Category
📺
TVTranscription
00:00Nous nous recevons aujourd'hui notre invité. Bonjour Gilles Kepel.
00:03Bonjour.
00:04Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:06Vous êtes politologue, spécialiste du monde arabe et auteur de ce nouvel ouvrage
00:10Holocauste, Israël-Gaza et la guerre contre l'Occident.
00:14C'est paru chez Plon.
00:16Alors, plus de six mois ont passé depuis le drame du 7 octobre.
00:20On connaît les conséquences terribles sur le terrain, on en parlera pendant cette demi-rensemble.
00:25Mais d'abord, il est rare d'interroger ou de passer du temps sur le titre d'un ouvrage.
00:29Mais pour le coup, Gilles Kepel, j'aimerais m'arrêter là-dessus.
00:32Puisque le titre de ce livre c'est Holocauste, Holocauste avec un S.
00:36Vous expliquez dans ce livre que vous revenez à l'étymologie même de ce mot Holocauste.
00:41Et vous dites surtout qu'il y en a eu deux.
00:43Qu'il y a eu le massacre du 7 octobre, les actes barbares du Hamas,
00:47mais également les bombardements israéliens.
00:50Vous êtes devenu un homme de provocation, Gilles Kepel.
00:53Et j'irai même plus loin.
00:55Surtout, ce qui est important, avec la façon dont ces deux faits,
01:02cette hécatombe et ce massacre, ou cette radia et ce pogrom, on en reparlera,
01:07ont été mis en scène dans le contexte international,
01:10c'est que l'Afrique du Sud va à l'AE, la Cour internationale de justice,
01:17et dit, le peuple juif à qui on a donné en 1947, par décision de l'ONU,
01:24un état, l'état d'Israël, pour ne plus avoir jamais à subir le génocide,
01:29est devenu, nous disent les Sud-Africains, un peuple génocidaire.
01:33Et désormais, il faut oublier la Shoah, c'est une histoire d'Européens, ça ne nous concerne pas.
01:39Le véritable crime dans l'histoire de l'humanité, c'est la colonisation.
01:45Israël est la pointe ultime de la colonisation.
01:51La Palestine est au contraire le symbole du Sud global et de la justice.
01:57Il faut reconstruire complètement l'ordre du monde, en reconstruire ses fondements moraux.
02:03Ça n'est plus le plus jamais ça, aussi bien les soviétiques que les occidentaux en 1945,
02:11imprimés par le tribunal de Nuremberg, qui compte.
02:13Ce n'est plus la Shoah, l'Holocauste nazie, mais le génocide, c'est la colonisation.
02:21C'est le Nord qui en est le plus important.
02:23Pourquoi, justement, vous, Gilles Kepel, vous reprenez à votre compte ces accusations contre Israël,
02:27puisque vous dites, vous l'écrivez, que parmi les deux Holocaustes, il y a les bombardements israéliens ?
02:34C'est ainsi que c'est perçu. Moi, ce n'est pas mon sentiment à moi.
02:37Si je mets un S à Holocauste, et certains me l'ont reproché, mais ce n'était pas du tout parce que je veux relativiser.
02:44Ce n'est pas cette question. J'essaye de montrer comment, à mon sens...
02:47On peut penser que vous mettez dos à dos le massacre du Hamas et la réposte israélienne.
02:51Les gens qui le lisent ne suivent pas dans ce sentiment.
02:55Mais c'est bien plutôt qu'aujourd'hui, on a une relativisation qui est faite dans l'espace international.
03:04Et que, à mon sens, le 7 octobre est plus important que le 11 septembre.
03:10Au lendemain du 11 septembre, un grand quotidien français du soir avait titré,
03:15qui n'était pas suspect de philo-américanisme excessif, « Nous sommes tous américains ».
03:20Mais au lendemain du 11 septembre, Mme Butler n'avait pas dit devant les indigènes de la République
03:29que le 11 septembre était un acte de résistance.
03:33Elle a dit ici que le 7 octobre était un acte de résistance.
