À 7h50, le chanteur Arthur Teboul et le pianiste Baptiste Trotignon sont les invités de Sonia Devillers. Ils seront en concert ce soir aux Francofolies de la Rochelle. Concert diffusé sur France Inter ce vendredi dans le cadre d’une soirée spéciale présentée par Laurent Goumarre, dès 20h. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-11-juillet-2024-2003723
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00:00Oh ! Faites que jamais ne revienne Le temps du sang et de la haine
00:07Car il y a des gens que j'aime A Göttingen, à Göttingen
00:15Et lorsque sonnerait l'alarme S'il fallait reprendre les armes
00:22Mon cœur verserait une larme Pour Göttingen, pour Göttingen
00:52C'est pas pour rien qu'on la reprise, qu'on la chante en concert, qu'on l'a enregistrée sur cet album.
01:02Là, les événements, les signes avant-coureurs n'étaient pas que des signes avant-coureurs.
01:11On sait à peu près ce qui nous attend quand même, tristement.
01:15Donc, c'est sûr qu'il y a des chansons qui résonnent à des moments de nos vies d'une manière particulière ou tristement profonde, d'une manière bouleversante.
01:30Alors, quand on réunit Arthur Teboul et Baptiste Rotignon pour un piano-voix, c'est le piano qui accompagne la voix ou c'est la voix qui accompagne le piano ?
01:37Baptiste Rotignon, pianiste.
01:39Les deux, mon capitaine.
01:40C'est vrai ?
01:41Oui, l'idée, c'est ce que j'appelle de trouver le blend, ce terme anglais, le mélange.
01:48C'est-à-dire que même si effectivement, dans ce qu'on fait, ce sont des chansons, il y a des textes, etc.
01:53Mais moi, j'ai souvent travaillé en duo avec différents instruments, dont la voix.
01:58J'aime bien considérer la voix comme un instrument aussi.
02:00Pas seulement comme un organe qui dit des textes, mais aussi comme un instrument.
02:04Avec toutes ces vibrations, ces dynamiques, ces timbres différents, etc.
02:08Donc, c'est la rencontre de deux instrumentistes sur scène ?
02:11Aussi.
02:12Après, bien sûr, je n'écris pas, etc.
02:15Mais je suis sensible à la poésie, je lis, etc.
02:17Arthur est poète par ailleurs aussi.
02:19Donc, il y a quand même un raccord sur le verbe.
02:21On a des parcours différents, mais il y a plein de points de rencontre qu'on a trouvés assez rapidement, des premières rencontres.
02:27Et ce duo, comment il est né, Arthur Teboul ?
02:29J'y paie !
02:31C'est mon regretté manager qui nous a quittés il y a très peu de temps.
02:36Jean-Philippe Allard.
02:37Jean-Philippe Allard, qui est aussi une figure très importante dans le jazz en France,
02:41que Baptiste connaisse très bien,
02:43qui nous a fait nous rencontrer à l'occasion du Piano Day.
02:46C'est un événement qui a lieu tous les ans, qui est un événement international.
02:50Et là, c'était en 2022.
02:52Et Jean-Philippe, qui a une intuition que nous, on n'aurait pas eue,
02:55nous propose de nous rencontrer pour créer un spectacle original pour un soir.
02:59C'est comme ça qu'on s'est connus.
03:00Je suis allé dans la cabane au fond du jardin.
03:02La cabane au fond du jardin ?
03:05C'est au studio avec ses deux pianos.
03:07Et puis, il a fallu se trouver.
03:10Il a fallu se connaître.
03:11On ne se connaissait pas du tout.
03:12On ne parle pas exactement la même langue musicale.
03:14On ne vient pas du même monde.
03:15Mais on est curieux.
03:17Oui, on s'est assez vite trouvés sur la chanson française.
03:22Baptiste me disait que ses émotions de jeunesse étaient Charlie Licouture, Yves Gelin.
03:27On a échangé sur Trenet.
03:30On s'est partagé des morceaux.
03:32On a vite pensé que l'idée serait bien de faire un concert de reprise.
03:36C'est né comme ça.
03:37Et l'album, on n'en avait pas l'idée au départ.
03:40L'album est né sur scène parce que c'est un album live qui va sortir le 30 août,
03:45dont on vient d'écouter un extrait avec Barbara.
03:48Et là, on en écoute un autre qui est sublime.
04:02C'est un étrange et douloureux divorce.
04:07Il n'y a pas d'amour heureux.
04:11Sa vie, elle ressemble à ses soldats sans armes.
04:16Donc là, c'est Arthur Teboul qui reprend Brassens,
04:20qui met lui-même en musique le poème d'Aragon.
