80 ans après la libération, Anne-Marie et Monique racontent leurs souvenirs

  • le mois dernier
Ces femmes n’étaient pour la plupart que des enfants au moment où le général Patton et ses troupes ont libéré l’Aube de l’occupant allemand. Elles témoignent, 80 ans plus tard.
Reportage : Glenn Essoly & Sarah Lavoine / Réalisation : Glenn Essoly

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Transcript
00:00Vous commencez avant moi ?
00:01Ah, moi je veux bien commencer, c'est comme vous voulez.
00:04Honneur aux vieux, je ne sais pas qui c'est qui a la plus vieille.
00:08Ça doit être moi la plus âgée.
00:10Non, c'est moi.
00:11Mais je suis 98.
00:12Ah oui, vous avez 97.
00:15Je suis née à un petit village à côté de Brienne, à Saint-Léger.
00:18Voilà, ça c'est moi, attendez.
00:22Ah oui ?
00:23Il paraît que je n'ai pas changé.
00:25Ma sœur, c'est celle que j'emmenais dans mes péripéties.
00:33La plus petite, mais elle est de 44.
00:36Et lui, il est de 42, mon frère.
00:38Alors moi, j'avais 6 ans à 40.
00:42J'avais mon neveu qui avait 3 ans de moins, il se rappelait de tout.
00:46Vous vous rappelez, vous ?
00:49De l'exode ?
00:50Ah bah oui, j'avais 6 ans, oui.
00:52Vous avez été où ?
00:54À la grande jarronnée, c'est pas telle-là.
00:57À la grande jarronnée, dans Lyon.
00:59Ah oui ?
01:00Vous savez, quand les gens sont partis, chacun a voulu emmener des choses vraiment inimaginables.
01:06C'était la trouille des Allemands, tout le monde est parti.
01:09On est allés, on est arrivés tous les samedis.
01:12Et puis le dimanche, on est rentrés.
01:14C'est-à-dire qu'on est rentrés.
01:17Bah oui, parce que très peu sont rentrés.
01:19Tous les gens du Nord, enfin du Nord, la Belgique et tout ça,
01:25ils avaient repris nos maisons.
01:28Nos maisons, bah oui.
01:30Il fallait bien qu'ils...
01:31Vous, vous vous étiez installés à la grande jarronnée,
01:33eux se sont installés chez vous, hein.
01:36C'est ce qu'on appelle de bonne guerre, là.
01:39Il y avait un officier allemand, on était en train de manger avec la famille, quoi.
01:45Il vient, il rentre, comme chez lui.
01:48Il allume la radio.
01:50C'était pour écouter les Anglais.
01:54Comme ça, ils parlaient anglais, alors ils connaissaient tout ce qui se passait.
01:59Ils étaient les maîtres chez nous.
02:01Bah oui, ah oui, ils étaient les maîtres.
02:03Du fait qu'ils avaient le camp, et bien ils se mettaient les maîtres, hein.
02:07Mais on ne disait rien, hein.
02:09Oh non, il ne fallait rien dire, hein, il ne fallait pas...
02:11Non, non, on laissait faire, hein.
02:13Il fallait aller laisser faire.
02:14Parce qu'il y avait le couvre-feu.
02:17On avait mis des rideaux en plus, des volets, pour ne pas qu'ils voient de la lumière.
02:21C'était pour les avions.
02:23Il ne fallait pas qu'ils voient de la lumière, non, non, non.
02:25Et puis alors, un jour...
02:28Ah ben, je ne sais pas, les avions, hein.
02:30Alors, ma sœur, elle nous a emmenés à Estissac,
02:33je me dirais, ça faisait 4 kilomètres, je ne sais pas comment on a été,
02:36se cacher dans une cave chez une cousine.
02:38Parce que les avions, ça passait, hein.
02:41Alors, mon papa, comme il travaillait dans les champs,
02:45avec son cheval.
02:46Oh, là, tu vois l'avion.
02:48Et puis, il y a un parachute qui descend.
02:50Le cheval, il a eu peur.
02:52Alors, il s'est sauvé, c'était un ordlet.
02:55Il s'est sauvé dans la forêt.
02:56Et puis, mon papa, il a ramené le parachute.
02:58Et on l'a mis à la mairie.
03:00Ben oui, pour le redonner, c'était un beau parachute.
03:03Vous l'avez donné à qui ?
03:04Hein ?
03:05À qui vous l'avez redonné ?
03:06Ah ben, à la mairie, pour le mettre à la mairie, le parachute.
03:09Ah ben, oui.
03:11Moi, je l'aurais gardé, j'aurais fait des robes.
03:12Et cet ordlet-là, il a été caché au café.
03:16Personne ne le savait, heureusement.
03:19Je sais pas, assez longtemps quand même.
03:21Et puis après, il a pu repartir.
03:23Je sais pas comment il s'est débrouillé, mais il a pu repartir.
03:25Et puis alors, après ça, quand les Américains sont arrivés en 44,
03:29ah ben oui, alors là, tous nos gamins, on était sur le bord de la route, hein.
03:34Pour avoir du chocolat, pour avoir des chewing-gums et tout ce qui s'ensuit, hein.
03:38Je n'aurais pas les mêmes souvenirs si j'étais née à trois.
03:42Parce que je ne les aurais pas vus.
03:44Je n'aurais pas vu la libération.
03:47À trois, ben, ils sont passés à trois.
03:50Ils sont passés dans des rues, les Américains.
03:54Tandis que nous, on était sur la route nationale 60.
