Tournez la plage, festival d'écritures contemporaines

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7ème édition, 1-3 août 2024, au Poivre d'Ane, librairie La Ciotat...

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00:00Nous sommes très heureuses d'ouvrir la septième édition de Tourner la plage.
00:07C'est une édition un peu particulière parce qu'on est en concurrence avec les Jeux Olympiques,
00:12donc c'est un petit peu embêtant.
00:14C'est une édition particulière puisque en septembre,
00:20vous fêteront les dix années de la boutique Larry Keogh,
00:24donc on vous donne rendez-vous en septembre.
00:26En septembre, il y aura une grande exposition à la chapelle des Pini Temps Bleus pour fêter ces dix années.
00:32Donc on a le plaisir de recevoir une vingtaine de poètes cette année et de poétesses,
00:39une maison d'édition, Vanloo, et une revue littéraire poétique, la revue Dox.
00:46Bien voilà, donc je vais lire l'extrait de ce livre, je le lirai en deux fois.
00:54Ce n'est pas un poème, ce n'est pas un récit, c'est une confidence.
01:05Admettons que tout ça, ce ça-là, n'eût pas existé, ne fut pas là, jamais.
01:14D'ailleurs c'est le cas.
01:16Qui se soucie de cette revue de 1962, les carnets de l'Octéor?
01:22Je ne dis rien, je ne fais rien, je n'écris rien, je ne publie rien, je n'ai rien dit, je n'ai rien fait.
01:33Alors maintenant, que devrais-je révéler en 2024?
01:40Et après, suis-je plus avancé sur ce que j'ai à dire, tant au présent qu'au futur?
01:48Maintenant, ma parole isolée, ou quelquefois en si humble compagnie, ou avec cette présence amicale,
01:56est-elle de taille à combattre la parole ignoble, libérée, que rien ne s'ouvre?
02:04Et les guerres s'épanouissent d'ici de là, et les régimes autocratiques se répandent, flics et dictatures partout,
02:12les fous sanguinaires sont au pouvoir, notre parole est clandestine,
02:16nous sommes amis sur secret, privés de communication avec le monde, même avec nos proches.
02:33Seule la parole, la parole immonde, la parole répugnante, bénéficie de tous les accès à l'autre, à tous les autres, aux autres mêmes et à nous.
02:42Les flics et les dictateurs, les fous sanguinaires sont maîtres des ondes et du papier,
02:46là se multiplient leurs porte-parole, là aussi, là s'animent leurs porte-plumes, là aussi,
02:53de leurs rouches à leurs larmes chancées de merde, ils énoncent leur pouvoir,
02:58auditeurs et lecteurs sont attentifs, personne ne peut apporter la moindre contradiction à cette parole infrête et meurtrière.
03:12Un sonnet, un sonnet mais particulier, un sonnet pas avec un T, avec un E, un E accent aigu,
03:30un sonnet librement inspiré d'un certain Rimbaud, donc un sonnet presque Rimbaud,
03:36le sonnet du RN, O bleu, E blanc, I rouge, préférence nationale, je dirai ce jour vos sénessances latentes,
03:54O bleu corsé velu des mouches éclatantes, qui bambinent autour des puanteurs anales,
04:01Golfe d'ombre, O candeur des vapeurs et des fiantes, lance des fascistes, roi blanc, veine quenelle,
04:09I pourpre sans cracher, plèbe arienne, irréelle, coléreuse, nativiste et impénitente,
04:18R cycle vibrement malsain des mers toutes rides,
04:24P des patis semés de bestiaux pleins de rides, qui s'impriment en croix aux grands fronts nationaux,
04:33N suprême cléron des trop brunes phalanges, haineuse traverses ces immondes en ces fanges,
04:44L'électorat s'ignorant dans ses idéaux.
04:55Un objet, un objet brrrrt, brrrrt, brrrrt, voilà, c'est un petit objet qui tient dans une main.
05:08A l'époque on ramassait dans les bois de pin des bouts d'écorces et de pommes de pin.
05:13On en faisait un assemblage précis avec de la résine.
05:16L'objet était encore l'arbre qui cachait la forêt.
05:20Parfois, de ridicules fils de fer servaient à creuser un petit trou bien rond dans la coquille abandonnée des escargots.
05:33Des noyaux d'olive ou de cerise s'avéraient utiles, bien secs, pas crachés de la veille.
05:40Mais tout cela n'était pas très solide, un peu trop sensible aux intempéries comme dans l'histoire du roseau et du chêne.