03:37Et ça montre bien les clivages qui se sont construits à l'intérieur des sociétés, y compris occidentales,
03:46ou des sociétés du Nord stigmatisées.
03:49Et en quoi ce qui s'est passé le 7 octobre, et ensuite les bombardements israéliens,
03:55qui ont fait un nombre de victimes importants, même s'il faut prendre avec des pincettes les déclarations du Hamas,
04:02qui ont tendance, bien sûr, à mettre les combattants dans les civils et dans les jeunes hommes, disons.
04:08Mais néanmoins, il y a le fait que ceux qui, aujourd'hui, mettent avant tout le massacre sur lequel on reviendra, j'imagine, du 7 octobre,
04:20ce sont les israéliens et les juifs à travers le monde.
04:24Une grande partie du reste des populations, finalement, après s'être indignés ou pas du 7 octobre, ont eu tendance à l'effacer,
04:33à le passer sous silence, disons, au regard du nombre de Palestiniens qui ont été tués depuis lors par les bombardements.
04:44Vous, Gilles Kepel, vous qui connaissez bien ce monde arabe que vous avez tant parcouru, avez-vous été surpris par l'ampleur de ces réactions anti-israéliennes
04:55qui, et vous venez de le dire d'ailleurs, ont montré qu'une grande partie de la planète a totalement oublié ce qui s'est passé le 7 octobre
05:02pour se concentrer uniquement sur la riposte israélienne au point de l'accuser de génocide ?
05:08Vous en avez été surpris ?
05:10On peut même aller plus loin. C'est qu'une grande partie de la planète aussi, qui aujourd'hui n'a plus mon âge, disons, est beaucoup plus jeune,
05:19considère que ce qui s'est passé pendant la seconde guerre mondiale, c'est de l'histoire.
05:26Et ça ne les concerne plus.
05:28Ceux qui vont représenter, pour un certain nombre de gens notamment, du tiers-monde, l'ancien tiers-monde,
05:35qui aujourd'hui se reconstitue en sud global en intégrant les deux gros morceaux qui restent du bloc soviétique, c'est-à-dire la Russie et la Chine,
05:44dont on va voir pourtant qu'ils sont pleins de contradictions dans cette affaire,
05:48considèrent qu'aujourd'hui, le génocide par excellence, c'est ce que fait Israël à Gaza.
05:56Et ça a été lancé par l'Afrique du Sud, repris par un parti Libriques.
06:00Aujourd'hui, les sandinistes du Nicaragua accusent l'Allemagne de nouveau de génocide,
06:06mais non plus pour le génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale,
06:10mais pour avoir donné ou vendu à Israël des armes qui ont servi à bombarder les Palestiniens.
06:14Donc, vous voyez, ce que j'essaye de montrer avec ça, c'est le basculement complet qui est en train de se jouer aujourd'hui
06:21des fondations morales de l'ordre du monde.
06:26C'est important ce que dit Gilles Keppel, c'est qu'on pourrait penser que cela se limite
06:30ou aux conflits israélo-palestiniens ou aux conflits régionales, on reparlera tout à l'heure de l'Iran,
06:35mais ce que vous écrivez dans ce livre, c'est que c'est l'ordre mondial qui est totalement jeté comme un puzzle
06:41depuis le drame du 7 octobre.
06:44Oui, tout à fait.
06:45Comme si chaque pays de cette planète devait se repositionner en fonction de ce qui s'est passé ce jour-là.
06:49Oui, avec une géographie orthogonale qui change, si vous voulez, ça n'est plus le clivage de l'Occident et du bloc soviétique
06:58qui a disparu avec un tiers-monde passif ou mangé par les uns et par les autres,
07:04mais c'est la volonté de recréer cette espèce de sud global que, personnellement, je tiens pour une imposture idéologique
07:13et une aberration géopolitique contre le Nord.
07:17Un sud global, quand on exalte le sud global, on ne pose bien sûr pas la question de la démocratie
07:23ni des droits de l'homme, puisqu'une grande partie de ces pays sont dirigés par des régimes liberticides ou autoritaires
07:29et on oublie aussi qu'une partie non négligeable des populations du sud global en question,
07:35parlons notamment de tous les pays riverains du sud et de l'est de la Méditerranée,
07:40désirent partir dans le Nord, fussent dans des conditions...
