Tous les jours de la semaine, invités et chroniqueurs sont autour du micro de Thomas Schnell pour débattre des actualités du jour.
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00:0019h33, on parle de ces combats qui font rage dans la région russe de Koursk avec nos débatteurs du soir, Gilles Boutin, Olivier d'Artigolles.
00:08Je vous propose d'accueillir avec nous Frédéric Ancel. Bonsoir, docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po.
00:16Frédéric Ancel, l'armée ukrainienne, depuis trois jours, tient une offensive d'ampleur. Elle a même mené dans la nuit des attaques de drones.
00:24Un millier de soldats sont près de la ville de Sudja. Est-ce que vous êtes surpris de cette incursion ?
00:30Je suis surpris parce que, comme la quasi-totalité des observateurs géopolitiques ou militaires, je pensais que,
00:38surtout après la déclaration apaisante des Allemagnes il y a deux, trois mois de ça, on allait tranquillement, entre guillemets,
00:45vers, alors pas forcément tout de suite un cessez-le-feu, mais au moins des lébauches de négociations de nature diplomatique,
00:52parce que, parce que, et ça pour le coup je le pense toujours, je suis tout à fait convaincu, on ne peut pas vaincre la Russie.
00:57Et puis voilà, qu'on ne peut toujours pas vaincre la Russie, mais on peut prendre des gages.
01:02Et c'est la première fois en deux ans et demi de guerre, en quasiment deux ans et demi de guerre, que l'Ukraine accepte, enfin s'auto-autorise en quelque sorte,
01:10à aller chercher des gages en vue, à mon avis, d'une négociation à venir, mais sur le territoire russe et en profondeur.
01:17Frédéric Ancel, la Russie a du mal à endiguer cette percée ?
01:20Oui, elle a du mal, parce que d'abord son armée est composée de soldats qui pour la plupart ne sont pas très motivés,
01:26et c'est le moins qu'on puisse dire, et on retrouve ça dans pratiquement tous les rapports et les témoignages dont on dispose.
01:31D'autre part, les Russes pensaient vraisemblablement au regard de la très grande faiblesse de leur défense sur l'ensemble du reste du front,
01:39donc pas là où c'est chaud ces derniers mois, mais sur l'ensemble du front, et notamment plus au nord, là où ça s'est passé,
01:44ils pensaient que les Ukrainiens resteraient donc justement sur ce positionnement défensif lourd et constant.
01:52Et puis 3, ils disposent de matériels, alors sauf pour les chasseurs-bombardiers, mais pour l'instant ils utilisent moins parce qu'ils ont déjà perdu une bonne centaine et que ça coûte très cher,
02:01mais pour le reste, sur notamment tout ce qui n'est pas avionique ou balistique, les matériaux au sol, franchement, ils ne sont pas bons.
02:08Ils sont vétustes et ils sont assez mal adaptés. Donc je vous dirais que oui, pour l'instant, ils sont en difficulté.
02:13Donc les troupes de Volodymyr Zelensky, vous nous dites, vont chercher des gages, ils ont d'autres objectifs en ce moment, qu'ils poursuivent ?
02:21Moi je ne pense pas. Moi je ne pense pas que l'objectif ce soit Kursk. Alors c'est dans la région de Kursk, c'est très impressionnant.
02:27D'abord parce que Kursk, ça rappelle la plus grande bataille de char de l'Histoire en 1943, mais c'est une très grande ville et pour le coup elle sera défendue beaucoup plus sérieusement que les abords conquis par les troupes ukrainiennes.
02:38Donc moi, c'est pour ça que j'évoque vraiment le terme de gage en vue d'une négociation. Après tout, si ce soir, il y avait un véritable cessez-le-feu et une reprise, enfin un début de processus de négociation,
02:52eh bien la Russie pourrait dire, écoutez, voilà, nous avons 20% du territoire ukrainien. Et l'Ukraine pourrait dire, ben voilà, nous avons 0,5% du territoire russe.
03:00Alors ça paraît ridicule dit comme ça, mais ça ne l'est absolument pas sur le front parce que là, pour le coup, il y aurait un échange de territoires à rétrocéder en cas de processus de négociation.
