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« République », « républicain »... Ce sont des mots que l’on entend tout le temps. Que raconte ce triomphe de la République ? Comment la définir ? Débat avec Blandine Kriegel, philosophe et auteure de « La République imaginaire. I. La Renaissance » (Cerf, 2022).

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00:00:00Bonjour, bonjour et bienvenue dans Le Grand Face-à-Face, l'émission de débats et d'idées de France Inter, avec aujourd'hui encore une émission spéciale consacrée aux élections législatives qui se tiendront les deux week-ends prochains, des élections comme un saut dans l'inconnu, avec ou sans parachute.
00:00:22Dans la deuxième partie de l'émission, pour le débat, nous recevrons la philosophe Blandine Kriegel, spécialiste de philosophie politique.
00:00:29Elle a beaucoup pensé la République démocratique, au cœur notamment d'une quadrilogie, La République imaginaire, dont le premier volume est sorti aux éditions du CERF en 2022.
00:00:38Une République dont les valeurs sont ô combien interrogées par l'actualité de notre temps.
00:00:42Collaboratrice de François Mitterrand, mais aussi de Jacques Chirac, elle nous livrera son analyse de la situation actuelle et de la fragilité de notre République.
00:00:50Nous l'interrogerons avec Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, et Gilles Finkelstein, secrétaire général de la fondation Jean Jaurès.
00:00:57Mais comme chaque semaine, le Grand Face-à-Face s'ouvre avec leur duel.
00:01:01Le Grand Face-à-Face, Thomas Négarov sur France Inter.
00:01:07Bonjour Natacha et Gilles. Bonjour.
00:01:09Je disais saut dans l'inconnu avec ou sans parachute, vous avez votre parachute ?
00:01:13On le cherche.
00:01:14On le cherche, on va essayer de le trouver ensemble.
00:01:16Un duel particulier aujourd'hui parce qu'entièrement consacré à la campagne.
00:01:20Trois thèmes comme chaque semaine, mais cette semaine pour clarifier au maximum les enjeux, on va prendre les trois blocs au cœur de la campagne.
00:01:26Le Nouveau Front Populaire, le Rassemblement National et le bloc dit central autour du Président de la République avec lequel on lance le duel.
00:01:34La France est à l'heure du choix.
00:01:36Un choix de société, un choix qui engagera notre pays et qui changera le quotidien des Français.
00:01:41Un choix de valeur entre trois visions de ce qu'est la France.
00:01:45Un choix historique car probablement jamais un vote n'aura autant de conséquences.
00:01:51Qu'est-ce qui se joue lors de ces élections ?
00:01:53Cette élection, c'est le choix de votre gouvernement, c'est le choix de votre Premier Ministre, c'est le choix du projet de société que vous souhaitez.
00:02:02Gabriel Attal qui conduit la campagne pour le camp présidentiel.
00:02:06Premier Ministre bien sûr, jeudi il présentait le programme de la majorité présidentielle.
00:02:10Gilles, la digue, pour reprendre l'expression de Gabriel Attal, est-elle en train de céder ?
00:02:17On va voir.
00:02:20On est à un moment où la campagne s'achève au moment précis où elle commence.
00:02:27C'est le lot d'une campagne qu'on n'a jamais vue de 20 jours.
00:02:33Et c'est intéressant d'analyser les dynamiques de chaque bloc, c'est ce qu'on va essayer de faire là.
00:02:39Quand je pense à ce qui se passe aujourd'hui dans la campagne de renaissance, puisque Léon Blum a été cité par le Premier Ministre.
00:02:49Léon Blum en revenant de déportation, son premier discours est devant les secrétaires de section du Parti Socialiste.
00:02:56Il fait un discours célèbre qui s'appelle les devoirs et les tâches du socialisme.
00:03:00Et dans ce discours, il dit à un moment, tout est toujours difficile dans une vie de militant.
00:03:08Il y a les difficultés de la majorité et il y a les difficultés de l'opposition.
00:03:13Il y a les difficultés de la force et il y a les difficultés de la faiblesse.
00:03:18Et Renaissance a goûté pendant des années les difficultés de la force, peut-être en s'aidant même parfois à l'ivresse.
00:03:26Là, ils font cette campagne avec les difficultés de la faiblesse.
00:03:31Et c'est une campagne qui est une campagne difficile.
00:03:35Je trouve que Gabriel Attal y fait face plutôt bravement.
00:03:40Mais c'est une campagne qui est une campagne très difficile parce que c'est une campagne subie.
00:03:45Tous les dirigeants de la majorité ne comprennent pas cette dissolution et aucun Français ne comprend réellement non plus.
00:03:55C'est une campagne hésitante sur la place d'Emmanuel Macron.
00:04:00C'est une campagne improvisée pour la majorité comme pour les autres.
00:04:04Et surtout, c'est une campagne qui est une campagne sur la défensive.
00:04:08C'est une sorte de retraite qu'ils essayent d'organiser si possible en bon ordre.
00:04:14Ils savent que la victoire est impossible. Ils savent que le recul est probable.
00:04:19Et ce climat, ils la font sous un climat qui est assombri avec des souhaits de victoire.
00:04:26Je ne parle même pas des intentions de vote, des souhaits de victoire qui sont faibles, 22%.
00:04:32Avec une image du Président de la République qui est considérablement dégradée.
00:04:37BVA a publié hier un sondage dans lequel ils montraient qu'avec 74% de mauvaises opinions,
00:04:45c'est le plus mauvais score jamais atteint par Emmanuel Macron.
00:04:49Que 15% seulement des Français disent qu'il peut rassembler.
00:04:53Et que 59% des Français disent qu'il n'agit pas de manière responsable.
00:04:58Donc il y a ça qui plane au-dessus et avec un dernier élément par lequel je termine.
00:05:03C'est quand on regarde les projections en siège tout en sachant qu'elles ont très peu de valeur
00:05:08mais tout le monde les regarde.
