Pendant plus de trente ans, Claude Guittard a été l’emblématique directeur de la célèbre brasserie parisienne Lipp où les plus grandes vedettes et le monde entier ont défilé. Il raconte ses souvenirs et mille anecdotes dans "Lipp est une fête". Un hommage aussi au monde dur de la restauration. "Une brasserie, c’est de la lumière, du bruit et du mouvement. Retirez un de ces trois éléments et cela devient un restaurant". Claude Guittard montre son attachement à ce terme de brasserie qui accueille plus de 700 couverts quotidiens et emploie plus de 75 personnes. Il insiste aussi sur cette grande maison parisienne qui n’a connu que trois propriétaires et maintient les traditions du savoir-faire et de la gastronomie française.
Lipp est une légende : on y va, on s’y installe pour voir et être vu. Lipp est un monde en soi et où le monde entier se croise de Belmondo à Mitterrand, de Jacques Laurent à Pasqua, en passant par Madonna ou le futur Saint Jean XXIII. Lipp est aussi synonyme de professionnalisme incarné par un Claude Guittard investi d’une mission : défendre l’excellence française. Ajoutons que "Lipp est une fête" est bourré de mille anecdotes plus savoureuses les unes que les autres. Claude Guittard nous plonge au cœur de cette institution de la gastronomie.
Lipp est une légende : on y va, on s’y installe pour voir et être vu. Lipp est un monde en soi et où le monde entier se croise de Belmondo à Mitterrand, de Jacques Laurent à Pasqua, en passant par Madonna ou le futur Saint Jean XXIII. Lipp est aussi synonyme de professionnalisme incarné par un Claude Guittard investi d’une mission : défendre l’excellence française. Ajoutons que "Lipp est une fête" est bourré de mille anecdotes plus savoureuses les unes que les autres. Claude Guittard nous plonge au cœur de cette institution de la gastronomie.
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00:00Le système tremble.
00:01Jamais depuis l'existence de TVL,
00:04le pouvoir n'a été autant placé face à ses propres échecs.
00:07Économique, celui qu'on qualifiait de prodige,
00:10de Mozart de la finance,
00:12a creusé la dette de plus de 1 000 milliards d'euros en 7 ans.
00:16Sécuritaires, Enzo, Thomas, Lola et combien d'autres
00:21ont péri sur l'autel de l'injustice et du laxisme d'État ?
00:24Géopolitique, ils veulent à présent envoyer nos soldats
00:28à la guerre face à une autre puissance nucléaire
00:32qui ne nous menace pas.
00:33Ils ont conduit la France au désastre.
00:36Et pourtant les médias du système,
00:38dont vous assurez la survie financière malgré vous,
00:41pointent du doigt non pas cette élite toxique au pouvoir,
00:44mais le danger des extrêmes, comme ils disent.
00:48Ils obéissent aux ordres.
00:49Ils vous intoxiquent, ils vous désarment.
00:52Sur TV Liberté, nous ne recevons de consignes de personne
00:56et nous n'en donnons à personne.
00:58Sur TV Liberté, nous vous livrons les clés et vous décidez.
01:03Mais pour vivre, TV Liberté doit compter sur votre soutien financier.
01:07Pas d'oligarque, pas de subvention.
01:09Nous ne piquons pas dans votre porte-monnaie
01:11comme le service public le fait.
01:13C'est vous qui jugez de notre utilité avec votre nom.
01:17Vous êtes la seule garantie de notre survie.
01:19Alors, je compte sur vous.
01:27Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
01:48Pendant 30 ans, Claude Guittard a été l'emblématique directeur
01:51de la célèbre brasserie parisienne Lip.
01:54Il raconte ses souvenirs et mille anecdotes dans
01:56L'IPPE est une fête aux éditions du Rocher,
01:59un hommage au monde de la restauration
02:01et aussi un parcours germano-pratin.
02:03Bonjour, Claude Guittard.
02:04Bonjour.
02:05Merci d'être présent ici.
02:07L'IPPE, L-I-P-P-P, quatre lettres.
02:09Et derrière cela, une brasserie avec 75 personnes
02:13accueillant 700 couverts quotidiens.
02:15Une institution donc, je l'ai dit, en quatre lettres.
02:17Mais l'IPPE, qu'est-ce que cela veut dire exactement ?
02:20L'IPPE, ça vient du fondateur,
02:22créateur fondateur de la brasserie,
02:24qui était un Alsacien, Léonard Lippe,
02:26qui a fui l'Alsace annexée en 1870.
02:29Il s'est réfugié à Paris et avec son épouse Petronille,
02:32ils ont ouvert un commerce de brasseries
02:34où ils vendaient bien sûr de la bière
02:36et des produits alsaciens, choucroute.
