Six notes de musique marquantes, des publicités de légende... la marque DIM fait partie de notre inconscient collectif. Une marque rare qui a su accompagner comme aucune autre la libération et l'égalité des femmes. Derrière cette marque, son créateur Bernard Giberstein, un homme au destin hors du commun.
Alors qu'en raison d'un numerus clausus à l'encontre des Juifs en Pologne il est contraint de s'exiler en Belgique pour effectuer ses études d'agronomie, la guerre éclate le 1er septembre 1939. Il s'engage dans l'armée polonaise en exil pour combattre le nazisme aux côtés de l'armée française. Lorsque la France capitule, il rejoint la Résistance et sauve des dizaines de familles juives en les faisant passer en Suisse au péril de sa vie.
Au lendemain de la guerre, audacieux et visionnaire, il saisit l'opportunité des bas nylon que les GI's distribuent aux Françaises à la Libération pour se lancer dans la fabrication de bas "chics et pas chers" sous la marque "Bas Dimanche". Très vite, le succès est au rendez-vous et les innovations se succèdent : le bas sans couture, le chapelet de 10 bas à 10 francs et bien sûr le collant, qui va libérer les jambes des femmes : "Dimanche" devient DIM. Industriel doté d'un sens inné du marketing, Bernard Giberstein est aussi précurseur sur le plan social. Il instaure avant tout le monde l'égalité homme-femme et la participation aux bénéfices dans l'entreprise, suscitant un réel sentiment d'appartenance de ses salariés. C'est ainsi qu'à l'aube des années 70, DIM devient le n°1 mondial du collant.
Mais derrière la formidable réussite de Bernard Giberstein se cache un drame : toute sa famille restée en Pologne a été exterminée par les nazis lors de Shoah. Une blessure secrète qu'il va enfouir au plus profond de son coeur : les traumatismes et les démons pour un temps colmatés finiront par le submerger...
Dans son film Daniel Giberstein nous raconte, en son nom et celui de son frère Michel, l'histoire extraordinaire de leur père Bernard Giberstein, de sa Pologne natale à DIM, abordant avec pudeur le lourd fardeau du "silence des tableaux".
Alors qu'en raison d'un numerus clausus à l'encontre des Juifs en Pologne il est contraint de s'exiler en Belgique pour effectuer ses études d'agronomie, la guerre éclate le 1er septembre 1939. Il s'engage dans l'armée polonaise en exil pour combattre le nazisme aux côtés de l'armée française. Lorsque la France capitule, il rejoint la Résistance et sauve des dizaines de familles juives en les faisant passer en Suisse au péril de sa vie.
Au lendemain de la guerre, audacieux et visionnaire, il saisit l'opportunité des bas nylon que les GI's distribuent aux Françaises à la Libération pour se lancer dans la fabrication de bas "chics et pas chers" sous la marque "Bas Dimanche". Très vite, le succès est au rendez-vous et les innovations se succèdent : le bas sans couture, le chapelet de 10 bas à 10 francs et bien sûr le collant, qui va libérer les jambes des femmes : "Dimanche" devient DIM. Industriel doté d'un sens inné du marketing, Bernard Giberstein est aussi précurseur sur le plan social. Il instaure avant tout le monde l'égalité homme-femme et la participation aux bénéfices dans l'entreprise, suscitant un réel sentiment d'appartenance de ses salariés. C'est ainsi qu'à l'aube des années 70, DIM devient le n°1 mondial du collant.
Mais derrière la formidable réussite de Bernard Giberstein se cache un drame : toute sa famille restée en Pologne a été exterminée par les nazis lors de Shoah. Une blessure secrète qu'il va enfouir au plus profond de son coeur : les traumatismes et les démons pour un temps colmatés finiront par le submerger...
Dans son film Daniel Giberstein nous raconte, en son nom et celui de son frère Michel, l'histoire extraordinaire de leur père Bernard Giberstein, de sa Pologne natale à DIM, abordant avec pudeur le lourd fardeau du "silence des tableaux".
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00:00J'ai toujours été admiratif de mon père.
00:17Pour moi, c'était un héros, un homme de cœur, à l'âme généreuse, un novateur
00:28qui réussissait tout ce qu'il entreprenait.
00:30J'aurais rêvé de marcher dans ses pas, mais le destin m'a décidé autrement.
00:37Il ne nous a jamais parlé de son enfance, ni à mon frère Michel, ni à moi.
00:52C'est en cherchant à comprendre ses silences, j'ai découvert ses secrets et ses fantômes.
00:58Moi, Daniel, son plus jeune fils, je veux vous parler de mon père, Bernard Durshteyn,
01:07le fondateur de DIMM.
01:16J'ai toujours été amoureux de mon père, mais le destin m'a décidé autrement.
01:23J'aurais rêvé de marcher dans ses pas, mais le destin m'a décidé autrement.
01:32J'étais dans l'appartement avec ma maman, avec mon papa, et au moment de sortir,
01:54on ne trouve pas mon père qui avait disparu.
01:59On le cherche dans les toilettes, dans la chambre, dans le salon, impossible de le trouver.
02:05Et dans le couloir, je passe devant la porte de ma chambre, qui était ouverte,
02:11et je vois la fenêtre qui est également ouverte.
02:15Nous étions fin janvier, moi je sais que j'avais laissé la fenêtre fermée.
02:19Donc j'ai tout de suite réalisé que quelque chose de dramatique s'était produit,
02:24et que sans doute il avait mis fin à ses jours et s'était suicidé.
02:28Je me suis précipité vers la fenêtre, nous étions au quatrième étage,
02:33et je me suis penché, j'ai vu son corps sur le sol, j'ai tout de suite tourné la tête,
02:39je n'ai pas supporté la vision.
02:42Je me suis précipité vers ma maman, je l'ai prise dans mes bras.
02:46Il a tout de suite compris.
02:50Je me souviens de mon père, si heureux en famille.
03:05Et cinquante ans plus tard, je me demande encore,
03:08comment ce père, que je pensais éternel, a-t-il pu en arriver là ?
03:14Mon père ne nous a jamais parlé de sa famille en Pologne.
03:18La seule vision dont je puisse me souvenir,
03:22c'est que chez nous, à la maison, il y avait le portrait de son papa et de sa maman qui étaient au mur.
03:27Mais lui n'a jamais évoqué le sujet, et nous n'avons jamais posé de question.
03:32A tort, je le regrette amèrement aujourd'hui.
03:36Pour comprendre sa souffrance, et l'origine de son suicide,
03:41pour comprendre sa souffrance, et l'origine de sa dépression,
03:46je dois remonter le fil de sa vie.
03:51Né le 26 mai 1916, à Varsovie,
03:55j'imagine que mon père a vécu une jeunesse heureuse,
03:59entouré de parents aimants, et de ses trois frères.
04:04En 1935, son baccalauréat en poche,
04:08mon père entreprend des études d'ingénieur agronome,
04:12pour rejoindre son propre père dans l'entreprise familiale.