04:24Elle est particulièrement belle, celle-là.
04:26D'ailleurs, elle ouvre l'album.
04:29Sur cet album, il y a du Serge Gainsbourg.
04:31Barbara en l'a entendu.
04:32Il y a du Brigitte Fontaine.
04:33Il y a du Jacques Higelin.
04:34Vous en avez gardé.
04:35Ça, c'est Baptiste Trottin.
04:37C'est sa contribution personnelle, n'est-ce pas ?
04:39Oui, j'ai apporté d'autres.
04:40Mais ça, Jacques Higelin, ça me tenait à cœur, en tout cas.
04:42Il y a du Piaf.
04:43Il y a du Henri Salvador.
04:45Donc comment on les a choisis, d'abord, ces chansons ?
04:49Il y a un truc d'évolution.
04:52C'est notre manière d'échanger entre nous, en fait.
04:55Vous vous parlez en chansons ?
04:56On s'envoie des chansons.
04:58Et puis après, quand on commence à jouer, il y a plein de chansons qui ont été écartées.
05:03On a travaillé, qui ont été écartées pour le concert, d'abord,
05:06et puis qui ont été écartées sur le disque après le concert.
05:09On avait monté, par exemple, « Jolie Maume » de Léo Ferré, qu'on a joué à la scène musicale.
05:15Finalement, avec le recul, on trouvait que la version n'apportait pas grand-chose, n'était pas encore mûre.
05:21Et c'est comme ça.
05:23On cherchait.
05:24Il fallait que ce soit des chansons...
05:27Il fallait que ce soit des chansons quoi ?
05:29Est-ce que ce sont vos chansons préférées ?
05:32En partie.
05:33En partie ?
05:34Par exemple, « La ville s'endormait » de Brel ou « Gottingen » de Barbaras,
05:38des chansons qui m'habitent depuis l'enfance.
05:41Et donc, elles sont tellement en moi que je ne me suis pas demandé,
05:47je n'étais pas écrasé par le poids de mes maîtres, mes idoles.
05:50Est-ce qu'il fallait qu'elles s'inscrivent dans le panthéon de la chanson française ?
05:55Il y a quelques chansons qui ne sont pas des chansons françaises.
05:57Mais est-ce qu'il fallait que ce soit les meilleures chansons françaises, Baptiste Trotignon ?
06:01En tout cas, il ne fallait surtout pas que ça soit perçu comme hommage à la chanson française,
06:06tribute, tout, etc.
06:08C'est un peu à la mode, etc.
06:10C'est-à-dire qu'il y a quelques hits de la chanson française, effectivement, sur l'album.
06:14Mais il y a beaucoup de chansons qui ne sont pas les plus connues.
06:19C'est pas Amsterdam non plus, etc.
06:22Ou Séné-Crélois de Gainsbourg, ou une chanson de Bachung aussi.
06:25Donc, c'était cette idée-là.
06:27Arthur avait vraiment envie, et puis moi je suis à fond là-dedans,
06:31d'amener les gens à cet univers-là par l'aspect poétique des choses.
06:37Parce que moi, je me suis posé la question,
06:40est-ce que les meilleures chansons ne font pas nécessairement les meilleures reprises ?
06:45Et est-ce que les meilleures reprises ne naissent pas toujours des meilleures chansons ?
06:49Par exemple, Nature Boy.
06:54Une chanson immense, éternelle.
06:56Première interprète, Nat King Cole.
06:58Ensuite, il y a Ella Fitzgerald qui la reprend.
07:00C'est une chanson, pour passer derrière, il faut y aller.
07:03Bon, on a essayé.
07:05Est-ce qu'il y a des reprises qui ont dépassé l'original ?
07:07Nina Simone a quand même fait du beau travail sur beaucoup de reprises.
07:12Feeling Good.
07:13Et puis même, il y a des standards jazz.
07:14Toi, tu viens de cette culture-là ?
07:15Oui, parce que dans le jazz, en fait, tout le temps, les reprises ont dépassé l'original.
07:18Puisque les originals, c'est des chansons lambda, des comédies musicales, des chansons géniales.
07:23Mais il n'y a même pas de version originale.
07:25On ne sait pas ce que c'est.
07:26Et par contre, tout ça a été joué par des fantaisistes.
07:29Parce que là, quand même, Arthur Teboul s'attaque à la vie en rose.
07:32Donc voilà une chanson qui a été reprise et reprise et reprise par tous les géants du monde.
07:38C'est-à-dire, pas que de la chanson française, du monde.
07:41Vous chantez la vie en rose et vous le chantez sans travestir les paroles.