02:38Au départ, il a appelé cet établissement
02:40la brasserie des Bordurins,
02:41mais très vite, c'est devenu la brasserie Lippe,
02:44donc beaucoup plus facile à mémoriser
02:46et à prononcer.
02:48L'IPPE, on dit par exemple,
02:50l'Edemago, le Café de la Paix,
02:52le Select à Paris, le, il y a un article devant,
02:54là, il n'y a pas, le Lippe.
02:56– Non, il n'y a pas, c'est Lippe.
02:57Et je trouve que ça claque bien,
02:59on va chez Lippe, on peut dire qu'on va chez Lippe,
03:01mais c'est la brasserie Lippe.
03:02– Alors, c'est une brasserie,
03:04c'est important parce que vous avez cette phrase,
03:06une brasserie, c'est de la lumière, du bruit
03:08et du mouvement retirer un de ces trois éléments
03:10et cela devient un restaurant.
03:12La différence est si grande que cela.
03:14– Très, et vous pourrez le contrôler vous-même,
03:17aller dans un restaurant, l'atmosphère est feutrée,
03:20souvent il y a de la moquette au sol,
03:22des éclairages très doux,
03:24très peu de miroirs dans les restaurants,
03:26c'est toujours très feutré,
03:28et ce qui caractérise les brasseries parisiennes
03:30ou provinciales, c'est ce bruit,
03:32du mouvement des clients et du personnel,
03:34la lumière qui est toujours vive
03:36et beaucoup de miroirs pour renvoyer cette lumière
03:39et ça, et puis le service, on continue aussi,
03:42qui est très différent d'un service de restaurant
03:45où on est ouvert de midi à 14h et le soir,
03:48la brasserie s'est ouverte toute la journée.
03:50Donc vous enlevez un de ces éléments,
03:52c'est vrai que ça ne ressemble plus à une brasserie.
03:54– Alors l'IP est synonyme de tradition,
03:56alors là on le voit dans l'ouvrage, tout d'abord,
03:58et ce n'est pas la moindre des qualités d'ailleurs,
04:00c'est que la maison est bien tenue, vous dites,
04:02si l'IP est parvenu à briller dans la ville lumière,
04:04ce n'est pas en tolérant une ampoule grillée.
04:06– Oui c'est vrai, ça c'est un des détails
04:09que je contrôlais tous les jours,
04:11je rentrais par la porte de la clientèle
04:14pour voir si toutes les ampoules étaient bien allumées,
04:17s'il n'y avait pas de grillée.
04:18Je trouve que c'est un petit détail, peut-être,
04:20mais une ampoule grillée, pour moi, c'est une maison mal tenue.
04:24– On est d'accord.
04:25Alors la tradition, elle a ses fans, bien sûr,
04:27mais ce qu'il y a aussi,
04:29c'est qu'il peut y avoir une certaine lassitude dans la tradition,
04:31qui peut s'installer.
04:32La carte est par exemple la même depuis 70 ans,
04:35vous n'êtes absolument pas ouvert à la nouvelle cuisine,
04:38à la bistronomie ?
04:40– Non, il faut laisser la bistronomie aux bistrotiers qui le font
04:43et ils le font très bien.
04:45La brasserie, encore une fois, c'est un endroit de tradition.
04:48Nous avons des clients qui viennent certains jours
04:50parce qu'il y a certains plats, je cite le mardi,
04:53le mardi c'est Blanquette de Vaud.
04:54Il y a des clients que je voyais le mardi
04:56que je ne revoyais pas de la semaine,
04:57et ils venaient pour ça.
04:58Et leur changer leurs habitudes, ce n'était pas possible.
05:02– Claude Guitard, la tradition n'aboutit pas toujours
05:05à ce qu'on voudrait, à une forme de désuétude.
05:09C'est vous d'ailleurs qui utilisez le terme,
05:11je l'ai là, avec par exemple le port du rondin pour le personnel.
05:15C'est quoi le rondin ?
05:16– Le rondin, c'est la veste noire que portent les chefs de rang.
05:19C'est un vêtement spécifique à la brasserie
05:23et vraiment ça donne le ton de la brasserie,
05:26ça donne une certaine classe.
05:28On peut imaginer, c'est comme une petite veste de smoking coupée court,
05:31mais ça donne au chef de rang une majesté au milieu de l'établissement
05:35parce que ce sont des acteurs de la vie de la brasserie.
05:39– Claude Guitard, ce n'est pas plus agréable d'être en polo marqué Lip
05:42et avec des sneakers, des baskets ?
05:45C'est quand même mieux pour le service, non ?