00:05:10Celle qui a été réalisée il y a deux jours par Harris Interactive.
00:05:14Projection entre 95 et 130 sièges pour la majorité.
00:05:20Ils en avaient 350 en 2017, 250 en 2022.
00:05:25Ils savent qu'ils peuvent être sous les 150 en 2024.
00:05:29Évidemment tout ça fait une campagne difficile.
00:05:32Subie, défensive cette campagne, comment la jugez-vous Natacha ?
00:05:36Et je mets dans le pot commun de la discussion les mots d'Edouard Philippe
00:05:39qui considère qu'Emmanuel Macron est en train de détruire cette majorité.
00:05:42Oui, du côté de la majorité présidentielle en effet il faut regarder les différents acteurs.
00:05:48Parce que ce qui est frappant c'est véritablement la campagne en ordre dispersée.
00:05:54Chaque député sortant macroniste en gros essaye de sauver son siège
00:06:01et sait qu'il sera à peu près tout seul pour le faire.
00:06:04Ce qui est frappant c'est le ressentiment d'une part de ces députés vis-à-vis d'Emmanuel Macron.
00:06:11Ce qui laisse augurer une ambiance au lendemain du 7 juillet
00:06:15même si les meubles étaient à peu près sauvés qui serait assez particulière.
00:06:20Autant en 2017 ces gens, ces inconnus devaient tout à Emmanuel Macron
00:06:26autant là ils ne comprennent pas ce qu'ils considèrent comme un acte quasiment hostile.
00:06:34L'idée que des gens qui s'étaient engagés en 2022, il faut comprendre ce que c'est qu'un siège de député.
00:06:39On s'engage, on y va pour cinq ans, on arrange ses affaires pour cela, on arrange sa vie pour cela.
00:06:46Il y a chez certains quasiment un sentiment de trahison, ça c'est le premier point.
00:06:50Deuxième point.
00:06:51Ils lui doivent tout, la victoire et peut-être la défaite au fond.
00:06:55Exactement et beaucoup n'ont pas forcément démérité.
00:07:00Il faut le souligner, il y a des gens bien et des gens qui ont fait leur travail
00:07:04et qui l'ont fait avec conviction et avec ferveur.
00:07:07Deuxième point, l'entrée en campagne de Gabriel Attal
00:07:12qui change certaines choses, on a vu à quel point il a été assommé au début.
00:07:17Là, vous le disiez Gilles, il prend en main les choses et il y va avec conviction, avec force.
00:07:27En revanche, ce qui est frappant dans ce discours, c'est la reprise de cette thématique
00:07:33« Élisez-moi Premier Ministre » dont on avait débattu ici à propos de Jean-Luc Mélenchon.
00:07:39Dans un sens, en effet, c'est le sens des institutions.
00:07:43Puisque les élections législatives doivent déterminer quelle est la majorité qui va sortir des urnes
00:07:51et c'est le chef, le meneur de cette majorité qui, en toute logique, doit devenir Premier Ministre.
00:07:56Donc je ne trouve pas que ça torde les institutions, ça ne fait que rappeler un fait qui existe dans la Constitution.
00:08:03Mais c'est une façon habile de faire oublier Emmanuel Macron, évidemment.
00:08:07Deuxième point, je suis frappée dans le discours de Gabriel Attal par l'usage, et ça c'est dans la lignée d'Emmanuel Macron,
00:08:13de cette rhétorique « c'est la plus importante élection ».
00:08:17Et là, pour le coup, ça me gêne profondément.
00:08:19Il y a une façon de dramatiser les enjeux, de tendre la vie politique française
00:08:27qui s'amplifie d'élection en élection.
00:08:29Parce que les européennes, c'était ça aussi.
00:08:31Les mots n'ont plus de sens.
00:08:33À force de les user, les mots n'ont plus de sens.
00:08:36Et la seule chose que peuvent comprendre les citoyens, c'est bien le fait que les deux autres blocs ne sont pas légitimes.
00:08:45Et ce qui devient extrêmement préoccupant dans l'espace politique français,
00:08:49c'est cette amplification, et Emmanuel Macron a joué avec ça en dissolvant,
00:08:54cette amplification d'une logique de bloc, dans une lutte à mort,
00:08:59où finalement chacun nie aux deux autres le droit d'incarner une légitimité politique.
00:09:05On ne fait pas une démocratie de cette manière-là, ça ne marche pas.
00:09:09D'autant qu'on les sort quasiment du champ républicain.
00:09:11On en parlera avec notre invité dans un instant.
00:09:14Gilles ?
00:09:15Oui, je rebondis sur ce que disait Natacha.
00:09:17J'ai évoqué les difficultés du premier tour.
00:09:20On peut déjà savoir ce que vont être les difficultés du deuxième tour, pour la majorité.
00:09:26Il y aura, dès le dimanche 30 juillet, les pertes.
00:09:3230 juin ?
00:09:34Dès le 30 juin, il y aura les premières pertes qui vont s'afficher.
00:09:42C'est-à-dire combien de candidats Renaissance, ou de candidats ensemble, de la majorité,
00:09:49pourront se qualifier pour le second tour.
00:09:51Il y en avait 400 en 2022.
00:09:54Il peut y en avoir moins de 300, peut-être moins de 250, le 30 juin.
00:09:59Ça veut dire déjà moins de la majorité absolue.
00:10:02Donc on parle des qualifiés au second tour.
00:10:04Absolument.
00:10:05Quand vous avez moins de candidats, vous n'avez pas de chance.
00:10:08Surtout si vous n'en avez pas assez, même si vous êtes moins de 289, qui est la majorité absolue.
00:10:11Donc ça, ça sera la première difficulté du 30 juin.
00:10:14Et puis il y en aura une deuxième qui fait écho à ce que disait Natacha à l'instant.
00:10:19C'est le dilemme dans lequel va se trouver la majorité,
00:10:23mais on en parlera après, dans lequel va se trouver la gauche aussi.