03:10Merci Frédéric Ancel pour votre éclairage. Docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po, je rappelle votre livre, Les 100 mots de la guerre, aux presses universitaires de France.
03:20Nous sommes toujours avec Olivier Dertigolle et Gilles Boutin. C'est surprenant qu'une telle force ukrainienne pénètre si loin dans le territoire russe ?
03:28C'est d'autant plus surprenant qu'on n'a pas l'habitude de dire ça, mais la Russie a été envahie officiellement par une armée étrangère.
03:35Et ce n'est pas arrivé depuis 1941, ce qui doit expliquer que Poutine soit aussi couroussé avec ses ministres. Il faut reconnaître que ça doit être très vexant pour lui.
03:46Donc la surprise, elle est évidente. Et en tant qu'observateur au quotidien des évolutions en Ukraine, on voit que l'Ukraine sort du rôle du défenseur vertueux.
03:59C'est-à-dire vertueux dans le sens où jamais, au grand jamais, il n'osait traverser la frontière.
04:04La seule fois où il l'a fait, c'est avec des soldats russes pro-Kiev qui pouvaient donc prétendre y être allés sans l'aval de l'Ukraine.
04:13Cette fois-ci, c'est l'armée régulière ukrainienne. Et la surprise est d'autant plus palpable que le porte-parole de la Maison-Blanche lui-même a dit que la Maison-Blanche allait passer un coup de fil à Kiev pour en savoir un petit peu plus sur les intentions des Ukrainiens.
04:30Olivier Ertigolle, il y a eu une réunion de sécurité menée par Vladimir Poutine. Moscou est dépassé dans cette offensive ?
04:35C'est d'abord une surprise parce que comme cela a été dit, certains territoires russes proches de la frontière ukrainienne ont pu être sur certains moments bombardés, mais très légèrement.
04:47Le point de fixation, c'était plutôt dans le Donbass où la Russie grignote, mais difficilement. Et là, Zelensky réussit un coup militaire, mais politique et diplomatique.
05:00Pourquoi ? Parce qu'en effet, c'est totalement inédit. C'est une incursion dans le territoire russe intense, 4 jours, 325 km, 350 km² de territoire totalement inédit.
05:15Il y a quelque chose dans la psychologie russe qui va beaucoup peser, c'est l'arrivée des réfugiés de cette région russe à Moscou.
05:23Et qui témoigne, il y a un bon édito dans le Figaro sur le sujet, j'ai lu ça, il me semble dans le Figaro sur la guerre asymétrique, où ces russes arrivent à Moscou, à la gare Kiev, la bien nommée, et ils disent la guerre est chez nous.
05:39Donc il faut bien voir ce que ça veut dire dans l'imaginaire russe. Ça c'est le premier point. Et il y a une phrase de Zelensky qui est importante, plus nous mettons la pression sur la Russie, plus nous nous rapprochons de la paix.
05:50Ce qui veut donc bien dire que Zelensky pour la première fois a dit sa disposition à aller vers des négociations, mais quand vous allez à la table des négociations, dans un premier processus, mieux vaut avoir un rapport de force ou une dernière séquence qui vous est positive et qui vous est créditée.
06:06Il envoie en plus un signal à ses alliés occidentaux sur l'idée, vous voyez, si vous nous fournissez des armes, alors que nous en manquons toujours, nous, nous savons faire, on a maintenant des techniques militaires qui nous permettent véritablement de mettre la Russie, si ce n'est en difficulté, en tout cas de créer des points où on la fait reculer.
06:32On sait que c'est une ligne rouge que les occidentaux ont fixée de ne pas bombarder, notamment avec les armes qui sont livrées à l'Ukraine, que l'Ukraine ne bombarde pas le territoire russe, c'est envisageable que Moscou, que la Maison-Blanche appelle Kiev en lui disant attention à ce que vous faites là, parce que nous, on ne va plus vous soutenir, Gilles Boutin.