07:47C'est-à-dire, c'est un garçon qui dit « quand il me prend dans les bras, quand il me parle tout bas ».
07:53Et c'est particulièrement joli.
07:55Mais c'est la force de l'art en général, de la chanson.
07:59On peut être qui on veut.
08:01On peut, le temps d'un instant, devenir qui on veut.
08:04On a de toute façon tous des identités multiples.
08:07Quand on lit un bouquin, si le personnage est une femme, jeune, vieille, qu'importe...
08:13On peut s'identifier.
08:14On s'identifie.
08:15C'est ce qui est beau aussi.
08:17Donc je ne me suis pas dit « tiens, il faut que je change les paroles ».
08:19Je me suis dit « à ce moment-là, je suis une femme peut-être ».
08:21Vous êtes un peu les soeurs Bronté.
08:24Et là, vous êtes un peu Edith Piaf.
08:27Il y a aussi du Radiohead dans cet album.
08:37Qui dit reprise de chanson célèbre, dit possibilité d'improvisation.
08:52Baptiste Trottignon.
08:53Oui.
08:54En fait, on peut improviser sur tout.
08:57On peut glisser de la liberté dans des choses qui sont déjà très codifiées, écrites, composées par d'autres.
09:04Bien sûr, bien sûr.
09:05L'improvisation, ce n'est pas...
09:07Parfois, les gens ne se rendent pas compte.
09:08L'improvisation en tant que jazzman.
09:10Mais c'est vrai pour plein d'autres musiques.
09:12L'improvisation dans la musique indienne, ou je ne sais quoi.
09:14Ou dans la musique africaine, des musiques du monde.
09:16L'improvisation ne s'improvise pas.
09:19C'est un langage.
09:20C'est une langue avec son vocabulaire, sa grammaire, etc.
09:22Qu'on travaille pendant des milliers d'heures, etc.
09:24Pour comprendre comment ça marche.
09:25Et pour pouvoir parler cette langue.
09:27Et pour après être libre.
09:28Pour reprendre votre mot.
09:29Parce qu'effectivement, l'objectif, c'est une forme de liberté.
09:31Mais la liberté, ce n'est pas...
09:33Je fais des trucs au hasard.
09:34J'essaie des trucs avec...
09:35Donc c'est un mélange entre l'éternelle histoire, contrôle et lâcher prise.
09:38Et en tout cas, dans une chanson.
09:40Que ce soit une chanson française ou anglo-saxonne.
09:42Qu'importe.
09:43Oui, bien sûr.
09:44À partir du moment où il y a des accords, des mélodies.
09:46On les triture dans tous les sens.
09:47Et quand l'improvisation sur scène devient un album.
09:51L'improvisation devient composition ?
09:53L'improvisation, c'est une banalité de dire ça un petit peu.
09:57Mais c'est une composition en temps réel.
10:00La composition, la seule différence, c'est qu'on a effectivement une gomme.
10:04C'est papier, crayon, gomme.
10:05Alors que l'improvisation, on compose des choses en direct.
10:08Et il y a des ponts, Arthur Teboul, entre l'improvisation du jazzman
10:11et la poésie telle que vous aimez l'écrire vous.
10:15La saisir dans la minute.
10:17Avec quelque chose qui relève du flux, de l'inspiration.
10:21Oui, c'est pour ça qu'on s'est trouvés aussi facilement.
10:23C'est vrai que ça a joué.
10:24Ça nous a bien...
10:26En fait, quand on interprète une chanson, un jour, un soir, même sur un album,
10:30elle n'est qu'une photographie d'un instant de cette chanson.
10:34Elle va grandir comme les enfants.
10:37Et donc, on est décomplexé.
10:40On ne grave pas la version ultime, éternelle d'une chanson.
10:43C'est celle de l'instant.
10:45Et donc, sur scène, quand on a commencé à monter le spectacle,
10:48on s'est vite dit qu'il y aurait un moment d'impro.
10:51Et donc, c'est ce qu'on fait.
10:52Baptiste improvise et j'écris un point de minute.
10:54Un passage pendant 6-7 minutes à peu près.
10:56Donc, c'est vraiment de l'impro.
10:57Il n'y a rien de prémédité.
10:59Effectivement, Arthur écrit un point de minute en même temps.
11:01Et le récite après, bien sûr.
11:02Alors, Arthur Teboul, je reviens sur un instant qui va rester,
11:05qui a été gravé dans l'histoire.
11:07C'est vous, au pied du Panthéon, au mois de février,
11:10en train de chanter du Léo Ferré.
11:11D'ailleurs, il y a du Léo Ferré aussi dans cet album et dans le spectacle.