00:10:27C'est qu'à force de faire une campagne dans laquelle les deux blocs sont renvoyés dos à dos,
00:10:33avec un signe d'équivalence,
00:10:35la question de savoir ce que sera le comportement, les consignes de vote,
00:10:40le cas échéant, les désistements,
00:10:43lorsqu'il y a des triangulaires que l'on ne peut pas gagner,
00:10:46cette question-là, elle va se poser dès le 30 juin.
00:10:50Et donc il y a ces difficultés-là.
00:10:53Je termine par ce que pourrait être l'espoir de la majorité dans cette fin de campagne.
00:11:03Ils jouent sur le registre de la peur, mais il y a une inquiétude dans le pays.
00:11:09Et donc cette idée du rassemblement des raisonnables,
00:11:12puisque des raisonnables en deux mots,
00:11:16c'est ce sur quoi essaye de jouer la majorité.
00:11:20Avec, je crois, deux difficultés.
00:11:23Une, on va dire mineure, mais qui s'est passée cette semaine,
00:11:27qui vient de l'Europe, l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif
00:11:32quand on se veut le camp de la compétence.
00:11:36Après la dégradation de la note de la France, c'est une pierre dans le jardin.
00:11:40Et l'autre, peut-être plus importante, c'est le calendrier, le temps qui manque.
00:11:45On dit de plus en plus, et je crois à raison, que chaque élection a sa vérité,
00:11:49que les comportements des électeurs s'adaptent à l'enjeu, au mode de scrutin.
00:11:53Le problème, c'est que quand il y a trois semaines entre les deux élections,
00:11:57le risque pour la majorité d'une simple reproduction de ce qui s'est passé le 9 juin est un risque très fort.
00:12:04Natacha ?
00:12:05J'ajouterais un point pour prolonger ce que disait Gilles à l'instant.
00:12:08Je suis également un peu gênée par le retour obsessionnel de l'orthodoxie budgétaire
00:12:16comme argument de campagne.
00:12:19Quand je dis obsessionnel, c'est-à-dire qu'il y a évidemment une part de la presse qui se prête au jeu.
00:12:24Nous sommes à temps plein sur des évaluations de programmes économiques.
00:12:29Ça n'est absolument pas illégitime et je considère que la question de l'état économique de la France est essentielle.
00:12:35Sauf qu'on se focalise uniquement, et toujours, sur une vision dans un temps donné de ce qu'est la vie économique
00:12:45et donc le fait que, par rapport à l'état actuel, on ajouterait ou pas des dépenses.
00:12:51Or, il me semble qu'à aucun moment, on envisage les choses de façon systémique
00:12:56en fonction des changements de fonds, de modèles économiques.
00:12:59Ce qui favorise, bien sûr, le phénomène de peur des possédants
00:13:05qui, eux, vont aller voter en fonction du maintien de leurs actifs et de leurs portefeuilles.
00:13:10Et c'est peut-être pour ça que, cette semaine, la majorité présidentielle a vu dans certains sondages
00:13:17sa cote remonter de 4 points.
00:13:19Ça marche, la peur !
00:13:26C'est une question législative dans un contexte particulier, historique.
00:13:31Nous avons souhaité réunir nos forces en respectant les sensibilités des uns et des autres
00:13:37mais dans l'intérêt du pays, se mettre autour de la table pour travailler à son redressement et à son unité.
00:13:44Je crois que nous sommes à un moment important, un moment décisif pour le pays face à la bipolarisation.
00:13:51J'ai fait un choix, il est inédit, mais c'est un choix réfléchi, mesuré.
00:13:57C'est le choix de la France, c'est le choix d'additionner nos forces.
00:14:00Allez, deuxième bloc, pour la première fois ensemble, c'était jeudi,
00:14:04Omedef, Jordan Bardella et Éric Ciotti.
00:14:07Additionner les forces, Natacha, est-ce que ça peut permettre de prendre le pouvoir ?
00:14:11Est-ce que cette union-là, ce fait de campagne, c'est ça qui peut la faire basculer, cette campagne ?
00:14:16Je dirais que c'est un fait de campagne important, dans la mesure où c'est un fait inédit.
00:14:23Et même si Éric Ciotti a été très largement désavoué par son camp, cela raconte quelque chose de l'histoire de la droite.
00:14:35Je vous renvoie à l'entretien avec Henri Guaino dans Le Figaro cette semaine.
00:14:43C'est Henri Guaino qui livrait une analyse à mon avis très intéressante de cette évolution de la droite,
00:14:48de son rapport à l'extrême droite, au Front National, puis au Rassemblement National,
00:14:54et de ce constat que faisait Henri Guaino de l'éradication d'une tendance de la droite, le gaullisme.
00:15:02Le gaullisme qui a pu être incarné par exemple par Philippe Séguin à un moment donné,
00:15:07et c'est cette partie-là qui s'efface.
00:15:09Je veux pour preuve d'ailleurs que je parlais à l'instant de la grande peur des possédants.
00:15:13Mais les extraits que nous venons de passer de Jordan Bardella et Éric Ciotti devant le MEDEF nous racontent cela.
00:15:21Pourquoi ? Parce que, ça a été beaucoup commenté cette semaine,
00:15:24mais le nettoyage du programme du Rassemblement National, qui est assez spectaculaire tout de même,
00:15:30c'est en fait la transformation extrêmement rapide du Front National version année 2010,
00:15:39c'est-à-dire tendance Marine Le Pen-Florian Philippot, en un Rassemblement National,
00:15:44donc nouvelle version très proche de ce que peut être en Italie de Giorgia Melloni,
00:15:50c'est-à-dire l'abandon d'une dimension sociale avec, je pense, ce pari que les classes populaires
00:15:57continueront à voter pour ce parti pour exprimer leur colère et par rejet de l'immigration,
00:16:06et que donc, pour ce qui est du programme économique, on peut aller soigner les classes possédantes,
00:16:12qu'il faut rassurer sur la future orthodoxie budgétaire.