05:53Rien ne vaut des hanches bien faites, avec de beaux jambages, une hanche lovée, bien taillée, romantique à souhait.
06:04Tu vois un peu comment on en arrive à l'instrumentalisation.
06:08Au verre bien tourné, bien soufflé, bien troussé.
06:16On en redemande de la sophistication et du solide, de la bonne grosse machinerie alexandrine bien huilée,
06:22alors qu'au départ tout le monde était amoureux du chant des oiseaux.
06:28Cela pourrait commencer ainsi,
06:30Commencez par une feuille, blanche de préférence. Blanche pour écrire et dessiner.
06:35Écrire ou dessiner, c'est pareil. Pareil, au début, le coin d'une table suffit.
06:40Cela paraît simple, choisir un coin de table, c'est facile.
06:43Et pourtant, lequel des quatre coins de table choisir ?
06:46Duquel de ces quatre coins observer ?
06:49Regardez, ici ou là, comment et où ?
06:52Du point de l'œil assis à gauche, debout à droite, devant en face, derrière, de dos, dessous, à quatre pattes,
06:58dessus, sur la pointe des pieds, où et comment observer ?
07:03Au nord, au sud, à l'est, à l'ouest, comment se situer pour dessiner, tracer quelque chose de la complexité du monde ?
07:10Mes personnages ont longtemps flotté sur ou dans le papier, sans lieu défini, quelle que soit leur taille.
07:17Ils demeuraient dans un format, grand ou petit, sans lieu, sans contexte, donc sans histoire, ni paysage, ni résidence.
07:25Ils n'habitaient que leur présence, ils habitaient chez eux, à l'intérieur d'eux.
07:31Je pensais que s'ils ne flottaient plus, ils chuteraient dans la vulgarité du réel.
07:36Je compris plus tard que c'était l'inverse.
07:38L'imaginaire qui ne se confronte pas au réel reste à l'état gazeux.
07:43On se lève, la boule au ventre, avec dans l'air une odeur d'excrément, une odeur de haine qui s'élève.
07:49Du coin d'un bar et de là, un autre bar, une rue, une place.
07:53Ça a envahi l'espace, ça se propage dans les têtes.
07:55Ça te fait 30, puis 40, puis 50, 51, peut-être.
07:59On se lève, la boule au ventre, avec le front qui s'affaisse.
08:02Ça soigne de partout, la ride se creuse.
08:04On se lève avec une boule dans le ventre.
08:06Un matin, la digue a cédé.
08:08Une fissure d'abord, puis une brèche, une faille, une fente, de l'arrêt de l'urne à l'arrêt des fesses.
08:13On n'a pas vu venir la vague.
08:15Elle est passée par un trou, puis par un autre trou, par un autre trou encore.
08:18Trop pour eux, la digue. Trop pour eux, le barrage.
08:21Elle est passée partout, par tous les trous, par 125 trous.
08:24Plutôt 143 orifices de putes rassemblées, cravatées, costardisées, respectabilisées,
08:30à la droite, droite, droite de la droite, des droites de l'Assemblée.
08:34Plus droite, tu peux pas.
08:36Et puis ils ont forcé la dose de duplicité en calomnies, de 40 ans salades,
08:40de sonnoiseries, en fourberies, d'impostures, en bourrages de crânes.
08:43Ils nous ont noyés dans la menterie. Ils ont étouffé nos utopies.
08:46Ils ont désagrégé les petites boules de colère bien solides qu'on était.
08:50Ils nous ont dispersés, ici et là, en minuscules molécules improbables.
08:54Les petites boules de colère se sont tues.
08:56Imaginez qu'un petit atome se lie à un autre petit atome,
09:01qui lui-même se lie avec force à un autre petit atome,
09:04et ainsi de suite, de petit atome à petit atome.
09:07Imaginez que ça crée des liaisons covalentes, ioniques, métalliques,
09:11c'est-à-dire une structure.
09:13Autrement dit, imaginez une petite boule de colère
09:15qui se sédimente à une autre petite boule de colère,
09:17qui elle-même se sédimente à une autre petite boule de colère,
09:20et ainsi de suite, de petite boule de colère en petite boule de colère.
09:23Il y a des chances qu'elle fasse une belle, une belle, une bonne, bonne grosse boule.
09:27Imaginez qu'elle culpute, qu'elle renverse tout sur son passage,
09:30qu'elle déferle sur le système, qu'elle l'écrase.