05:46– Ah non, quelle horreur !
05:47– Non ?
05:48– Non, je trouve que nous recevons des clients toujours élégamment vêtus,
05:53le personnel se doit d'être élégamment vêtu.
05:56Et pour moi, un polo marqué Lip, ce n'est pas l'élégance.
06:01– Au-delà de la tradition, il y a aussi des interdits.
06:03Est-ce que je peux entrer en short pour manger un cervela
06:06avec un coca chez Lip ?
06:08– Mais là-dedans, vous ne pourrez pas rentrer chez Lip en short.
06:11– Mais je suis le client, M. Guitard.
06:13– Mais même si vous êtes client.
06:14J'ai fait la fortune des magasins de vêtements autour
06:17parce que je refusais les hommes en short
06:19et ils allaient s'acheter des pantalons dans des grandes enseignes autour
06:22pour revenir parce qu'ils voulaient vraiment venir.
06:24Mais encore une fois, c'est l'élégance.
06:26Et pas de coca, non, c'est une boisson qu'on a bannie depuis des années à la brasserie.
06:33– Et c'est accepté ?
06:35– Et c'est tout à fait accepté par les clients.
06:37Il y a d'autres choses.
06:38On est en France, on vend du vin, du blanc, du rouge, du rosé, de la bière.
06:42On a plein de choses à proposer à nos clients.
06:44Le Coca-Cola n'est pas obligatoire.
06:47– Quand je franchis la porte, et si j'ai bien compris,
06:50si j'ai bien utilisé la porte tambour battant dans le bon sens,
06:55dans quel salle je vais dîner ?
06:57Parce qu'il y a trois salles, dont une au moins où il faut être,
07:01et puis celle que vous appelez le paradis,
07:03puis les deux autres où, j'ai bien compris, il ne faut pas être,
07:05il ne faut pas être à l'étage, à l'enfer.
07:08Discrimination ?
07:09– Non, pas de discrimination.
07:11L'établissement n'est pas très grand.
07:13Même si sa réputation est immense, l'établissement n'est pas très grand.
07:15Il y a 70 tables, donc il faut pouvoir installer des clients partout.
07:19Alors c'est vrai qu'on fait attention à comment nos clients rentrent dans l'établissement.
07:23Et s'ils prennent la porte tambour dans le mauvais sens,
07:26c'est-à-dire que la porte tambour tourne dans deux sens,
07:29le sens contraire des aiguilles d'une montre et le sens des aiguilles d'une montre,
07:32pour des raisons de sécurité.
07:34Si le client la prend dans le mauvais sens,
07:36c'est dans le sens des aiguilles d'une montre,
07:38on sait qu'il n'est pas habitué.
07:40Un habitué ne se trompe pas, il prend la porte dans le bon sens.
07:43Donc ce qui nous permet de sélectionner dès l'entrée,
07:46qui va aller au paradis, qui va aller au purgatoire ou qui va aller en enfer.
07:50– Donc M. Guitère, si j'ai bien compris, si je me présente,
07:52sachant que je n'ai pas de coca, que je n'ai pas de short,
07:55que j'ouvre la porte battant dans le sens inverse des aiguilles d'une montre,
07:59est-ce que j'ai une chance d'être au paradis
08:01ou ça ne sera toujours que pour des happy few en anglais ?
08:06– Non, pas du tout.
08:07Alors vous avez tout à fait votre chance
08:09parce que ce n'est pas un endroit pour les happy few.
08:11À la brasserie, on privilégie la fidélité de la clientèle avant sa célébrité.
08:17Nos clients habitués, fidèles et anonymes ont tout à fait leur place au paradis.
08:22Il faut remplir le restaurant.
08:24De toute façon, il n'y a pas des stars tous les jours pour remplir toutes les tables.
08:28Et on aime bien avoir nos habitués aussi qui nous font confiance depuis des années.
08:33– Les dernières interdits qui pourraient scandaliser Sandrine Rousseau,
08:36il n'y a pas de femmes dans la brigade en salle.
08:38Rassurez nos téléspectateurs.
08:40Enfin, les femmes, elles sont quand même présentes dans l'établissement, évidemment.
08:43– Oui, les femmes sont présentes dans l'établissement.
08:45Il y a des femmes en cuisine, il y a des femmes au vestiaire,
08:47il y a des femmes à l'administration.
08:49Et c'est vrai qu'il n'y a pas de femmes au poste de chef de rang chez Libre.
08:52– C'est un choix ?
08:53– Ce n'est pas un choix, c'est une tradition.
08:56Au départ, dans le premier bail de 1880, il était interdit d'embaucher des femmes.