04:01Donc, les armées arrivaient.
04:04Ils avaient libéré Paris.
04:06Ils ont libéré trois le 25 août.
04:10Ils sont arrivés en allant sur Nancy.
04:14Ils allaient sur Nancy.
04:16Ils sont donc passés les premiers le 26 août chez nous.
04:25Sur la route nationale 26.
04:28Je dis bien la route nationale parce que nous, on habitait dans le village.
04:32Et pour pouvoir les voir, parce qu'on était curieuses avec ma petite sœur,
04:37eh bien, on allait sur la grande route.
04:39On descendait la route du village.
04:41Le premier détachement est arrivé chez nous.
04:43Il s'agissait en un d'une estafette.
04:49C'était une estafette, une petite Jeep.
04:52Dans le convoi, il y avait, si je me souviens bien,
04:55ben, il y avait des chars, évidemment.
04:58Mais il y avait aussi une cantine.
05:00Et c'était ça qui était intéressant.
05:03Je dis souvent pour nous, parce que j'ai embarqué ma petite sœur.
05:06Elle était de 40, elle avait 4 ans à l'époque.
05:09Mais je l'embarquais dans mes périples lointains.
05:15C'était loin pour nous.
05:16Bien des fois, je me suis dit, quand j'ai vu des documentaires,
05:20comme on en voit sur la libération de Paris ou des choses comme ça,
05:25bien des fois, je me suis dit, mais nous, on est bêtes.
05:27On avait des fleurs plein le jardin.
05:29Mais on était des gamines.
05:30On ne savait pas qu'on pouvait danser des fleurs aux militaires.
05:35On n'y a pas été qu'une première fois.
05:37On y a été tous les jours qui ont suivi.
05:40Parce que tous les jours, il est passé des militaires qui remontaient sur eux.
05:44Donc sur Nancy et Strasbourg.
05:47Il en est passé, je pense que nous, notre petite manœuvre,
05:51elle a bien duré une quinzaine de jours.
05:53Les plus âgés, ils étaient plus que contents.
05:57On montait dans les camions.
05:58Ils nous soulevaient sur leurs camions ou sur leurs chars.
06:04Et on avait trois petites embrassades.
06:08Et je me rappelle, un qui m'a dit, on viendra vous rechercher.
06:13J'ai toujours retenu que les plus âgés,
06:18cette idée de la nostalgie de revoir leur famille.
06:23Peut-être que tous ne l'ont pas revu malheureusement.
06:27On a bien profité de leur venue.
06:31Ils distribuaient des choum-gommes.
06:33Alors ça, les choum-gommes, vous n'en avez sûrement jamais mangé des pareils.
06:39Aujourd'hui, vous mâchez, vous mâchez.
06:42Et puis au bout d'un moment, il faut bien recracher le...
06:45Vous ne le crachez pas ?
06:47Vous avez dit ça, vous ?
06:49C'était des choum-gommes qui fondaient.
06:53Ils fondaient dans la bouche.
06:55Il n'y avait pas à recracher de petits restes, rien du tout.
06:58Les choum-gommes, c'est presque le symbole de la libération.
07:05Pour moi, la libération, les Américains, c'est vraiment la fête.
07:10C'était vraiment la fête tous les jours.
07:11Pendant 15 jours, ça a été la fête.
07:17Tous les jours, j'emmenais ma sœur sur la route, je vous ai dit.
07:22Et tous les jours, on revenait avec nos petites provisions.
07:25Ça a été vraiment la fête.
07:26Marie, qu'est-ce qui a changé après la libération pour vous ?
07:30Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier qui a changé
07:33ou finalement, la vie est restée la même ?
07:36C'est-à-dire qu'il fallait se reconstruire.
07:41C'est vrai, se reconstruire la vie.
07:45Nous, il n'y avait rien de démoli, il n'y avait pas à reconstruire.
07:48Il y avait plutôt à reconstruire.
07:51Moi, j'étais trop petite pour ça,
07:53mais je pense que pour les adultes, il fallait reconstruire psychologiquement.
07:57Plus se dire, ça y est, c'est fini.
08:02Est-ce que pour vous deux, aujourd'hui, 80 ans après la libération de l'Aube,
08:08est-ce que vous avez un message à faire passer aux jeunes ?
08:13Est-ce que tout le monde s'entend bien ?
08:15Et puis avec l'Europe, c'est vrai qu'on cherche quand même.
08:21Il faut de la tolérance, il faut aimer tout le monde.
08:27Pour moi, c'est mon point de vue.
08:31Qu'on soit tous bien ensemble.
08:34Et aussi qu'il ne faut pas non plus être dupe.
08:37Il y aura toujours des petits cailloux pour gripper le chemin.
08:47Il y a toujours eu, pendant la guerre,
08:49nous, on sait qu'il y avait des résistants, moi, j'en ai vu.
08:55Et on sait qui dans le village, ils n'ont jamais été dénoncés.
08:59Ils n'ont jamais été dénoncés, même aux résistants.
09:04Je crois que c'est un de mes plus grands mots, la tolérance.
09:09Parce que de toute façon, on ne peut pas imposer ce qu'on croit à quelqu'un.

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