04:16Mais l'antisémitisme en Pologne devient virulent.
04:21L'accès aux universités est interdit aux étudiants juifs.
04:26Mon père doit s'exiler en Belgique, à Jamblou, près de Bruxelles,
04:31afin de poursuivre ses études.
04:34En juin 1939, mon père échoue à l'examen pour l'obtention de son diplôme,
04:39et reste en Belgique, pour préparer la session de rattrapage de septembre.
04:45Il ne rentre donc pas en Pologne, retrouver sa famille,
04:49comme il le faisait chaque été.
04:51Il n'a pas conscience que cet échec vient de lui sauver la vie.
04:58Le 1er septembre 1939, l'Allemagne bombarde Varsovie,
05:03et envahit la Pologne.
05:07Immédiatement, les nazis persécutent la population juive.
05:11Mon père sait sa famille en grand danger.
05:15Il connaît les intentions d'Hitler.
05:18Il a annoncé sans détour sa détermination,
05:23éradiquer la race juive en Europe.
05:35Mon père se retrouve isolé en Belgique,
05:38impuissant à secourir sa famille, prise dans la nasse en Pologne.
05:47En mai 1940, les troupes nazies envahissent la France,
05:52immédiatement, mon père s'engage dans l'armée polonaise en exil,
05:56pour combattre l'ennemi, aux côtés de l'armée française.
06:03Mais un mois plus tard, la France capitule.
06:06Son bataillon se trouve en bordure de la frontière suisse,
06:11et leur premier réflexe, c'est de franchir cette frontière
06:15pour se mettre à l'abri en Suisse, qui est pays neutre.
06:19En Suisse, mon père est interné dans un camp de réfugiés militaires polonais.
06:25Ils sont affectés à des travaux de réfection des routes,
06:28mais disposent aussi de nombreux moments de détente.
06:32Mon père se sent inutile, il n'a qu'une seule obsession,
06:36aider ses frères juifs, qu'il sait en grand danger en France.
06:43Il décide de s'évader du camp
06:46et de rejoindre la résistance en France,
06:50tout en sachant qu'en tant que juif, lui-même,
06:55s'il est arrêté, il risque sa vie.
07:01Mon père gagne alors la région de Lyon,
07:04où il rentre dans la clandestinité
07:07et change d'identité.
07:17Pendant deux ans, il sauve des dizaines de familles juives
07:22en les faisant passer en Suisse, au péril de sa propre vie.
07:27Le danger est partout,
07:30dans un bois,
07:34sur une route,
07:38ou même dans un train.
07:41Cette mise en danger ne lui faisait pas peur,
07:46quitte à ce que l'issue lui soit fatale.
07:51Arrêté par la police française, mon père parvient à s'évader.
07:56Mais il est repris par la Gestapo, les armes à la main,
08:00le 19 août 1944, à Chambéry,
08:04et condamné à mort.
08:07Le lendemain, au petit matin,
08:1018 de ses compagnons d'infortune sont fusillés.
08:15Le tour de mon père est désormais arrivé.
08:18Mais un miracle se produit.
08:21Au même moment, les FFI libèrent Chambéry
08:24et sauvent mon père in extremis.
08:31Quelques mois plus tard,
08:34en mai 1945, au moment de la libération,
08:37la liesse populaire contraste avec la détresse de mon père.
08:43Au début de la guerre, il avait reçu de Pologne
08:46des lettres de ses parents et de ses frères.
08:49Ces lettres lui laissaient encore un espoir de les revoir.
08:53Mais il découvre maintenant la terrible réalité
08:56du destin tragique de sa famille.
08:59Exterminé.
09:02Exterminé.
09:05Par les nazis.
09:08Seul son frère Artek,
09:11émigré en Palestine avant la guerre,
09:14a survécu avec lui à la barbarie nazie.
09:19Quand je vois cette photo,
09:22je ressens la douleur de mon père.
09:26Un fardeau si lourd
09:29qu'il n'a jamais pu en parler.
09:32Je comprends maintenant le silence des tableaux
09:35qui trônaient dans notre salon
09:38où nous étions tous réunis
09:41sous les regards protecteurs de sa mère, Rachel,
09:44et de son père, Miller.
09:47Et c'est sans doute là que sont nés les ferments
09:50de sa dépression.
09:53Alors bien sûr, il va le cacher au fond de lui-même,
09:56il va le mettre dans un petit coffre
09:59dont lui sera seul à détenir la combinaison,
10:02mais les racines de cette dépression
10:05sont sans doute nées à ce moment-là
10:08où il a découvert qu'il se retrouvait
10:11seul au monde.
10:14Seul au monde ?
10:17Égaré ?
10:20Mon père se raccroche à sa famille perdue.
10:23Et il promet à son père avant la guerre
10:26de devenir ingénieur agronome.
10:35Soudain,
10:38la route de mon père s'éclaircit.
10:41Un ange apparaît sur son chemin.
10:44La jolie Sarah
10:47qui restera tout au long de sa vie
10:50et de sa passion.
10:53Si mon père est séduit par sa beauté
10:56et sa joie de vivre,
10:59quelque chose de plus profond les unit encore.
11:02Une résilience
11:05qui vibre à l'unisson.
11:08Car Sarah, elle aussi,
11:11a vécu une guerre très douloureuse.
11:14Ayant enduré la montée du nazisme
11:17et le sémitisme en Allemagne,
11:20en août 1939, Sarah et sa famille
11:23fuient la ville de Francfort
11:26pour rejoindre envers en Belgique
11:29puis en France en zone libre
11:32la ville de Toulouse et celle de Nice.
11:35Mais en septembre 1943,
11:38les Allemands occupent Nice
11:41et déclenchent une impitoyable chasse aux Juifs.
11:44En recherche de contact pour passer en Suisse,
11:47elle est arrêtée par la Gestapo
11:50et transférée au camp de Drancy,
11:53anti-chambre des camps de la mort.
11:56Elle y fait la connaissance du docteur Abraham Drucker,
11:59médecin-chef du camp de Drancy.
12:02Lui-même arrêté comme Juif par la Gestapo
12:05sur dénonciation.
12:08Pour lui éviter la déportation,
12:11le docteur Drucker va réussir à l'exfiltrer
12:14vers l'hôpital Rothschild,
12:17simulant une opération totalement imaginaire.
12:22Lors d'une cérémonie au mémorial de la Shoah,
12:25son fils Michel a évoqué le rôle de son père
12:28pour sauver ma mère.
12:33Excusez-moi.
12:37Plus tard, j'ai appris beaucoup de choses
12:40que je ne savais pas grâce à Daniel.
12:43Et lorsqu'il m'a appelé
12:46en me montrant des photos de Sarah,
12:49j'ai découvert que mon papa
12:52avait tout fait pour la sauver
12:55comme il l'a fait pour Tristan Bernard.