07:43Migrent dans les pays du Nord, ces mêmes pays qu'ils dénoncent, et c'est ce que vous écrivez dans cet ouvrage,
07:48des pays qu'ils accusent d'être colonialistes, impérialistes et islamophobes,
07:52et pourtant ces populations du sud, paradoxe, bravent tous les dangers pour rejoindre ces pays qu'ils détestent et qu'ils dénoncent.
07:58Oui, et les populations en question qui sont arrivées dans le Nord, dont les descendants sinon elles-mêmes sont nos concitoyens
08:07et dont un certain nombre, et c'est heureux, ont fait dans le Nord des carrières que leur famille n'aurait jamais pu faire dans le sud,
08:14sont devenus capitaines d'industrie, ministres, députés, enfin journalistes, etc.
08:20Ceux-là-même sont dénoncés par les idéologues du sud comme des apostats et comme des traîtres.
08:27Donc, s'il vous plaît, il ne s'agit pas d'incriminer la totalité de la population concernée,
08:31mais de voir comment ce qui est en train de se jouer aujourd'hui et qui détruit nos universités en ce moment.
08:37Vous avez devant vous quelqu'un qui est mis à la porte et à la retraite anticipée parce qu'il n'est pas woke,
08:42qui est quelque chose d'extraordinaire.
08:44Vous me l'aviez raconté la dernière fois que vous étiez venu sur l'antenne d'IT24 News,
08:46vous m'aviez même raconté que vous aviez découvert malgré vous que le master que vous dirigez à l'école normale supérieure
08:53avait disparu du jour au lendemain, on ne vous avait même pas prévenu, il avait été remplacé, je crois, par des études décoloniales.
08:59Ils appellent ça des études du sud, du sud global, mais c'est donc la même chose.
09:03Et vous avez eu la même chose à Sciences Po, par exemple.
09:06À Sciences Po, pendant plus d'une dizaine d'années, je faisais cours dans le Grand Amphiboutmi.
09:12Et même quand j'étais condamné à mort par Daesh, j'avais mes officiers de sécurité,
09:17c'était plein du début à la fin, on entendait une mouche voler, si nécessaire,
09:22on n'entendait même pas une mouche voler.
09:24Et j'ai formé, je ne sais pas, il y avait 500 places,
09:27donc je ne sais pas combien de générations de gens qui sont ensuite devenus personnes illustres,
09:33ou qui sont présentes dans l'appareil d'État à Sciences Po.
09:36Ce genre d'enseignement a été supprimé car participant de ce qu'on appelle, dans la logique décolonialiste éroquiste,
09:44un grand récit qui mettait, qui essayait de mettre les choses en perspective,
09:49ce qui est un acte de violence interdit.
09:52Donc les étudiants n'avaient plus que des fragments auxquels se raccrocher,
09:57et le résultat, c'est que le malheureux Amphiboutmi a été occupé,
10:02renommé Amphigaza, et a donné les incidents que vous avez vus,
10:06ce qui a conduit de fil en aiguille à ce que le troisième directeur de Sciences Po,
10:10à la suite, démissionne, l'institution est aujourd'hui profondément fragilisée,
10:15et en ce qui concerne l'école normale supérieure, d'autres que moi aussi, ont eu l'occasion de s'en affliger,
10:22puisque le directeur était le co-auteur avec Madame Battler d'un livre récent,
10:28et elle était l'invité d'honneur et l'idéologue en chef de l'école.
10:31Pour aller plus loin sur ce sujet, Gilles Kepel, quel est le point commun ?
10:36Pourquoi aujourd'hui, la pensée woke se rejoint avec la défense de la cause palestinienne ?
10:42Et pourquoi les mêmes personnes qui ont voulu faire cesser vos cours dans ces établissements,
10:48ou faire cesser tout ce qui n'était pas woke, sont les mêmes aujourd'hui,
10:51qui créent des Amphigazas, qui militent pour les Palestiniens et qui sont anti-israéliens ?