09:01Bien évidemment, aujourd'hui, cette clause n'a plus lieu d'être.
09:05Mais j'ai passé des annonces avec l'obligation d'être féminin masculin.
09:10Je n'ai jamais eu de femmes qui se sont présentées pour être chef de rang chez Libre.
09:14– Chef de rang chez Libre, c'est difficile.
09:16– Chef de rang, c'est un métier agréable mais pénible.
09:20Et c'est un métier où on transporte des plateaux qui sont parfois très lourds.
09:24– C'est 10 kilos un plateau.
09:26– Un plateau peut faire jusqu'à 10 kilos, oui, avec des bouteilles de vin,
09:29des assiettes en porcelaine, oui.
09:31Donc c'est un métier très physique.
09:33Donc je ne dis pas que c'est réservé aux hommes, pas du tout.
09:35Mais je n'ai jamais eu de candidature de femme.
09:38– Libre raconte la légende, on y va, on s'y installe pour voir et être vu.
09:42C'est vrai, c'est là ?
09:43– Tout à fait.
09:44Libre, c'est le cœur Saint-Germain-des-Prés.
09:46Saint-Germain-des-Prés, c'est le poumon de Paris.
09:48Et c'est un endroit où on a la chance de voir passer le monde entier.
09:53Moi, j'ai eu la chance de voir passer le monde entier.
09:55Donc on vient pour voir et puis on vient aussi pour se montrer.
09:59C'est tout à fait Germain de Pratte.
10:01– Alors j'ai cherché, comme un bon journaliste que je suis,
10:04l'endroit où je pouvais m'assurer de voir et aussi d'être vu.
10:08Alors j'ai retenu trois tables possibles.
10:11La une, la 35 ou la 36.
10:14Ce sont les chiffres qui me viennent à l'esprit à la lecture de votre ouvrage.
10:16Est-ce que je me trompe ?
10:18– Non, vous ne vous trompez pas.
10:19La une, c'est la table mythique.
10:20C'était la table de François Métérand, de Jean-Paul Belmondo, de Robert Haussen.
10:25Enfin, toute une pléiade de gens qui adoraient cette table.
10:27Aujourd'hui, c'est Vincent Lindon qui l'occupe
10:29parce que c'est un client fidèle depuis des années.
10:31Et après, oui, la table 35, elle est en face du bar.
10:34Et là, on voit passer tout le monde.
10:37On voit passer les clients qui vont dans la salle du fond.
10:39Et puis on a une très belle vue sur ce qui arrive.
10:41Un bel endroit pour déjeuner ou dîner.
10:44– Si j'arrive en disant, une fois que j'ai ouvert la porte dans le bon sens,
10:48et je dis, voilà, monsieur Guitart, votre remplaçant aujourd'hui,
10:51monsieur, moi, je souhaite la table 35.
10:53J'ai l'assurance d'aller en enfer ?
10:55– Non, non, non.
10:56Si la table est libre, on vous la donnera.
10:58Là-dessus, on n'est pas sectaire.
11:00Et surtout, on veut faire plaisir à nos clients.
11:02Donc, si la table est libre, si elle n'a pas été réservée
11:05par un habitué, plus habitué que vous, vous l'aurez.
11:09– L'IP est un monde en soi où le monde entier se croise.
11:12Et il est vrai que le monde entier, à la lecture de l'ouvrage,
11:15et on le sait par ailleurs, a défilé et défile encore dans la célèbre brasserie.
11:19Les noms que vous évoquez donnent d'ailleurs le tournis.
11:23Il y a tout d'abord, j'ai essayé de faire des catégories de personnalités,
11:29il y a tout d'abord les politiques.
11:31Ils sont nombreux, proximité de l'Assemblée nationale.
11:33Et vous avez même une petite anecdote sur les horloges de chez l'IP.
11:36– Oui, il y a des horloges.
11:37Alors, chez l'IP, il y a des horloges dans toutes les salles.
11:39Et ces horloges avancent de 7 minutes.
11:41Et en fait, elles avancent de 7 minutes parce que pour aller du Sénat à l'Assemblée nationale,
11:46du Sénat, pardon, à la brasserie l'IP ou de la brasserie l'IP à l'Assemblée nationale,
11:49il faut 7 minutes.
11:50Alors, il fallait 7 minutes quand le boulevard Saint-Germain était dans les deux sens.
11:53C'est un peu moins vrai aujourd'hui.
11:55Mais tous les hommes politiques qui venaient à la suspension de séance,
11:58déjeuner tardivement ou dîner tôt,
12:01ils avaient l'impression de repartir en retard et ils arrivaient à leur séance à l'heure.