12:58On est toujours attrapés par ses racines
13:01et grâce à Daniel,
13:04avec qui j'ai une relation fraternelle,
13:07tout mon passé, toute ma judaïté
13:10est revenu des années après.
13:13Et là, depuis,
13:16j'essaie de réécrire l'histoire
13:19et de décrypter ce que mon père ne m'avait pas dit
13:22comme Daniel a essayé de décrypter
13:25les silences de son papa
13:28qui a été très très muet sur toute cette période.
13:31Et Dieu sait s'il a été héroïque.
13:34Il a été héroïque pour savoir
13:37qu'il serait l'homme de sa vie.
13:40Leur mariage est célébré à Aix-les-Bains
13:43le 28 août 1947.
13:46Papa veut que ce jour marque
13:49le départ d'une nouvelle vie.
13:52Il est résolu à laisser derrière lui
13:55les fantômes du passé.
13:58Pour avancer.
14:01Pour renaître.
14:04Il le sait.
14:09Et il doit redonner un sens à sa vie.
14:16Après la guerre,
14:19l'économie se reconstruit,
14:22il y a des idées nouvelles
14:25et il est à l'affût d'une idée
14:28Il va entendre parler du nylon
14:31qui est apparu aux Etats-Unis
14:34et qui va tout de suite attirer son attention.
14:37Le nylon, pour mon père,
14:40c'est l'opportunité de fabriquer des bas moins chers,
14:43accessibles aux femmes les plus modestes.
14:46Très vite, il crée la société BJ
14:49acronyme de ses initiales
14:52et installe sa première usine à Troyes.
14:55Il lui donne l'idée de la marque Dimanche,
14:58le jour où les femmes se font belles pour sortir.
15:01Le bas Dimanche, solide, élégant, extra fin,
15:04est le dernier né de la technique américaine et du coup français.
15:07Il est venu s'installer à Troyes
15:10parce que c'était la capitale du bas,
15:13c'est là où il y avait la main d'oeuvre,
15:16les gens qui savaient travailler.
15:19Je le soupçonne d'avoir payé ses ouvrières
15:22et je gagnais le double de lui à l'époque.
15:25Je pense qu'il a dû avoir un petit défaut rédhibitoire
15:28par rapport au Troyes, c'est un nouveau venu.
15:31Ici, c'est un pays de forte tradition.
15:34C'était des entreprises familiales, mais assez conservatrices.
15:37L'innovation, ce n'était pas trop leur truc.
15:40Alors que Bernard Giberson, c'est un innovateur.
15:43Un innovateur assez fou pour garantir ses bas trois mois.
15:46Tous les bas Dimanche, unis et indivariables,
15:49sont garantis trois mois.
15:52Des bas garantis trois mois ?
15:55C'est aussi extravagant que des voitures garanties à vie.
15:58Évidemment, les concurrents fument.
16:01Ils n'apprécient guère les fascicides Montpère.
16:04Ils ne vont pas tarder à les lui faire payer.
16:07Il sentait beaucoup d'hostilité à Troyes
16:10et les Israélites n'étaient pas très aimés.
16:13Sans parler d'antisémitisme,
16:16qui est souvent catholique en plus.
16:19Ce climat lui est insupportable et il est obligé de partir.
16:27Chassés une nouvelle fois,
16:30les fantômes du passé refont surface.
16:33Et je suis certain que cette blessure
16:36est bien plus profonde qu'il n'y paraît.
16:39Quand il quitte Troyes,
16:42il trouve un nouvel endroit pour redémarrer son activité.
16:45Et il consulte un annuaire de ville sinistrée
16:48susceptible de l'accueillir.
16:54Votre père se sera arrêté sur Autun en disant
16:57« Tiens, c'est peut-être là que je pourrais poursuivre,
17:00reprendre mes affaires. »
17:03Oui, mais alors, où le mettre ?
17:06On pourrait le mettre à Sainte-Marie.
17:10Mais l'école Sainte-Marie dépend de l'évêché.
17:13Il faut donc l'accord de Mgr Lebrun.
17:16J'ai téléphoné à l'évêque. L'évêque m'a dit « Oui, pas de problème.
17:19Au contraire, même si Jésus-Versailles n'est juif,
17:22c'est pas un souci. Au contraire, c'est parfait. »
17:25Ça lui a fait un plaisir énorme.
17:28Alors la petite histoire, on a certainement dû vous la raconter.
17:31Jésus-Versailles est venu à Autun avec une carte-chevaux
17:34et un métier à tricoter.
17:37Il est démarré à Autun avec, je crois, 4 personnes.
17:42Et donc, c'était vraiment les pionniers de chez les pionniers.
17:45C'est avec cet esprit de pionnier
17:48que mon père va faire sa première grande révolution,
17:51celle du bas sans couture.
17:54Les bas étaient avec couture à l'époque.
17:57Et pendant la guerre, puisqu'il n'y avait pas de bas,
18:00les femmes se dessinaient un trait sur la jambe
18:03pour faire croire qu'elles portaient des bas.
18:06Nous, les préformeurs qui étaient habitués à travailler
18:09avec cette couture, on s'est demandé
18:12à quoi ça les ressemblait, des bas sans couture.
18:15En plus, les bas avec couture,
18:18ça faisait une belle jambe aux femmes.
18:21Mais Bernard croyait.
18:24Il croyait à 100 %.
18:27C'était pas discutable même.
18:30Et son intuition va lui donner raison.
18:33Quand il voit le bras de ma mère sur les Champs-Elysées,
18:36il se retourne sur les jambes des femmes.
18:39Et d'un dimanche sur l'autre, il constate
18:42que de plus en plus de femmes ont fermé la porte à la couture.
18:45C'est formidable d'être comme ça,
18:48de pouvoir sentir d'avance qu'il va marcher.
18:51Heureusement, tu sais, j'avais suivi ton conseil.
18:54Je portais des bas de dimanche sans couture.
18:57D'ailleurs, toutes les femmes qui étaient là en portaient aussi.
19:01Nous sommes à la fin des années 50.
19:04C'est le plein emploi.
19:07Les Français se reproduisent.
19:10C'est le baby-boom.
19:13La voiture devient accessible à tous.
19:16La France s'équipe.
19:19C'est le boom de la consommation.
19:22Un frigidaire, un joli scooter,
19:25un atomique serre et nous serons heureux.
19:28C'est le fusionnaire.
19:31Il voyait grand.
19:34Sa vision est industrielle, fabriquée en grande série des bains chics et pas chers.
19:37Et les usines dimanche poussent comme des champignons.
19:40Ça a été très vite, on n'arrêtait pas.
19:43Dès qu'il y a une usine qui était finie, on commençait une autre.
19:46Rentrer chez Béji à cette époque, c'était quelque chose d'exceptionnel.
19:49Quand on est arrivés ici, mon père, ma mère,
19:52mes deux soeurs et mon frère aîné
19:55ont été embauchés à l'usine ici.