11:17Vous avez chanté La Fiche Rouge.
11:19C'était au moment de la panthéonisation de Manouchian.
11:26Et ce moment de communion nationale, populaire,
11:30qui avait fait taire toutes les polémiques politiques,
11:33à ce moment-là, il vous paraît loin.
11:35Oui, bien loin.
11:38Et en même temps, si ça a été un moment aussi bouleversant,
11:43c'est parce que c'est dans l'air déjà.
11:45Ça fait quelques années qu'on chante La Fiche Rouge.
11:49Oui, en fait, peut-être que c'est aussi le métier d'artiste,
11:55de dresser un peu les antennes, parce qu'on a le temps pour ça,
11:58et de sentir ce qui est dans l'air.
12:00Mais pourquoi elle résonne autant, cette chanson ?
12:02Pourquoi elle est aussi puissante ?
12:04On aurait chanté cette chanson il y a 15 ans,
12:07elle n'aurait pas eu les mêmes résonances qu'aujourd'hui.
12:10On sent quand même cette haine qui monte, cette violence, cette peur.
12:15Cette ignorance, j'appelle ça.
12:17Oui, un truc qu'on a tous en soi.
12:22La part de lumière et de ténèbre, elle est en partage.
12:25Et continuer à voir l'autre comme insemblable,
12:29c'est la mission de chacun.
12:31Parce qu'il y a plein d'instants dans la vie où on refuse ça,
12:34par ignorance, par confort, par facilité.
12:41C'est dur de tendre la main à celui qui ne comprend pas.
12:44Par peur aussi.
12:45Et là on vient de vivre un moment extrêmement secoué politiquement,
12:48qui a beaucoup fracturé le pays.
12:50Ce soir vous êtes sur scène au Francophonie de la Rochelle,
12:55et puis bientôt il y aura les Nuits de Fourvière,
12:59et puis ensuite les dates vont s'enchaîner jusqu'à la salle Pléiel,
13:03le 26 et le 30 septembre à Paris.
13:06Mais d'abord ces festivals de l'été,
13:08c'est comme une sorte de moment de retrouvaille pour la jeunesse française.
13:12Comme un moment où on est à nouveau tous ensemble,
13:16on écoute ensemble, on chante ensemble.
13:18Oui, parce qu'on se sent tous démunis quand même, il faut le dire.
13:21Le flux de l'information, des événements,
13:24cette complexité de situation,
13:26le fait que la France soit fracturée à ce point.
13:28En tant qu'artiste, on est comme tous citoyens,
13:30on se sent vraiment démunis.
13:31Mais on a ce petit truc là,
13:33au moins sur scène là,
13:34on va pouvoir essayer de transmettre la douceur, la tendresse.
13:39Il y a un instant de communion,
13:40où peut-être que les gens dans la salle, sans doute même,
13:42ne pensent pas les mêmes choses.
13:43Et parfois on en est au point où,
13:45si on arrive à retrouver au moins ça,
13:47peut-être que c'est bien déjà.
13:48Si on arrive à être ensemble déjà.
13:50C'est un peu à ça que ça sert aussi la scène.
13:52Puis là c'est vrai que dans le spectacle,
13:53il y a beaucoup de moments d'intimité.
13:54On est plutôt dans le mezzo-piano
13:56que dans le tour de force, on va dire.
13:59C'est d'amener les gens à un espace,
14:01une petite bulle intérieure de bien-être.
14:03C'est tout con, mais c'est pas mal des fois.
14:04Et aussi de réflexion,
14:05parce qu'on ne reprend pas n'importe qui.
14:08Encore Tex Aragon,
14:09elle s'inscrit que les hommes vivent.
14:11C'est des chansons qui ont une charge
14:13de contemporanéité toujours.
14:15C'est ça les grandes chansons.
14:16Elles ne périment pas.
14:17Il y a des choses qui sont nées aujourd'hui,
14:19qu'on oubliera demain.
14:20Et puis des choses qui ont 100 ans,
14:21qui sont toujours actuelles.
14:22Alors je résume.
14:23Le disque sort le 30 août.
14:25Le concert ce soir à la Coursive,
14:27à la Rochelle.
14:28Et si vous n'êtes pas à la Rochelle,
14:30France Inter en diffuse demain
14:32les meilleurs moments dans sa soirée spéciale.
14:34A ne pas manquer,
14:35car c'est l'ami Laurent Goumard.
14:36Qui réunit les pointures de la chanson
14:38à partir de 20h.
14:40Merci Arthur Teboul,
14:41merci Baptiste Rotignon.
14:42Merci.