10:55Quel est le point de convergence entre ces deux causes, chose qui n'est peut-être pas automatique ?
11:00Ce n'est pas la cause palestinienne à proprement dit,
11:03parce qu'on peut défendre la cause palestinienne, défendre la cause israélienne,
11:07et les Palestiniens en particulier...
11:10Il y a des pro-israéliens woke, vous croyez ?
11:12Non, mais vous savez, la papesse du woke est juive, Judith Butler, et elle en fait état d'ailleurs.
11:20Ce sont les Juifs dits pour la paix, dans leur vocabulaire.
11:24Mais on peut défendre la cause palestinienne, on peut défendre la cause israélienne.
11:28Les accords d'Oslo ont montré qu'il y avait des Palestiniens qui étaient favorables
11:33à l'existence de l'état d'Israël et à la solution des deux états.
11:38Là, je vous parle de ces deux mouvements massifs qui mobilisent aujourd'hui les universités en France.
11:42C'est ce que je vous dis, la question n'est pas d'être pour la cause palestinienne,
11:46c'est d'être favorable au Hamas.
11:48C'est tout à fait différent, c'est une partie.
11:52Pour vous, ceux qui ont renommé l'Anfi Gaza, ce sont des gens favorables au Hamas ?
11:57C'est ça qui s'est manifesté.
11:59Ce sont ceux qui expliquent, comme Mme Butler, que le 7 octobre est un acte de résistance.
12:04Le 7 octobre, quoi qu'on pense de Mahmoud Abbas, ce n'est pas lui qui l'a fait.
12:09Et à tel point même qu'aujourd'hui, où à Gaza même, la popularité du Hamas,
12:15telle qu'on peut le voir, est en train de descendre en chute libre,
12:19et où le Hamas a présenté ses excuses à la population,
12:23parce que l'opération finalement n'avait pas prévu les conséquences
12:27et aboutit aux souffrances que l'on connaît,
12:29où Mahmoud Abbas et l'OLP incriminent également le Hamas pour avoir déclenché,
12:36sans réfléchir, quelque chose qui a attiré sur les Palestiniens,
12:40et je cite Mahmoud Abbas,
12:42un malheur pire que ce qu'ont subi leurs parents et leurs grands-parents
12:46lors de la Nakba de 1948,
12:48c'est-à-dire l'expulsion des Palestiniens du territoire qui allait être celui d'Israël.
12:53Ou la fuite de certains d'entre eux, c'est selon...
12:55Oui, selon comment on voudra voir l'histoire, bien sûr,
12:57mais la question véritablement, c'est plutôt,
13:01comment est-ce que des mouvements islamistes radicaux sont devenus,
13:05d'une certaine manière, dans la confusion, dans la bouillie intellectuelle du wokisme,
13:11l'expression de l'avenir de l'humanité ?
13:15Ce que j'ai voulu faire, et c'est pourquoi j'ai mis holocauste au pluriel,
13:19c'est pour montrer en quoi, aujourd'hui,
13:21c'est pas moi qui relativise quoi que ce soit,
13:23c'est pour montrer quel est l'enjeu, comment les mots, comment les concepts
13:27sont utilisés pour de nouveaux types de mobilisation.
13:30Après, on en pense ce qu'on en veut,
13:32le fait que j'ai été moi-même chassé de l'université parce que je n'étais pas woke
13:36indique assez bien de quel côté je me situe.
13:39Mais dans mon travail d'analyste,
13:41j'essaye de montrer comment s'organisent les forces,
13:44comment elles se répartissent, et quels sont les enjeux.
13:47Par-delà, si j'ose dire, l'horreur du 7 octobre,
13:51quelles en sont les conséquences ?
13:53Comme je disais tout à l'heure, c'est pas la même chose le 11 septembre.
13:55Alors, je voudrais qu'on revienne justement sur l'origine de ce 7 octobre,
13:59parce qu'on a l'impression que depuis le 7 octobre,
14:01il y a deux lectures des événements.
