffisamment connues, c'est une des dimensions du problème.
00:11:00Mais en fait, ce que vous dites Gilles démontre une chose, c'est que ce qui est au cœur de ce problème c'est le rapport aux forces de l'ordre.
00:11:09Et c'est pour ça que le discours d'une partie de la gauche qui considère que les forces de l'ordre sont toujours coupables,
00:11:16que quand il y a le drame affreux de Nahel, les forces de l'ordre sont coupables mais que là en l'occurrence c'est un accident de la route.
00:11:25C'est un problème majeur parce que l'acceptation de la loi ça passe par le respect des représentants de l'ordre.
00:11:31Une de mes plus hautes priorités est de faire ce qu'on peut pour soutenir et renforcer la classe moyenne.
00:11:45Les gens sont prêts à aller de l'avant.
00:11:48Je crois, et c'est triste, qu'au cours de la dernière décennie nous avons eu en la personne de l'ancien président,
00:11:56quelqu'un qui a vraiment tout fait avec son programme et sa façon de faire pour affecter notre identité d'Américain, notre force et notre caractère.
00:12:04Il a vraiment divisé notre nation et je pense que les gens sont prêts à tourner la page.
00:12:10Voilà une voix qu'on va apprendre à connaître, celle de Kamala Harris, candidate du Parti Démocrate pour la présidentielle américaine.
00:12:15Elle a donné jeudi avant-hier sa première grande interview depuis sa nomination, c'était sur CNN avec Tim Holtz, son colistier.
00:12:22Gilles, comment vous avez entendu ça ? Il y a la fois la candidate des classes moyennes et il y a l'idée de l'unité face à un candidat qui divise la nation.
00:12:29Ça va être ça la vision de Kamala Harris ?
00:12:31D'abord, la bonne nouvelle de l'été, c'est qu'on ne sait pas qui va être élu président des Etats-Unis.
00:12:37C'est une bonne nouvelle parce qu'après le débat qui est sans doute un des débats les plus calamiteux entre Biden et Trump,
00:12:46et après la tentative d'attentat contre Donald Trump, on voyait une campagne qui était un chemin de croix pour les démocrates.
00:12:54Et un Donald Trump de plus en plus erratique, de plus en plus confus, mais en marche vers la Maison Blanche.
00:13:02Donc la bonne nouvelle, c'est qu'on ne sait pas qui va être élu.
00:13:05Et quand je dis qu'on ne sait pas qui va être élu, ça veut dire qu'il ne faut pas se dire aujourd'hui Kamala Harris va être élue.
00:13:11Elle peut l'être, mais elle ne l'est pas.
00:13:13Après, j'ai été frappé par la réactivité et la responsabilité du Parti démocrate,
00:13:19qui en l'espace de très peu de temps a réussi à choisir et à se rassembler derrière Kamala Harris.
00:13:25Par la qualité des premiers pas de la campagne de Kamala Harris.
00:13:30En l'espace de quelques jours, elle a endossé le costume et elle a réussi à introduire un ton de l'optimisme, de l'enthousiasme,
00:13:39un discours rassembleur, à prendre une première décision très importante dans le choix du vice-président,
00:13:46dont on verra avec le temps, mais qui semble être une très bonne décision.
00:13:50En tout cas, Tim Walz a des qualités extraordinaires.
00:13:53Et puis, et enfin, la puissance de la Convention démocrate.
00:13:57Vraiment, alors c'est très étrange pour nous, une convention démocrate, une convention américaine, c'est très étrange.
00:14:04On ne voit pas un parti politique dans un stade aujourd'hui en France.
00:14:07On ne voit pas un stade, on ne voit pas à ce point le registre de l'émotion, la famille.
00:14:12Mais quand même, la capacité à aligner toute cette lignée de présidents ou d'anciens présidents démocrates,
00:14:21de faire émerger de nouvelles figures, de talents, c'est quand même très, c'est très spectaculaire.
00:14:28Plus Harris, plus Tim Walz.
00:14:30Je termine, je disais tout à l'heure, on ne sait pas qui va être élu.
00:14:35C'est serré, c'est plus maintenant, c'est serré.
00:14:40Et il y a une nouvelle campagne très courte, très intense qui commence.
00:14:46Ça va se jouer comme toujours, à la fois à la télévision, on attend le premier débat sur ABC.
00:14:52Et puis dans les...
00:14:53Le seul débat, pas le premier, il n'y en aura pas d'autre.
00:14:56Le 10 septembre, il n'y en aura qu'un seul.
00:14:59Et puis après, ce qui va se passer dans les États, dans les swing states, comme on dit.
00:15:05Mais on voit que vraiment, c'est une nouvelle campagne qui commence.
00:15:08Parce que sur les questions de politique publique, inflation, immigration, c'est plus difficile.
00:15:13Et puis la première interview sur CNN, ce n'était pas encore tout à fait ça.
00:15:17Ce n'était pas tout à fait ça.
00:15:18Juste pour les gens qui vont regarder les sondages, en 2016, ils s'étaient largement plantés les sondages
00:15:22en donnant Hillary Clinton vainqueur de l'élection.
00:15:24Donc ils avaient essayé de faire attention, très attention, et en 2020, c'était encore plus trompé.
00:15:29Quand on regarde les différences entre eux.
00:15:31Donc attention aux sondages, ce n'est pas facile aux États-Unis.
00:15:33Il y a 50 élections en réalité, une par État.
00:15:35Natacha ?
00:15:36Oui, on peut ajouter que ce que j'ai trouvé frappant dans cette séquence, en effet assez étonnante,
00:15:42oui, je rejoins Gilles sur un point, c'est la rapidité d'installation de Kamala Harris.
00:15:47Il y a quelque chose de très intéressant, de très, comment dire, positif.
00:15:52Et un peu exotique pour nous.
00:15:53Et un peu exotique pour nous, en effet.
00:15:55En effet, mais on ne peut que considérer à quel point ça démontre la force d'un parti,
00:16:00que d'être capable, et surtout, ça démontre l'attente qu'il y avait.
00:16:03En revanche, deuxième point, il me semble très frappant de constater à quel point on a changé d'époque.
00:16:09Par rapport à 2016, par exemple, par rapport à 2020.
00:16:13C'est-à-dire qu'en 2020, Kamala Harris était là pour incarner la gauche du Parti démocrate
00:16:21et la gauche américaine, très en pointe sur les questions raciales, sur toutes les problématiques de droit.
00:16:30Et elle jouait parfaitement ce rôle.
00:16:35Ce qu'on constate aujourd'hui, c'est qu'elle a laissé totalement de côté cette dimension-là.
00:16:39Et qu'en fait, on peut se réjouir que les États-Unis aient limité leur obsession raciale.
00:16:47C'est d'ailleurs très frappant par rapport à Hillary Clinton.
00:16:50Parce que l'échec d'Hillary Clinton, c'était très fortement en 2016,
00:16:54cette façon qu'avait le Parti démocrate de saucissonner des électorats.
00:16:57Alors ça reste, vous trouvez l'association des femmes blanches pour Kamala Harris,
00:17:01l'association des juifs pour Kamala Harris, etc.
00:17:05Mais dans le discours de la candidate, en revanche, il n'y a pas ça.
00:17:08Et les démocrates ont sans doute compris qu'ils avaient perdu en ne parlant pas à la nation dans son ensemble.
00:17:15En revanche, aucune réflexion n'émerge sur les raisons, par exemple,
00:17:22du relatif échec du deuxième mandat de Barack Obama.
00:17:26Or, on dit beaucoup que Kamala Harris a ce côté,
00:17:30d'ailleurs le poids du couple Obama est très fort chez les démocrates,
00:17:33ce côté continuité avec Obama.
00:17:38Peut-être serait-il intéressant de se demander ce qui a péché.
00:17:44Excel, le duel.
00:17:52Allez, le tube de l'été et parade de Victor Lemann qui donne le sourire,
00:17:56presque immédiatement l'hymne de Paris 2024.
00:17:59Allez, un mot là-dessus, Natacha, dévoilez-vous un peu.
00:18:02Qu'est-ce que vous ressentez en écoutant ça, vous ?
00:18:05Je pense que j'ai ressenti, comme beaucoup de Français, un plaisir et un enthousiasme.
00:18:11J'ai passé tout l'été à faire vraiment le tour de France,
00:18:14à rencontrer des gens très divers et j'ai été frappée au-delà de quelques personnes
00:18:18qui se plaignaient, s'approfitaient à Paris plus qu'à la province.
00:18:23Oui, cette cérémonie d'ouverture, c'était très marginal.
00:18:26Et je pense que ce qui est frappant, c'est, on l'a tous vu,
00:18:30le besoin qu'ont les Français d'être enthousiastes
00:18:33et le rappel qui leur a été adressé que la France a un patrimoine absolument extraordinaire.
00:18:40Et ça, je pense que c'est un élément sur lequel il faudra capitaliser.
00:18:45Le souvenir que la France a quand même de beaux restes, pour le dire un peu.
00:18:50Et que c'est un atout qui est très peu utilisé.
00:18:54J'ajoute sur la spécificité des Jeux paralympiques
00:18:57que nous sommes quand même mis à l'index par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe
00:19:05parce que, malgré tout, c'est bien gentil de parler d'inclusion,
00:19:08mais ça se décline très concrètement.
00:19:10Gilles, vous qui aussi avez de beaux restes, comment...
00:19:14Pareil, même question, comment vous entendez cette musique ?
00:19:17Et puis, plus largement, est-ce qu'on a, je reprends les termes et l'idée de Natacha,
00:19:20est-ce qu'on a réappris à nous aimer nous-mêmes avec ces Jeux olympiques ?
00:19:23Moi, j'ai fait des gros JO.
00:19:26D'abord, mon fils m'a invité à la finale du rugby à Sète.
00:19:31Sympa.
00:19:32Première médaille d'or française.
00:19:34Un moment inoubliable.
00:19:35Et je dois dire que j'ai bien regardé et beaucoup que j'ai pris.
00:19:38Et qu'on se demande un peu aujourd'hui, qu'est-ce qu'un événement sportif,
00:19:42et même deux avec les Jeux paralympiques,
00:19:46un événement sportif le plus grand, le plus suivi, qu'est-ce que ça peut changer ?
00:19:51Et évidemment, il y a cette tentation, ce risque de dire un peu, dans des réalismes blasés,
00:19:57en fait, tout ça ne change pas grand-chose.
00:19:59Les problèmes d'aujourd'hui sont exactement les mêmes que les problèmes d'hier.
00:20:02D'ailleurs, on avait reçu ici un auteur qui avait écrit un livre sur les Jeux dans la Grèce antique.
00:20:08Jean-Manuel Roubineau.
00:20:09Même la trêve olympique était un leurre.
00:20:12Donc, moi, mon envie aujourd'hui est plutôt de dire que ça peut changer beaucoup de choses.
00:20:16Ça peut changer le regard des autres sur nous-mêmes.
00:20:19J'avais dit ici, prenons un peu le contre-pied des sceptiques,
00:20:24que ces JO dans la ville allaient produire des images,
00:20:28et une image pour la France absolument extraordinaire.
00:20:31D'une certaine manière, j'avais péché par pessimisme,
00:20:34parce que ça a été, je crois, plus que ça.
00:20:36Pas seulement des images, mais la créativité artistique,
00:20:41l'excellence opérationnelle, l'enthousiasme populaire,
00:20:44tout ça, je pense que ça va peser.
00:20:46Et puis, ça va changer dans le regard que nous avons sur nous-mêmes.
00:20:50Du commun a été fabriqué, de la fierté a été retrouvée.
00:20:54Et peut-être, je l'espère, dans le regard sur le handicap,
00:20:58puisqu'on est là, au début des Jeux Paralympiques.
00:21:01Et nous ont rejoint nos quatre invités, on est donc sept, mais on ne va pas jouer au rugby.
00:21:04On va s'interroger sur la grande confusion démocratique du moment.
00:21:07Peuple donc très uni pendant les JO, peuple civique ô combien divisé,
00:21:11c'est l'heure du débat du Grand Face-à-Face.
00:21:13France Inter, le Grand Face-à-Face, XXL, le débat.
00:21:1846 jours, précisément un mois et demi que la France n'a pas de gouvernement.
00:21:22Alors oui, on a eu la trêve olympique, mais elle s'y n'explique évidemment pas
00:21:26la confusion démocratique dans laquelle se trouve notre pays.
00:21:28Confusion ouverte par la dissolution, mais qui couvait certainement,
00:21:31depuis bien plus longtemps, confusion sur laquelle nous allons maintenant nous arrêter.
00:21:35Pour tenter avec nos invités de lui donner, on va essayer, du sens.
00:21:38Nos invités, bonjour David Ghez.
00:21:40Bonjour.
00:21:41Essayiste, enseignant à Sciences Po, vous prenez beaucoup de notes.
00:21:43Vous pensez, depuis quelques années, la démocratie.
00:21:46Comment la renouveler ? Comment lui donner du souffle ?
00:21:48A ce titre, vous avez accepté en 2022 la proposition d'Emmanuel Macron
00:21:51d'être rapporteur général du Conseil National de la Refondation.
00:21:54On a presque oublié ce que c'était.
00:21:56Cette instance qui devait associer partis politiques, syndicats, associations, citoyens.
00:22:00Fonction que vous avez quittée il y a un an.
00:22:03A vos côtés, Thierry Pège, bonjour.
00:22:04Bonjour.
00:22:05Vous aussi, vous avez tenté, et cru peut-être, à l'expérience d'une autre forme de démocratie.
00:22:09Vous aussi, sous la présidence d'Emmanuel Macron, puisque entre 2019 et 2021,
00:22:13vous avez présidé le comité de gouvernance de la Convention Citoyenne pour le Climat
00:22:18aux côtés de Laurence Toubiana.
00:22:20Vous êtes directeur général du Think Tank, classé au centre-gauche Terra Nova.
00:22:23Pour vous, toute cette séquence politique, largement inédite,
00:22:26appelle à des changements profonds, notamment le passage à la proportionnelle.
00:22:30Et je précise, pour vous avoir relu, que dès le 10 juillet dernier,
00:22:33vous déclariez, je vous cite, « Seul un gouvernement de coalition de centre-gauche
00:22:36aurait une forme de viabilité ».
00:22:39Les Français ne veulent-ils plus « gouverner » ?
00:22:41On vous posera « Être gouverné », pardon.
00:22:43On vous posera notamment la question à une rose en chair.
00:22:45Bonjour.
00:22:46Bonjour.
00:22:47Vous êtes journaliste et directrice déléguée de la rédaction de L'Express,
00:22:49auteur de « Un chagrin français ».
00:22:51C'était à l'Observatoire en 2022.