00:16:16La preuve ultime étant cette formidable formule de Jordan Bardella sur le fait qu'il y aura un audit pour évaluer les comptes.
00:16:24C'est ce qu'ont fait tous les gouvernements de droite à chaque fois qu'ils arrivaient au pouvoir,
00:16:29audit qui permettait immédiatement d'annoncer que, hélas, vraiment le cœur brisé,
00:16:34on ne pourrait pas tenir les promesses de campagne et qu'on allait se rallier à la politique économique
00:16:39telle qu'elle a toujours existé ces dernières années, c'est-à-dire, tout simplement,
00:16:44on garde le cadre tel qu'il est, qui permet à des multinationales de pratiquer l'optimisation fiscale,
00:16:50et l'État n'a plus d'argent, donc on taxe un peu, et surtout, on rogne dans les dépenses publiques.
00:16:58— Gilles, est-ce qu'on assiste en fait à l'union des droites ?
00:17:02Ou au choix d'un homme accompagné de quelques troupes ?
00:17:04Est-ce qu'il y a un mouvement politique profond qui peut porter le Rassemblement National au pouvoir ?
00:17:09— Il y a un mouvement politique profond.
00:17:12Natacha a raison de dire qu'Éric Ciotti est parti à peu près seul.
00:17:19En revanche, il y a une partie substantielle des électeurs des Républicains qui approuvent le choix d'Éric Ciotti.
00:17:27Ce qui est frappant quand on regarde ce bloc, c'est que je trouve qu'il est assez clair sur la tactique qu'il poursuit,
00:17:37poursuite de la dédiabolisation, et donc on fait l'accord avec Éric Ciotti, mais pas avec Éric Zemmour.
00:17:43Claire sur l'attitude politique, Marine Le Pen, cette semaine, a dit de manière très claire,
00:17:50si on a une majorité absolue, on sera de bons cohabitants en préparant la prochaine élection présidentielle.
00:17:58Si on n'a pas la majorité absolue, nous ne gouvernerons pas et nous appellerons à la démission du président de la République.
00:18:04Donc, ils disent ce qu'ils vont faire. Ils sont clairs sur la tactique et ils sont flous, et de plus en plus flous, sur le programme.
00:18:12Et cette semaine a encore été une illustration supplémentaire, avec des évolutions qui sont impressionnantes,
00:18:19au point que sur beaucoup de sujets, peu de Français sont capables de dire ce que propose le Rassemblement National.
00:18:25La question...
00:18:26Sans aucun impact sur les sondages.
00:18:28La question est de savoir quel est l'effet de ces évolutions.
00:18:32Est-ce que ça inquiète parce qu'on se dit qu'ils sont nuls, ou est-ce que ça rassure parce qu'on se dit qu'ils sont pragmatiques ?
00:18:41Et quand on regarde où on en est à 8 jours du scrutin, pour l'instant, il y a une dynamique.
00:18:48On le voit dans les intentions de vote.
00:18:50On le voit dans les souhaits de victoire, qui sont souvent un indicateur très intéressant.
00:18:5438% des Français souhaitent la victoire du Rassemblement National.
00:18:59Et on le voit dans les pronostics de victoire, 55% des Français disent que c'est le Rassemblement National qui va gagner.
00:19:07Et donc, ce que j'ai dit depuis le début, c'est que l'enjeu... Dans chaque campagne, il y a un enjeu.
00:19:13Et je le redis, l'enjeu de cette campagne, c'est de savoir s'il y aura une majorité absolue pour le Rassemblement National ou pas.
00:19:20Et je le redis aussi, c'est une perspective qui est possible.
00:19:23Elle n'est pas certaine, mais elle est possible.
00:19:25Quand il y a ce socle, plus de 30%, en 2017, La République En Marche a eu une majorité absolue avec 31%.
00:19:33Le Rassemblement National est au-dessus.
00:19:35Il y a l'amplification du mode de scrutin.
00:19:38Il y a, et ça va être une grande différence par rapport aux élections précédentes, sans doute des dizaines et peut-être plus de 100 triangulaires
00:19:46qui peuvent favoriser le Rassemblement National.
00:19:48Et le risque de très mauvais report entre les deux autres blocs.
00:19:52Donc, ça, c'est, je crois, la perspective possible.
00:19:58On peut s'en accommoder, et beaucoup de Français voient ça sans inquiétude, puisqu'ils votent pour le Rassemblement National.
00:20:06Pour ceux qui ne sont pas dans cette situation-là, il faut en tirer les conséquences dans le vote au premier tour et surtout dans le vote au deuxième tour.
00:20:16C'est vrai pour les Français, c'est vrai pour les électeurs, mais c'est vrai aussi pour les responsables politiques, y compris avant le premier tour,
00:20:22sur la manière dont ils parlent des autres camps, c'est ce que j'évoquais tout à l'heure.
00:20:27Et j'ai été très frappé d'entendre Dominique de Villepin, avec lequel je suis très rarement en accord, dire des choses assez semblables cette semaine.
00:20:35— Natacha, on est assez vieux ici pour se souvenir des grandes manifestations contre l'Assemblement National,
00:20:41contre le Front National au second tour, le 21 avril 2002, nos passaranes.
00:20:45Il n'y a pas grand monde dans les rues.
00:20:47Ça raconte quoi, ça ?
00:20:49— Je pense que ça raconte une modification très très large du paysage politique, de la nature des différents partis
00:21:00et de la vision que les citoyens peuvent avoir du réel, tout simplement, et des problèmes qui se posent.
00:21:07C'est-à-dire qu'il y a chez certains la mémoire de ce qu'était le Front National, de ce qui l'a construit, d'où il vient, qui l'a fondé.
00:21:16Et puis, il y a beaucoup de Français qui considèrent que, certes, il y a cette mémoire,
00:21:21mais que dans un sens, Fratelli d'Italia est un parti totalement mussolinien et qu'il a opéré une mue.