14:02Il y a ceux qui voient et qui cantonnent cet événement
14:05à un affrontement entre le Hamas et Israël,
14:08autrement dit, des terroristes qui pour eux sont en fait ceux
14:11qui incarnent la défense de la cause palestinienne face à l'occupant israélien.
14:15Ça, c'est une vision des événements.
14:17Et puis, il y a les autres qui disent, pas du tout,
14:19on n'est pas dans le cadre israélo-palestinien,
14:21on est dans le cadre de la guerre entre l'Iran et Israël,
14:24et même l'Iran plus globalement, et les autres pays de la région,
14:27notamment les signataires des accords d'Abraham
14:29et l'Arabie saoudite qui s'apprêtait à le faire.
14:31Quelle est votre lecture à vous, Gilles Kepel, de ce 7 octobre ?
14:35C'est le Hamas ou alors c'est l'Iran qui est derrière ces événements ?
14:39Au début, j'avais du mal à croire que l'initiative était venue de si noir,
14:44responsable militaire et politique de facto, pour Hamas, de la bande de Gaza.
14:51Puisqu'en réalité, c'est évidemment l'Iran,
14:56avec la puissance de son service de renseignement,
14:59avec sa capacité à organiser les choses,
15:02qui a fourni une grande partie des armes
15:05qui sont passées par les tunnels de contrebande,
15:07avec la complicité de tribus du Sinaï
15:10et le nihil obstate probablement du pouvoir égyptien.
15:13De l'Egypte.
15:14Et aussi, tout le monde a trempé dans l'affaire,
15:17puisque le Qatar finançait Gaza.
15:23Vous savez qu'aujourd'hui, ils ont été dénoncés comme tels par le congrès américain.
15:27Le Qatar a répondu, nous ce que nous avons fait,
15:30on a donné de l'argent à Gaza,
15:32avec, sur la demande de Netanyahou,
15:35pour créer une sorte de bantoustan sur place,
15:39de manière à ce que, au fond, à Gaza,
15:42il y ait une vague prospérité,
15:44et qu'ainsi, quoi que Sinoir pouvait raconter,
15:47il, si j'ose dire, entre guillemets,
15:50il aboierait mais ne mordrait pas.
15:52Et on avait tous les mois un avion
15:55avec 30 millions, 40 millions de dollars,
15:58ça dépendait des relations Qatar-Hamas,
16:02dans les soutes, qui arrivaient de l'aéroport d'Odoa
16:06à celui de Tel Aviv.
16:08Et ensuite, les valises de cash étaient convoyées
16:11par le Mossad ou le Shin Bet, je ne sais plus,
16:13à la frontière d'Erez.
16:15Là, relayés par les services d'enseignement égyptiens,
16:19très présents,
16:21qui le délivraient au Hamas,
16:24qui payaient les salaires des infirmiers,
16:27des professeurs, etc.,
16:29mais dont on peut quand même, légitimement,
16:31je n'étais pas en train de faire les comptes,
16:33imaginer qu'il y avait des frais de dossier assez significatifs.
16:37Si vous regardez aujourd'hui...
16:39C'est ironique, mais bon...
16:41C'est le détournement des fonds par le Hamas.
16:43Oui, mais qui était délibéré...
16:45Vous me racontez toute la chaîne, Gilles Kepel,
16:48mais ma question était, cet acte du 7 octobre,
16:51est-il le fruit d'une réflexion du Hamas,
16:53un acte seul du Hamas,
16:55dans le cadre de sa guerre avec Israël,
16:57ou alors est-ce l'Iran,
16:59par le biais du Hamas, qui a mené cette attaque ?
17:01Alors, au début, j'étais convaincu
17:03que le Hamas n'aurait pas pu le faire seul,
17:05c'est compliqué.
17:07Mais au fur et à mesure,
17:09peut-être qu'on sera démentis dans le futur,
17:11mais au jour d'aujourd'hui,
17:13je pense que c'est Hamas qui a pris l'initiative.