19:58La société a envoyé un camion et ils nous ont déménagés.
20:01On gagnait en une semaine
20:04ce que mon père gagnait en 3 mois là-bas dans le milieu.
20:07Mon père n'avait pas de voiture, il en achetait une.
20:10Il n'avait pas de télévision de l'époque, en 60 quand même.
20:13Ils ont tout racheté dans les 3 mois suivants.
20:16C'était un miracle.
20:19On était bien. Les gens allaient travailler heureux.
20:23En arrivant, on ne disait pas vivement ce soir qu'on s'en aille.
20:26Tout le monde allait dans le même sens.
20:29On n'imaginait pas se tirer dans les pattes.
20:32Au contraire, on s'aidait, on s'entraidait.
20:35Le directeur venait, il fallait des gens dimanche matin.
20:38Il n'y avait pas besoin de compter. Tous les doigts étaient levés.
20:41On travaillait, mais dans la bonne humeur.
20:44On partait en vacances, on venait, on était content de revenir.
20:47Ces liens qu'on avait entre nous,
20:50on ne les avait jamais retrouvés.
20:59Béni et Gilbertin, quand ils venaient,
21:02il nous fallait pousser à l'expédition.
21:05Lui, il était impatient de nous voir mettre les cartons.
21:08Il prenait les cartons lui-même. C'est extraordinaire.
21:11Et il chargait dans le camion.
21:14M. Giblesten avait une tendresse pour tout son personnel.
21:18Il savait que des ateliers, c'était du personnel humain
21:21qui faisait tourner les machines.
21:24On y voyait bien que c'était un homme humain.
21:27Je me souviens, quand il venait à Épinac, la première chose qu'il faisait,
21:30il passait dans les ateliers voir les gens.
21:33Un petit mot en passant.
21:36Il se préoccupait des problèmes du personnel.
21:39C'était bien exceptionnel, ça.
21:42C'était naturel.
21:46Comme ça devrait être maintenant.
21:49J'avais malheureusement eu une fausse couche.
21:52Quand je suis rentrée au bureau le lendemain,
21:55j'ai été lui dire bonjour.
21:58Je lui ai dit, vous savez, c'était un petit garçon.
22:01Il me regarde et me dit, la prochaine fois, vous en aurez deux.
22:04Effectivement, moins de deux ans après, j'en ai eu deux.
22:07Les garçons.
22:10C'était extraordinaire.
22:14À notre maman, il y a eu un accident de voiture très grave.
22:17Bernard Giberstel a eu vraiment une gentillesse incroyable.
22:20Il a téléphoné à mon père.
22:23Il lui a dit, écoutez, je sais que dans ces cas-là,
22:26il y a de gros frais, il faut aller chez les bons médecins.
22:29Je mets un compte à votre disposition et vous prenez ce que vous voulez.
22:32Mais ça, c'est quelque chose d'exceptionnel.
22:35Ça, on ne le retrouve nulle part.
22:38Il faut bien comprendre que si mon père était aussi proche de ses employés,
22:41c'est qu'il éprouvait le besoin de reconstituer le socle familial
22:44qui lui avait été enlevé.
22:47Il avait perdu le regard de son père
22:50et il avait besoin de le remplacer par le regard de ses employés
22:53qu'il considérait comme ses enfants.
22:59Nous étions dans une multinationale,
23:02mais nous avions l'impression quand même d'être dans une famille.
23:05Une impression confortée lorsque mon père décide d'intéresser son personnel
23:09au bénéfice de l'entreprise.
23:12Je me souviens qu'en 68,
23:15Dim était la première entreprise
23:18à offrir la participation aux bénéfices
23:21avant que la loi soit votée.
23:24Au moment des grèves de mai 68,
23:27je ne me souviens pas avoir vu quelqu'un faire la grève chez Béji.
23:30Ce management moderne ne manque pas
23:33d'attiser la combativité des hommes politiques.
23:37Une usine bas Dimanche s'ouvre à Château-Chinon,
23:40chez François Mitterrand.
23:43Une autre à Hussel, chez Jacques Chirac.
23:46Tous deux fascinés par cet industriel très culotté
23:49dont ils peuvent croiser sur les routes de France
23:52les superbes déesses aux couleurs de Saint-Marc.
23:55Comment font-elles ces parisiennes
23:58pour être si jolies, si élégantes ?
24:01Mon secret, c'est Dimanche sans couture.
24:05De la politique à la publicité,
24:08il n'y a qu'un pas.
24:11Et Marcel Bluchstein Blanchet, fondateur de l'agence Publicis,
24:14propose ses services à mon père.
24:17Il faut que l'on comprenne qu'il n'y a pas de bonne publicité
24:20pour un mauvais produit.
24:23C'est une rencontre magique.
24:26Ces deux hommes, pour moi, extraordinaires, capitaines d'industrie,
24:29l'un dans le textile, l'autre dans la publicité.
24:32Ils ont entendu comme s'ils se connaissaient de longue date.
24:35A mes yeux, ils avaient un passé commun
24:38puisqu'ils avaient tous les deux des origines au-delà de la France.
24:41Ils ont bravé
24:44la guerre, la société
24:47et c'est vraiment, je dirais,
24:50des portes-drapeaux formidables de courage
24:53et d'ambition.
24:56Et cette osmose a duré des années
24:59d'accompagner le développement des deux entreprises.
25:03Chez Publicis, c'est Claude Marcus
25:06qui est responsable de la marque Bas Dimanche.
25:09Dans ma vie professionnelle,
25:12il y a quelque chose que je n'ai jamais oublié
25:15et que je vais vous raconter maintenant.
25:18J'ai invité M. Gibersten à déjeuner avec moi
25:21chez Laurent, un grand restaurant en Paris.
25:24Et au milieu du déjeuner,
25:27je dis à M. Gibersten
25:30que je ne me sens pas capable de faire des Bas Dimanches
25:33d'une marque mondiale.
25:36Alors j'ai une proposition à vous faire.
25:39On laisse tomber le manche.
25:42Merveilleusement, M. Gibersten m'a dit banco
25:45sans me dire je vais réfléchir,
25:48je vais en parler dans la minute.
25:51J'avais commencé mon déjeuner
25:54avec la marque Bas Dimanche
25:57et je l'ai continué pour la première fois
26:00avec le président des Bas Dimanche.
26:03Il a fait confiance et chapeau !
26:25Et pour le lancement de sa nouvelle marque Dim,
26:28c'est dans cette agitation que mon père
26:31va redonner le sourire aux femmes.
26:34Les femmes filaient un bas
26:37et il s'est dit mais au fond,
26:40pourquoi je ne vendrais pas le bas à l'unité ?
26:43L'idée de ne pas vendre les choses en paire
26:46puisque le produit pouvait filer
26:49mais il n'était pas obligé de filer tous les deux,
26:52c'était extrêmement astucieux.