12:05– Et puis, il y a tout le monde de la culture et du spectacle,
12:07de Belmondo, vous l'avez cité, à Madonna.
12:10Il y a un sentiment que toutes ces personnalités recherchent chez l'IP
12:13des choses qu'il n'y a pas ailleurs.
12:16Qu'est-ce qu'il y a chez l'IP qu'il n'y a pas ailleurs pour ces personnalités-là ?
12:19– Pour eux, ils ont l'impression d'être chez eux.
12:23Étant donné que le décor n'a pas changé, que la nourriture est toujours la même,
12:26que lorsqu'ils viennent, ils côtoient toujours des gens qu'ils connaissent.
12:30Et pour eux, c'est un peu un refuge.
12:33Dans ce monde qui bouge, dans des restaurants qui changent,
12:35dans un monde où beaucoup de choses changent,
12:38c'est un havre de paix, la brasserie d'IP.
12:40Ils viennent là, le personnel les connaît, les reconnaît,
12:44et le personnel sait aussi ce qu'ils aiment, donc ils sont choyés.
12:48– Et ce qui me surprend, c'est qu'ils viennent alors que
12:51votre environnement direct, Bois-Saint-Germain,
12:53ne donne pas accès aux grands hôtels parisiens,
12:56Ritz-Plaza, Ritz-George V, qui ne sont pas du tout situés,
13:00même déjà sur la même rive, des fois, et pas près de cela.
13:03Donc, ils viennent vraiment volontairement.
13:05Ils ne sont pas à côté du domicile
13:07où ils ont décidé de descendre, Crayon, Ritz, etc.
13:10– Exactement.
13:11On a beaucoup de clients qui dorment en rive droite,
13:14mais qui viennent dîner.
13:15Beaucoup de clients américains, lorsqu'ils sont à Paris,
13:18peuvent venir dîner jusqu'à deux ou trois fois
13:20pendant leur séjour à la brasserie d'IP.
13:22Clients célèbres ou anonymes.
13:24Il y a de beaux hôtels à Saint-Germain-des-Prés,
13:26mais c'est vrai qu'on avait de très bons contacts
13:29avec le Ritz, le Crayon, tous ces grands hôtels
13:32qui nous envoyaient beaucoup de leurs clients célèbres.
13:35– Et votre rôle, est-ce que c'est d'avoir à donner
13:39un aspect familial, un aspect serein, un aspect sans chichi,
13:44un aspect professionnel ?
13:45Quel est le terme qui vous convient le mieux ?
13:47– Je dirais que c'est l'aspect professionnel à la base.
13:49Il faut savoir traiter tous nos clients de la même façon.
13:52Et puis, il faut savoir les connaître et les reconnaître.
13:54C'est important.
13:55Un client aime être connu et reconnu.
13:57Mais c'était aussi sans chichi.
13:59C'est ça, la brasserie.
14:00C'est qu'on parle à nos clients, nos clients nous parlent.
14:02En 30 ans, j'ai pu nouer des liens d'amitié avec clients
14:05qui m'ont vu vieillir, comme je les ai vus vieillir,
14:08mais avec vraiment une belle intimité.
14:11– Vous avez souvent aux obsèques ?
14:12– Souvent.
14:13– Quand cela se présente de personnalités qui ont fréquenté,
14:16ou de personnes, tout simplement, qui ont fréquenté la brasserie ?
14:19– Oui, parce qu'un jour, un client célèbre était mort
14:23et je ne suis pas allé à son enterrement,
14:24qui était pourtant à l'église Saint-Germain-des-Prés.
14:27Et à sortir de l'église, au sortir de la cérémonie,
14:29il y a donc des clients qui sont venus déjeuner
14:31et qui m'en ont fait le reproche.
14:33Ils m'ont dit, mais votre place était là avec nous.
14:35Donc j'ai après décidé d'accompagner mes clients jusqu'à leur dernière demeure.
14:40– Et ça, c'est ce mot qui revient, c'est professionnalisme,
14:43ça me mène donc bien directement à vous.
14:46Vous avez été pendant 30 ans sans relâche
14:49le chef d'orchestre, finalement, de la brasserie.
14:53Est-ce qu'on peut dire quand même le patron ?
14:55– Alors moi, j'avais l'impression d'être le patron, tout à fait.
14:57Le propriétaire des lieux m'a donné entière latitude.
15:00Et pendant 30 ans, je me suis pris pour le patron
15:03avec la liberté d'action dans cet établissement.
15:07– Quand je dis sans relâche, c'est de la première surprise,
15:09c'est que l'IPA a été très peu fermée.
15:11Il a fallu quoi ? La guerre ou le Covid ?