17:15C'est Sinoir qui a vu
17:17qu'il y avait une opportunité extraordinaire.
17:19Les militaires et les chars
17:21avaient été retirés
17:23de la frontière avec Gaza.
17:25Certains expliquent
17:27que beaucoup d'entre eux
17:29avaient été envoyés en Cisjordanie
17:31pour y faire la police,
17:33parce que les colons avaient multiplié
17:35les attaques en 2023
17:37contre les Palestiniens.
17:39Et qu'à partir de ce moment-là,
17:41il y a eu la conjonction
17:43de l'absence des troupes
17:45israéliennes,
17:47parce que M. Netanyahou était convaincu
17:49que jamais Hamas n'attaquerait,
17:51c'est ce qu'on appelle, je crois, en Israël...
17:53La version israélienne, c'est que dans les territoires,
17:55au contraire, il fallait défendre les Israéliens
17:57des attentats palestiniens, je précise.
17:59Comme on veut, mais en tout cas,
18:01il y avait des personnes sur la frontière.
18:03Et c'est pour ça que le massacre a eu une telle ampleur.
18:05S'il y avait eu des troupes habituellement positionnées,
18:07il y aurait eu une incursion,
18:09mais elle n'aurait pas eu cette dimension-là.
18:11Donc vous dites, c'est Sinoir,
18:13le Hamas seul, qui a éliminé...
18:15Oui, je pense qu'il a fait prévaloir
18:17l'agenda propre du Hamas
18:19sur celui
18:21de l'axe de la résistance,
18:23entre guillemets,
18:25et ce qui le montre.
18:27C'est-à-dire le mandataire, Hamas comme mandataire de Téhéran,
18:29et sous-mandataire par rapport au Hezbollah,
18:31qui est beaucoup plus puissant que lui,
18:33a pris l'initiative
18:35à imposer son agenda
18:37à ses patrons.
18:39Ce qui explique que quand Nasrallah
18:41fait sa première déclaration
18:43le 3 novembre, il a attendu quand même quasiment un mois,
18:45il dit, c'est pas nous.
18:47Et c'est d'ailleurs
18:49les outils qui vont se charger de la riposte.
18:51Nous, on doit exercer
18:55le restraint, comme on dirait en anglais.
18:57Et vous avez vu aussi
18:59que quand
19:01Israël a tué
19:03Saleh al-Harouri, qui est un peu
19:05le responsable palestinien
19:07de la Cisjordanie, comme le serait
19:09Sinoir, à part qu'il était à Beyrouth,
19:11en plein fief du Hezbollah,
19:13il n'y a pas eu de réponse
19:15à la même hauteur.
19:17Donc ça dit quoi ? C'est pas fini.
19:19Quand Israël liquide le général Mousavi,
19:21patron des gardiens de la Révolution,
19:23début janvier,
19:25rien non plus. Et là,
19:27Israël vient de faire une opération
19:29exceptionnelle par
19:31son efficience, son point de vue,
19:33c'est-à-dire le général Zahedi,
19:35le patron des gardiens de la Révolution
19:37pour tout le Levant,
19:39a été liquidé
19:41dans le consulat iranien
19:45de Damas.
19:47Et de même, quand
19:49il y a eu des attentats
19:51le 3 janvier,
19:53aux funérailles,
19:55à la commémoration de la mort du
19:57martyr Soleimani, grand chef
19:59des gardiens de la Révolution, qui est un peu
20:01l'imam Hossein
20:03d'aujourd'hui de la République islamique,
20:05par des
20:07sunnites, pardon,
20:09d'Iziz Khorasan,
20:11les mêmes qui ensuite
20:13apprennent à Moscou. L'Iran
20:15envoie quelques missiles sur le Pakistan,
20:17puissance nucléaire, qui rétorquent
20:19très violemment, et sur
20:21le lendemain, le ministre iranien des affaires
20:23étrangères se rend à Islamabad en disant
20:25excusez-nous, il y a un malentendu.