26:55Astucieux mais surtout malin.
26:58Au lieu de vendre ses bas par deux,
27:01mon père va les vendre en chapelets de dix
27:04détachables à l'unité.
27:07Si par malheur le bas filait,
27:10on allait dans les toilettes, on ne le faisait pas.
27:13Le chapelet se vend partout.
27:16Il remplace même les esquimaux dans les cinémas.
27:20Soit un franc le bas,
27:23le succès est immédiat, colossal.
27:30Je crains que les gens présentent
27:33comme une belle histoire, comme un conte de fées.
27:36Ce n'est pas vrai. Il ne faut pas croire que
27:39comme ça, c'est coup de génie, on choisit une musique,
27:42ça marche, on fait ceci, ça marche. Ce n'est pas vrai tout ça.
27:45Ce qui est vrai, c'est qu'il bossait et bossait
27:48et qu'il avait quelques fidèles derrière qui bossaient.
27:51La locomotive était très rapide donc il fallait
27:54s'accrocher s'il voulait rester dans les wagons.
27:57Pour lui, le travail était son meilleur antidote
28:00à la mélancolie et au désespoir.
28:03Il m'a dit écoute-moi bien, tu commences ta vie professionnelle,
28:06donc le génie c'est 0,1%
28:09et le travail c'est 99,9% d'une réussite.
28:12Quand il téléphonait le samedi ou le dimanche à 7h du matin
28:15chez moi, ma femme décrochait le téléphone et il disait
28:18bonjour madame, est-ce que je vous dérange ?
28:21Et ma femme disait, je vais dire que oui !
28:24Ce goût du travail, on l'a attrapé comme ça
28:27et on ne l'a jamais perdu.
28:30De par son histoire, mon père savait que Henri Lien
28:33n'est éternel.
28:39Tout peut disparaître, tout peut vous être enlevé
28:42C'est pour ça qu'il allait toujours de l'avant,
28:45qu'il cherchait toujours à créer de nouveaux produits
28:48et à ne jamais rester sur ses acquis.
28:51Il a eu toute une série de bonnes idées.
28:54Il cherchait toujours des innovations.
28:57Et un matin de 1967, lui vient l'idée simple,
29:00d'assembler deux bas entre eux.
29:03Tout le monde rentre avant le matin avec une bonne idée,
29:06on rentre au bureau, on l'oublie.
29:10C'est moi qui ai fait le premier collant.
29:13C'est-à-dire que M. Gibershtein avait demandé
29:16qu'on fasse un centre de recherche que pour ça.
29:19Je passais proche du bureau
29:22où se trouvait justement l'équipe
29:25en train d'essayer ses collants.
29:28Et la porte était ouverte.
29:31Ce qui fait qu'au bout de 20 mètres,
29:34j'ai vu cette porte ouverte et M. Gibershtein
29:37avait mis un collant.
29:40Du coup, j'ai dit c'est pas vrai, c'est pas lui.
29:43Il a mis le collant? Oui, oui, oui.
29:46J'ai essayé pour voir.
29:49Il a dit ça marche, c'est pour ça.
29:52M. Gibershtein a dit à partir d'aujourd'hui,
29:55nous ne faisons plus que des collants.
29:58Et il abandonnait les bas.
30:01C'était une décision d'un courage extrême.
30:04On a vu les possibilités en termes de volume et d'industrie
30:07et de se lancer là-dedans, d'y croire, tête baissée.
30:10On a fait des centaines de milliers de collants
30:13et ces collants, du jour au lendemain,
30:16ont envahi le marché.
30:19Il n'y a pas de doute que l'arrivée du collant DIMM
30:22a été une révolution.
30:35Il y a comme ça quelques hommes rares
30:38qui font des révolutions
30:41qui ne sont pas uniquement des révolutions de produits,
30:44qui changent la société en profondeur.
30:47Avec la révolution culturelle de 68,
30:50Marie Comte avait fait des minijupes en Angleterre,
30:53elles avaient débarqué à Paris
30:56et le collant est venu naturellement habiller les jambes des femmes.
30:59Je veux dire, c'est hop!
31:05Le collant, comme une magie,
31:08était le produit véritablement qui incarnait la libération des femmes.
31:11C'était l'accompagnement
31:14de la révolution sexuelle,
31:17la libération de la femme.
31:20La liberté était la valeur fondatrice.
31:23Cette époque où on a une ligne de porte-jardin à la poubelle,
31:26c'est une époque qui fait rêver
31:29même les jeunes aujourd'hui.
31:32Le collant a été au cœur de ce changement de société.
31:35À ce moment-là,
31:38une somme colossale de gestes ont disparu.
31:41Par exemple, les femmes avaient besoin de temps à autre
31:44de réajuster leur porte-jartel.
31:47Bon, il y avait un geste toujours à la fois discret
31:50mais pour les hommes tout à fait excitant.
31:53Quand on était étudiant, la descente des voitures,
31:56c'était toujours spectaculaire.
32:00Mais non, les femmes ont réinventé
32:03l'art de séduire autrement.
32:21Comme l'imagination a créé le monde,
32:24elle le gouverne.
32:27C'est typiquement Bernard G. Bernstein.
32:30C'est-à-dire qu'il avait une très grande imagination,
32:33une capacité à partir, à rêver,
32:36à construire des choses, etc.
32:43Et de cette capacité ensuite...
32:46Le collant devenait un objet de rêve.
32:49Il le faisait vivre
32:52et les autres n'avaient plus qu'à juste créer l'image qui allait avec.
32:55C'est des jolies jambes, c'est la séduction,
32:58c'est la modernité, la gaieté, beaucoup de gaieté.
33:04Pour mon père, surprendre,
33:07être là où on ne l'attend pas a toujours été
33:10une nécessité et un moyen de survie.
33:13Pendant la guerre, il empruntait des chemins détournés
33:16pour sauver des vies. En fait, il a toujours été
33:19un homme libre et un révolutionnaire dans l'âme.
33:22Et c'est ainsi, en mai 68,
33:25alors que les étudiants lancent des paris dans la rue,
33:28mon père lance son collant dans un cube.
33:33Il avait le génie de savoir voir autrement
33:36parce qu'on n'aurait jamais pensé mettre un collant dans un cube.
33:39C'est ce que les Américains appellent
33:42« thinking out of the box ».
33:45C'est-à-dire qu'il allait sur les chemins
33:48que d'autres ne regardaient même pas.
33:51C'est ce qui fait les grands patrons d'industrie.
33:54Et en effet, mon père ouste tout.
33:57Il sait qu'un collant non formé épouse naturellement
34:00la forme de la jambe.
34:03S'il supprime l'opération de formage,
34:06il réduit son prix de revient
34:09et peut le vendre moins cher.
34:12Il prend donc le risque fou
34:15de vendre son collant en chiffon.
34:18Une décision lourde.
34:21Il fallait la prendre, celle-là, quand même.
