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00:00Déjà, femme, en deuxième mot, ça pourrait être autoritaire.
00:03Et troisième, c'est intelligent, c'est quelqu'un de très cultivé.
00:07Marie-France Garraud, c'est simplement la première éminence grise à la française,
00:10l'archétype vraiment de la conseillère de l'ombre.
00:30Marie-France Garraud, c'est vraiment une femme qui a été élevée comme un homme.
00:52C'était la fille unique de son père, qui était assez âgée quand elle est née.
00:56Elle est née à Poitiers.
00:57C'est vraiment une enfant de la terre, quelque part.
00:59Et son père l'emmenait à la chasse, par exemple, dès qu'elle était enfant.
01:03Ça lui faisait au départ un petit peu peur.
01:05Mais très vite, son père lui a mis un fusil entre les mains
01:09et considérait qu'il fallait qu'elle apprenne dans ce monde
01:12à se comporter quelque part comme un homme
01:14et à acquérir tous les codes masculins.
01:17Et elle est devenue assez jeune, elle avait à peine 20 ans.
01:21Elle est devenue assez jeune avocate dans les années 50,
01:24ce qui est quand même assez rare à l'époque.
01:28Et c'est vraiment une femme qui s'est construite à un vrai itinéraire professionnel,
01:34sans réfléchir au « quand dira-t-on ? »,
01:37et qui a réussi à s'imposer dans un monde très masculin.
01:46Marie-France Garraud, ce qui est assez étonnant,
01:48c'est qu'elle n'a jamais mis en avant le fait qu'elle était une femme.
01:51Et dans sa conquête du pouvoir,
01:54parce qu'elle a vraiment exercé le pouvoir auprès de Georges Pompidou,
01:57puis de Jacques Chirac,
01:58elle a vraiment usé des codes qu'on considère comme étant masculins,
02:02c'est-à-dire une certaine, on va dire, virulence,
02:05une ambition qui ne se cache pas,
02:07un caractère parfois très autoritaire.
02:10Et ce qui fait que tous ses congénères de l'époque,
02:13qui étaient vraiment à l'époque quasiment exclusivement des hommes,
02:16ne l'ont jamais vraiment considérée comme étant une femme.
02:20C'est très surprenant parce qu'elle était, on va dire, leur égale,
02:23voire très souvent leur supérieure,
02:26parce qu'elle a réussi, on va dire, à un jour menacer,
02:30à un autre séduire,
02:32une dernière fois encore,
02:33à passer des arrangements avec les uns ou les autres.
02:39Elle se comportait vraiment comme tout le personnel politique de l'époque.
02:42Marie-France Garot elle-même m'a raconté une anecdote assez édifiante,
02:46qui je pense caractérise assez bien, effectivement,
02:49le fait qu'elle ait usé de codes masculins.
02:52C'est pendant la réélection présidentielle de 1969,
02:56c'est Georges Pompidou qui est candidat.
02:57Marie-France Garot travaille comme conseillère de Georges Pompidou.
03:00Et il y a un très mauvais sondage que l'IFOP s'apprête à publier,
03:03qui donne Pompidou derrière un autre candidat de droite qui s'appelle Alain Poher.
03:07Et là, Marie-France Garot se rue au Polo Club de Paris,
03:10qui est un club sélect,
03:12pour rencontrer le patron de l'IFOP qui s'appelle Roland Sadoun.
03:15Elle va le voir, elle lui dit « mais ne sortez pas ce sondage, vraiment,
03:18ce serait quand même très dommage que vous vous mettiez, entre guillemets,
03:21dans de mauvaises conditions avec le futur président de la République
03:25et sa future conseillère ».
03:26Roland Sadoun refuse, il veut publier son sondage.
03:29Et là, Marie-France Garot se lève, elle le menace, le pointe du doigt en lui disant
03:33« s'ils vont continuer comme ça, vous allez finir avec une balle dans l'œil ».
03:42Marie-France Garot, c'est le symbole d'abord de l'éminence grise à la française.
03:46C'est vraiment la première fois qu'on voit apparaître sur la scène politique,
03:50avec son comparse Pierre Juillet,
03:53ses conseillers de l'ombre qui sont tout à la fois stratèges.
03:56Pour moi, Marie-France Garot, c'est vraiment le symbole de ça.
03:59C'est dans les années 70, aux États-Unis, on appelait ça les « spin doctors ».
04:02En France, c'est vraiment quelque chose qui était beaucoup plus rare.
04:05Et donc, Garot et Juillet ont été les premiers à vraiment symboliser ça.
04:09Et elles symbolisent aussi, quelque part, une époque très particulière
04:12qui est la fin du gaullisme et le début du chiraquisme.
04:16Et c'est vraiment une période charnière parce qu'il y a encore à l'époque
04:19d'anciens résistants, des personnalités très éminentes
04:23qui ont vraiment connu des heures très sombres.
04:25Et en France, c'était des sortes d'années de plomb
04:27parce qu'il y a eu beaucoup de barbouzeries,
04:30des assassinats ou des morts de responsables politiques français
04:35qui ont vraiment semé le trouble.
04:37Donc, quelque part, Marie-France Garot, elle est un peu le symbole de ces années-là,
04:40très particulière, très ambiguë.
04:42L'idée, c'était que la politique et la grandeur de la France
04:46se servent par tous les moyens.
04:47Vu qu'il n'y avait pas encore, à l'époque, la transparence que connaît aujourd'hui,
04:51c'était peut-être aussi, quelque part, plus aisé de recourir à ces méthodes-là.
04:54Moi, je compare souvent Marie-France Garot à une sorte de Patrick Buisson
04:58qui était conseiller, quelque part, un peu occulte de Nicolas Sarkozy
05:01pendant ses cinq années à l'Élysée.
05:03Je pense que c'est lié à l'éducation de Marie-France Garot.
05:05Elle a appris à se faufiler, on va dire, dans ce milieu très masculin
05:09en utilisant des codes masculins,
05:10là où peut-être qu'aujourd'hui, on essaye de valoriser, peut-être,
05:14des codes un peu différents
05:16et qu'on n'est pas sur le même moule pour tout le monde.