20:27Donc, on n'a pas le sentiment,
20:29que la
20:31logique irano-hezbollah
20:33avait
20:35inclus l'attaque du Hamas.
20:37C'est une initiative qui, d'une certaine manière,
20:39a pris de court les patrons
20:41du Hamas, qui lui avaient fourni les armes,
20:43les munitions, l'entraînement, etc.
20:45Parce qu'on imagine que le Hamas, de son côté,
20:47attendait le 7 octobre
20:49que le Hezbollah
20:51entre également dans le conflit à la frontière nord-israéle.
20:53Oui, en leur forçant la main,
20:55d'une certaine manière. Mais le Hezbollah a une situation
20:57qui est difficile aujourd'hui au Liban.
20:59Ils ont une
21:01impopularité gigantesque, sauf
21:03parmi ceux, et ils sont nombreux,
21:05qu'ils financent, qu'ils prennent en charge,
21:07grâce à la manne qui vient de l'Iran.
21:09Mais il est tenu,
21:11pour la majorité des Libanais,
21:13parce qu'ils contrôlent de facto le pays,
21:15comme la raison pour laquelle le Liban s'est effondré.
21:17Et de même,
21:19aujourd'hui,
21:21les pays sunnites de la région,
21:23que ce soit l'Arabie saoudite,
21:25ou ceux qui ont signé
21:27le pacte d'Abraham,
21:29verraient sans déplaisir, probablement,
21:31qu'un affrontement
21:33entre Israël et le Hezbollah,
21:35dont tout nous dit
21:37qu'il est dans l'air,
21:39voire
21:41un affrontement avec l'Iran,
21:43qui tourne à l'avantage d'Israël,
21:45si ça affaiblit l'axe iranien,
21:47et la disparition
21:49du Hamas comme force militaire,
21:51qui est quasiment actée,
21:53même si M.Sinouar est encore là,
21:55néanmoins,
21:57le Hamas n'a plus la capacité
21:59qu'il avait autrefois.
22:01Tout ce qui affaiblit l'axe iranien
22:03rend possible le financement
22:05par les sunnites, et notamment
22:07par l'Arabie saoudite, du futur
22:09État palestinien, s'il voit le jour.
22:11Qu'est-ce que ça dit, Gilles Kepel d'ailleurs,
22:13qu'est-ce que ça dit le fait que depuis le 7 octobre
22:15et les condamnations massives
22:17dans le monde arabe, pas un seul
22:19signataire des accords d'Abraham
22:21ait rompu ses relations avec Israël.
22:23Au final, nous sommes six mois plus tard,
22:25rien n'a bougé,
22:27et même au-delà, on a entendu la semaine
22:29passée des voix dire
22:31les négociations avec l'Arabie saoudite
22:33sont toujours dans l'air, ça n'est pas
22:35arrêté, cela peut surprendre.
22:37On aurait pu penser que les pays
22:39signataires des accords d'Abraham fassent tous
22:41la marche arrière et tournent le doigt à Israël, qu'est-ce que ça dit ?
22:43Exactement ce que je viens de vous dire,
22:45c'est-à-dire que pour l'environnement
22:47sunnite d'Israël,
22:49l'affaiblissement significatif
22:51de l'axe de la résistance,
22:53c'est-à-dire
22:55la probable liquidation
22:57militaire du Hamas,
22:59l'affaiblissement
23:01tout à fait envisageable du Hezbollah,
23:03ça les arrange,
23:05même au prix de nombreuses victimes civiles palestiniennes
23:07que leur population déplore
23:09et dénonce.
23:11Ça c'est bien sûr la contradiction des dirigeants
23:13arabes et la relation
23:15complexe avec leur population
23:17qui fait que bien sûr ils ne soutiennent pas
23:19la politique de Netanyahou
23:21parce que ça les met en porte à faux.
23:23Mais in fine,
23:25que l'Iran
23:27soit marginalisé au Levant,
23:29c'est un enjeu fondamental.