00:21:28Et il y a surtout, je crois, l'idée chez beaucoup de Français que le pays n'est plus dans le même état
00:21:36et donc les problèmes ne se posent plus de la même manière.
00:21:39Je pense qu'en fait, sur les questions d'immigration, par exemple,
00:21:43l'argument qui consisterait à dire que le Front National était un parti xénophobe, il l'est et il n'a pas changé,
00:21:51ne porte plus parce que les gens considèrent que les problématiques d'immigration ne se posent plus de la même manière qu'il y a 40 ans.
00:22:01Le grand face-à-face, le duel.
00:22:05Dimanche, la gauche était en miettes et, comme dirait Johnny, nous avons retrouvé l'envie ! L'envie d'avoir envie !
00:22:14L'envie de rallumer ma vie ou la vie, je ne sais plus, Gilles, sous Mitterrand, c'était Jean-Jacques Goldman et il changeait la vie.
00:22:21Là, c'est Johnny et l'envie d'avoir envie, lors du premier meeting du Nouveau Front Populaire, c'était lundi dernier.
00:22:27Gilles, est-ce que le Nouveau Front Populaire donne envie, pas à vous, mais donne envie quand on regarde les enquêtes d'opinion notamment ?
00:22:34D'abord, une précision, parce que vous êtes un historien, je sais à quel point la rigueur est importante.
00:22:39Pour vous, « Changer la vie » de Jean-Jacques Goldman, c'était la chanson qui ouvrait les meetings de Lionel Jospin dans la campagne présidentielle de 1995.
00:22:49En revanche, François Mitterrand, lorsqu'il était premier secrétaire du Parti Socialiste en 1977, avait demandé à Mickey Stéodorati de faire l'hymne du Parti Socialiste.
00:22:59Allez tous l'écouter !
00:23:00Voilà, il faut écouter, dont le premier...
00:23:02François Socialiste, puisque tu existes, changeons la vie !
00:23:06Le premier couplet était « Les voix des hommes et les voix des femmes ont dû se taire beaucoup trop longtemps, ne croyons plus au lendemain qui chante, changeons la vie ici et maintenant ».
00:23:17Et changer la vie, c'est Arthur Rimbaud. Et la référence était là.
00:23:21Revenons à nos moutons d'aujourd'hui. Est-ce que le Nouveau Front Populaire donne envie d'avoir envie ?
00:23:30Et donne à nouveau au peuple de gauche, s'il existe, envie de se mobiliser pour faire front et opposition au RN et prendre le pouvoir ?
00:23:38Je dirais deux choses. Un, il y a une dynamique. Une union comme ça, c'est beaucoup une histoire de mathématiques.
00:23:46Je disais tout à l'heure qu'il y avait de l'inquiétude. Il y a de l'inquiétude en France, il y a de l'inquiétude ailleurs.
00:23:52J'ai cette semaine participé à une réunion, j'étais invité par des diplomates européens.
00:23:57Et il y a une diplomate qui m'a demandé, parlant du Nouveau Front Populaire, est-ce que 2 plus 2 égale 4 ?
00:24:05Je lui ai dit 2 plus 2 égale 3 et 2 plus 2 égale 5.
00:24:092 plus 2 égale 3, c'est-à-dire qu'en nombre de voix, il y a de la déperdition.
00:24:142 plus 2 égale 5, en nombre de sièges, il y a une progression.
00:24:18La question c'est, quelle est l'ampleur de la déperdition et donc, quelle va être l'ampleur de la progression ?
00:24:24Elle a compris la diplomate ça ?
00:24:26Très bien.
00:24:27D'accord. Parce que si vous dites à quelqu'un 2 plus 2 égale 3 mais 2 plus 2 égale aussi 5, pas évident. Mais continuez, on a compris nous.
00:24:34Pour l'instant, on est plus proche de 2 plus 2 égale 4 que de 2 plus 2 égale 3, y compris en nombre de voix.
00:24:42C'est-à-dire qu'il y a peu de déperdition, y compris on voit, et je pense que chacun dans les discussions autour de lui, il y a ça, des lecteurs, de Raphaël Glucksmann par exemple qui peut être hésitant.
00:24:53Pour l'instant, 2 plus 2 est assez proche de 4.
00:24:58Sans doute parce que la situation est plus grave.
00:25:00Peut-être parce que le Nouveau Front Populaire n'est pas exactement la Nupes de 2022.
00:25:05Mais il y a cette dynamique.
00:25:07Et en même temps, c'est l'autre point, je crois qu'on a vu dans la semaine les fragilités.
00:25:13Les fragilités autour des polémiques des candidatures de la France Insoumise, notamment l'éviction d'un certain nombre de députés qui n'étaient pas dans la ligne.
00:25:29On a vu les difficultés lorsqu'il y a eu des débats sur le choix et même sur les modalités de désignation du Premier Ministre.
00:25:37Et puis on l'a vu aussi, on y reviendra sans doute, sur le programme.
00:25:42Donc on est, je crois dans ce moment-là, une dynamique et en même temps des fragilités.
00:25:48C'est vrai pour le premier tour.
00:25:50Et puis je crois qu'elles seront peut-être ces fragilités plus nettes encore sur le deuxième tour.
00:25:56Oui, je pense que nous en avions parlé la semaine dernière.
00:25:59Il y a indéniablement une réussite dans le fait même de conclure cette alliance aussi rapidement, étant donné les fractures qui s'étaient manifestées ces derniers mois à gauche.
00:26:12Et insistons-y, on entend ce débat sur le fait qu'il aurait fallu que les uns et les autres, au nom de la morale, refusent cette alliance.
00:26:22La politique, ce sont des idées, mais c'est la mise en action de ces idées.
00:26:28Quand on n'a pas d'élus, on ne met pas en action ces idées et donc on ne défend pas ces idées.
00:26:34Il y a un principe de réalisme nécessaire et donc il y a un arbitrage permanent entre la morale et le pragmatisme
00:26:45qui incite quand même à nouer ce genre d'alliance, quelle que soit pour les uns et les autres, les préventions qu'ils peuvent avoir.
