Eddy Fougier, politologue : « Les candidats sous-estiment l’électorat agricole »

  • il y a 2 mois
Présidentielle 2017, J-27

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00:00— Bonjour et bienvenue sur Tarnet. Nous sommes sur le plateau de la CIMA Web TV et j'accueille Edi Fougier. Bonjour. — Bonjour.
00:14— Vous êtes politologue. C'est rare qu'on invite un politologue, parce que, Edi Fougier, vous avez étudié un petit peu...
00:24Vous êtes penché sur le vote agricole, l'électorat agricole. Vous avez d'ailleurs publié une note en octobre dernier sur le vote agricole vers le Front national.
00:38Globalement, comment évolue, en quelques mots, le vote agricole, qui est un électorat traditionnellement de droite ?
00:46Mais comment vous analysez l'évolution de ce vote agricole ces dernières années ?
00:52— Alors, traditionnellement, le vote agricole, effectivement, est plutôt ancré à droite et, très souvent, voté plutôt pour les partis gaullistes ou néo-gaullistes.
01:03Et on voit, à partir du début des années 90, notamment autour du débat sur Maastricht, donc le débat sur le traité de l'Union européenne,
01:10une sorte de scission avec ceux qui continuent à soutenir les gaullistes et puis ceux qui, dans un 1er temps, ont soutenu davantage les mouvements souverainistes
01:20– chasse, pêche, nature, tradition –, les listes en faveur de Philippe de Villiers, qui correspondent d'ailleurs à ce moment-là aussi à la montée d'un syndicalisme contestataire
01:29par rapport à la FNSEA avec la coordination rurale. Et puis, à partir des années 2000, on voit une partie de cet électorat agricole se diriger vers le Front national
01:39de façon ponctuelle, comme ce fut le cas lors du 1er tour de l'élection de 2002, le 21 avril, et puis de façon sans doute, même si on n'a pas tous les chiffres,
01:50de façon un peu plus régulière à partir de 2012, et donc du leadership de Marine Le Pen au sein du Front national.
01:57– Donc cette tendance droitière, on va dire, du vote agricole, c'est quelque chose de pas nouveau ?
02:04– Pas nécessairement, mais qui a tendance, bien sûr, à s'accélérer, je dirais avec la libéralisation des marchés, on le voit avec la fin des quotas laitiers en 2015,
02:16et puis avec également une sorte de défiance vis-à-vis de la droite plus traditionnelle. Je dirais que c'est l'effet du passage de la droite chiracienne,
02:27on se souvient de Jacques Chirac et de sa popularité dans le monde agricole, à Nicolas Sarkozy. Alors même si Nicolas Sarkozy a été très populaire au début,
02:36et y compris lors des premiers tours de l'élection de 2012, il a suscité malgré tout une défiance assez forte, et on a pu le voir lorsqu'il s'est présenté à la primaire des Républicains
02:49à partir du mois d'août 2016, une défiance là particulièrement nette à l'encontre de Nicolas Sarkozy. Donc il y a une sorte aujourd'hui de suspicion par rapport à la droite
03:02qui aujourd'hui se concentre sur François Fillon depuis, et les affaires qui le concernent.
03:07Alors justement, c'est très difficile de commenter l'actualité politique, ça change quasiment d'heure en heure. Néanmoins, est-ce que les agriculteurs se reconnaissent encore dans l'offre politique actuelle ?
03:22Alors, on a très peu d'éléments, mais effectivement, il y a un sondage qui est paru récemment, une enquête assez lourde qui a été mise en place par Sciences Po à travers le CIVIPOF, qui montre deux choses.
03:34Qui montre premièrement que les agriculteurs ne se sentent plus concernés nécessairement par l'élection présidentielle et par l'offre politique actuelle, puisque 52% étaient prêts à s'abstenir.
03:46Alors qu'on le sait, traditionnellement, les agriculteurs font partie des professions qui sont les plus actives, les plus civiques et qui votent le plus.
03:54Et le deuxième aspect, c'est effectivement une tentation un petit peu en faveur d'un vote alternatif par rapport à la droite traditionnelle, puisque en clair, François Fillon serait à 20% d'intention de vote.
04:06Emmanuel Macron à 20% aussi. Je rappelle qu'en 2012, Nicolas Sarkozy avait obtenu 44% des votes des agriculteurs et Marine Le Pen serait à 35%. Donc Fillon 20, Macron 20 et Le Pen 35%.
04:23C'est une évolution assez nette, on peut le dire. Néanmoins, le poids des agriculteurs, les agriculteurs, ça représente aujourd'hui autour de 2% de la population active.
04:36Est-ce pour ça qu'il y a si peu de débats d'ailleurs agricoles ? Mais est-ce que c'est pas malheureusement devenu anecdotique, cet électorat agricole ?
04:47Alors si on s'en tient effectivement au simple nombre d'actifs, à peu près 1 million 2% de la population active, effectivement, ça paraît être assez anecdotique.
04:59Il faut quand même prendre un petit peu plus de recul et voir qu'il y a aussi les retraités, il y a aussi les conjoints, les membres du ménage qui sont majeurs, les salariés agricoles et tout ça,
05:10mis l'un après l'autre, ça fait quand même 3 millions de personnes. Donc à peu près 8% du corps électoral, quand on regarde le nombre de votants.
05:19Et si vous rajoutez tous ceux qui vont travailler dans des syndicats, dans des médias agricoles ou autour de l'alimentaire, de l'agroalimentaire, donc qui ont un lien de près ou de loin avec la chose agricole,
05:33là on est à 8 millions de personnes, donc plus de 20% potentiellement du corps électoral. Donc c'est pas négligeable et je pense que les hommes politiques qui se rendent en masse au salon de l'agriculture
05:45n'ont pas nécessairement ça en tête. Ils pensent qu'aller au salon de l'agriculture, c'est un moyen de se connecter un peu à la France d'avant, un certain nombre de valeurs qu'incarnent les agriculteurs,
05:58des valeurs paysannes, mais à mon avis, ils minimisent le fait que c'est un vote qui compte de près ou de loin.
06:04Ils n'y vont pas au salon de l'agriculture. Ils y vont tous et particulièrement en année électorale. Mais ce que vous dites, c'est qu'ils n'y vont pas forcément parce qu'ils ont conscience du poids du monde agricole dans son sens large, dans le vote.
06:19Oui, parce que la plupart, à part, je pense que François Fillon, la plupart n'ont pas de racine rurale, d'implantation rurale particulière ou alors c'est un peu artificiel.
06:33Et puis leur cible et même leur discours sur l'agriculture est tourné d'abord vers les citadins, vers les cadres en particulier, vers un monde tertiarisé qui est très, très loin des préoccupations et du monde rural et du monde agricole.
06:48Donc aujourd'hui, ils ont un discours de compassion parce qu'il y a la crise, il y a les suicides, il y a les problèmes de revenus, il y a les canards que l'on abat en masse, etc., etc.
07:02Mais exactement comme ils auraient ce discours à Florange ou dans les Hauts-de-France ou dans d'autres zones sinistrées.
07:11Mais je pense qu'il minimise cette dimension au-delà de la dimension symbolique et culturelle, cette dimension tout simplement stratégique pour des hommes politiques, en particulier à droite, parce que les agriculteurs et le corps électoral en lien avec l'agriculture, ça fait partie de leur base électorale.
07:29— Tout à fait. Edy Fougier, merci beaucoup. — Merci à vous.
07:33— Et puis retrouvez d'autres informations sur la présidentielle 2017 et sur l'électorat agricole sur Ternet.fr.

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