00:22:53Est-ce qu'on s'enfonce dans le chagrin ou, malgré l'allégresse des Jeux Olympiques,
00:22:56on se posera la question ensemble ?
00:22:59Et puis un philosophe est avec nous, il faut toujours un philosophe avec nous.
00:23:02Bonjour Jean-Claude Monod.
00:23:03Bonjour.
00:23:04Merci d'être avec nous, philosophe donc, directeur de recherche au CNRS,
00:23:06enseignant à l'école normale supérieure.
00:23:08Je crois que vous avez un de vos étudiants autour de la table.
00:23:10Oui, il a bien grandi, David Jaïz.
00:23:12Il était bon, je crois, comme étudiant.
00:23:14Auteur notamment, c'est vous, de deux livres qui vont nourrir notre discussion, Jean-Claude Monod.
00:23:18« Le chef en démocratie », qu'on peut désormais lire en poche chez Point.
00:23:22Et puis « L'art de ne pas être trop gouverné », au Seuil en 2019,
00:23:25tous deux publiés aux éditions du Seuil.
00:23:28On va s'interroger, est-ce qu'on n'a plus envie d'être gouverné ?
00:23:30Je commence à poser la question, mais on va essayer de procéder par ordre.
00:23:34Il y a tellement de désordre que nous, on va essayer d'être un peu d'ordre,
00:23:37ici, dans notre discussion.
00:23:38On va commencer à se demander qui est responsable de la confusion démocratique
00:23:42dans laquelle nous vivons depuis déjà un mois et demi,
00:23:45peut-être même davantage selon vous, vous allez me le dire,
00:23:47pour les oppositions, en tout cas, le responsable, il est clair,
00:23:51c'est l'homme qui, aujourd'hui, vit à l'Élysée.
00:23:55On ne va pas continuer ces simulacres de consultation
00:23:58avec un président qui, de toute manière, n'écoute pas.
00:24:00Il n'est pas en train de chercher une solution, il fait de l'obstruction.
00:24:03Et donc, on a, oui, en pleine dérivée libérale.
00:24:06On est arrivé à un tel déni démocratique.
00:24:09Il va falloir, aujourd'hui, qu'il réalise que ce qu'il est en train de faire,
00:24:13c'est de semer le chaos.
00:24:14Il y a aujourd'hui un vrai problème démocratique en France.
00:24:16Nous, on a dressé une sorte de portrait robot de ce qui serait un bon Premier ministre.
00:24:22Un homme qui a le sens de l'État.
00:24:24Mais au-delà de la personnalité, il y a pour quelle politique ?
00:24:27Et c'est bien ce qu'on a essayé de faire dire au président.
00:24:31Il prend beaucoup de notes, mais je ne sais pas s'il nous entend.
00:24:34Emmanuel Macron a choisi le chaos.
00:24:36On a quand même le sentiment qu'il laisse perdurer ce chaos au mois de septembre.
00:24:42Et ça a été le cas également tout l'été.
00:24:46C'est le chaos.
00:24:47C'est le chaos.
00:24:48Démocratie illibérale, dit Marine Tondelier.
00:24:50Faute démocratique, dit Olivier Faure.
00:24:53Annie Gennevard des Républicains évoque un président qui écoute sans écouter.
00:24:57Marine Le Pen qui en fait l'artisan du chaos.
00:24:59Les uns, les autres.
00:25:00Je commence avec David Geys.
00:25:01Est-ce que le responsable, il est d'abord à l'Élysée ?
00:25:05La décision de dissoudre l'Assemblée nationale le soir des élections européennes,
00:25:10elle restera un grand mystère dans notre histoire politique.
00:25:14Et je crois que l'incrédulité est largement partagée.
00:25:17Il y avait même un sondage qui disait que plus de 90% des Français
00:25:20ne comprenaient pas les raisons de cette décision.
00:25:23Car enfin, les élections européennes avaient donné une bonne expression
00:25:28des rapports de force dans le pays.
00:25:30Donc pourquoi dissoudre ?
00:25:31Dissoudre, c'est redonner la parole au peuple.
00:25:33Redonner la parole au peuple le soir où les urnes ont parlé,
00:25:36c'est pour le moins étonnant.
00:25:38Mais si on prend un peu de recul,
00:25:40cette crise démocratique vient de beaucoup plus loin.
00:25:42Il y a un très bon baromètre de la confiance politique
00:25:45qui est fait par le Cevipof, qui montre que depuis 20 ans,
00:25:49la confiance des Français dans les institutions,
00:25:52dans le personnel politique, dans l'État, ne cesse de se dégrader.
00:25:56Et le sondage Ipsos, que Gilles connaît bien,
00:26:00qui est un bon sondage parce que c'est un échantillon de plus de 10 000 personnes,
00:26:06montre qu'on atteint des niveaux de colère et de défiance qui sont cataclysmiques.
00:26:11Donc là, je dis qu'on est vraiment proche de la cote d'alerte.
00:26:14Mais alors, à vous écouter, et je pose la question à Thierry Pech,
00:26:18si on entend ce que dit David Geys, à savoir la situation a été incendiaire,
00:26:22est-ce qu'il fallait y mettre le feu ?
00:26:25Non, bien sûr, je crois que le Président de la République
00:26:27a une responsabilité majeure liée à sa décision de dissoudre,
00:26:30pour clarifier, décision qui a produit exactement le contraire.
00:26:34C'est-à-dire qu'on n'a pas plus de clarté, on a plus d'obscurité, plus d'incertitude.
00:26:38Donc ça, il n'y a pas de doute là-dessus.
00:26:40Mais je crois qu'il faut remonter un peu plus haut dans le temps
00:26:43pour un peu mieux situer la crise dans laquelle on se trouve.
00:26:47Depuis 2022, on vit quelque chose qu'on n'avait pas vécu depuis 1962,
00:26:51c'est-à-dire depuis 60 ans.
00:26:52Depuis 60 ans, le fait majoritaire, comme disent les historiens du droit constitutionnel,
00:26:57s'était imposé.
00:26:58C'est-à-dire que toutes les élections législatives avaient conduit
00:27:01à ce qu'une majorité forte se dégage au Parlement.
00:27:05Absolue ou relative, mais relative très forte,
00:27:08comme sous recard à quelques sièges où on y était.
00:27:10Là, pour la première fois, il n'y a plus de majorité forte au Parlement.
00:27:15Et ça, c'est 2022.
00:27:16Et pendant deux ans, on gouverne dans ce contexte,
00:27:18c'est-à-dire qu'on gouverne péniblement, texte par texte.
00:27:21C'est déjà la doctrine qui prévaut.
00:27:23Et texte par texte, ça veut dire quoi ?
00:27:24Ça veut dire que, par exemple, il n'y a aucun budget qui passe sans le 49-3.
00:27:27Ça veut dire que la réforme des retraites passe aussi au 49-3.
00:27:30Ça veut dire qu'on ressort de la Constitution tout ce que les Constituants y avaient mis
00:27:34et qui ne servait à rien depuis 60 ans,
00:27:36c'est-à-dire des tas d'instruments de rationalisation du parlementarisme.
00:27:39Donc, c'est le contraire de l'épanouissement parlementaire.
00:27:42Et c'est cette situation qu'il fallait résoudre.
00:27:46Et je pense que la façon dont Emmanuel Macron s'y est pris est la plus mauvaise.
00:27:50Parce qu'au fond, il y a quelque chose de beaucoup plus profond
00:27:53que la clarification par une élection.
00:27:57C'est que le fait majoritaire s'est retiré de la vie politique.
00:27:59Et il s'en est retiré probablement pour assez longtemps.
00:28:02Et donc, il faut organiser le pluralisme.
00:28:04Il faut le rendre vivable.
00:28:06Et c'est pour ça que moi, je défendais...
00:28:08On aura peut-être l'occasion d'y revenir.
00:28:09On va y revenir, bien sûr.
00:28:10Un mode de scrutin proportionnel.
00:28:12Vous me faites la bande-annonce de l'émission.
00:28:13C'est bien parce que ces thèmes-là, on va les évoquer.
00:28:15Le baromètre Ipsos sur la défiance envers le personnel politique, on va y revenir.
00:28:20Mais restons quand même sur ma première question.
00:28:22À qui la faute de cette confusion ?
00:28:24Vous évoquez les institutions.
00:28:25Mais restons sur Emmanuel Macron.
00:28:27Ce n'est pas une obsession de ma part.
00:28:28C'est que j'aimerais qu'on aille jusqu'au bout de cette question.
00:28:30Parce que quand on écoute les oppositions, c'est lui et lui seul qui est le responsable de cela.
00:28:34Un droit d'enchaine, est-ce que c'est de la pure politique politicienne que de le faire ?
00:28:38Ou bien il y a du fond ?
00:28:39Et surtout, il n'y a pas que la dissolution.
00:28:41Il y a depuis un mois et demi son gouvernement.
00:28:43Je pense que c'est la faute d'Emmanuel Macron et des partis.
00:28:47Mais déjà, peut-être Emmanuel Macron.
00:28:49Et en effet, je vais appuyer, peut-être essayer de prolonger ce que disait Thierry Pech.
00:28:54La logique, dès 2022, du scrutin législatif, en appelle à une coalition.
00:29:00Le fait que les Français n'aient pas donné la majorité absolue au président,
00:29:05un mois à peine après l'avoir réélu,
00:29:08était une façon de dire, la France entière,
00:29:11de dire que ce n'est pas un blanc-seing.
00:29:13Il va falloir que vous appreniez quelque chose qui s'appelle la coalition.
00:29:18Aujourd'hui, l'histoire, ce que nous ont raconté les gens
00:29:22qui étaient en première loge à ce moment-là,
00:29:24nous dit qu'En fait, Emmanuel Macron ne l'a jamais envisagé.
00:29:28Les républicains, à l'époque, qui étaient peut-être les mieux placés
00:29:31pour faire cette coalition, ont attendu.
00:29:34Gérard Larcher attendait.
00:29:38Mais à aucun moment, Emmanuel Macron ne l'a réellement envisagé.
00:29:42Ce qu'il a envisagé, c'est une logique de débauchage
00:29:44qui n'est pas du tout la même chose.
00:29:46Il y a un moment, il s'est dit, Catherine Vautrin, je ne sais pas si vous vous souvenez,
00:29:49mais ce n'est pas la même chose que de dire
00:29:51il va falloir que je revienne sur quelques éléments de mon programme
00:29:55pour en intégrer des vôtres, qu'on fasse des compromis.
00:30:00C'est ça la logique de coalition.
00:30:02Et donc depuis, ce qui est terrible, ce qui est une terrible faute,
00:30:05c'est qu'à l'époque, on était encore loin de la prochaine présidentielle
00:30:08et donc les partis pouvaient jouer le jeu.
00:30:10Ils n'étaient pas obsédés par qui serait le prochain.
00:30:14Donc aujourd'hui, maintenant qu'il a fait ce qu'il a fait
00:30:18et que la coalition est encore plus compliquée,
00:30:22à cause des mathématiques, on va dire,
00:30:25mais en plus, les partis ne sont pas prêts.
00:30:28Et je dirais pour aller jusqu'au bout,
00:30:30il n'a jamais envisagé cette coalition parce qu'il ne veut pas partager,
00:30:33qu'il veut ne jamais donner l'impression de se faire forcer la main.
00:30:38Sauf que c'est encore une fois pour ça qu'il n'a pas fait
00:30:41ce que lui commandait la logique démocratique aujourd'hui.
00:30:45Il nommait Lucie Castex pour qu'elle se fasse renverser
00:30:4848 heures plus tard, si c'est ce qu'il pense, qu'il l'advient.
00:30:51Parce qu'il a dit, je ne vais pas la nommer
00:30:53parce que ça va entraîner un grand désordre démocratique
00:30:58parce que 48 heures plus tard, elle va être victime d'une motion de censure.
00:31:01Eh bien qu'il le fasse, comme ça il lève l'hypothèque.
00:31:03Là, il est en train de transformer.
00:31:05Il est quand même garant de la stabilité du pays.
00:31:07Mais la stabilité du pays, elle n'est pas terrible en ce moment non plus.
00:31:09Donc il est en train de transformer un vote électoral en putsch.
00:31:13Ce n'est quand même pas très intelligent.
00:31:15Donc il y a un mystère dans tout ce qu'il fait aujourd'hui.
00:31:18Est-ce que le mystère, Jean-Claude Monod, ne se retrouve pas dans votre travail
00:31:21sur c'est quoi être un chef en démocratie ?
00:31:24Ah oui, pour moi c'est un laboratoire, toujours très intéressant.
00:31:27Pour regarder ça, j'ai perdu l'œil du laborantin.
00:31:30Voilà, voilà.
00:31:32Bon, c'est vrai que la personne d'Emmanuel Macron,
00:31:35au fond moins intéressante peut-être que le macroniste,
00:31:38ce qu'il a essayé de construire,
00:31:40et il me semble que ce qu'il a essayé de construire
00:31:42est pour une part responsable de la destruction
00:31:45un petit peu du paysage politique français actuel.
00:31:48C'est-à-dire, je pense, cette volonté de destruction,
00:31:52de dépassement du clivage droite-gauche
00:31:54et de reconfiguration du champ politique
00:31:56au profit d'une sorte de face-à-face
00:31:58entre progressiste, entre guillemets,
00:32:00et au fond nationaliste.
00:32:02L'idée était, il me semble quand même, de reconstruire quelque chose.
00:32:06Notre société ouverte, notre société fermée, etc.
00:32:08Et ça a créé, il me semble,
00:32:10cette situation assez délétère.
00:32:16Et je pense que, donc aujourd'hui,
00:32:18on paye le prix de cette situation
00:32:21qui rend à peu près ingouvernable, effectivement, le pays,
00:32:24puisque l'ERN se trouve extrêmement renforcée,
00:32:28mais pas assez pour gouverner.
00:32:30Heureusement, je dirais,
00:32:32les autres forces sont réduites,
00:32:35mais sont réduites sur un mode
00:32:37qui, dans la culture politique française,
00:32:40ne permet pas de construire une alternative,
00:32:44une coalition.
00:32:46Et je pense, peut-être, ultimement,
00:32:48dans les responsabilités, il y a peut-être cette culture politique française
00:32:50extrêmement encentrée.
00:32:52Moi, le chef en démocratie, je suis ligné en démocratie.
00:32:54C'est-à-dire, c'était l'idée d'un chef politique,
00:32:57mais qui fait avancer la délibération.
00:32:59Oui, parce que, juste quand même, pour vous avoir lu,
00:33:01vous ne considérez pas qu'un chef, c'est mal en démocratie.