00:26:53Une fois que l'on a dit cela, je suis tout de même frappée de voir à quel point la notion de cordon sanitaire est brandie par la gauche au sujet de la droite et de l'extrême droite.
00:27:05Mais que quand il s'agit de faire entrer dans le Nouveau Front Populaire un parti comme le NPA, qui a ouvertement applaudi au massacre du 7 octobre, là ça ne dérange personne.
00:27:17Il y a quelque chose moi qui m'étonne toujours dans cette façon de concevoir les choses, je ne comprends pas bien pourquoi il n'y aurait pas quand même certaines limites.
00:27:25Et encore une fois je le place sur le NPA parce que pour ce qui est du reste, quels que soient les désaccords entre la France Insoumise et son profond entre la France Insoumise, Raphaël Glucksmann, je comprends cette alliance.
00:27:35Deuxième point, le meeting de Montreuil était extrêmement intéressant pour comprendre ce qui est en train de se nouer et qui va amplifier les difficultés dont parlait Gilles.
00:27:45D'abord en effet on reste pantois de voir à quel point chez les Insoumis une purge interne est plus importante qu'une alliance politique dans un moment normalement crucial.
00:27:57C'est quelque chose d'assez intéressant et ensuite quand on voyait les prises de parole, la prise de parole de Rima Hassan, saluant ostensiblement et apportant son soutien aux cinq candidats qui remplacent les fameux purgés.
00:28:14En insistant sur leur origine et sur la nature, sachant que l'un de ces candidats par exemple, Ali Diawara, a traité Raphaël Glucksmann de candidationniste.
00:28:26Quand François Ruffin s'est approché de la scène pour prendre la parole, certains de la France Insoumise étaient là, comme Tahab Ouaf ou d'autres, en train de crier Ruffin raciste.
00:28:40Je pense qu'il y a là quelques problèmes de fond qui mériteraient d'être abordés et qui révèlent tout de même que cet accord, pour nécessaire qu'il soit, risque d'aboutir à un éclatement au lendemain même du 7 juillet.
00:28:56Ça c'était un peu le pari d'Emmanuel Macron avant le 7 juillet, lui. Il espérait que ça explose avant et que la clarification, ce soit aussi celle que vous évoquez au sein même de l'FI et des contradictions internes du parti, ça existe mais c'est largement aujourd'hui encore étouffé avant l'élection.
00:29:11Alors c'était le pari d'Emmanuel Macron au moment de la dissolution. Le pari maintenant, une fois que l'accord est noué et qu'il y a une défection d'une partie de l'électorat et plutôt de l'électorat modéré, l'électorat social-démocrate, pour les raisons qu'a évoquées Natacha, c'est vrai du NPA mais c'est vrai pour beaucoup d'électeurs sociaux-démocrates, pour la France Insoumise également.
00:29:40Ce qui était frappant, je trouve, dans cet épisode des candidatures, c'est qu'on voit en réalité la culture trotskiste du LFI, c'est-à-dire conflictualisation maximale à l'extérieur avec tous les autres, ne jamais être d'accord avec les autres, c'est eux et nous, et discipline totale à l'intérieur, consensus sur tous les sujets, personne ne doit dévier de la ligne.
00:30:09Donc, évidemment que pour beaucoup d'électeurs modérés, c'est très éloigné de leur conception de la démocratie et de la politique.
00:30:19Et puis, le programme n'est pas si évident que ça, dans un certain nombre de dimensions, aussi à accepter pour un certain nombre de candidats de sociaux-démocrates qui ont, disons, la culture de gouvernement des périodes passées.
00:30:37Donc, il y a ces difficultés-là, et puis, je termine par là, il y a les fragilités pour le deuxième tour, je l'évoquais tout à l'heure, pour Renaissance, elles sont là aussi pour le Nouveau Front Populaire, notamment parce que toute la campagne se fait autour d'une forme d'équivalence entre le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National,
00:31:01et que ce faisant, les reports de deuxième tour, lorsqu'il y aura des deuxièmes tours entre des candidats du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement National, risquent d'être mauvais, c'est ça qui est en jeu, et ça, ce n'est pas perdu dans les huit jours qui viennent.
00:31:16Un mot pour terminer. Il y a eu tout de même un fait politique, à mon avis, important cette semaine, qui est justement la prise d'indépendance de François Ruffin, suite à ses dissensions, et c'est la première fois qu'on le voit justement se détacher de cette ligne et remettre en cause directement Jean-Luc Mélenchon.
00:31:38Je pense que c'est quelque chose qui pèsera pour l'avenir, même si je suis incapable de dire si ça aura une suite ou pas. Je sais que ça aura une suite, je ne sais pas si François Ruffin saura mener à bien cette histoire.
00:31:53République, la République, qui est républicain dans cette campagne ? Chacun se considère être comme quasiment le seul défenseur de la véritable République. On a besoin des lumières de notre invité. Place au débat du Grand Face-à-Face.
00:32:06France Inter, le Grand Face-à-Face, le débat.
00:32:10Bonjour Blandine Criégel. Bonjour à vous trois. Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes l'une de nos grandes philosophes des idées politiques, spécialiste notamment de la République démocratique et de l'état de droit.
00:32:21Au cœur de nos enjeux très actuels, nous allons notamment largement nous appuyer sur votre dernier grand livre de philosophie politique, La République imaginaire aux éditions du Serre.
00:32:29Premier volume sur les quatre prévus, on attend les autres. C'était sorti il y a deux ans pour ce premier volume.
00:32:34Vous avez aussi été, si je puis dire, aux affaires, conseillant, François Mitterrand, il y a 40 ans, sur la modernisation de l'État, puis Jacques Chirac, qui vous nommera également en 2002 à la tête du Haut Conseil à l'intégration.
00:32:45Vous avez donc conseillé François Mitterrand et Jacques Chirac. Est-ce que, selon vous, Emmanuel Macron est bien conseillé ?