34:24Beaucoup de gens disent « ben non, tu as tort ».
34:27Quand on l'a vu la première fois, on s'est dit
34:30« on va se casser la figure ».
34:33On n'a jamais réussi à vendre un produit comme ça.
34:36Un chiffon, quoi. C'était un chiffon, le collant.
34:39Il avait plusieurs arguments pour faire cette révolution.
34:42Le produit non formé restait beaucoup plus élastique.
34:45Le prix de revient.
34:48Il voyait la combinaison de ces 2 avantages.
34:51Un pour l'industriel, l'autre pour la consommatrice.
34:54Les petits cubes ont joué le rôle d'habillage et de personnalité.
34:57Ce qui est fort dans DIMM, c'est son identité.
35:06Instantanément, les petits cubes DIMM
35:09s'envolent dans les rayons des grands magasins
35:13En un an, toutes les femmes portaient des collants.
35:16On livrait, on vendait, on fabriquait l'équivalent
35:19d'un million de collants par jour.
35:22Vous imaginez un million de collants ?
35:25Ce succès incroyable s'accompagne de publicités mythiques
35:28qui enracinent la femme DIMM dans l'inconscient collectif.
35:33La fille DIMM, elle est là, légère et court-vêtue.
35:36Toujours, elle montre ses jambes, parfois ses fesses.
35:40Mais toujours par hasard.
35:43C'est le coup de vent, elle montre les escaliers où elle les descend.
35:46Sans doute que vous vous souvenez
35:49de cette image emblématique de Marilyn Monroe
35:52avec le vent qui passe et qui soulève sa jupe.
35:55Sans doute que l'un des créatifs a dû s'en inspirer.
36:09Si on a une signature de marque, elle est sonore.
36:12Et enrobée d'une musique de légende.
36:15Nous avions acheté cette musique pour un an
36:18et on a renouvelé pendant au moins 40 ans
36:21les droits de l'auteur qui était un grand de la musique.
36:24Écoutez ces génériques, c'est Lalo Chiffrine
36:27qui les a composés en pensant à vous. Lalo Chiffrine.
36:40Dès qu'on entend la musique, on voit les images.
36:43Les images d'une femme libre
36:46qui chez Dim est déjà l'égal de l'homme.
36:49Alors que ce sujet fait encore débat
36:52à la télévision.
36:55Je crois qu'on pourrait peut-être commencer par le problème
36:58de l'égalité des rémunérations dont vous avez parlé
37:01l'un comme l'autre dans vos films.
37:04Quoique personne ne conteste qu'il y a une différence globale
37:07de 33,6% entre les salaires des femmes
37:10et les salaires des hommes.
37:13A l'époque de Bernard Giberson, ça n'était pas un handicap
37:16d'être une femme.
37:19Les salaires étaient les mêmes et les conditions de travail
37:22étaient exactement les mêmes pour la femme et l'homme.
37:25Mon père a toujours voulu faire progresser la condition féminine.
37:28Donc même dans son couple, très peu de temps
37:31après leur mariage, il a appris à ma maman
37:34à conduire et ma maman a été
37:37l'une des premières femmes
37:40à avoir sa voiture et à se déplacer
37:43de manière complètement autonome.
37:46Ainsi chez Dim, les femmes étaient incitées
37:49à gravir les échelons.
37:52C'était totalement antodidacte.
37:55La société Dim donnait effectivement les moyens
37:58aux personnes qui voulaient, qui avaient la volonté,
38:02Un jour, il m'a dit comme ça, en passant,
38:05vous allez être directeur de production, c'est d'accord ?
38:08Je lui ai dit oui, pourquoi pas ?
38:11C'était un homme effectivement d'exception.
38:14Un de ces hommes rares
38:17qu'il est bon de rencontrer
38:20et qui change la destinée des gens.
38:26Oui, mon père a changé la destinée des gens.
38:29Mon père a changé la destinée des gens
38:32et parfois même dans leur vie personnelle.
38:39Elles étaient toutes jolies les filles de chez Dim.
38:42Il y avait des filles mais il y avait des hommes aussi.
38:45Ils travaillaient ensemble.
38:48Je ne veux pas faire de dessin.
38:51Je suis rentrée le 10 octobre 62
38:54et au mois de novembre 62, je connaissais mon mari.
38:57Il n'avait que 16 ans et moi 17.
39:00Il travaillait dans l'atelier de fromage.
39:03On passait devant pour aller aux réparations de bar
39:06et on regardait. Il était tellement beau.
39:12Il y en a beaucoup qui se sont mariés comme ça,
39:15qui se sont connus chez Dim.
39:18C'était ça l'amour chez Dim.
39:21Chez Dim, c'était aussi des rencontres informelles
39:24En compagnie de ma mère, mon père invite à dîner
39:27son directeur de production, Jean Stuhlmann
39:30et son épouse, Vita.
39:33Lors du dîner, Vita révèle ses souvenirs
39:36de petite fille juive pendant la guerre.
39:39Pourchassé par les nazis avec ses parents,
39:42ils doivent la vie à un passeur
39:45dont elle garde un souvenir très précis.
39:50Il était grand, maigre
39:53très brun.
39:56Il portait un béret.
39:59Il nous a emmenés.
40:02On a traversé des champs, des petits bois.
40:05On est arrivés, je pense,
40:08ça devait être un peu en haut d'une colline
40:11où là, il s'est arrêté.
40:14Il a mis le pied sur une borne
40:17et puis il a dit, moi, je ne vais pas plus loin
40:20On est arrivés en Suisse.
40:23On s'est quittés et puis, ma foi,
40:26je pensais ne jamais le revoir.
40:29L'écoutant attentivement, mon père semble
40:32totalement bouleversé par cette histoire.
40:35Et donc, lui s'est tourné vers moi et m'a dit
40:38mais au fait, quel est votre nom de jeune fille ?
40:41Je lui ai dit Cizinski,
40:44Tchichinski en Yiddish.
40:47Il s'est dit, je connais ce nom.
40:50Il s'est révélé que c'était lui
40:53notre passeur.
40:56Et là, les images se sont superposées.
41:02Et je peux vous dire
41:05que pour moi, et même maintenant
41:08quand j'y pense, quand j'en parle
41:11c'est un moment absolument magique.
41:14Comme la famille de Vita.
41:17Mon père a sauvé des dizaines de familles juives
41:20au péril de sa propre vie.
41:23Et lors de ma Bar Mitzvah,
41:26nombre d'entre elles étaient venues leur remercier.
41:45Il y avait des dizaines de personnes
41:48qui sont venues voir ce qu'il doit Flavien Bernard.
41:51Parmi elles, Hélène
41:54que mon père avait sauvée avec toute sa famille.
41:57De ce jour, elle lui vouait une reconnaissance éternelle.
42:00Mon père avait de quoi en être fier.
42:03Pourtant, il n'en a jamais parlé.