00:33:04Au contraire, vous considérez que,
00:33:06s'il a du charisme progressiste, c'est comme ça que vous le qualifiez,
00:33:08il peut conduire son pays vers quelque chose de mieux,
00:33:11même s'il concentre les pouvoirs autour de lui.
00:33:13Ah oui, je pense qu'un chef politique
00:33:16peut dynamiser, peut apporter un souffle démocratique,
00:33:18peut mobiliser des catégories de la population
00:33:21qui sont peu mobilisées politiquement.
00:33:23Il peut y avoir des effets tout à fait positifs
00:33:25en termes de démocratisation de la démocratie.
00:33:27Mais pour ça, il faut qu'il accepte, au fond,
00:33:29de jouer un rôle.
00:33:31D'ailleurs, c'est attendu, dans l'enquête récente Ipsos,
00:33:33un rôle aussi plus arbitral,
00:33:36et moins décisionniste,
00:33:38comme c'est le registre préféré de Macron,
00:33:41où il organise les choses autour de lui, toujours.
00:33:43Même là, cette décision, on pouvait attendre
00:33:45plus qu'une consultation, peut-être une concertation.
00:33:47Et ça, ce n'est pas la culture de Macron.
00:33:49Est-ce que ça raconte ça,
00:33:51Natacha, ce moment ?
00:33:53Peut-être notre progression
00:33:55dans la compréhension de la personnalité
00:33:57de notre président de la République ?
00:33:59Paradoxalement, oui, c'est une des dimensions du problème.
00:34:02Parce que je pense qu'Emmanuel Macron
00:34:04est un symptôme
00:34:06de beaucoup de choses assez essentielles.
00:34:08Premier point, c'est un symptôme
00:34:10de la dimension
00:34:12très problématique
00:34:14que revêt aujourd'hui l'élection du président
00:34:16de la République au suffrage universel.
00:34:18Parce que, de fait,
00:34:20ça sélectionne des grands narcissiques.
00:34:22Et qu'on l'a vu, et qu'Emmanuel Macron
00:34:24le démontre chaque jour.
00:34:26C'est-à-dire des gens qui,
00:34:28contrairement à ce qu'on pourrait espérer,
00:34:30n'ont pas forcément le sens
00:34:32de l'intérêt commun, du bien commun,
00:34:34mais une volonté
00:34:36de pouvoir, une volonté de domination.
00:34:38Et c'est assez fascinant
00:34:40de voir ça à l'œuvre.
00:34:42Ça, c'est la dimension de la personnalité.
00:34:44Mais il y a un sujet sur la personnalité.
00:34:46Quand on discute avec des très proches
00:34:48d'Emmanuel Macron, qu'ils l'ont soutenu,
00:34:50qu'ils l'ont défendu, et qu'ils en viennent
00:34:52à dire qu'il y a un réel problème de ce côté-là,
00:34:54bon, ce n'est pas un fantasme.
00:34:56Mais le deuxième point, et donc,
00:34:58derrière, c'est la question institutionnelle.
00:35:00Comment fait-on
00:35:02pour sortir des déséquilibres
00:35:04de cette Ve République, et pour
00:35:06refaire de la Constitution
00:35:08un moyen d'expression
00:35:10de la volonté du peuple,
00:35:12de la volonté des citoyens ?
00:35:14Ça, c'est le premier point. Le deuxième point,
00:35:16c'est qu'Emmanuel Macron est un symptôme.
00:35:18Je rejoins un tout petit peu ce qui a été dit,
00:35:20et je vais le dire selon mon point de vue.
00:35:22C'est un symptôme
00:35:24de l'erreur dramatique, mais d'ailleurs,
00:35:26ce n'est pas une erreur, c'est un
00:35:28choix politique, le choix politique
00:35:30de faire se rejoindre
00:35:32libéraux de droite et libéraux de gauche,
00:35:34dont on sait très bien, en effet, qu'ils pensaient
00:35:36la même chose, c'est-à-dire faire
00:35:38le choix de
00:35:40placer les défenseurs
00:35:42du système et du cercle de la raison
00:35:44dans une sorte
00:35:46de monopole
00:35:48qui empêche toutes les alternances.
00:35:50C'est-à-dire que c'est, en fait,
00:35:52la concrétisation d'une dérive oligarchique
00:35:54de la démocratie
00:35:56qui récuse
00:35:58toute possibilité de penser
00:36:00autrement
00:36:02l'organisation économique et politique.
00:36:04Et je crois que nous vivons
00:36:06le symptôme de cela. Emmanuel Macron
00:36:08n'a fait qu'en fait
00:36:10consolider ce qui était en train
00:36:12de se mettre en place jusqu'à présent.
00:36:14Mais ce qui est frappant, c'est que
00:36:16Emmanuel Macron lui-même,
00:36:18en 2019, et le son réapparaît
00:36:20depuis quelques heures sur les réseaux sociaux,
00:36:22évoque devant une soixantaine d'intellectuels
00:36:24de tout l'horizon, notamment Jim Finkelstein
00:36:26qui était pile en face de lui.
00:36:28Il les avait invités à l'Elysée, c'était lors du Grand Débat.
00:36:30Emmanuel Macron
00:36:32évoque cette
00:36:34possibilité d'être mis en minorité.
00:36:36Et écoutez,
00:36:38sa promesse alors, son engagement,
00:36:40ou je ne sais comment le qualifier en tout cas, ce qu'il considère être
00:36:42la bonne chose à faire dans ce cas de figure.
00:36:44La question c'est comment on crée
00:36:46des mécanismes de responsabilité
00:36:48et de respiration démocratique.
00:36:50Le quinquennat phasé ne permet plus
00:36:52une forme de respiration démocratique,
00:36:54de mi-terme à la française, en tout cas
00:36:56de césure de respiration où
00:36:58le peuple français peut dire j'ai confiance dans votre projet
00:37:00donc je vous redonne une majorité pour le faire.
00:37:02La réalité, si on allait au bout de la logique,
00:37:04c'est que le Président de la République ne devrait pas pouvoir rester
00:37:06s'il avait un vrai désaveu en termes de majorité.
00:37:08En tout cas, c'est l'idée que je m'en fais
00:37:10et qui est la seule qui peut accompagner
00:37:12le fait d'assumer les fonctions qui vont avec.
00:37:14Gilles, je me tourne vers vous
00:37:16comme le Président de la République à ce moment-là d'ailleurs.
00:37:18Est-ce que le Macron de 2019,
00:37:20qui pourrait être autour de la table et d'accord avec tout ce qu'on a entendu
00:37:22depuis le début de l'émission,
00:37:24a raison ou est-ce que c'est le Macron de 2024
00:37:26celui qui ne démissionne pas qui a raison,
00:37:28selon vous ?
00:37:30Je vais terminer par répondre
00:37:32à votre question en repartant
00:37:34de la responsabilité
00:37:36du Président. Si on se souvient
00:37:38quel était l'objet de la dissolution
00:37:40dans le mot utilisé
00:37:42par le Président ? C'était la clarification.
00:37:44Et quand on regarde son effet, c'est le mot que vous avez choisi,
00:37:46c'est la confusion.
00:37:48Donc, il y a évidemment
00:37:50une responsabilité
00:37:52sans doute pas unique, certainement pas unique
00:37:54du pouvoir olympique, mais une responsabilité.
00:37:56Il y a celle de la décision, la décision de dissolution,
00:37:58David Gies l'a évoqué,
00:38:00et puis il y a sans doute deux non-décisions.
00:38:02Celle qui précède
00:38:04en 2022, c'est ce que disait Anne Rosenscher,
00:38:06le refus de la
00:38:08coalition et ça aurait pu se faire
00:38:10même dès le lendemain de l'élection
00:38:12présidentielle. C'est le moment où Emmanuel Macron
00:38:14était le plus fort et aurait fait une coalition
00:38:16le plus à son avantage
00:38:18parce que plus il tarde et évidemment plus
00:38:20c'est coûteux. Et puis la deuxième non-décision
00:38:22c'est la procrastination
00:38:24depuis le 7 juillet, le refus
00:38:26de nommer. Terme employé par Laurent
00:38:28Wauquiez lui-même. Procrastination ?
00:38:30Oui, le Président procrastine.
00:38:32Je crois que je suis rarement
00:38:34d'accord avec Laurent Wauquiez,
00:38:36mais je partage le mot.
00:38:38Il faut essayer de comprendre
00:38:40ce qu'il y a derrière cette procrastination.
00:38:42Je crois qu'il y a deux choses.
00:38:44La première c'est d'essayer
00:38:46de sauver le maximum de pouvoir
00:38:48présidentiel. C'est ce débat
00:38:50entre le rôle d'arbitre
00:38:52et le rôle de joueur.
00:38:54Et le deuxième qui n'a pas été évoqué,
00:38:56c'est, je crois que d'une certaine
00:38:58manière, il n'accepte pas la défaite
00:39:00parce qu'il refuse que soit
00:39:02défait son propre bilan
00:39:04a fortiori sous ses yeux.
00:39:06C'est ce contre quoi
00:39:08il se bat. Alors une fois qu'on a dit ça,
00:39:10je réponds à la question que
00:39:12vous avez posée entre le
00:39:14Macron de 2024 et le
00:39:16Macron de 2019
00:39:18qui a raison. Je pense qu'intellectuellement
00:39:20Emmanuel Macron a raison
00:39:22en 2019
00:39:24et qui a une cohérence
00:39:26à tirer les leçons
00:39:28d'un désaveu ou d'une succession
00:39:30de désaveux populaires.
00:39:32Maintenant, je pense que dans la situation
00:39:34politique d'aujourd'hui,
00:39:36je pense que ce serait une faute
00:39:38que de démissionner pour le Président de la République.
00:39:40Je sais qu'une majorité de Français,
00:39:42petite majorité dans notre enquête,
00:39:44y est favorable pour une raison très
00:39:46simple, c'est que cela créerait
00:39:48un problème nouveau
00:39:50sans régler aucun des problèmes
00:39:52anciens. C'est-à-dire qu'on se retrouverait au lendemain
00:39:54de cette élection présidentielle,
00:39:56je ne sais pas avec quel Président ou Présidente
00:39:58de la République, mais exactement avec
00:40:00la même Assemblée et exactement avec la même
00:40:02possibilité de dissoudre. Mais est-ce que
00:40:04ce serait dans l'esprit de la Constitution de démissionner
00:40:06ou pas ? J'ai cherché dans les archives
00:40:08et l'un des grands gaullistes
00:40:10de notre Vème République, Jacques Chirac,
00:40:12a la réponse. On est en
00:40:141986, juste avant
00:40:16l'élection législative
00:40:18qui vont le porter à Matignon
00:40:20et il donne son avis
00:40:22sur un mot qu'on ne connaît pas encore bien en France,
00:40:24la cohabitation. Écoutez Jacques Chirac.
00:40:26Mettons-nous dans l'hypothèse où l'opposition gagne
00:40:28ses élections. Naturellement, si elle les perd,
00:40:30le problème de la cohabitation ne se pose pas.
00:40:32Mettons-nous donc dans
00:40:34la situation où elle les gagne.
00:40:36Si elle les gagne, alors
00:40:38le Président de la République va
00:40:40prendre sa décision. Elle ne dépend que de lui.
00:40:42Nous n'avons aucun moyen, bien entendu,
00:40:44de lui imposer une décision,
00:40:46quelle qu'en soit la nature. Et aucun désir ?
00:40:48Et d'ailleurs, aucun désir. Ce ne serait
00:40:50pas conforme à l'institution que vous rappeliez
00:40:52tout à l'heure. Je sais très bien que
00:40:54pour ma part, et surtout, si
00:40:56le Président de la République
00:40:58suit les conseils
00:41:00que lui donnent les responsables
00:41:02du Parti Socialiste, et s'il s'engage
00:41:04comme chef de parti dans ses élections
00:41:06pour soutenir ses candidats,
00:41:08il sera dans une situation difficile
00:41:10au lendemain de ses élections, si
00:41:12l'opposition les gagne.
00:41:14Je sais que pour ma part, mais ça c'est
00:41:16ma conception personnelle
00:41:18des institutions de la démocratie,
00:41:20c'est d'ailleurs celle que le général de Gaulle nous a enseigné,
00:41:22je ne resterai pas
00:41:24un instant au pouvoir
00:41:26ayant été formellement
00:41:28désavoué par le peuple.
00:41:30Alors, il restera lui-même au pouvoir en 1997,
00:41:32mais ça dit que
00:41:34peut-être pendant 5 ans. Mais c'est intéressant
00:41:36parce qu'il s'en réfère
00:41:38à l'esprit de la constitution du général de Gaulle.
00:41:40Tout le monde s'en réfère. David Jez,
00:41:42qu'est-ce qu'elle dit la constitution là-dessus ?
00:41:44D'abord, je n'aime pas beaucoup cette expression d'esprit de la constitution.
00:41:46La constitution, c'est un texte
00:41:48et ce sont des pratiques.
00:41:50Mais ce sont des pratiques. Et alors, ce qui est intéressant,
00:41:52c'est, je vais prendre la défense de la
00:41:54Vème République.
00:41:56C'est une constitution beaucoup plus plastique,
00:41:58beaucoup plus pratique
00:42:00et beaucoup plus ouverte qu'on ne le croit.
00:42:02D'abord parce qu'elle a été conceptualisée
00:42:04sous la IVème République
00:42:06par définition. Rappelez-vous le discours
00:42:08de Bayeux, prononcé par le général de Gaulle
00:42:10en 1946 sur les institutions nouvelles,
00:42:12dans un moment politique
00:42:14où il n'y avait pas de majorité absolue
00:42:16pour un camp ou pour un autre.
00:42:18Au contraire, il y avait un éclatement
00:42:20très fort de la vie politique qui n'avait rien à envier
00:42:22à celui que nous vivons aujourd'hui.
00:42:24Et rappelez-vous ce que dit le général de Gaulle
00:42:26à la fin du discours de Bayeux, à propos de la
00:42:28désignation du Premier Ministre. Il dit
00:42:30c'est une prérogative du
00:42:32chef de l'État, mais cette prérogative
00:42:34doit s'exercer dans le respect
00:42:36de la diversité des orientations politiques
00:42:38qui s'expriment dans le pays et partant
00:42:40à l'Assemblée Nationale.
00:42:42Ce que je veux dire par là, c'est que je ne suis pas d'accord
00:42:44avec ce que j'ai entendu à plusieurs reprises
00:42:46sur le fait que le pays serait
00:42:48ingouvernable. Moi, je ne crois pas qu'il soit
00:42:50ingouvernable. Je ne crois pas non plus
00:42:52que le concept de majorité relative
00:42:54est une quelconque validité
00:42:56conceptuelle. En maths, une
00:42:58majorité ou une minorité,
00:43:00c'est une majorité ou une minorité.