00:32:51C'est une manière de vous demander votre point de vue quand même sur le choix surprenant et atypique de la dissolution le 9 juin dernier.
00:32:57Je complète la question. C'est quoi le rôle d'un conseiller ?
00:33:00Je vais d'abord répondre à la première question. Je pense que la décision qu'il a prise, dont vous avez beaucoup commenté, qu'on commente énormément, elle relève de sa seule décision.
00:33:09Donc, je ne connais pas le secret de la délibération, parce qu'évidemment les conseillers ont pris part à la délibération, mais je pense que c'est, au fond, c'est sa décision.
00:33:19Et le rôle d'un conseiller... Un conseiller, vous savez, n'est pas un élu. Un conseiller fait valoir, parce que j'ai été effectivement conseillère à la présidence de la République pendant 5 ans, sous la présidence de Jacques Chirac,
00:33:31il fait valoir des connaissances, une argumentation, mais ce n'est pas lui qui prend la décision.
00:33:39Vous auriez conseillé, vous, la dissolution ?
00:33:41Écoutez, je ne peux pas vous... Enfin, ça m'est difficile de vous répondre, parce que d'abord, en plus, je pense que tant de critiques se sont abattues sur cette dissolution, qu'au fond, il est plus intéressant de regarder où nous en sommes maintenant.
00:33:53Eh bien, allons-y. J'en viens à votre grand thème de recherche, la République. La République au cœur de cette campagne électorale, expresse, mais vitale.
00:34:01Je suis le premier à qui ça a fait mal le 9 juin. En mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai à prendre, Madame.
00:34:07Je ne peux pas faire comme s'il ne de rien était. Donc, je ne l'ai pas fait pour moi, je ne l'ai pas fait sur un coup de sang, je ne l'ai pas fait...
00:34:12Ce n'est pas un coup de dé, c'est un geste de confiance républicain.
00:34:15Un geste de confiance républicain, Emmanuel Macron sur l'île de Sein, cette semaine.
00:34:18Républicains, républicains, ce sont des mots qu'on entend tout le temps. La coalition présidentielle pour les élections législatives anticipées s'appelle d'ailleurs Ensemble pour la République.
00:34:27Il y a un parti qui s'appelle Les Républicains, un ou deux, on ne sait pas très bien. On se souvient, il y a quelques années, de Jean-Luc Mélenchon hurlant « La République, c'est moi »,
00:34:34et le PRN qui ne cesse de se réclamer de la République, dont voudraient l'exclure certains de ses adversaires, ça raconte quoi ?
00:34:40Que tout le monde se réclame de la République aujourd'hui, et question subsidiaire, est-ce qu'il parle de la même République ?
00:34:45Oui, c'est une très bonne question parce que je crois qu'il est nécessaire de procéder à une clarification du lexique.
00:34:51Et vous me permettrez une remarque préalable, mais qui est frappante pour tout le monde, c'est que dans la campagne, proprement dite,
00:34:57il y a beaucoup d'interventions sur l'organisation des futurs pouvoirs, qu'il soit Premier ministre.
00:35:02Les candidats s'intéressent, et c'est tout à fait normal, aux problèmes sociaux, aux problèmes économiques et sociaux,
00:35:09mais je n'ai pas entendu de véritable réflexion sur la République, et en particulier d'objection faite aux deux blocs que vous avez évoqués,
00:35:19les trois blocs, c'est-à-dire les deux blocs qui sortent en partie, pas tous, pas tous leurs membres, mais de l'arc républicain.
00:35:27Il n'y a pas eu de débat au sein de la campagne engagée sur la République.
00:35:31Alors si vous me permettez, je vous proposerai quelques clarifications.
00:35:34D'abord une clarification du lexique, c'est-à-dire qu'on emploie indifféremment République et démocratie comme termes l'un pour l'autre.
00:35:42C'est une erreur. Pourquoi ? Parce que la République est une très ancienne construction qui commence dans les républiques antiques,
00:35:48la république de Cité qui se poursuit au Moyen-Âge, et en vérité la République ça renvoie à un régime, et la démocratie à un gouvernement.
00:35:57Et alors justement, c'est ça qui n'est pas suffisamment évoqué. Un régime, vous savez la définition se trouve, elle est à la portée de tout le monde,
00:36:04mais elle n'est pas hélas enseignée chez Aristote, pour le dire très simplement, c'est-à-dire déjà à Athènes,
00:36:10c'est le régime où on a en vue l'intérêt général et où l'autorité s'exerce par la loi sur des individus libres et égaux.
00:36:17Son opposé, c'est pas la démocratie ou la monarchie, son opposé c'est l'empire ou le despotisme.
00:36:23Et quant au gouvernement, évidemment, il y a plusieurs types de gouvernements, c'est-à-dire celui à qui on confie l'autorité,
00:36:29la démocratie, la monarchie ou l'aristocratie, c'est-à-dire que la démocratie a pour alternative d'autres types de gouvernements,
00:36:36mais là aussi il y a une différence fondamentale des gouvernements, parce que la République peut supporter un gouvernement monarchique ou aristocratique,
00:36:46on le voit d'ailleurs dans les pays d'Europe du Nord encore aujourd'hui, mais en revanche, dans les régimes despotiques, impériaux,
00:36:53eh bien toutes ces dominations changent, elles deviennent la tyrannie pour la monarchie, l'oligarchie pour l'aristocratie et la démagogie ou le populisme pour la démocratie.
00:37:05Pourquoi vous avez, dans votre propos un peu liminaire, exclu, tout ou partie, les deux autres blocs qui ne sont pas le bloc central de l'arc républicain ?
00:37:15En quoi ils ne répondent pas à la définition de la République que vous devez mettre ?