42:06D'abord, ce n'était pas sûr qu'il imagine
42:09que les gens comprennent.
42:12Et puis que c'était difficile d'en parler tout simplement
42:15parce que ça lui rappelait tous ceux qui n'étaient plus là.
42:19Et lors du discours que je prononçais le soir même
42:24j'ai surpris le regard de mon père
42:27plongé dans une profonde mélancolie.
42:32Maintenant, je sais qu'il cherchait ses parents
42:35ses frères
42:38dans une tombe
42:41creusée au plus profond de son cœur.
42:52Et c'est dans le souvenir des siens
42:55qui rêvaient d'un pays où les juifs pourraient enfin vivre libres
43:00que mon père a puiser l'énergie farouche
43:03de contribuer au développement de l'État d'Israël.
43:12Au début de l'année 1967
43:15Israël est menacée de disparition par ses voisins.
43:33Certaines prises de risques sont encore plus risquées
43:36si j'ose dire, que d'autres.
43:39D'aller en Israël alors que
43:42ce pays risquait d'être emporté
43:45c'est un courage inouï.
43:48Mais rien ne peut arrêter mon père, rien.
43:51Même pas la guerre.
43:56Et en avril 1967
43:59il y crée la société Guybor
44:02diminutif de son nom mais aussi mot hébreu
44:05signifiant héros.
44:08Deux mois plus tard, le 5 juin au petit matin
44:11menacé par ses voisins
44:14Israël prend les devants et attaque.
44:17Et par miracle et contre toute attente
44:20Moshe Dayan remporte la victoire en six jours.
44:39Quand mon père découvre pour la première fois l'immense salle
44:42de l'usine de Kiryat Shmona encore en construction
44:45il s'exclame, magnifique
44:48on pourra y installer 3200 métiers
44:51son directeur israélien le prend pour un fou.
44:54Pourtant, quelques mois plus tard
44:57les 3200 métiers tournent à plein régime.
45:09Au final, Guybor emploiera plus de 6000 personnes
45:12réparties dans 12 usines
45:15à travers tout le pays.
45:18Et c'est doté de ce formidable outil industriel
45:21que mon père va s'attaquer au marché américain.
45:27Il crée la marque de Guybor
45:30et de l'usine de Kiryat Shmona
45:33pour la première fois.
45:37Il crée la marque Legz
45:39jouant sur l'homonyme egg, œuf
45:42et leg, jambe
45:45et remplace le cube par un œuf.
45:48Et comme Dim en France
45:51Legz devient numéro 1 aux Etats-Unis.
46:07Ce succès vaut à mon père
46:10le titre de premier exportateur du pays.
46:13Et la reconnaissance de Golda Meir
46:16première ministre d'Israël
46:19elle le félicite en présent de toute sa famille
46:22et reconnaît en lui
46:25son importance.
46:36Un vrai Guybor
46:39héros de l'état d'Israël.
46:42Toujours soucieux de construire un monde meilleur
46:45mon père offre un hôpital à la ville de Kfar Saba.
46:50Lors de la pose de la première pierre
46:53il est profondément ému
46:56au retentissement de la Atikva, l'hymne israélien.
47:00Atikva en hébreu signifie
47:03espérance.
47:06Cette espérance qui ne l'a jamais quitté
47:09jusqu'à devenir à l'aube des années 70
47:12le numéro 1 mondial du colon.
47:17Des gens comme ça vraiment
47:20je ne sais pas s'il y en a un tous les 20 ans.
47:23Vous allez trouver quelqu'un comme Steve Jobs
47:26en France vous allez trouver quelqu'un comme Gilbert Trigano
47:29Bernard Gilbertson était un entrepreneur rare.
47:32Dans son domaine il a été âgé.
47:42Mais c'est le moment où s'annonce la fin des 30 glorieuses
47:47dont mon père avait si bien su prendre la vague.
47:50Les français sont inquiets parce que
47:53ils se réveillent d'un trop beau rêve.
47:56La crise pétrolière met subitement un terme
47:59aux années de prospérité que la France vient de connaître.
48:06Nous sommes au bord d'une année difficile
48:09sans aucun doute.
48:12C'est précisément le moment où effet boomerang de la libération féminine
48:15la mode du pantalon pour femmes
48:18surgit sans crier gare.
48:22Elle provoque d'emblée une baisse brutale de la vente des colons
48:25sur le marché européen.
48:28Pour compenser cette baisse mon père va défier le marché japonais
48:31une forteresse pourtant réputée imprenable.
48:34L'expansion au Japon a été très rapide.
48:37Dim avait envahi le marché japonais.
48:40Ça prenait des proportions gigantesques.
48:43Je me souviens avoir reçu une carte postale disant
48:46dans 6 mois on a plus de 50% du marché.
48:50Et la réplique du Japon va être cinglante.
48:53Le Japon a pris peur.
48:56Très vite ils se sont ligués contre lui à tout point de vue.
48:59L'antectionnisme est hanté du Japon qui a fermé les frontières
49:02qui a mis des taxes importantes et des quotas.
49:05Le système japonais tout entier
49:08les producteurs, les distributeurs
49:11les autorités ont fait en sorte
49:14qu'ils soient muselés.
49:17Quand les difficultés sont apparues au Japon
49:20je me souviens nous étions en vacances en famille
49:23sur le bateau en Corse.
49:26Et lors d'une escale à Bonifacio, à l'époque il n'y avait pas de portable
49:29mon père est allé appeler son bureau
49:32d'un café sur le port.
49:35Et quand il est revenu il était blême.
49:38Et il nous a dit ça se passe mal au Japon
49:41les banques ont coupé les crédits
49:45À Paris, ils découvrent la situation.
49:48Les banques ont pris les reines de l'entreprise
49:51et cartent mon père de la direction.
49:54On nous a annoncé que nos nouveaux patrons
49:57étaient tatatatata
50:00donc évidemment ça fait toujours un choc
50:03et on ne sait jamais comment ça va se passer.
50:06Là on a perçu cette période comme l'occupation.
50:09Démunis de tout pouvoir, meurtris au plus proche
50:12de son être, mon père préfère démissionner
50:15et quitte Dîmes.
50:18C'était pour nous une catastrophe.
50:21C'est comme si l'enfant avait perdu son père.
50:24Mais mon père a bien l'intention de reconquérir son enfant.
50:27Il entre en résistance
50:30réunissant secrètement une poignée de fidèles
50:33l'ayant rejoint à l'extérieur.
50:36Là, mon père explique son plan
50:39Étape 1, déstabiliser l'entreprise de l'intérieur
50:42en mettant des bâtons dans les roues aux branquiers.
50:45Étape 2, trouver un associé
50:48pour revenir en force dans l'entreprise.
50:51Et comme dans la résistance,
50:54il transmet ses instructions par message codé.
50:57Il a réussi à faire passer des messages
51:00comme quoi il y aurait le retour.