00:43:02Il n'y a pas de majorité relative ou de minorité
00:43:04absolue. La réalité,
00:43:06c'est que la Vème République
00:43:08ne pose pas systématiquement la question
00:43:10de la confiance quand on désigne un Premier Ministre.
00:43:12Donc il y a deux façons de former une majorité.
00:43:14Soit vous avez une majorité de projet.
00:43:16Votre parti a gagné les élections,
00:43:18vous avez plus de 289 députés
00:43:20à l'Assemblée. Alors là, c'est très facile, surtout avec
00:43:22le quinquennat. Vous avez un Président élu.
00:43:24Derrière, vous avez 350 députés.
00:43:26Le pouvoir absolu
00:43:28du côté du Président de la République.
00:43:30Si vous n'avez pas
00:43:32289 députés ou plus pour
00:43:34un parti, vous pouvez former une majorité
00:43:36de projet sous la forme d'une coalition,
00:43:38c'est-à-dire
00:43:40deux, trois partis
00:43:42qui sont voisins idéologiquement, qui se mettent à
00:43:44discuter pour faire un contrat de gouvernement.
00:43:46Ce que les deux derniers mois de procrastination
00:43:48ont révélé, c'est que nous n'avons
00:43:50pas, aujourd'hui, ni la mécanique
00:43:52pour le faire. On voit bien que
00:43:54c'est presque touchant d'ailleurs. Même les
00:43:56hommes politiques qui disent vouloir des coalitions,
00:43:58ils n'en ont pas les mœurs. On envoie
00:44:00des lettres que personne ne lit et auxquelles personne
00:44:02ne répond. On propose des pactes
00:44:04d'action qui sont en fait des décalques
00:44:06de programmes présidentiels. Un pacte, normalement,
00:44:08c'est un contrat. C'est le fruit d'une négociation.
00:44:10On a un Président qui est à la fois
00:44:12mutique, procrastinateur
00:44:14et qui confond le rôle d'arbitre
00:44:16et le rôle de chef de clan. On a
00:44:18un nouveau Front populaire, parce qu'on n'en a pas encore
00:44:20parlé, qui prétend qu'il a gagné
00:44:22les élections alors qu'il est simplement arrivé en tête
00:44:24avec 190 parlementaires
00:44:26et qui considérait qu'Emmanuel Macron les avait perdus
00:44:28en 2022 alors qu'il avait lui aussi une majorité relative.
00:44:30Et qui nous sort un lapin du chapeau,
00:44:32un nom de Premier ministre après en avoir
00:44:34usé deux autres. Donc tout ça n'est pas
00:44:36très crédible et n'est pas très sérieux.
00:44:38La réalité, c'est que, soit vous avez
00:44:40une majorité de projet,
00:44:42majorité absolue pour un parti
00:44:44ou coalition, soit vous avez une majorité
00:44:46de non-censure. Et ce qui s'est passé
00:44:48en 2022, c'est que vous aviez
00:44:50une majorité qui ne disait pas son nom.
00:44:52C'est-à-dire que, tacitement,
00:44:54les Républicains, n'ayant aucun
00:44:56intérêt à censurer le
00:44:58gouvernement, ont contribué
00:45:00à former cette majorité minimale.
00:45:02Le problème, c'est que ça n'a jamais été
00:45:04contractualisé, ça n'a jamais été dit.
00:45:06C'était donc très hypocrite
00:45:08et surtout, c'était très fragile, parce qu'à tout moment,
00:45:10les Républicains pouvaient se retourner et censurer.
00:45:12Attention, David, quand même, parce que
00:45:14la motion de censure
00:45:16sur les retraites, elle manque
00:45:18sa cible à cette voix.
00:45:20Donc on est tout près du retournement.
00:45:22On peut faire raisonnablement l'hypothèse,
00:45:24c'était sans doute d'ailleurs une des motivations
00:45:26du Président de la République, que très prochainement,
00:45:28sur un projet de loi quelconque, une motion
00:45:30de censure aurait pu atteindre sa cible.
00:45:32Ce qui aurait été la deuxième fois dans l'histoire de la Vème République,
00:45:34je le rappelle.
00:45:36Je suis d'accord sur ça, mais juste pour terminer...
00:45:38Ce que je veux dire, c'est qu'il n'existait pas
00:45:40de contrat même implicite qui empêchait
00:45:42une majorité d'empêchement.
00:45:44Elle était en train de se former, elle couvait d'une certaine façon.
00:45:46Je suis d'accord, c'est-à-dire que comme ça n'avait
00:45:48pas été explicité
00:45:50et contractualisé, c'était en train de se déliter.
00:45:52Mais j'en viens juste en un mot
00:45:54à la situation présente.
00:45:56Puisque les deux derniers mois ont
00:45:58administré la preuve qu'il n'était pas possible
00:46:00de former un véritable gouvernement de coalition
00:46:02sur un projet,
00:46:04sur un contrat de gouvernement, comme je l'aurais espéré,
00:46:06reste à former
00:46:08un gouvernement sur une majorité
00:46:10minimale, c'est-à-dire un engagement
00:46:12à ne pas censurer, un engagement
00:46:14à travailler pour avoir un budget en 2025
00:46:16parce que la stabilité du pays en dépend,
00:46:18et peut-être quelques chantiers institutionnels.
00:46:20Et c'est sur cette base
00:46:22et cette base seule que le président
00:46:24de la République doit choisir
00:46:26un ou une première ministre qui sera
00:46:28le plus à même de remplir ses conditions.
00:46:30Donc pour vous, la question de la démission ne se pose absolument pas
00:46:32actuellement, que ça ne correspond pas à l'esprit,
00:46:34même si vous détestez le terme de la Constitution,
00:46:36juste pour terminer là-dessus. Parce que je suis d'accord
00:46:38avec ce que disait Gilles, ça ajouterait du chaos au chaos.
00:46:40Anne Rosancher, sur cette question,
00:46:42parce qu'on y vient en fait, tout doucement on y vient,
00:46:44à la question de la culture politique.
00:46:46Est-ce que vous considérez les uns les autres,
00:46:48et je commence avec vous Anne Rosancher,
00:46:50qu'on se trouve là face à un problème culturel,
00:46:52peut-être même davantage qu'à un problème
00:46:54constitutionnel ?
00:46:56Oui, c'est pour ça que j'ai commencé par dire
00:46:58que le président partageait
00:47:00la responsabilité de la situation avec les partis.
00:47:02David Gilles l'a évoqué
00:47:04à l'instant, mais cette espèce
00:47:06d'hallucination collective
00:47:08que voudrait imposer le NFP,
00:47:10que parce qu'il est arrivé
00:47:12en tête d'une courte tête,
00:47:14mais en tête, il est légitime
00:47:16à quasiment
00:47:18autonomer un premier ministre.
00:47:20Moi je disais tout à l'heure que la logique
00:47:22eût été que
00:47:24Emmanuel Macron nomme Lucie Castex
00:47:26pour lever l'hypothèque, mais je pense
00:47:28qu'en effet elle n'aurait pas tenu beaucoup.
00:47:30Sauf à aller chercher des coalitions
00:47:32et dans ce cas-là, on revient. Mais là pour l'instant, ils ne sont pas dans cette logique-là.
00:47:34En effet,
00:47:36je pense que
00:47:38nous sommes désormais devant un problème,
00:47:40c'est que nous n'avons pas la culture.
00:47:42Cela dit, en Allemagne, ils mettent plusieurs
00:47:44mois parfois à former une coalition.
00:47:46Il y a des émissaires, il y a des gens
00:47:48dont c'est un petit peu
00:47:50la mission jusqu'à
00:47:52ce que la coalition soit formée,
00:47:54qui font les
00:47:56intermédiaires
00:47:58entre les différents partis pour voir
00:48:00si on est capable ou pas de
00:48:02topper.
00:48:04Depuis la cinquième,
00:48:06ce n'est pas notre culture, c'est évident.
00:48:08Je pense qu'aujourd'hui,
00:48:10encore plus avec désormais la proximité
00:48:12de 2027 et le fait
00:48:14que c'est quand même une maladie,
00:48:16offre en France le nombre de personnes qui pensent pouvoir être
00:48:18président de la République. Il faudrait presque
00:48:20leur créer
00:48:22un comité de cellules
00:48:24psychologiques.
00:48:26Ils sont tellement
00:48:28nombreux à espérer
00:48:30que ce soit leur tour dans deux ans
00:48:32qu'il y en a très peu qui voudront être
00:48:34compromis
00:48:36par le compromis.
00:48:38C'est exactement ça.
00:48:40Mais la culture politique,
00:48:42elle peut aussi émerger. Par exemple, la cohabitation.
00:48:44Le mot même n'existe pas
00:48:46avant le début des années 1980.
00:48:48C'est la chose qui va faire que tout à coup,
00:48:50on va se dire, tiens, on peut cohabiter.
00:48:52Jean-Claude Monod, cette idée-là d'une culture politique
00:48:54qui peut se transformer,
00:48:56vous y croyez ou vous pensez que
00:48:58on est à ce point enraciné dans notre esprit
00:49:00par le fait majoritaire, par le général de Gaulle,
00:49:02qu'on n'y arrivera jamais ?
00:49:04Oui, c'est possible qu'on soit un peu hanté
00:49:06par le charisme fondateur
00:49:08de la Vème République, c'est-à-dire celui du général de Gaulle
00:49:10qui
00:49:12a pesé
00:49:14et qui pèse encore qu'une sorte de surmoi
00:49:16sur la vie politique française.
00:49:18Mais ce qui est amusant, je trouve,
00:49:20c'est que si on voit les choses historiquement
00:49:22à plus long terme,
00:49:24les trois premiers titulaires
00:49:26de la fonction de Président de la République
00:49:28ont démissionné, ce qui est amusant
00:49:30pour toute la Troisième République.
00:49:32Donc, c'était pas quelque chose...
00:49:34On peut penser que c'est une période de rodage
00:49:36que Thiers, Macmarron,
00:49:38Jules Grévy ont fait les frais
00:49:40d'une période un peu
00:49:42où il fallait définir justement les prérogatives
00:49:44mais c'était souvent un des enjeux d'ailleurs.
00:49:46C'était de définir les prérogatives du Président
00:49:48et du législatif.
00:49:50C'est quand même un épisode
00:49:52qui s'est répété, j'ai vu aussi il y a 100 ans
00:49:54avec Millerand, que ça s'est produit
00:49:56et à ce moment-là, le cartel
00:49:58Les Gauches, là aussi il y avait une analogie
00:50:00assez forte puisqu'il y avait une victoire de
00:50:02gauche et un Président qui était
00:50:04accusé d'être trop personnel
00:50:06et...
00:50:08Pendant une année olympique !
00:50:10Et donc, Edouard Herriot
00:50:12et Blum avaient exigé
00:50:14je cite leur motion, parce que c'est assez
00:50:16frappant, un gouvernement constitué conformément
00:50:18à la volonté souveraine du peuple.
00:50:20Le gouvernement doit être constitué
00:50:22conformément à la volonté souveraine du peuple
00:50:24et pas juste du souverain.
00:50:26Et donc, il y a cet affrontement qui était...
00:50:28Alors évidemment, sous la cinquième, on a complètement
00:50:30changé de vision, ça s'est
00:50:32sans doute construit en partie contre
00:50:34l'instabilité gouvernementale
00:50:36et je pense aussi
00:50:38que dans la conjoncture actuelle, une démission
00:50:40serait assez catastrophique et ajouterait
00:50:42la crise à la crise,
00:50:44puisque le problème de la formation du gouvernement
00:50:46ça ne débloquerait
00:50:48pas les choses pour un nouveau gouvernement.
00:50:50Mais en tout cas,
00:50:52ça montre une chose, c'est qu'effectivement
00:50:54les mœurs politiques
00:50:56évoluent énormément.
00:50:58Et je pense que les mœurs de la cinquième peuvent
00:51:00évoluer et qu'effectivement, là je serais d'accord
00:51:02avec David Hayes, la Constitution
00:51:04a quand même une plasticité
00:51:06qu'on méconnaît.
00:51:08L'hyperconcentration du pouvoir présidentiel
00:51:10est un fait
00:51:12qui n'est pas vraiment fondé
00:51:14dans le marbre de la Constitution.
00:51:16C'est la pratique qui a produit
00:51:18cette interprétation
00:51:20de la présidence et cette subordination
00:51:22quand même assez forte du Premier ministre.
00:51:24Donc tout ça, je pense, peut bouger.
00:51:26Évidemment,
00:51:28la situation des forces politiques
00:51:30actuelles fait que
00:51:32ce bouger se produit dans un
00:51:34moment très compliqué.
00:51:36Natacha ?
00:51:38Je pense qu'en effet, la cinquième république
00:51:40est une constitution intéressante.
00:51:42Le problème, c'est qu'elle a été entièrement
00:51:44trafiquée de façon à en détruire
00:51:46les équilibres et les contre-pouvoirs.
00:51:48C'est ça qui pose problème.
00:51:50Vous avez prononcé le terme, à mon avis, essentiel.
00:51:52Qu'est-ce que c'est qu'un gouvernement
00:51:54qui est conforme
00:51:56à la volonté du peuple ?
00:51:58Le drame de la cinquième république,
00:52:00c'est qu'elle est devenue au fil des ans
00:52:02un instrument pour contourner
00:52:04la volonté du peuple et pour maintenir
00:52:06des politiques minoritaires
00:52:08et des pouvoirs considérés comme
00:52:10de moins en moins légitimes.
00:52:12Et c'est là qu'on retrouve l'espèce de tension
00:52:14entre cette idée d'un esprit et d'une lettre
00:52:16de la constitution.
00:52:18C'est qu'en effet,
00:52:20dans la pensée de De Gaulle,
00:52:22il était inimaginable
00:52:24qu'un gouvernant,
00:52:26qu'un président de la république
00:52:28se maintienne pour aller contre
00:52:30la volonté du peuple. C'est pour ça que
00:52:32l'épisode de la réforme des retraites a été
00:52:34un marqueur politique
00:52:36extrêmement important.
00:52:38Et l'autre question,
00:52:40c'est celle du rôle
00:52:42d'une coalition.
00:52:44Le risque d'une coalition.
00:52:46Bien sûr qu'il faut une culture de la coalition
00:52:48et qu'on peut regretter qu'Emmanuel Macron
00:52:50ait eu une pratique où finalement,
00:52:52on ne tenait aucun compte
00:52:54des oppositions, même
00:52:56on les écrasait et on les ignorait.