23:31Pensez à l'Arabie saoudite,
23:33son objectif c'est cette grande
23:35cité qu'ils appellent Neom,
23:37qui est un mélange entre Neo,
23:39c'est le futur, et M qui est le début du mot
23:41arabe Mostakbal, ce qui veut dire le futur.
23:43C'est situé à environ
23:4565 km au sud d'Eilat
23:47et 120 km
23:49au sud de Rafah.
23:51L'Arabie saoudite ne peut pas se permettre
23:53qu'il y ait l'enfer sur Terre à
23:551h30 d'automobile. Et donc
23:57pour eux, l'investissement
23:59dans l'État palestinien,
24:01dans les infrastructures de l'État palestinien,
24:03ils sont les seuls à pouvoir le faire,
24:05ils ne vont pas s'engager dedans
24:07avant que
24:09les Iraniens aient été
24:11mis hors d'état de l'Union. Quand j'en ai parlé
24:13aux Saoudiens de ces histoires, même avant
24:15le 7 octobre, la réponse
24:17des plus hautes autorités qui m'a été faite, c'était
24:19nous n'avons rien
24:21contre le fait de reconnaître la souveraineté
24:23d'Israël, au contraire, ils voient là
24:25un peu comme les Qataris une joint venture,
24:27mais il faut reconnaître
24:29l'État palestinien. Je pensais que ça
24:31voulait dire qu'il n'y aura rien.
24:33Est-ce que la population israélienne, cette fois-ci,
24:35est prête à se diriger
24:37dans cette direction ?
24:39Apparemment non pour l'instant,
24:41vu l'ampleur des traumatismes,
24:43le dégoût,
24:45le manque de confiance évidemment, puisqu'on rappelle
24:47que les habitants d'Ikiboutz qui ont été massacrés
24:49étaient justement des gens de gauche
24:51qui étaient pour la paix.
24:53Ça rend cette option à l'État palestinien,
24:55en tout cas dans un futur proche, assez compliquée,
24:57ne serait-ce que pour le ressenti
24:59de la population israélienne après le 7 octobre.
25:01C'est exact, mais ça ne serait pas la première fois
25:03dans l'histoire que
25:05des solutions
25:07négociées
25:09avec un ennemi
25:11haïssable
25:13aient été trouvées.
25:15La réconciliation avec l'Allemagne nazie,
25:17qui n'était plus nazie, qui avait été
25:19dénazifiée, mais l'Allemagne quand même,
25:21après la Seconde Guerre mondiale,
25:23est là aussi
25:25pour le rappeler, pour l'Europe si vous voulez.
25:27Et de toute façon...
25:29C'est Gaza ?
25:31Ce ne sont pas les palestiniens de Gaza,
25:33bien évidemment, mais ceux qui ont
25:35commis les atrocités,
25:37c'est l'establishment du Hamas.
25:39Et vous pouvez dire, certains disaient,
25:41la population allemande était complice,
25:43tout a été fait ensuite
25:45pour faire en sorte qu'elle ne le soit pas.
25:47Et je crois que c'est ça qui est en train de se jouer aujourd'hui.
25:49Vous voyez ?
25:51Et que la Hadzia,
25:53mise en oeuvre par le Hamas,
25:55le 7 octobre, a eu des conséquences
25:57pour les palestiniens
25:59qui aujourd'hui apparaissent
26:01comme profondément négatives.
26:03Et c'est là que se
26:05joue, d'une certaine manière, par-delà
26:07les choses immédiates, l'avenir
26:09de la région.
26:10Ce sera le mot de la fin. Merci infiniment, Gilles Capel.
26:12Je rappelle la sortie de cet ouvrage,
26:14Holocauste au pluriel, c'est paru chez Plon.
26:16Évidemment, on a expliqué au début de cet
26:18entretien pourquoi ce mot a été choisi.
26:20Évidemment, on suivra ensemble
26:22les évolutions de cette situation qui
26:24a des conséquences, on l'aura compris,
26:26jour après jour. Merci beaucoup, Gilles Capel.
26:28Merci d'avoir été avec nous. Merci aux Café
26:30les éditeurs, et dans un instant, une nouvelle édition
26:32serait une différence.