51:03Il y avait un clan qui se battait
51:06à l'intérieur.
51:09Ce clan réussit à déstabiliser les banquiers.
51:12Ils sentent bien que la boîte n'est pas sur les bons rails
51:15et ils vont tout faire pour soudoyer les cadres.
51:18Le directoire nous convoquait les uns après les autres
51:21et il disait, voyez là, si vous nous faites confiance,
51:24vous aurez droit à cette prime.
51:27J'ai réagi en disant, on n'achète pas ma confiance.
51:30Et au printemps 1973, mon père revient
51:33avec un associé potentiel, le baron Pic.
51:36Mais le baron est malin, il a bien préparé son coup.
51:39Il a dit, OK, je rentre dans votre affaire
51:42en tant que partenaire minoritaire,
51:45mais au moment de la signature, il va lui faire un coup de jarnac
51:48et lui dire, je ne rentre que si je suis majoritaire.
51:55Devant de telles exigences, mon père hésite un temps.
51:59Mais la tentation du retour est trop forte.
52:02Et la mort dans l'âme,
52:05il prend la décision
52:08d'accepter les conditions du baron Pic.
52:14Dans l'entreprise, personne ne sait que mon père
52:17vient d'abandonner sa liberté pour sauver sa seconde famille.
52:23Il nous a appelés pour nous dire, ça y est,
52:27j'ai dans la poche un chèque du baron Pic
52:30qui va me permettre de reprendre l'entreprise.
52:36Participer à ce retour,
52:39c'est quelque chose d'inimaginable.
52:42En plus, on l'attendait
52:45et à un moment donné, on ne voulait plus y croire.
52:48Les gens étaient tellement émus de le revoir
52:51et tellement touchés.
52:54Une explosion de voix.
52:57Ça me donne encore les frissons.
53:00Et les choses sont reparties.
53:03Et il était heureux, etc.
53:06Et on retrouvait une période
53:09qu'on n'avait plus connue depuis un an.
53:12Pour lui, c'était être parti,
53:15revenir encore plus fort
53:18et rebondir encore mieux.
53:21Mais cet embelli ne va durer qu'un temps.
53:24À la barre de l'entreprise, une nouvelle tempête s'annonce.
53:27Celle d'une cohabitation houleuse
53:30avec le baron Pic.
53:33Quand le baron Pic est arrivé,
53:36c'est sûr que ça fait quand même une blessure.
53:39Tout a changé, l'atmosphère a changé.
53:42J'ai même une anecdote, je ne sais pas si je peux la raconter.
53:45Je vois un monsieur au premier étage
53:48qui me dit « Où est le bureau de Giberstein ? »
53:51Alors moi, soufflée par ce...
53:54On dit « Monsieur Giberstein ».
53:57Il me dit « Je suis le baron Pic, et vous ? »
54:00On s'est retrouvés, si vous voulez, avec deux grands patrons
54:03dans le même bocal. Ça ne pouvait pas durer.
54:06Parce que Pic était un homme de la finance
54:09C'était tout simplement un génie.
54:12Mais le vrai maître à bord était Pic.
54:15Ce n'était plus mon père.
54:18Là, on s'est aperçus qu'avec Pic,
54:21il commençait déjà à renvoyer pas mal de personnel.
54:24Ça commençait d'avoir des frictions.
54:27Mais mon père va tout faire pour sauver ses enfants.
54:30C'est l'évolution technique
54:33qui nous amène à procéder à des concentrations d'ateliers.
54:36Il n'y a aucune suppression d'emplois.
54:39Tous les emplois sont garantis.
54:42Et d'ici un an, on embauchera probablement encore une centaine de personnes.
54:45Dans son dos, devant la résistance de mon père,
54:48le baron Pic décide de le destituer
54:51de son poste de président
54:54et de le reléguer à un poste honorifique.
54:57Mon père a eu beaucoup de mal à l'accepter.
55:00Il a préféré démissionner et quitter le navire.
55:03C'était quand même
55:06un capitaine qui partait.
55:09Donc, c'était une période
55:12difficile.
55:15Pourtant, mon père ne baisse pas les bras.
55:18Il dépose le brevet d'un nouveau collant,
55:21le co-slip Marie-Claire.
55:24Mais quand il veut le présenter aux acheteurs des grands magasins,
55:27qui lui déroulaient le tapis rouge quand il était dîme,
55:30il trouve porte-close.
55:33En fait, c'est le baron Pic qui fait pression sur ses acheteurs
55:36pour ne pas le recevoir.
55:39Pour mon père, c'est un choc terrible.
55:42Son enfant dîme se retourne contre lui.
55:45C'est extrêmement cruel.
55:48Et même s'il nous le cache,
55:51il est anéanti et il ne va pas pouvoir
55:54s'en remettre.
55:57Un profond traumatisme le terrasse.
56:00Il se replie sur sa famille
56:03qui l'entoure le mieux possible
56:06afin qu'il se reconstruise.
56:15Mais on sent malgré tout que la blessure est bien réelle.
56:28Je comprends mieux maintenant les raisons de son geste.
56:31Le stress,
56:34les soucis, ajoutés au traumatisme
56:37indicible de la guerre,
56:40ont fini par user un organisme par trop sollicité.
56:43La terrible dépression,
56:46née des années auparavant,
56:49le submerge.
56:52Même la présence de ma mère à ses côtés,
56:55qui n'a jamais été possible,
56:58ne suffit pas à lui donner le courage
57:01de livrer ce dernier combat.
57:04Mon père avait fait de sa vie
57:07un combat.
57:10Et de ce combat,
57:13une vie.
57:16Sans doute ne se sent-il plus capable
57:19de le mener en ce jour de janvier 1976
57:22à 59 ans,
57:25où il choisit de rompre avec le fil
57:28de la vie.
57:31Il avait éprouvé un sentiment de culpabilité
57:34de n'avoir pu sauver ses parents.
57:37J'éprouve, à mon tour,
57:40le même sentiment à son égard.
57:43Aurais-je pu l'empêcher ?
57:48J'étais persuadée que c'était quelque chose
57:51que j'aimerais toute la vie.
57:55C'était un homme, si vous voulez,
57:58c'était un génie.
58:04Un génie qui nous a fait vivre
58:07un grand moment de l'histoire.
58:10Et puis c'est terminé
58:13au cimetière de l'Est parisien
58:16avec une grande émotion.
58:19Donc ça a été la fin
58:22des belles années.
58:25Une autre époque,
58:28qu'on ne retrouvera certainement jamais.
58:31Et c'est bien dommage.
58:34La présence des tableaux de ses parents
58:37dans le salon signifiait,
58:40à mon sens, pour lui,
58:43que ses parents étaient toujours vivants.
58:47Dans la religion juive,
58:50on meurt toujours deux fois.
58:53Et la deuxième fois,
58:56c'est quand la dernière personne
58:59à se souvenir de vous meurt à son tour.
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