00:52:58En revanche, si les coalitions
00:53:00servent à maintenir en permanence
00:53:02la même politique,
00:53:04alors même que le message des urnes, c'est tout de même
00:53:06qu'il y a une demande de changement,
00:53:08le problème c'est que les français ne veulent pas tous le même changement
00:53:10et qu'il y a des contradictions
00:53:12majeures. Mais pour autant,
00:53:14ce qui ressort, c'est un
00:53:16refus des politiques qui sont menées
00:53:18actuellement. Donc tant qu'on
00:53:20utilisera les coalitions pour en fait
00:53:22refaire la même,
00:53:24strictement la même politique,
00:53:26les français ne seront pas tout à fait adeptes
00:53:28des coalitions. Et sur la question de la culture politique,
00:53:30un mot là-dessus peut-être, est-ce que vous
00:53:32considérez, vous, rapidement, avant le
00:53:34journal de 13h, que c'est
00:53:36une des principales
00:53:38difficultés auxquelles on se heurte
00:53:40aujourd'hui ? La culture politique des partis
00:53:42en France. Je crois que le
00:53:44problème de notre culture politique,
00:53:46c'est plutôt notre inculture politique,
00:53:48c'est-à-dire que depuis très longtemps, les partis
00:53:50politiques en France ont pris l'habitude
00:53:52d'évacuer les sujets de fond, les sujets
00:53:54essentiels, en particulier ceux qui font problème.
00:53:56C'est-à-dire la nature du système
00:53:58économique, le rapport à la globalisation,
00:54:00le rapport à l'Union Européenne
00:54:02et tout cela
00:54:04aboutit à ce qu'on ne dise pas
00:54:06clairement quelles sont les positions des
00:54:08uns et des autres. Donc, il ne peut pas
00:54:10y avoir de débat politique
00:54:12juste et sincère et on se
00:54:14retrouve en effet avec des guerres d'appareil et avec
00:54:16une façon d'éviter l'ensemble
00:54:18des problèmes. Allez, après le journal de 13h,
00:54:20on va se poser deux questions.
00:54:22A qui profite la confusion actuelle ?
00:54:24Parce qu'elle doit profiter aux uns et aux autres,
00:54:26en tout cas à ceux qui espèrent
00:54:28peut-être en tirer profit, qu'ils soient
00:54:30au pouvoir, qu'ils soient dans l'opposition ou dans
00:54:32les extrêmes, c'est ce qu'on entend de plus en plus.
00:54:34Et quels sont les risques que cette situation
00:54:36fait peser sur notre démocratie,
00:54:38sur nous, les citoyens, sur notre économie ?
00:54:40Aussi, c'est des questions fondamentales
00:54:42qu'on évoquera tout à l'heure parce que
00:54:44le Grand Face-à-Face aujourd'hui est
00:54:46XXL, il est en direct jusqu'à 14h.
00:54:48Le Grand Face-à-Face XXL
00:54:52Thomas Négaroff sur France Inter.
00:54:54Un Grand Face-à-Face
00:54:56en effet XXL jusqu'à 14h
00:54:58en direct consacré à ce moment de grande
00:55:00confusion démocratique dans lequel
00:55:02se trouve notre pays. Et pour essayer de donner un peu de sens
00:55:04à tout cela, nous sommes toujours avec les séistes
00:55:06David Jays, le philosophe Jean-Claude Monod, la journaliste
00:55:08Anne-Rose Ancher, le directeur général de Terra Nova
00:55:10Thierry Pech et, bien sûr,
00:55:12Gilles et Natacha. D'ailleurs Gilles, je me tourne
00:55:14vers vous avant la pause et avant le journal de 13h.
00:55:16On évoquait la culture politique, vous m'avez dit « Je veux revenir là-dessus ! »
00:55:18avant de se demander à qui
00:55:20profite la confusion. Donc c'est votre moment, Gilles.
00:55:22Pourquoi
00:55:24on en est là ? On a évoqué
00:55:26un problème institutionnel, un problème culturel
00:55:28je vais y revenir. Il y a aussi un problème politique
00:55:30c'est que si on regarde froidement les choses
00:55:32personne n'a intérêt
00:55:34au compromis.
00:55:36Personne n'a intérêt au compromis parce que
00:55:38le pouvoir
00:55:40Emmanuel Macron et le macronisme
00:55:42sont considérés à tort ou à raison
00:55:44et sans doute à raison comme radioactifs
00:55:46il ne faut pas trop s'en approcher
00:55:48et parce que tout le monde anticipe que
00:55:50peut-être en 2025
00:55:52il y aura de nouvelles élections législatives
00:55:54qu'en tout état de cause il y a des élections municipales
00:55:56en 2026 et donc
00:55:58rien de tout ça ne va vers le compromis.
00:56:00A cela s'ajoute
00:56:02le problème culturel
00:56:04on est dans une situation qui dans la plupart
00:56:06des autres pays européens aurait
00:56:08fini ou finirait par se résoudre de plus en plus
00:56:10difficilement. Il faut le dire quand même
00:56:12mais finirait par se résoudre et qui
00:56:14chez nous semble insoluble.
00:56:16Il y a des causes
00:56:18lointaines
00:56:20la révolution
00:56:22avec l'idée de rupture, la cinquième république
00:56:24qui à la fois par l'élection
00:56:26du président de la république au suffrage universel
00:56:28direct et le mode de scrutin majoritaire
00:56:30fait que le compromis
00:56:32était quelque chose d'inutile mais je trouve
00:56:34que nous avons beaucoup régressé
00:56:36dans les dix dernières années.
00:56:38On a beaucoup régressé
00:56:40par la combinaison d'un certain nombre d'éléments
00:56:42on va dire pour les caractériser
00:56:44le mélenchonisme c'est-à-dire
00:56:46la conflictualisation comme stratégie
00:56:48politique.
00:56:50Le macronisme avec une hyper
00:56:52concentration des pouvoirs et donc
00:56:54laquelle on ne concède
00:56:56rien aux autres et même comme
00:56:58l'idée que
00:57:00le macronisme se fait non pas par
00:57:02coalition mais par dissolution
00:57:04des identités c'est-à-dire que
00:57:06on ne dépasse pas
00:57:08mais on efface et donc
00:57:10tout ça ne va pas
00:57:12dans le sens du compromis. J'ajoute un dernier mot
00:57:14dans la société. Il y a une formule qui
00:57:16revient toujours, qui revient dans les mouvements
00:57:18sociaux, qui revient dans la politique
00:57:20qui revient là dans
00:57:22l'IGO, c'est
00:57:24on ne lâche rien.
00:57:26On ne lâche rien, ça témoigne à la fois
00:57:28d'une manière positive, une détermination
00:57:30mais aussi une obstination
00:57:32et donc c'est comment on fait pour
00:57:34dépasser tout ça et ça renvoie peut-être
00:57:36à la question du mode de scrutin qu'évoquait
00:57:38Thierry tout à l'heure, c'est
00:57:40est-ce qu'il faut un mode de scrutin ou est-ce que
00:57:42ça suffit et combien de temps ça met
00:57:44pour changer
00:57:46cette culture politique ? Alors à qui profite
00:57:48cette confusion ? Vous avez commencé à évoquer peut-être
00:57:50en tout cas des gens qui peuvent en profiter
00:57:52politiquement mais vous avez parlé
00:57:54à la fin de la société et je me tourne vers Jean-Claude
00:57:56Monod quand on a écrit un livre qui s'appelle
00:57:58L'art de ne pas être trop gouverné.
00:58:00Est-ce que finalement c'est pas
00:58:02nous qui en profitons
00:58:04le plus de la confusion
00:58:06sous-entendu que finalement c'est pas
00:58:08si mal de ne pas avoir de gouvernement, c'est pas si mal
00:58:10de ne pas être gouverné, c'est pas si mal de ne pas avoir
00:58:12de personnel politique ?
00:58:14On peut poser la question en tout cas.
00:58:16Il est légitime de poser
00:58:18la question, surtout si on a le sentiment
00:58:20que le gouvernement ne gouverne pas en faveur
00:58:22disons du bien commun
00:58:24de la majorité de la population.
00:58:26Si on a un sentiment un peu de dérive
00:58:28oligarchique, si on a un sentiment que le
00:58:30gouvernement gouverne
00:58:32trop en faveur des trop favorisés,
00:58:34des plus favorisés. Mais
00:58:36c'est une question qui s'est posée sérieusement
00:58:38d'ailleurs dans la philosophie politique, dans la théorie
00:58:40politique, bon depuis longtemps mais au
00:58:4220ème siècle en particulier, il était de cette question
00:58:44de savoir si au fond on ne pouvait pas aller vers une sorte
00:58:46de vacances, de suspens
00:58:48du gouvernement et
00:58:50vers des formes
00:58:52de sociétés
00:58:54construites
00:58:56au fond sur un mode plus
00:58:58libre, plus autonome.
00:59:00Alors ça a donné lieu
00:59:02même aux zones autonomes.
00:59:04Les zones autonomes c'est une façon de construire
00:59:06une société qui est en un sens à l'écart
00:59:08du gouvernement
00:59:10central, qui a d'autres
00:59:12façons d'organiser sa
00:59:14vie économique.
00:59:16Je vous laisse boire mais c'était un peu les fan zones
00:59:18pendant les Jeux Olympiques, ces zones autonomes.
00:59:20Si on veut, de toute façon on peut considérer qu'il y a des
00:59:22sortes d'hétérotopies
00:59:24comme disait Michel Foucault, c'est-à-dire
00:59:26des endroits dans la société où tout à coup
00:59:28tout fonctionne différemment, sur
00:59:30un mode non marchand, sur un mode
00:59:32non hiérarchique. Bon,
00:59:34peut-être pendant effectivement qu'on se promenait
00:59:36dans les squares de
00:59:38spectateurs des Jeux Olympiques, il y avait
00:59:40cette impression d'une parenthèse, un peu,
00:59:42d'une sorte de suspens, aussi
00:59:44qui est un suspens un peu illusoire
00:59:46parce que très éphémère, mais de certaines
00:59:48relations de domination. Et ça c'est un thème
00:59:50important quand même aussi de cette réflexion
00:59:52politique. Parfois on dit se
00:59:54rendre ingouvernable ou se rendre un peu moins
00:59:56gouvernable,
00:59:58définir des zones
01:00:00de rétivité, des formes
01:00:02de résistance à ce qui
01:00:04serait des intrusions excessives du
01:00:06gouvernement dans nos vies.
01:00:08Tout ça, je pense que ce sont des questions qui
01:00:10restent ouvertes et qui caractérisent
01:00:12ce moment. Alors c'est Foucault encore
01:00:14qui, à la fin des années 70, parle d'une
01:00:16crise de gouvernementalité
01:00:18en un sens plus large en fait que le
01:00:20simple gouvernement. Parce que la gouvernementalité c'est
01:00:22l'ensemble des façons dont les gens
01:00:24conduisent leur conduite ou sont conduits par les
01:00:26autres. Et on voit que tous ces rapports
01:00:28hiérarchiques,
01:00:30tous ces rapports qui impliquent
01:00:32une prise
01:00:34de l'un sur l'autre, sont
01:00:36aujourd'hui un peu en crise. Et peuvent
01:00:38être redéfinis à partir d'une certaine
01:00:40exigence de ne pas être trop
01:00:42gouverné ou...
01:00:44Parfois Foucault disait même de ne pas être
01:00:46gouverné du tout, mais là moi je n'irais pas jusque là.
01:00:48Et on voit effectivement tous les problèmes qui resteraient
01:00:50pendants et normes du climat,
01:00:52à la sécurité,
01:00:54à tout ce qu'on veut s'il n'y avait pas du tout de gouvernement.
01:00:56Mais en tout cas, entendre un peu cette exigence,
01:00:58entendre aussi le fait
01:01:00que les citoyens sont de plus en plus
01:01:02d'impression qu'ils peuvent gérer beaucoup de choses par
01:01:04eux-mêmes, je pense que c'est assez important
01:01:06dans la période actuelle.
01:01:08Thierry Pêche, comment vous entendez ça, et je rappelle
01:01:10votre rôle important dans la convention
01:01:12citoyenne pour le climat,
01:01:14des réflexions quand même d'une forme de démocratie
01:01:16plus directe, avec peut-être un peu
01:01:18moins, c'est le mot que vous n'avez pas employé,
01:01:20mais d'autorité dans la question de la
01:01:22gouvernementabilité. Comment vous entendez ça vous ?
01:01:24Est-ce qu'on profiterait aussi de ce
01:01:26moment-là pour se dire, enfin un peu de souffle ?
01:01:28Pardon,
01:01:30je vais un peu casser l'ambiance,
01:01:32si vous permettez. L'ambiance anarchiste
01:01:34qui s'était... Et puis j'essaierai
01:01:36de réenchanter un peu
01:01:38à la fin pour vous consoler tous.
01:01:40Merci, on a envie d'écouter en tout cas.
01:01:42Qu'on ait tous eu besoin que la politique nous donne des
01:01:44vacances, c'est une évidence.
01:01:46Après l'overdose
01:01:48du printemps dernier,
01:01:50les européennes, puis la
01:01:52dissolution, les tensions, les peurs,
01:01:54tout le monde avait besoin
01:01:56de se reposer
01:01:58et de regarder ailleurs.
01:02:00Mais la réalité nous rattrape
01:02:02très très vite.
01:02:04Il va falloir fabriquer un budget.
01:02:06Le 1er mardi d'octobre, il faudra qu'il soit
01:02:08sur le bureau du Parlement, et le 1er janvier
01:02:10il faudra qu'il puisse être
01:02:12impliqué, sinon quoi ?
01:02:14On peut se raconter ce qu'est un monde sans
01:02:16gouvernement de ce point de vue-là. Eh bien c'est un monde
01:02:18où on n'ouvre pas de crédit, où on ne lève pas d'impôts,
01:02:20ça c'est super, pensent les uns et les autres,
01:02:22mais où on finit par fermer les écoles,
01:02:24on n'emprunte pas sur les marchés financiers,
01:02:26la machine ne peut pas fonctionner.
01:02:28C'est aussi simple que ça. Mais je pense qu'il y a une question
01:02:30plus intéressante là-dessous.
01:02:32Et donc on a besoin d'un gouvernement.
01:02:34Et d'ailleurs, si on n'en a pas,
01:02:36on se laisse gouverner par des tas
01:02:38d'autres forces. Et donc c'est une façon
01:02:40d'abdiquer devant la réalité,
01:02:42qui n'est évidemment pas la mission
01:02:44de la politique. Mais je crois qu'il y a
01:02:46quelque chose qu'il faut qu'on réfléchisse ensemble.
01:02:48C'est quoi une relation de gouvernement ?