15:13– La guerre, oui, il a fallu la guerre parce que la guerre,
15:16certaines fois, elle s'était fermée parce qu'ils ne trouvaient pas
15:18de nourriture pour servir aux clients.
15:20Le Covid nous a malheureusement aussi fermé, c'est tout.
15:24Et la brasserie s'est ouverte 7 jours sur 7, toute l'année.
15:27– Alors, deuxième surprise, c'est l'aveu personnel que vous faites.
15:31Alors que l'IPA impressionne quand vous avez franchi
15:33pour la première fois le seuil de la brasserie.
15:35Pardon, quand l'IPA vous impressionne, nous impressionne,
15:39vous, quand vous franchissez la première fois la porte de la brasserie,
15:43vous n'êtes absolument pas impressionné,
15:45vous êtes entré nullement intimidé par la réputation de l'établissement.
15:49– Non, parce que je savais que je rentrais dans un établissement mythique,
15:54mais j'avais la chance, de par une éducation, de par une curiosité,
15:57de connaître déjà les clients de la brasserie,
15:59ce qui m'a quelque part rassuré.
16:01Je connaissais les journalistes, je connaissais les hommes politiques
16:03pour les avoir vus à la télé et ainsi de suite,
16:05ou dans les médias, ou dans les journaux, donc je n'étais pas impressionné.
16:10– Le choix de Claude Guitard, choix personnel, mais aussi familial pour vous,
16:14c'est de travailler quasiment 7 jours sur 7, 24 heures sur 24,
16:18y compris pendant des périodes où vous prenez à bras-le-corps
16:21le salon de thé aussi prestigieux parisien à Angelina ?
16:25– Oui, c'est un choix, c'est un choix de couple,
16:28parce que mon épouse m'a supporté,
16:30elle a supporté mes absences parce que je n'étais pas souvent là.
16:32Pendant des années, je suis resté avec mon téléphone sous mon lit,
16:35et s'il sonnait à 1h du matin, je me relevais et je repartais.
16:38J'estime que j'étais au service aussi de mes salariés.
16:43Pour qu'une entreprise fonctionne bien, il y avait 75 salariés,
16:46il faut que le patron soit au service de ses salariés,
16:48parce que sans eux, je n'étais rien.
16:51– Et ce n'est pas la moindre des surprises aussi,
16:53on s'aperçoit que les emplois chez Lippe se font dans la durée,
16:56dans ce monde de la restauration où le débauchage est quand même un sport.
17:00Vous, vous accolez à votre nom le terme de fidélité ?
17:04– Tout à fait, le personnel a été fidèle, parce que je crois qu'on l'a bien traité.
17:08On a respecté leur vie privée, on a respecté leurs horaires,
17:11ils savaient qu'ils travaillaient dans un endroit magique,
17:14mais on a vraiment fait tout ce qu'il fallait pour qu'ils soient bien dans leur travail.
17:19Et l'ancienne témoigne chez Lippe, c'était 19 ans, donc c'est pas mal.
17:24– Je pose la question à Sam, parce que vous êtes un acteur
17:26de la vie de la restauration à Paris et donc en France.
17:30Vous savez, il y a vraiment ce problème-là de débauchage, de manque de personnel.
17:34Quelles sont vraiment les pistes ?
17:35C'est-à-dire, aujourd'hui, c'est un problème
17:37qui s'impose à l'ensemble de la restauration française.
17:39Qu'est-ce que vous dites aux syndicats qui vous représentent,
17:42aux patrons de syndicats qui vous représentent ?
17:44Il faut mieux payer les gens ? Qu'est-ce qu'il faut faire ?
17:47– Alors, il faut mieux payer les gens, c'est sûr,
17:49mais surtout, il faut leur donner un rythme de vie
17:52qui soit compatible avec une vie privée.
17:54– Difficile ? – Non, pas difficile.
17:56– Vous en avez apporté la preuve.
17:58– Alors, moi, j'étais peut-être l'exception,
18:00mais un salarié qui est chef de ranch chez Lippe,
18:02il va travailler 39 heures par semaine, il ne fera pas une heure de plus.
18:05Il aura deux jours de repos, il pourra construire une vie familiale.
18:09La plupart de mes salariés étaient mariés et avaient des enfants,
18:12ce qui n'est pas le cas dans d'autres établissements,
18:14parce qu'on a toujours respecté ça.
18:16Et quand ils arrivaient, ils étaient dans un lieu
18:19où ils avaient tous les équipements pour travailler sereinement.
18:22Créer un esprit d'équipe, c'était ça la clé du succès.
18:25– La fidélité à un aboutissement, la retraite.
18:29Vous écrivez, certains meurent chez Lippe comme on meurt sur scène.
