• il y a 2 mois
Transcription
00:00Isabelle Huppert, Afsia Herzi, un beau duo de cinéma qu'on avait vu cet été dans
00:04un film d'André Téchiné, elles sont de retour, moins d'un mois plus tard, avec
00:07un film de Patricia Masui, La prisonnière de Bordeaux.
00:10C'est possible de passer aujourd'hui ? Non madame, on reviendra quand c'est prévu
00:13et c'est prévu pour demain.
00:14Mais je ne peux pas demain, je me suis organisée avec les enfants, j'habite à 400 km.
00:18Montez ! En fait, j'ai absolument rien à faire.
00:23Et pourquoi tu ne resterais pas ? Et si tu me tutoyais, ça m'aiderait.
00:29Je vous présente Mina, une vieille copine.
00:30Elle a loupé son train, alors je l'ai dépannée.
00:33La prisonnière de Bordeaux, c'est un titre un peu énigmatique parce qu'en fait, ça
00:37serait plutôt un film au pluriel, il y a deux personnages féminins et en fait, elles
00:40ne sont pas prisonnières, ce sont leurs maris.
00:43Et de manière un petit peu étrange, va se forger une amitié entre ces deux femmes,
00:47entre ces deux femmes de prisonniers, une amitié qui va les pousser assez loin.
00:52Le mot sur lequel j'ai envie de rebondir, c'est le mot étrange, parce qu'évidemment,
00:55il y a quelque chose de très mystérieux dans ce film et d'assez indécidable, c'est-à-dire
01:00qu'on ne sait jamais si les deux héroïnes vivent la même histoire.
01:03Alors, il faut imaginer la distance qui les sépare, qui est d'abord une distance sociale
01:07évidemment.
01:08Quand on découvre Alma, le personnage d'Isabelle Huppert, il faut imaginer sa petite silhouette
01:13hyper chic, dans une énorme bagnole, une énorme maison, avec une petite bonne qui
01:19lui dit « mais madame, je vous ai fait un risotto ».
01:21Il faut imaginer que Mina débarque dans cet univers hyper méfiante, hyper sur la réserve,
01:28et comme c'est vraiment très intelligemment écrit, ça va passer d'abord par la comédie.
01:34Donc il y a une scène extraordinaire, le premier dîner des deux femmes, où tout à
01:38coup Isabelle Huppert théâtralise complètement, on a l'impression que son personnage pète
01:43un câble véritablement.
01:51C'est un film qui prend constamment le contre-pied des attendus, des clichés, c'est-à-dire
02:06qu'on se dit « ça va être un truc un peu sociologique, forcément, voilà, la riche
02:11et la pauvre, la blanche et l'arabe, laquelle va faire la leçon à l'autre, etc. » et
02:18on craint le grand film français neuneu de la réconciliation, le feel-good movie,
02:22on n'en peut plus, on est au bord de s'ouvrir les veines là.
02:26Et évidemment, on est chez Patricia Masui, elle co-écrit notamment avec François Begodeau,
02:30on sait que ça va déjouer ces attendus-là, ces clichés-là, pour proposer quelque chose
02:34de plus vénéneux, de plus mystérieux, de plus tragique en fait.
02:38Oui, Marie l'a bien dit, ça part plutôt comme une comédie et puis ça part vers
02:43plein d'autres choses, notamment une espèce de petit thriller.
02:46Alors, c'est pas un thriller, un grand film d'action, mais enfin quand même, Patricia
02:49Masui arrive à créer de l'attention avec ça, et puis oui, il y a ce rapprochement
02:53auquel on aimerait croire entre cette grande bourgeoise et puis cette petite fille des
02:59banlieues, et on se dit « oui, c'est quand même une belle utopie, ça pourrait marcher
03:02». Oui, ça marche, ça marche un temps, on se doute bien que ça ne va pas durer éternellement,
03:07et on se dit « mais quand est-ce que ça va craquer ? ». Et Patricia Masui fait vraiment
03:11monter le suspense autour de ça, tout en gardant quand même cette qualité d'écriture,
03:15cette subtilité.
03:16Il y a vraiment des scènes très réussies dans l'écriture, mais aussi dans la mise
03:19en scène, notamment au début, la scène où on découvre Mina qui pique sa crise au parloir
03:23à juste titre, et puis au bout d'un moment, elle se heurte à un mur, et puis elle va
03:27tenter le coup de se dire « elle aussi, elle joue la comédie et elle fait semblant de
03:31s'évanouir ». Et il y a cette scène vraiment assez forte, en fait, où tout le monde s'en
03:35fout.
03:36Voilà, dans cette scène-là, on dit beaucoup de choses sur qu'est-ce que c'est que la
03:39vie d'une femme dont le mari est en prison, les problèmes que ça pose d'aller les voir
03:43au parloir.
03:44Il y a une espèce peut-être de solidarité, de communauté entre ces femmes, oui, mais
03:48non.
03:49Il y a aussi pas mal d'énervements entre elles.
03:51Tout est dit dans cette scène-là.
03:52En fait, toutes les scènes, en particulier la prison, sont très réussies, à la fois
03:56dans le collectif et dans l'individuel, c'est-à-dire les scènes de parloir proprement
04:00dit, entre Afsa Herzi et son compagnon, et entre Isabelle Huppert et son mari.
04:05Il y a à chaque fois quelque chose d'assez beau qui se joue, où Patricia Masui fait
04:09vraiment sentir qu'est-ce que c'est qu'être à l'intérieur, qu'est-ce que c'est d'avoir
04:13la chance d'être à l'extérieur.
04:15C'est vrai qu'Isabelle Huppert est absolument géniale dans ce film, c'est-à-dire qu'elle
04:18est au bord de la gêne et au bord du génie, les deux en même temps, c'est quand même
04:21très fort.
04:22Et ça marche très bien avec Afsa Herzi, qui est pour le coup plutôt dans la réserve,
04:28dans le calcul, quelque chose qui fonctionne vraiment bien entre la belle bourgeoise chic
04:33qui expose ses tableaux et cette jeune femme qui est secrète et combative.
04:39L'alchimie entre les deux actrices fonctionne merveilleusement.
04:42Isabelle Huppert, qui en a fait des interprétations mémorables, celle-là, elle est quand même
04:46vraiment très, très forte parce qu'elle est vraiment hyper subtile.
04:50On ne sait jamais trop, un peu à l'image du film, où elle va nous emmener.
04:53Et voilà, elle arrive encore une fois à nous surprendre.
04:56La prisonnière de Bordeaux, c'est très bien.
04:58Je dis tout pareil, la prisonnière de Bordeaux, c'est très bien.
05:01On ne va pas commencer à mentir.
05:03Il n'y a que toi qui as le droit, alors.
05:05Qu'est-ce que tu m'embrouilles ? Je ne sais pas qui embrouille l'autre.

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