01:02:50Et en quoi, plus exactement, on peut
01:02:52considérer
01:02:54la relation entre gouvernés et gouvernants
01:02:56comme une relation, justement.
01:02:58Et pas simplement comme un exercice de domination.
01:03:00Il y a eu de multiples réponses dans le passé,
01:03:02dans la théorie politique et dans les expériences
01:03:04qu'on a pu faire à cette question.
01:03:06D'une certaine façon, le libéralisme a été
01:03:08au XVIIIe siècle une réponse qui était le refus
01:03:10de l'institution de l'autorité par la domination.
01:03:12Y compris aussi le socialisme
01:03:14utopique du XIXe siècle. Le socialisme utopique,
01:03:16etc. Donc on a eu toutes ces réponses.
01:03:18Je pense qu'on peut réfléchir à nouveau
01:03:20à cette question de façon plus
01:03:22calme. Je pense que
01:03:24les Français acceptent l'idée d'être
01:03:26gouvernés, acceptent l'idée de devoir
01:03:28l'être, mais n'acceptent pas
01:03:30que cette relation soit de l'ordre de la domination.
01:03:32Ils ne veulent pas du jupitérisme.
01:03:34Ils ne veulent pas du gouvernement vertical.
01:03:36Et ce qu'on a pu expérimenter, à la fois
01:03:38David, je ne parle pas pour lui, il pourra
01:03:40me contester si je me trompe, mais dans
01:03:42le Conseil national de la refondation, ou ce que j'ai pu
01:03:44expérimenter moi-même dans le sein de la convention
01:03:46citoyenne pour le climat, c'est pas
01:03:48du tout l'exercice
01:03:50de la démocratie par la décision
01:03:52collective, verticale, au terme
01:03:54d'un vote. C'est au contraire l'exercice
01:03:56démocratique par l'approfondissement
01:03:58de la délibération, la
01:04:00construction du consensus
01:04:02collectif sur un certain nombre de questions.
01:04:04Cet exercice-là,
01:04:06cette petite
01:04:08parcelle de gouvernement,
01:04:10c'est une parcelle qui n'a rien à voir
01:04:12avec la domination ou avec l'imposition
01:04:14d'une opinion
01:04:16à des gens qui doivent la subir.
01:04:18C'est au contraire la construction de quelque chose
01:04:20ensemble. Et je crois que c'est ça qui
01:04:22nous fait le plus défaut aujourd'hui.
01:04:24Ça ne sert à rien de dire demain
01:04:26on va clarifier les choses avec une nouvelle élection.
01:04:28On va rajouter des problèmes au problème et puis finalement
01:04:30on risque d'arriver à peu près à la même situation.
01:04:32En revanche, ce qui nous manque
01:04:34le plus, c'est
01:04:36des procédures de délibération,
01:04:38des mécanismes pour
01:04:40construire un minimum de
01:04:42compromis, une entente minimale.
01:04:44C'est de se parler
01:04:46que nous manquons le plus.
01:04:48Est-ce que vous inscrivez
01:04:50par conséquent, Thierry Pêche, la phase
01:04:52que l'on vit dans une
01:04:54phase qui se serait ouverte avec les gilets jaunes par exemple ?
01:04:56Est-ce que, pour vous, on est dans la même séquence
01:04:58que les historiens de demain, ils regarderont
01:05:00la période en disant peut-être qu'on n'a pas compris
01:05:02suffisamment à ce moment-là ce qui est en train de se dire
01:05:04dans notre démocratie ?
01:05:06Je ne dirais pas ça. Je dirais
01:05:08plutôt que ce qu'on vit c'est un
01:05:10assèchement des enceintes
01:05:12et des procédures de la délibération collective.
01:05:14La démocratie, ce n'est pas
01:05:16le vote, ce n'est pas compter les voix,
01:05:18ce sont des façons d'arbitrer
01:05:20des choix, c'est nécessaire, mais c'est
01:05:22d'abord délibérer ensemble
01:05:24pour prendre des décisions informées
01:05:26et se gouverner collectivement.
01:05:28Je crois qu'on n'y arrive plus très bien.
01:05:30Anne Rozanchard, quand on a écrit sur le chagrin français, est-ce que c'est
01:05:32un moyen de sortir de ce
01:05:34chagrin que de penser différemment
01:05:36la manière dont nous serions gouvernés ?
01:05:38Ce qui est sûr, c'est que
01:05:40je pense que personne n'avait
01:05:42vraiment mesuré
01:05:44quand le monde
01:05:46s'est transformé avec la mondialisation
01:05:48les effets
01:05:50que cette mondialisation aurait
01:05:52dans à peu près toutes les sociétés
01:05:54occidentales. C'est-à-dire que nous, on a
01:05:56nos folklores et notre façon d'avoir
01:05:58des crises, etc., mais ce que nous
01:06:00vivons, la plupart des
01:06:02sociétés occidentales le vivent
01:06:04pour plein de raisons. On pourrait
01:06:06revenir sur la désinstabilisation qui a
01:06:08amené un aménagement du territoire
01:06:10avec les métropoles
01:06:12et la France
01:06:14périphérique ou rurale, appelons-la comme on veut,
01:06:16avec
01:06:18parfois cette
01:06:20idée qu'il y aurait une logique
01:06:22supérieure qui
01:06:24presque aurait pris le dessus sur
01:06:26la voie populaire.
01:06:28Et ça, pour moi, si on doit peut-être
01:06:30dater la crise
01:06:32démocratique ou de
01:06:34représentation qu'on vit, je remonterais
01:06:36plutôt au référendum de 2005,
01:06:38parce que, clairement, il y avait eu
01:06:40un scrutin
01:06:42populaire qui n'a pas eu d'effet
01:06:44parce que, visiblement,
01:06:46le peuple avait mal voté.
01:06:48Je pense qu'on a basculé
01:06:50dans une espèce de chagrin, oui, à ce moment-là.
01:06:52Cela dit, ça n'est
01:06:54pas souhaitable de ne pas
01:06:56être gouverné. Le seul problème, c'est que
01:06:58cette crise-là, elle est
01:07:00multiforme, elle est
01:07:02sur, en effet, des
01:07:04questions d'éthos, des questions de
01:07:06est-ce que le gouvernement, parfois, ne fait pas plus de mal pour parler
01:07:08un petit peu, parfois, avec des gens dans l'éducation nationale.
01:07:10On a le sentiment que, depuis
01:07:1220 ans, les réformes se sont
01:07:14accumulées, accumulées, chaque
01:07:16ministre voulant sa réforme.
01:07:18Et qu'à chaque fois, ça
01:07:20empirait les choses.
01:07:22Et on ne peut pas dire que... Et, objectivement, c'est vrai.
01:07:24On n'a vu aucune
01:07:26amélioration depuis.
01:07:28Donc, c'est un vrai...
01:07:30Je pense que les sociétés occidentales
01:07:32et pas que la France,
01:07:34il y a, désormais, en effet,
01:07:36un défi majeur
01:07:38qui est de revenir à la notion de démocratie,
01:07:40que les partis réfléchissent
01:07:42à ce que c'est
01:07:44l'opinion majoritaire, que l'aspiration majoritaire,
01:07:46que le diagnostic majoritaire
01:07:48sur tout un tas de sujets
01:07:50qu'ils passent leur temps à fuir. Là-dessus, je rejoins
01:07:52Natacha Polony.
01:07:54Et pas dans une logique de clientélisme
01:07:56électoral, à laquelle on assiste
01:07:58depuis 10 ans, qui consiste
01:08:00à essayer de mobiliser
01:08:0220%,
01:08:04en se disant que c'est ce qu'il faut pour arriver
01:08:06dans un second tour qui, face au Rassemblement
01:08:08national, nous permet d'accéder au pouvoir.
01:08:10Cette logique-là, elle est en train
01:08:12de nous mener dans un mur
01:08:14terrible. Et je finirai là-dessus.
01:08:16Le danger qu'il y a à cela,
01:08:18c'est que je pense, moi, que
01:08:20depuis 15 ans, le seul parti
01:08:22qui réfléchit à chaque fois à essayer de prendre
01:08:24une position, qui d'ailleurs a changé
01:08:26de position du jour au lendemain,
01:08:28une position qui soit majoritaire
01:08:30dans le pays, c'est le Rassemblement national.
01:08:32C'est quand même un sacré monopole
01:08:34à lui laisser. On va y revenir, mais Jean-Claude
01:08:36Menon, on dit parfois que la période que l'on vit est une parenthèse.
01:08:38À écouter les uns et les autres, on a plutôt
01:08:40l'impression que c'est l'aboutissement
01:08:42d'un long phénomène. Est-ce que vous,
01:08:44le philosophe des idées politiques, de la science politique,
01:08:46est-ce que vous avez le sentiment qu'on est là
01:08:48dans l'inscription d'un
01:08:50symptôme sur un phénomène très profond
01:08:52et plus ancien, qui touche à la question de
01:08:54comment on est gouverné, si on veut être gouverné, comment
01:08:56la démocratie, etc.?
01:08:58Moi, j'aurais tendance à penser qu'on
01:09:00vit un peu la fin d'un cycle néolibéral,
01:09:02c'est-à-dire la fin d'un moment
01:09:04où la politique a été quand même extrêmement
01:09:06déterminée par un agenda
01:09:08économique et par
01:09:10une refonte des institutions
01:09:12sur le modèle du
01:09:14new public management, qui a quand même produit
01:09:16beaucoup de détresse,
01:09:18il me semble, dans les services publics
01:09:20et chez les usagers des services publics.
01:09:22J'ai l'impression que ça a
01:09:24produit un certain nombre de souffrances,
01:09:26de réactions, et que
01:09:28ces réactions, parfois, ont pris une forme
01:09:30incertaine, effectivement, dans leur
01:09:32issue, c'est-à-dire,
01:09:34vous parliez des gilets jaunes, je trouve ça intéressant,
01:09:36parce que ça part,
01:09:38assez typiquement, comme ces crises de
01:09:40gouvernementalité, d'un sentiment d'abus ou d'une
01:09:42mesure abusive, parce
01:09:44qu'elle touche la vie quotidienne et elle a été mal pensée
01:09:46selon les gilets jaunes, elle a été pensée d'en haut,
01:09:48appliquée sans considération
01:09:50pour ceux à qui elle s'applique.
01:09:52Je pense que c'est une des dimensions importantes
01:09:54dans la crise actuelle, c'est-à-dire le sentiment que les choses sont
01:09:56appliquées sans une suffisante
01:09:58proximité ni considération pour les gens
01:10:00auxquels elles sont appliquées.
01:10:02Mais ça a pris une forme, on ne savait pas
01:10:04si ça allait dans un sens plutôt anarchisant
01:10:06ou démocratie directe, ou dans un sens
01:10:08plutôt autoritaire. Moi, j'ai suivi des sites
01:10:10et je voyais les deux, à vrai dire. Il y avait
01:10:12des gens, on avait l'impression qu'ils ne voulaient plus être gouvernés du tout,
01:10:14c'est ce que je veux dire, et d'autres
01:10:16qui étaient prêts plutôt à un
01:10:18confort qui allait imposer,
01:10:20à en finir avec le laxisme,
01:10:22à en finir avec tout ça.
01:10:24Et donc, il y a cette presque
01:10:26tension anarcho-autoritaire
01:10:30en ce moment. On voit que ça peut basculer.
01:10:32D'ailleurs, c'est une forme aussi dans la droite
01:10:34américaine, c'est-à-dire
01:10:36on voit que l'exaspération
01:10:38peut tourner
01:10:40au fond aussi au putsch.
01:10:42Ou bien, on va construire
01:10:44notre petite démocratie directe
01:10:46à un niveau local, mais
01:10:48c'est entre ces voies.
01:10:50J'entendais, je regardais David Jazz
01:10:52écouter avec beaucoup d'attention son ancien professeur de
01:10:54philosophie.
01:10:56Il vient d'inventer l'anarcho-bonapartiste.
01:10:58Mais un arène, t'en parles un peu
01:11:00de cette tension où ça peut
01:11:02basculer. On ne veut pas
01:11:04être gouverné comme ça, mais du coup,
01:11:06on va en appeler à une super autorité.
01:11:08Est-ce qu'on en est là, aujourd'hui,
01:11:10David Jazz, dans ce moment de confusion qu'on essaye de nommer
01:11:12depuis le début de l'émission, dans un moment
01:11:14anarcho-autoritaire, anarcho-bonapartiste ?
01:11:16Est-ce qu'on est dans ces moments d'histoire
01:11:18où on peut basculer ?
01:11:20Oui, on est dans un moment de confusion si on reste dans le
01:11:22temps court des chaînes d'info. Mais je pense qu'on est
01:11:24surtout à un moment de bascule.
01:11:26Et pour aller vers un avenir meilleur,
01:11:28il y a à la fois des questions de méthode et des questions de fond.
01:11:30Les questions de méthode, à mon avis,
01:11:32elles sont au nombre de trois.
01:11:34Et je vais de la plus simple à la plus compliquée.
01:11:36La première, c'est qu'on pourrait
01:11:38introduire dans le système français
01:11:40quelques procédures qui permettraient de mettre de l'huile
01:11:42dans les rouages. Vous voyez, en Isalie,
01:11:44par exemple, quand le président
01:11:46de la République doit choisir
01:11:48un premier ministre, il confie un mandat
01:11:50à une personnalité parce qu'il estime qu'elle a la possibilité
01:11:52de former
01:11:54un gouvernement. Et cette personnalité,
01:11:56en fait, elle n'est pas pleinement première ministre. Pendant
01:11:58une certaine durée, elle va explorer
01:12:00avec les différents groupes politiques
01:12:02la possibilité de former un gouvernement. Vous voyez, il y a
01:12:04des petites astuces comme ça, de procédures
01:12:06qui permettraient de débloquer les choses.
01:12:08De manière plus significative,
01:12:10il va falloir réfléchir à nos institutions,
01:12:12à notre mode de scrutin. Là, je suis en plein
01:12:14accord avec Thierry Pêche. La proportionnelle
01:12:16s'impose pour une raison très simple,
01:12:18c'est que dans les Trente Glorieuses, vous aviez
01:12:20deux grands partis, à peu près partout
01:12:22en Europe d'ailleurs, un parti plutôt social-démocrate,
01:12:24un parti plutôt conservateur ou libéral,
01:12:26et chacun totalisait 30 à
01:12:2840% de l'électorat, était connecté
01:12:30soit au syndicat, soit à l'église,
01:12:32ça dépendait des pays. Et au fond, il n'y avait pas de problème
01:12:34à ce que l'un et l'autre alternent au pouvoir.
01:12:36C'était la mécanique de la démocratie.