18:33Mourir chez Lippe, ça me surprend que ça ait beaucoup de panache
18:36devant les projecteurs. Et pour vous, non ?
18:38– Non, à un moment, il faut laisser la place.
18:42J'ai adoré ce que j'ai fait pendant 30 ans chez Lippe.
18:45J'en ai que des bons souvenirs, je n'ai aucun regret.
18:48J'ai passé chaque minute intensément,
18:51mais à un moment, il faut laisser la place.
18:54Il faut se retirer tant qu'on est encore digne, je crois.
18:58– Et cette retraite, vous savez, les gens qui prennent la retraite,
19:00c'est qu'ils ne franchissent plus jamais,
19:02même s'ils connaissent le sens de la porte au tambour battant,
19:06qui ne franchissent plus le lieu, parce que voilà,
19:09on tourne cette page complètement.
19:11Vous, vous l'avez tournée complètement.
19:12Lippe, c'est du passé, et n'en parlons plus.
19:14– Ah non, Lippe, ce n'est pas du passé.
19:15Moi, j'adore revenir chez Lippe, ça fait tellement partie de ma vie.
19:19Et je reçois encore beaucoup d'appels de clients ou d'anciens salariés.
19:23Et puis, je m'occupe du prix littéraire de la brasserie,
19:25donc ça me permet de revenir régulièrement.
19:27Et j'adore ce lieu, vraiment, j'adore ce lieu.
19:29– Lippe, c'était la propriété d'une personne.
19:32– Monsieur Lippe.
19:33– D'une famille, la famille Caz.
19:35Aujourd'hui, c'est la propriété d'Olivier Bertrand,
19:37qui a des centaines et des centaines de brasseries,
19:40au moins une centaine sur Paris.
19:43Vous êtes un pion parmi beaucoup d'autres.
19:47– Oui, peut-être, mais c'est surtout de la part d'Olivier Bertrand.
19:51C'est la première brasserie dont il est devenu propriétaire.
19:53Il a toujours été très attaché à ce lieu.
19:55Et encore aujourd'hui, malgré sa brillante réussite,
19:58il fait toujours attention à ce qui se passe chez Lippe.
20:00Il garde toujours un œil sur cet établissement.
20:03Est-ce que cet établissement lui a porté chance ?
20:05Il a toujours un œil bienveillant sur Lippe.
20:08– C'est un brasseur, ce n'est pas un restaurateur.
20:10– C'est un brasseur, mais c'est bien d'être brasseur.
20:12C'est un beau métier.
20:14– Alors, mille anecdotes, mille anecdotes dans l'ouvrage.
20:17Je vous invite à le lire.
20:18C'est un plaisir, bien évidemment, de redécouvrir tout ça,
20:21de redécouvrir la vie parisienne, finalement, dans ce cas-là de meilleur.
20:24Et alors, j'ai trouvé une anecdote incroyable.
20:26Saint Jean XXIII, à la table 31 chaque semaine, c'était presque vrai.
20:31– Oui, c'était presque vrai.
20:32Quand il était cardinal roncalier,
20:34il venait déjeuner chez Lippe avec Monseigneur Veillot.
20:37Et ils adoraient la nourriture de la brasserie.
20:40Ils pouvaient se parler là.
20:42Ils passaient de grands moments ensemble.
20:44Et lorsqu'il a été élu pape, il s'est posé la question.
20:47Il a posé la question à Monseigneur Veillot en disant
20:49mais comment va-t-on faire pour communiquer ?
20:51Et Monseigneur Veillot lui a dit, vous m'appellerez chez Lippe
20:54et comme ça, on pourra parler tranquillement.
20:56Et donc, la vestiaire Berthe, il y avait une cabine téléphonique,
21:00recevait un appel du pape et elle montait,
21:03elle se plantait devant la table de Monseigneur Veillot
21:05et elle lui disait, Monseigneur, il y a le pape au téléphone.
21:08Et les clients autour étaient quand même surpris, rigolés,
21:11se disaient, Berthe perd un peu la tête, ce qui était très vrai.
21:15Le pape était au bout du fil.
21:17– Voilà, il était toujours chez Lippe.
21:19Et puis, deux dernières anecdotes, mais il y en a mille.
21:21Donc, il faut qu'on termine à un moment donné.
21:24La première, c'était quand même incroyable.
21:27Et vous dites qu'à l'époque, le café, il était volontairement mauvais.
21:31– Oui, ça c'était…
21:32– Ah, c'est quand même important, parce que dans une brasserie,
21:34si le café n'est pas bon, moi j'ai toujours appris,
21:36si dans une brasserie, le café n'est pas bon,
21:38eh bien c'est la moitié du problème résolu, les gens arrêteront de venir.