06:52Ce n'est pas les signaux que la Maison-Blanche a envoyés, ils n'ont absolument pas critiqué l'incursion ukrainienne en territoire russe, ce qui laisse à penser qu'il y a eu une inflexion de la position des alliés occidentaux de l'Ukraine, constatant que franchir ce qui semblait être une ligne rouge n'entraîne pas la fameuse escalade qui a toujours fait peur à toutes les chancelleries, surtout la chancellerie allemande,
07:20qui a été la moins proactive sur cet aspect-là des choses. Donc, on a le sentiment que les Américains laissent carte blanche aux Ukrainiens, il y a un peu effectivement cette impression de bonne leçon donnée par les Ukrainiens, ça c'est pour le côté psychologique, pour que la population russe le ressente, pour que Poutine le ressente, ce qui ne va vraiment pas être facile en revanche, c'est de conserver dans la perspective d'une éventuelle négociation, conserver ce terrain.
07:48C'est-à-dire que jusqu'où vont-ils aller, comment vont-ils pouvoir conserver ça, en plus il y a tout l'aspect logistique, c'est-à-dire comment vous faites pour maintenir des troupes sur place qui n'ont absolument pas fortifié le territoire pour le conserver.
08:02Il y a une hypothèse qui est émise, mais elle n'est vraiment pas évidente, à 50 kilomètres de là, avant Koursk, il y a une centrale, et donc si les Ukrainiens réussissaient à mettre la main dessus, ils auraient un réel moyen de pression sur Moscou. Mais 50 kilomètres c'est long, et d'ici là, les Russes ont le temps de s'organiser.
08:20Alors ça paraît presque paradoxal, comme nous expliquait Frédéric Ancel à l'instant, c'est-à-dire qu'on aurait donc une Ukraine qui, pour parvenir à une solution diplomatique, utiliserait des moyens militaires, c'est-à-dire que la guerre lui permettrait d'accéder à une résolution diplomatique du conflit ?
08:37Je crois qu'ils ont fait la guerre pour préparer la paix. Ils ont bien compris le logiciel russe qui ne respecte que la force. On connaît ça. Alors attention, c'est un camouflet assez retentissant pour Vladimir Poutine, dont on sait que sa personnalité, sa structure psychologique peut l'amener. Il était plutôt colère et chafouin vis-à-vis des autorités militaires, dans un point d'information à l'aisément dont on dispose via les médias.
09:06Donc il va falloir voir les réactions des Russes suite à cette actualité, avec en effet une position ukrainienne qui, là, a beaucoup créé la surprise. Mais maintenant, en effet, comment est-ce qu'ils peuvent conserver ce point, le fixer avec toutes les difficultés qui viennent d'être énoncées ?
09:25Mais encore une fois, il est en effet très intéressant de voir que les occidentaux valides n'ont pas eu la main qui tremble, ne sont pas allés sur attention, on va rompre des équilibres.
09:40Donc quelque chose est en train de se passer. Est-ce que ce qui se passe est une étape permettant un début de processus de pourparler, ou est-ce que ça va être une étape sur une intensification des combats ? Nous n'avons pas à ce jour la réponse.
09:57Est-ce qu'il faut s'attendre à des conséquences de la part de Vladimir Poutine alors que récemment encore il s'était montré bon prince en libérant ses prisonniers occidentaux, Gilles Boutin ?
10:08Je ne pense pas qu'il se soit montré bon prince puisque c'était pour des raisons internes. C'est vraiment une réussite intérieure pour lui, ces libérations d'agents tous plus ou moins criminels à l'extérieur.
10:22Il avait montré au moins que l'on pouvait négocier avec lui et qu'il était parvenu à un accord avec les occidentaux en récupérant 8 agents et en en libérant 16.
10:33Oui, mais après tout dépend effectivement de comment il lui-même dans sa psyché, comme vous disiez, perçoit ce camouflet. Il est bien possible qu'il n'accepte aucunement cette monnaie d'échange territorial, que désormais toute l'énergie, la pugnacité, la patience qu'il a mise dans les gains territoriaux en Ukraine, mètre par mètre, jour après jour, village après village, il le fasse pareil sur son territoire.
10:57Et puis il actionnera sans doute la rhétorique patriotique classique de victimisation, l'Ukraine soutenue par ses alliés occidentaux, plus ou moins néo-nazis.
11:07Donc l'épreuve de force n'est pas évidente et c'est en ce sens que je doute de la possibilité pour l'Ukraine de conserver durablement ses gains territoriaux.