01:12:38Aujourd'hui, vous avez un émiettement
01:12:40qu'on constate partout,
01:12:42qu'on constate en Allemagne aussi, et
01:12:44vous êtes obligés de tenir compte du fait qu'il y a très peu
01:12:46de partis qui passent la barre des 20%.
01:12:48Et donc, il faut qu'on ait un mode de scrutin
01:12:50qui reflète le choix politique
01:12:52des électeurs, qu'on puisse voter en son âme
01:12:54et conscience pour un programme,
01:12:56charge ensuite aux représentants
01:12:58de négocier un contrat. Et puis, la troisième
01:13:00dimension de méthode, qui est extrêmement importante
01:13:02quand même, c'est changer de
01:13:04mœurs politiques. Vous voyez,
01:13:06cette conflictualité à tout
01:13:08sein n'est plus supportable.
01:13:10Et moi, je suis très en colère quand j'entends
01:13:12des gens me dire « mais ce n'est pas la culture française
01:13:14en France, on aime le conflit, on est... ».
01:13:16Franchement, c'est une vision assez pauvre de la culture
01:13:18française que de dire qu'on est un peuple
01:13:20d'irréductibles, césaristes,
01:13:22immatures sur le plan démocratique.
01:13:24Il y a quand même des traits de culture française
01:13:26qui sont plus intéressants que ça. Et regardez
01:13:28la Suède, avant les événements
01:13:30de 1931, c'était un pays dans lesquels
01:13:32les relations sociales,
01:13:34politiques étaient extrêmement brutales,
01:13:36extrêmement violentes. Et il y a eu ce choc de 1931
01:13:38et la Suède a fait l'apprentissage de la
01:13:40social-démocratie.
01:13:42Une grève de mineurs
01:13:44qui a été réprimée avec une
01:13:46extrême violence, il y a eu des dizaines de morts.
01:13:48Et là, il y a eu un choc psychologique dans le pays.
01:13:50Franchement, l'Allemagne, qui aujourd'hui
01:13:52est un pays décentralisé, qui consacre
01:13:54la dignité, qui est capable de
01:13:56former des coalitions, vous conviendrez
01:13:58qu'avant 1945, ce n'était pas exactement
01:14:00la tonalité générale.
01:14:02Je ne dis pas ça pour
01:14:04comparer, mais je dis juste qu'on peut évoluer
01:14:06positivement. Et donc, le sujet, c'est d'aller
01:14:08vers une République beaucoup plus contractuelle,
01:14:10c'est d'aller vers des modes de gouvernement
01:14:12qui associent beaucoup plus
01:14:14directement les citoyens.
01:14:16Et d'ailleurs, cet apprentissage, il ne se cantonne pas
01:14:18au gouvernement. Il faut aussi le faire
01:14:20à la plus petite échelle, dans les services publics,
01:14:22dans nos écoles, dans nos hôpitaux, dans nos
01:14:24communes, partout
01:14:26où les citoyens ont
01:14:28affaire à l'administration, à la
01:14:30bureaucratie, il faut qu'on développe des modes
01:14:32beaucoup plus participatifs.
01:14:34Donc, ne pas être moins gouverné, mais être mieux
01:14:36gouverné, et se gouverner aussi un peu soi-même,
01:14:38si j'ai un peu entendu ce que vous avez dit
01:14:40les uns, les autres. Juste, un mot dans vos enchères, je crois que
01:14:42sur la question de la proportionnelle, vous n'êtes pas absolument
01:14:44alignés sur les propos de David Jayes
01:14:46ou de Thierry Pech sur l'idée que la proportionnelle
01:14:48totale serait la solution,
01:14:50une des solutions à la crise démocratique.
01:14:52Je pense que
01:14:54sur les questions des modes de scrutin, il ne faut jamais
01:14:56être dogmatique. Il peut
01:14:58y avoir des modes de scrutin plus pertinents
01:15:00que d'autres, en fonction, en effet,
01:15:02des moments. D'ailleurs, quand De Gaulle a choisi
01:15:04le majoritaire
01:15:06à deux tours, il disait
01:15:08peut-être qu'un jour, ce sera plus pertinent de revenir
01:15:10à la proportionnelle, que ce soit
01:15:12aujourd'hui. Peut-être, mais
01:15:14d'abord, il faut toujours prendre en compte les défauts
01:15:16d'un mode de scrutin, et on en voit
01:15:18dans d'autres pays où la proportionnelle est à l'œuvre.
01:15:20Il y a quand même parfois
01:15:22des faiseurs de rois extrémistes
01:15:24qui peuvent
01:15:26naître, je pense par exemple au cas d'Israël en ce moment.
01:15:28Deuxièmement,
01:15:30ce que disait David
01:15:32à l'instant est très juste, c'est-à-dire qu'il dit
01:15:34qu'il faut prendre en compte le fait qu'il y a très peu de
01:15:36parties qui dépassent les 20% aujourd'hui. Oui, mais c'est
01:15:38ça le mal. C'est-à-dire qu'aujourd'hui,
01:15:40les parties
01:15:42devraient réfléchir
01:15:44à pourquoi ils sont
01:15:46bloqués à 20%, et quelle est
01:15:48la prise en compte du diagnostic majoritaire,
01:15:50je le redis, la prise en charge du diagnostic
01:15:52majoritaire, pour aller au-delà
01:15:54de cet étiage. J'ai peur qu'en parlant
01:15:56du mode de scrutin, parfois
01:15:58on change un peu de sujet, mais
01:16:00encore une fois, ce n'est pas du tout dogmatique. Ça se trouve, ça améliorerait
01:16:02les choses, mais je ne voudrais pas que ça
01:16:04soit un écran
01:16:06de fumée. D'autant qu'on a longtemps considéré
01:16:08que le mode de scrutin majoritaire permettait d'éviter
01:16:10les situations dans lesquelles on se trouve aujourd'hui.
01:16:12Thierry Pêche. Oui, mais justement, il ne l'évite
01:16:14plus, il ne la produit, donc
01:16:16il ne produit plus les effets qui étaient
01:16:18attendus de lui. En revanche, on a
01:16:20tous les inconvénients du scrutin majoritaire
01:16:22à deux tours. Mais un point sur ce qu'a dit
01:16:24le ministre des Aux enchères, bien sûr,
01:16:26le mode de scrutin n'est pas
01:16:28une baguette magique et tous les modes de scrutin
01:16:30ont des défauts.
01:16:32Ceux que vous pointez ne sont pas les pires, et ils sont
01:16:34évitables. Je veux juste rappeler que
01:16:36sur 27 pays aujourd'hui dans l'Union Européenne,
01:16:38il y en a 26 qui ont
01:16:40des élections législatives à un scrutin
01:16:42à dominante proportionnelle, sinon intégralement
01:16:44proportionnel. Et on n'a pas observé que c'était
01:16:46la guerre civile partout dans l'Union Européenne.
01:16:48Et enfin, en effet, les petits partis
01:16:50peuvent y jouer un rôle, mais on peut aussi
01:16:52gérer cette question par un seuil
01:16:54de qualification. Si on dit
01:16:56aujourd'hui qu'en dessous de 5%,
01:16:58vous ne pouvez pas prétendre à obtenir des sièges,
01:17:00on va éliminer beaucoup de petites formations.
01:17:02— Natacha,
01:17:04vous vouliez prendre la parole. Et une question, peut-être
01:17:06que vous n'allez pas y répondre, mais on est dans
01:17:08l'arithmétique ici, et
01:17:10c'est étrange, je trouve, le débat, parce qu'on part
01:17:12de problématiques très complexes
01:17:14sur la question de la démocratie, être gouverné, et puis on en
01:17:16finit à des choses presque arithmétiques. Est-ce que c'est ça
01:17:18aussi la politique, finalement ? C'est l'articulation des
01:17:20deux, des méthodes et des finalités.
01:17:22— C'est l'articulation des deux pour
01:17:24une raison... Enfin, j'en veux...
01:17:26Je vous en fournirai une preuve.
01:17:28C'est que dans votre arithmétique, il manque quelque chose
01:17:30étonnamment. C'est qu'il y a un parti, hélas, qui fait
01:17:32plus de 20%. Enfin, c'est-à-dire que
01:17:34nous avons un problème
01:17:36en France, qui est que le Rassemblement
01:17:38national, là, aux dernières élections
01:17:40législatives, a totalisé 37%
01:17:42des suffrages. Et que
01:17:44il est, en fait,
01:17:46mis de côté de telle sorte
01:17:48que vous n'avez plus d'un tiers
01:17:50du corps électoral qui est
01:17:52gelé. Je veux dire,
01:17:54il y a évidemment une crise beaucoup
01:17:56plus large de l'ensemble
01:17:58des pays occidentaux.
01:18:00C'est une évidence. Je pense, en effet,
01:18:02que la question du
01:18:04cycle néolibéral est à
01:18:06mettre au cœur des réflexions.
01:18:08C'est-à-dire qu'il y a eu
01:18:10plus de 40 ans
01:18:12de destruction
01:18:14progressive de tous les instruments
01:18:16démocratiques qui permettaient
01:18:18de faire valoir
01:18:20les demandes de protection sociale.
01:18:22Tout ça a été contourné pour
01:18:24mettre en place un système économique
01:18:26de dérégulation, de division mondiale
01:18:28du travail. Et on a l'impression que les partis
01:18:30politiques ne le voient pas. C'est-à-dire
01:18:32que, par exemple, penser le keynésianisme
01:18:34comme si les conditions
01:18:36étaient les mêmes,
01:18:38c'est-à-dire qu'en augmentant la demande, on n'allait pas
01:18:40simplement se contenter d'enrichir des
01:18:42multinationales et d'enrichir Michel-Édouard Leclerc.
01:18:44C'est un truc que je n'arrive pas à comprendre.
01:18:46Mais si je reviens sur ces 37%
01:18:48de l'électorat qui est gelé, ce que vous appelez gelé.
01:18:50La traduction politique
01:18:52en France, c'est
01:18:54un mécontentement croissant,
01:18:56une aspiration au changement qui
01:18:58se manifeste de différentes manières.
01:19:00On a quand même, rappelons-le, 50% de
01:19:02d'abstention. Et
01:19:04dans les votes exprimés,
01:19:06il y a cette question de ce qu'on fait
01:19:08du Rassemblement National, parce que dans le
01:19:10blocage des institutions, c'est quand même
01:19:12une des dimensions, me semble-t-il,
01:19:14très importantes. C'est-à-dire qu'on ne voit pas
01:19:16bien que ce soit des coalitions, que ce soit
01:19:18un scrutin majoritaire. De toute façon,
01:19:20si vous avez plus
01:19:22d'un tiers des électeurs
01:19:24qu'on met de côté, avec derrière
01:19:26une rhétorique, même
01:19:28médiatique, qui consiste
01:19:30à instrumentaliser ça.
01:19:32Par exemple, quand un sujet déplait,
01:19:34c'est vous faites le jeu du Rassemblement National
01:19:36ou vous reprenez le discours
01:19:38du Rassemblement National. Je l'ai vu
01:19:40du 200... C'est de moins en moins le cas.
01:19:42Mais ça a été le cas pendant
01:19:4420 ans. C'est-à-dire que moi, quand il y a
01:19:4620 ans, j'essayais, par exemple,
01:19:48de débattre des questions d'éducation
01:19:50et de la baisse du niveau,
01:19:52du coup de la destruction
01:19:54de l'ascenseur social...
01:19:56Voilà, j'ai été
01:19:58renvoyée systématiquement
01:20:00à l'extrême droite.
01:20:02Donc, vous voyez que ça a des conséquences
01:20:04énormes sur l'ensemble du débat public.
01:20:06Et je pense que c'est l'éléphant au milieu de la pièce.
01:20:08Justement, les conséquences. J'aimerais qu'on s'y arrête
01:20:10pour terminer l'émission. Quels sont
01:20:12les risques que cette situation fait peser sur notre démocratie ?
01:20:14Et, en préparant l'émission,
01:20:16j'ai lu, comme beaucoup de
01:20:18lecteurs du Monde, cette grande enquête
01:20:20publiée il y a quelques jours, Gilles.
01:20:22Une enquête menée par Ipsos, on en a parlé un peu depuis le début
01:20:24de l'émission, pour le Monde, le Cevipof,
01:20:26l'Institut Montaigne et votre fondation
01:20:28Jean Jaurès. Est-ce que vous pouvez nous
01:20:30donner quelques informations à retenir ?
01:20:32Parce qu'elles sont, je crois, fondamentales à mettre dans le pot commun
01:20:34de notre réflexion.
01:20:36Parce que, par rapport à cette
01:20:38question qu'évoquait Thierry Pech tout à l'heure
01:20:40sur le besoin
01:20:42d'être gouverné, et parce qu'il y a
01:20:44des problèmes à affronter, il y a des choses à changer,
01:20:46on voit cette peur
01:20:48d'être mal gouverné, et on voit l'ampleur
01:20:50de la défiance.
01:20:52Même si, je le dis
01:20:54quand même avec une incise,
01:20:56beaucoup d'électeurs ont voté.
01:20:58On a connu un taux de participation très important.
01:21:00Et ce qui ressort de cette enquête,
01:21:02c'est que, contrairement à ce que l'on disait,
01:21:04ce que je disais moi-même pendant la campagne,
01:21:06une grande majorité,
01:21:08d'entre 83%, ont dit que ça a été un
01:21:10choix facile. Et une grande
01:21:12majorité, encore, près de 80%,
01:21:14n'éprouve pas de regrets.
01:21:16Mais, en dépit de ça,
01:21:18il y a une défiance,
01:21:20une succession de défiances qui ressortent
01:21:22de cette enquête. Une défiance envers
01:21:24le président de la République, dont on parlait
01:21:26dans l'heure précédente, sur la
01:21:28décision de dissolution elle-même.
01:21:30Une majorité nette,
01:21:32y compris
01:21:34d'électeurs de Renaissance pour dire
01:21:36que c'est une décision qui était négative
01:21:38pour le pays.
01:21:40Défiance envers
01:21:42la conception du président,
01:21:44de la fonction présidentielle, c'était le débat qu'on avait
01:21:46avec Jean-Claude Monod tout à l'heure,
01:21:48où vous avez une majorité,
01:21:50là aussi, très nette, 73%, qui dit
01:21:52que la fonction présidentielle,
01:21:54c'est d'abord d'être un arbitre neutre.
01:21:56Et puis, envers
01:21:58le président de la République, sur son action,
01:22:00une deuxième personnalité, après
01:22:02Jean-Luc Mélenchon, qui suscite le plus de rejets.
01:22:04Donc, il y a cette première défiance-là.