21:41Et vous, vous dites, non, non, non, pas du tout, au contraire,
21:43le café, il était mauvais.
21:44– Pas du tout.
21:45Alors, c'était sous le règne de Monsieur Caz, je dirais.
21:48Il voulait pas de…
21:49Lui, il trouvait qu'un client qui prenait un café,
21:51si le café était bon, il allait en prendre un second,
21:53voire un troisième, et que la table était occupée
21:55pour avoir vendu seulement trois cafés.
21:57Et lui, il estimait qu'il était brasseur avant tout
21:59et qu'il vendait de la nourriture.
22:01Donc, il faisait du mauvais café.
22:02Les clients le savaient, il n'y avait pas de problème.
22:04Donc, les clients allaient, au floor, aux deux magots en face,
22:06mais libéraient la table.
22:08– Et il disait aussi que, quand on faisait la queue,
22:10il disait, on revenait dans trois heures, dans quatre heures.
22:13– Ah oui, il avait une sélection de la clientèle très particulière.
22:17Il ne voulait pas voir de gens qui fassent la queue dans son établissement,
22:21donc il les envoyait, même en face, prendre un apéritif en face,
22:25mais il ne voulait pas.
22:27Et c'est vrai qu'il était un peu dur sur les durées d'attente.
22:31– C'est-à-dire ? C'est vrai, trois heures, quatre heures ?
22:33– Non, trois quarts d'heure, une heure,
22:35mais quand vous venez déjeuner, si on vous demande d'attendre une heure,
22:38ce n'est pas possible.
22:39– C'est un peu beaucoup, c'est un peu beaucoup.
22:41Dernier point, le téléphone.
22:43On en parlait un instant, il y avait une cabine téléphonique.
22:45Aujourd'hui, le téléphone, il est là, il est partout présent.
22:47Est-ce qu'il y a des règles encore pour ce téléphone ?
22:49Parce qu'on le voit bien, là aussi, dans tous les restaurants,
22:51maintenant, on prend en photo son repas, ses amis, le décor.
22:57– Aujourd'hui, il n'y a plus de règles parce que les téléphones sont sophistiqués,
23:01mais au début, des premiers appareils qui avaient des sonneries stridentes,
23:06les communications passaient mal, les clients parlaient quand même très fort,
23:10donc on avait interdit les téléphones portables
23:13parce que c'était insupportable, des sonneries stridentes,
23:16des gens qui n'entendaient pas crier de plus en plus fort,
23:19donc on les avait interdits.
23:20Et puis, dans les années 2005-2010, on a commencé à les autoriser
23:24parce que de toute façon, ce n'est plus possible.
23:27Tout le monde en a et aujourd'hui, on peut avoir une conversation
23:30dans son appareil téléphonique comme on peut avoir une conversation à deux
23:33en ce moment, sans bruit, sans déranger le voisin.
23:37– Dernière question, mais elle est aussi importante
23:39puisque les téléspectateurs se disent peut-être cela.
23:41Ce n'est pas une brasserie pour des initiés,
23:43ce n'est pas une brasserie pour des privilégiés.
23:45Je regardais les prix de la carte, ils sont parisiens, bien évidemment,
23:48mais ils sont loin d'être excessifs, loin, très loin d'être excessifs
23:51comme on peut le voir par ailleurs quand ce sont des chefs étoilés, etc.
23:55Là, en fait, on peut être dans une brasserie avec des prix corrects,
23:58si vous me permettez l'expression.
24:00– Oui, oui, tout à fait, mais on fait attention à cela.
24:02D'abord, notre grand volume de clients nous permet
24:05d'avoir des prix négociés sur ce que l'on achète.
24:08Tout ce qui est fabriqué sur place est vendu le jour même
24:11et on peut garantir, oui, des prix.
24:13Alors, il y a un très beau service, il y a une belle nappe,
24:17un très beau décor, tout cela rentre dans le prix,
24:19mais on essaie d'être tout à fait raisonnable.
24:21Même dans Paris, on peut déjeuner à prix modique chez Lippe.
24:26– Et toujours le cerveau là, et toujours la choucroute.
24:29– Toujours, toujours, ce sont les emblèmes de l'établissement.
24:32– Merci Claude Guittard.
24:34Lippe est une fête, c'est aux éditions du Rocher
24:36et c'est en vente sur le site www.tbl.fr,
24:38à la rubrique boutique, vous le savez bien.
24:40Merci, le monde entier défile dans la célèbre brasserie parisienne
24:44et ce monde entier, vous l'avez rencontré.
24:46Merci Claude Guittard. – Merci.
24:48– Sous-titrage ST' 501