09:33Imaginez qu'elle décadenasse le capot pour descendre dans les cambuses,
09:36qu'elle déverrouille les têtes, qu'elle les désinfecte,
09:38qu'elle les remette à l'endroit, ou plutôt à l'envers.
09:41Imaginez qu'elle bouscule les principes, les hypothèses préconçues, les aprioris.
09:46Imaginez qu'elle emporte tous les balivernes, les bilvesés, les abrutis,
09:49les foutaises, la crétinerie.
09:51Imaginez qu'elle égruge les chemises noires,
09:54qu'elle aplatisse la doctrine fasciste, qu'elle l'anéantisse.
09:58Imaginez cette grosse boule qui ouvre de l'espace respirable,
10:02qui invente des horizons, qui libère des étendues de possibles.
10:08Imaginez que toutes les petites boules de colère qui l'ont constitué s'atténuent,
10:12et que la colère des petites boules disparaisse,
10:16et que les petites boules deviennent sereines,
10:18des petites boules de fraternité qui se déploieraient dans l'immensité,
10:23des petites boules de sérénité fraternelle, des petites lueurs,
10:27qui pourraient éclairer dès le lendemain.
10:32Merci.
10:38Si nous sommes ici, c'est grâce à certaines personnes,
10:42et il faut que ces personnes soient remerciées.
10:47Certaines personnes, même si elles ne le demandent pas,
10:51attendent d'être remerciées.
10:55Cependant, en remerciant les personnes qui sont ici,
10:59je voudrais remercier également les personnes qui ne sont pas ici.
11:05Certaines des personnes que je voudrais remercier qui ne sont pas ici
11:08ne sont plus parmi nous.
11:11Je veux dire par là qu'elles ne sont plus vivantes.
11:18Je voudrais remercier les personnes vivantes,
11:21mais aussi les personnes mortes.
11:28Je voudrais remercier les personnes mortes,
11:30non pas parce qu'elles sont mortes,
11:32mais parce qu'elles ont été vivantes un certain temps,
11:34et qu'elles ont utilisé une partie de ce temps
11:37à faire en sorte que nous soyons ici.
11:42Certaines personnes mortes n'ont rien fait du tout,
11:45et il n'est pas question que je les remercie ici.
11:48Il n'est pas question que je les remercie ici.
11:52Je voudrais cependant remercier un maximum de personnes,
11:59ainsi que certaines entités,
12:03et également certains principes.
12:08Le principe de gravité nous permet d'être ici en position verticale
12:14pour la plupart d'entre nous.
12:16Je voudrais remercier les mots qui me permettent de vous remercier,
12:20et tout particulièrement le mot merci.
12:27Je vais vous donner mon opinion.
12:32J'ai lu Balzac, c'est bien.
12:37J'ai lu Proust, c'est bien.
12:42Je l'ai lu plusieurs fois, c'est bien.
12:45C'est bien à chaque fois.
12:49Le 19e siècle, c'est super.
12:55Le 20e siècle, j'ai adoré.
13:01La photographie, le cinéma, qu'est-ce que c'était bien ?
13:06Panique dans le public lorsque le train arrive en gare de La Ciotat.
13:16Le 21e siècle, c'est ici même.
13:20J'ai lu Antoine Mouton, c'est bien.
13:24J'ai lu Julien Blaine, c'est fantastique.
13:28J'ai lu Antoine Mouton, c'est bien.
13:31J'ai lu Julien Blaine, c'est fantastique.
13:36On a fait un nouveau film sur le comte de Montecristo,
13:40et c'est nul.
13:44Mon ami Christophe me l'a dit.
13:46D'autre part, le nouveau film sur le comte de Montecristo est génial.
13:58C'est ma nièce Lisa qui me l'a dit.
14:01C'est pas facile de se faire une opinion.
14:05Écrivez un livre grâce à quelqu'un qui vous a dit qu'il était impossible d'écrire un livre.
14:12Ou bien, écrivez un livre parce que vous êtes trop paresseuse pour enduire un mur.
14:22Il y aura toujours plus de bonnes raisons pour ne pas écrire un livre que pour l'écrire.
14:27Quand vous n'avez pas le temps de le faire, c'est le moment.
14:31Quand il fait trop beau et que vous pourriez aller vous baigner, c'est le moment.
14:37Parmi toutes les mauvaises raisons qu'il existe pour se mettre à écrire un livre,
14:44n'hésitez pas, choisissez la pire.
14:57Merci.

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