01:22:06Il y a une défiance envers le RN
01:22:08et envers la FI.
01:22:10J'y reviendrai. Une défiance envers
01:22:12l'Assemblée nationale, qui vient d'être
01:22:14élue, paradoxalement, sur
01:22:16sa configuration, le fait qu'il n'y ait plus de majorité
01:22:18absolue, qui était quelque chose de positif
01:22:20en 2022, qui ne l'est
01:22:22plus aujourd'hui.
01:22:24Et puis, une défiance envers
01:22:26l'ensemble des responsables politiques qui ont
01:22:28été testés, dans lesquels tous
01:22:30ont davantage d'opinions négatives
01:22:32que d'opinions positives.
01:22:34Alors, avec, là-dedans,
01:22:36des choses différentes.
01:22:38Vous avez, d'un côté,
01:22:40Édouard Philippe, Gabriel Attal, maintenant
01:22:42Ravel et Glucksmann, dans lesquels l'écart est faible.
01:22:44Et puis d'autres, Jean-Luc Mélenchon,
01:22:46en premier lieu, dans lesquels il y a 70 points
01:22:48d'écart entre les opinions négatives
01:22:50et les opinions positives.
01:22:52Mais je termine d'un mot.
01:22:54Je disais tout à l'heure que personne
01:22:56n'avait, aucune force politique,
01:22:58n'avait d'intérêt politique
01:23:00au compromis. En tout cas, en apparence.
01:23:02Parce que peut-être qu'en réalité, par rapport
01:23:04à ce moment de bascule qu'évoquait
01:23:06David Jays,
01:23:08ils auraient intérêt à y aller
01:23:10et qu'il faut trouver cette
01:23:12méthode, cette huile
01:23:14dans les rouages dont parlait
01:23:16la question de la proportionnelle. Je pense qu'il faut avoir
01:23:18le débat. Les Français, dans la même enquête,
01:23:2075% sont pour.
01:23:22Et on a testé différentes
01:23:24configurations, différentes présentations
01:23:26de la proportionnelle.
01:23:28Ça varie, mais dans l'ensemble, les Français sont pour.
01:23:30Je dois dire que j'étais, moi-même,
01:23:32pendant très longtemps, très
01:23:34réservé et que je trouve que ça mérite...
01:23:36Je ne suis pas encore convaincu
01:23:38et donc j'aimerais bien qu'on ait...
01:23:40On va peut-être y arriver.
01:23:42Et ce n'est pas une question
01:23:44de modalité, ce que Thierry a raison
01:23:46quand il dit qu'il y a des modalités
01:23:48et qu'il y a plein de modalités
01:23:50techniques qui font que c'est plus ou moins
01:23:52proportionnel et qu'on donne plus ou moins de poids
01:23:54aux toutes petites formations
01:23:56politiques.
01:23:58Mais comment on répond à cette...
01:24:00Et je pose la question à tout le monde. Comment on répond
01:24:02à ce sentiment massif
01:24:04de défiance envers, non pas tel ou tel
01:24:06homme politique, mais le personnel politique
01:24:08et l'Assemblée Nationale qui en est l'expression ?
01:24:10Au-delà du personnel politique et de l'Assemblée
01:24:12Nationale, je dirais
01:24:14les élites au sens large,
01:24:16c'est une crise qui va au-delà
01:24:18du politique.
01:24:20Je suis persuadée que
01:24:22quand on dit que les Français sont anti-élitistes,
01:24:24le populisme a gagné,
01:24:26je ne suis pas convaincue de ça.
01:24:28Je pense que dans l'esprit,
01:24:30l'idée qu'il y ait une élite
01:24:32n'est pas forcément rejetée.
01:24:34Simplement, on demande à cette élite
01:24:36d'être à la hauteur des privilèges
01:24:38dont elle jouit, qui sont exclusivement
01:24:40essentiellement
01:24:42des privilèges d'influence.
01:24:44Et être à la hauteur, ça veut dire quoi ?
01:24:46Ça veut dire deux choses. La première,
01:24:48c'est de continuer à faire société
01:24:50avec le reste de la population.
01:24:52Et qu'est-ce que ça veut dire, faire société
01:24:54avec le reste de la population ? C'est comprendre
01:24:56qu'à long terme,
01:24:58pour que ses propres enfants aillent mieux,
01:25:00il faut que les enfants des autres aillent mieux aussi.
01:25:02Les logiques politiques, égoïstes,
01:25:04de se dire, le système tel qu'il existe
01:25:06et tel que j'aimerais qu'il continue d'exister
01:25:08me profite plutôt pas mal,
01:25:10c'est à court terme
01:25:12très bien, sinon ça ne se serait jamais maintenu
01:25:14comme ça, mais à long terme,
01:25:16ça fabrique la colère que l'on voit.
01:25:18D'ailleurs, ça me fait penser
01:25:20à une étude parue pendant
01:25:22les Jeux Olympiques, donc passée un peu à l'as de
01:25:24Luc Rouban du Cevipof, au tout début
01:25:26du mois d'août, qui montre que les Français
01:25:28qui profitent le plus
01:25:30de la mobilité sociale, le plus du système
01:25:32en fait, sont ceux
01:25:34qui mettent le plus en avant leur bien-être
01:25:36plutôt que la démocratie.
01:25:38Ah oui, j'avais vu ça, c'était très intéressant.
01:25:40Mais oui, il y a un côté...
01:25:42C'est un peu inquiétant.
01:25:44C'est un peu inquiétant, et je pense malheureusement
01:25:46que c'est beaucoup dans les métropoles.
01:25:48Deuxièmement, je dirais juste faire
01:25:50société, c'est-à-dire prendre
01:25:52en compte l'intérêt de l'autre,
01:25:54pas que son intérêt égoïste, que généralement
01:25:56on ne justifie jamais en disant « je me sers », on dit
01:25:58« c'est mieux pour tout le monde », selon
01:26:00mes calculs et selon mes études.
01:26:02Et la deuxième chose, c'est être
01:26:04sincère. Natacha l'a un petit peu
01:26:06évoqué là, l'intimidation
01:26:08du débat public est en train de
01:26:10déboucher sur le fait que
01:26:12il y a beaucoup de gens sincères qui quittent le débat
01:26:14qui ne sont pas prêts à payer le prix.
01:26:16Il y a aussi une brutalisation des débats,
01:26:18le fait que c'est quand même plus difficile
01:26:20de débattre.
01:26:22J'ai un sentiment en tout cas que l'espace
01:26:24public est rendu plus difficile
01:26:26à fréquenter parce qu'il est quand même de plus en plus
01:26:28brutal. Et il y a des accusations très
01:26:30brutales qu'on subit. Je dirais
01:26:32que ce n'est pas seulement un lagon brutal,
01:26:34ça peut être islamo-gauchiste, il y a toutes sortes
01:26:36de mots qui sont brandis
01:26:38très rapidement, qui font que
01:26:40vous n'avez plus du tout envie de
01:26:42participer à l'espace public,
01:26:44au débat public. C'est dissuasif.
01:26:46Et le problème du développement
01:26:48de la non-sincérité,
01:26:50c'est que non seulement ça ne fait pas héberger
01:26:52les bons diagnostics, mais en plus
01:26:54vous ne pouvez pas faire de lien avec l'autre quand
01:26:56vous êtes insincère. Donc la société
01:26:58est en train quand même de se dissoudre
01:27:00un petit peu, faute de dire ce que l'on
01:27:02pense. Alors il faut toujours être prudent
01:27:04dans ses mots, mais
01:27:06dire vraiment ce que l'on pense sans avoir
01:27:08peur d'être cloué au pilori ou de
01:27:10faire l'objet d'insultes
01:27:12dissuasives. Comment David Jayce
01:27:14a rétabli de la confiance envers
01:27:16le personnel politique, qui est quand même
01:27:18l'expression de notre souveraineté, théoriquement ?
01:27:20Sachant qu'on est dans un pays où
01:27:22le bonheur individuel
01:27:24et la confiance interpersonnelle
01:27:26n'est pas aussi dégradée que la confiance dans le personnel politique.
01:27:28C'est peut-être d'ailleurs ce que l'été a marqué
01:27:30avec les Jeux Olympiques. Exactement. Je pense
01:27:32qu'il y a deux choses qui sont très liées.
01:27:34La première, c'est qu'il faut sortir de cette logique
01:27:36des trois blocs, que je trouve
01:27:38totalement délétères. Parce que, en fait,
01:27:40les blocs, ce n'est pas des blocs d'idées. Il y a très peu
01:27:42d'idées dans la politique française aujourd'hui.
01:27:44C'est des blocs défensifs. Au moment des législatives,
01:27:46vous aviez un bloc central
01:27:48qui disait « c'est nous les extrêmes,
01:27:50c'est nous le chaos ». Donc ça, c'est une
01:27:52forme de chantage insupportable. Vous aviez
01:27:54un bloc de gauche avec des gens qui ne sont pas
01:27:56d'accord entre eux sur des questions aussi
01:27:58fondamentales que la fiscalité, la construction
01:28:00européenne, le conflit israélo-palestinien
01:28:02et qui disaient « mais il faut absolument
01:28:04voter pour nous contre le rassemblement national ».
01:28:06Et puis ils subsistent.
01:28:07C'est quand même pas mal. C'est quand même cette logique du Front républicain.
01:28:09Non mais ils subsistent.
01:28:11Comme logique défensive,
01:28:13ça a joué un rôle assez important
01:28:15au moment des législatives. Mais vous conviendrez,
01:28:17Jean-Claude, que ça ne suffit pas pour concilier
01:28:19un projet de société.
01:28:21Il faudrait clarifier d'ailleurs entre la social-démocratie
01:28:23et les formes plus radicales.
01:28:25Ça est en train de se faire doucement, j'ai l'impression.
01:28:27Un processus de clarification.
01:28:28Et un projet de gouvernement. Et le deuxième problème,
01:28:30pour répondre à la question que posait Natacha,
01:28:32pourquoi le RN est à 35-37% ?
01:28:34Moi je pense que le Rassemblement National,
01:28:36c'est le soleil noir de la démocratie
01:28:38française depuis 40 ans. C'est-à-dire qu'en fait,
01:28:40il se nourrit de tous
01:28:42les dysfonctionnements, de toutes les
01:28:44poussières qu'on met sous le tapis
01:28:46depuis 40 ans, que ce soit sur les
01:28:48questions d'immigration, sur les questions
01:28:50de démocratie et de rapport à la
01:28:52construction européenne, sur les questions aussi de
01:28:54désordre économique lié à la mondialisation.
01:28:56Et que tant qu'en fait on n'aura pas un
01:28:58jeu politique vraiment pluraliste,
01:29:00où on est capable d'affirmer
01:29:02des projets de société, d'en débattre,
01:29:04d'essayer de construire des coalitions,
01:29:06et bien vous aurez cette force,
01:29:08et c'est quand même assez admirable de voir qu'il y a des gens qui
01:29:10depuis 30 ans votent systématiquement
01:29:12pour le RN sans que jamais cette formation
01:29:14n'accède au pouvoir. C'est presque un vote
01:29:16quiétiste, à ce degré-là.
01:29:18Donc il faut qu'on change profondément
01:29:20notre système pour retrouver en fait
01:29:22un espace d'expression, de projet
01:29:24positif et pas simplement cette
01:29:26logique défensive et d'invective qu'on voit
01:29:28aujourd'hui. Thierry Pêche, on manque d'idées
01:29:30dans le débat politique. Est-ce que c'est aussi ça
01:29:32la confusion dans laquelle nous vivons aujourd'hui ?
01:29:34Parce que j'ai quand même le sentiment, moi, qu'il y a des projets de société
01:29:36assez différents quand même, quand on regarde le spectre
01:29:38politique français. Oui, le problème c'est
01:29:40peut-être qu'ils sont trop différents.
01:29:42Expliquez-moi ça.
01:29:44Oui, je vais vous expliquer.
01:29:46Je pense que quand la société
01:29:48regarde la politique aujourd'hui,
01:29:50elle a du mal à s'y reconnaître.
01:29:52Et
01:29:54elle se voit dans un miroir déformant,
01:29:56déformant parce que ça déforme
01:29:58ses traits. C'est un monde extrêmement
01:30:00brutal, extrêmement polarisé, avec des
01:30:02différences très marquées, en effet,
01:30:04mais plus marquées que ce que ressentent
01:30:06beaucoup de concitoyens, même s'il y en a qui sont
01:30:08aux extrêmes. Et deuxièmement, déformant parce que
01:30:10ça va contribuer à déformer
01:30:12réellement ses traits, parce qu'elle va finir par y croire.
01:30:14La vraie crise de la représentation,
01:30:16elle est là. C'est pas simplement que des gens
01:30:18n'aillent pas voter, d'ailleurs ils ont plutôt beaucoup voté,
01:30:20c'est qu'ils se voient dans ce
01:30:22miroir-là. Et ça, c'est extrêmement
01:30:24toxique. On avait fait une enquête
01:30:26sur les marcheurs il y a quelques années, on disait aux marcheurs
01:30:28vous vous mettez où entre 0 et 10, 0
01:30:3013 à gauche, 10 13 à droite, ils se mettaient à 5,2.
01:30:32Puis après on leur disait, où est-ce que vous
01:30:34mettez les socialistes ? Ils disaient, oh là,
01:30:362,4. Mais non, les socialistes étaient
01:30:38beaucoup plus proches d'eux. Et idem pour
01:30:40les LR. Donc, on commence à
01:30:42avoir une imagination de l'autre
01:30:44qui est une imagination de l'ennemi, du type
01:30:46qui est vraiment très très loin de vous. Il y a trop
01:30:48de différences. Achetons des miroirs flatteurs
01:30:50à vous écouter. Des miroirs fidèles.
01:30:52Merci à tous d'avoir participé à cette émission
01:30:54David Jez, La Révolution Obligée. Je cite
01:30:56votre dernier livre en février 2024.
01:30:58Merci Jean-Claude Meunot infiniment. Merci Anne-Rose Ancher.
01:31:00On vous retrouve sur notre antenne.
01:31:02Merci Thierry Pêche également d'avoir été avec nous.
01:31:04Merci Gilles. Merci Natacha. On se retrouve
01:31:06la semaine prochaine à midi. Merci à l'équipe du Grand Face-à-Face.
01:31:08Mathilde Clattes pour la préparation de l'émission.
01:31:10Marie Merrier pour sa réalisation.
01:31:12Aujourd'hui Raphaël Rousseau à la technique
01:31:14pour vous abonner au podcast du Grand Face-à-Face
01:31:16et réécouter par exemple l'émission
01:31:18passionnante d'aujourd'hui. Une seule direction,
01:31:20l'appli Radio France.