00:37:20Alors écoutez, je vais vous dire au fond, très simplement, parce qu'au fond les grandes idéologies qui nous gouvernent, qui se sont développées déjà au 19e siècle,
00:37:29mais surtout au 20e siècle, c'est-à-dire la révolution sociale et la révolution conservatrice, le cadre du libéralisme est un peu à part,
00:37:37ont en fait beaucoup oublié, n'est-ce pas, toutes ces définitions de la République.
00:37:42Et si on veut la compléter, parce que telle que je vous l'ai donnée, elle n'est pas complète, ça c'est la République antique, la République moderne a ajouté d'autres choses.
00:37:51Qu'est-ce qu'elle a ajouté au sein de la République ?
00:37:53On dit aujourd'hui l'État de droit, et puis une construction plus complexe, les droits de l'homme, les droits du citoyen, les droits du peuple qui font un ensemble.
00:38:04Et justement, c'est tout cet ensemble qui est absent, n'est-ce pas, de ceux qui sortent de l'arc républicain.
00:38:11En particulier, prenons par exemple tout simplement l'État de droit.
00:38:14L'État de droit, on dit, c'est l'État qui gouverne, qui n'est pas au-dessus des lois ou qui assure l'égalité devant la loi.
00:38:21C'est beaucoup plus simple. L'État de droit, pardonnez-moi, c'est tout simplement l'État de la République.
00:38:28C'est-à-dire un État qui s'oppose aux logiques de domination des empires et des despotismes.
00:38:35C'est un État où la loi arbitre les conflits.
00:38:40D'abord, on concentre la puissance entre les mains de ce qu'on appelle le souverain, qu'on peut attribuer à différentes instances.
00:38:48Mais pour pacifier la société, pour démilitariser la société.
00:38:53Et du coup, cette démilitarisation, elle entraîne évidemment que les citoyens sont amenés à confier leur droit de se faire justice eux-mêmes,
00:39:04leur droit de guerre, à cette puissance publique.
00:39:07Mais cette puissance publique, au fond, ce n'est pas un État de puissance.
00:39:10Parce qu'en même temps que, si vous voulez, elle est concentrée, on l'a fait muter, ça depuis Jean Bodin, depuis le XVIe siècle.
00:39:20L'arbitrage des conflits ne se fait pas dans le rapport de force, il se fait par la loi.
00:39:24Et la loi elle-même, elle n'est pas un ordre de contrainte, elle est un ordre de consentement.
00:39:29C'est toute cette problématique du pacte social, du contrat social, tout ça, c'est oublié parce que ce n'est pas enseigné.
00:39:35Et ce n'est pas enseigné parce que les grands systèmes de pensée du XXe siècle les ont plus ou moins recouverts, les ont oubliés.
00:39:42On a oublié comment s'est constitué le code de la République.
00:39:46Et c'est ça qui n'est pas présent.
00:39:48Et c'est pourquoi un certain nombre, au fond, les deux pôles à l'extrême, sont à l'extérieur de cette construction ou veulent la défaire.
00:39:57Ou veulent la détruire.
00:39:59Ou sont à l'extérieur, ou veulent la défaire.
00:40:02Et ça explique à mon avis la montée, si vous voulez d'une part, la possibilité pour des gens qui se réclament de la gauche,
00:40:10de verser ou d'attiser l'antisémitisme d'un côté,
00:40:14et la montée d'une conception populiste, nationaliste, en délicatesse avec la logique de l'état de droit du Front National.
00:40:28Est-ce qu'on ne peut pas se poser la question de savoir si aujourd'hui,
00:40:33tous les blocs ne sont pas en train d'oublier la définition que vous donnez de la République ?
00:40:39Je veux dire par là que la notion de centrisme autoritaire, extrême-centre,
00:40:45telle qu'elle a émergé ces dernières années, n'est pas juste une vue de l'esprit.
00:40:49La définition que vous donnez des régimes politiques et des gouvernements est très importante.
00:40:55Je la rappelle parce que je ne sais pas si les auditeurs l'ont bien noté.
00:40:59Pour la République, il peut y avoir monarchie, aristocratie ou démocratie.
00:41:03Comme gouvernement.
00:41:04Comme gouvernement.
00:41:05Ou mixte.
00:41:06On a un gouvernement mixte, il n'y a pas de démocratie pure.
00:41:09Et le despotisme peut être gouverné de façon tyrannique, oligarchique, ou dans une démocratie démagogique, donc le populisme.
00:41:17Est-ce que l'évolution des sociétés occidentales et des régimes politiques ces dernières décennies
00:41:26n'a pas petit à petit dérivé vers une dimension oligarchique
00:41:31qui crée de la part des citoyens une défiance qui peut les attirer vers ces autres blocs
00:41:37dont vous nous dites qu'ils sont hors de l'arc républicain ?
00:41:40Est-ce que finalement le problème n'est pas une crise générale du bien commun ?
00:41:46Oui, c'est vrai.
00:41:47Et un oubli du peuple.
00:41:48Oui, vous avez tout à fait raison.
00:41:50On peut le dire autrement, mais vous le dites déjà très bien, en disant qu'il y a un déficit de la démocratie.
00:41:57Parce qu'en fait, les États de droit et les républiques ne sont pas tout de suite des démocraties.
00:42:02Ils se sont développés sous l'ancien régime.
00:42:04Mais en revanche, la revendication démocratique telle qu'elle est apparue déjà au XVIIe siècle, n'est-ce pas ?
00:42:11Puisque Spinoza disait déjà que la démocratie, c'est au fond le meilleur pouvoir, le pouvoir par excellence.
00:42:17Bon, alors là, il y a un déficit démocratique, c'est indiscutable.
00:42:21C'est pour ça que c'est très important de distinguer au fond de la République l'État de droit de la démocratie.
00:42:26Et évidemment, il y a une dérive oligarchique.
00:42:29On l'observe partout dans ce qu'on appelle abusivement les démocraties, n'est-ce pas ?
00:42:33Il y a une dérive oligarchique qui est incontestable et qui suscite la révolte et même l'insurrection quelquefois du peuple.
00:42:40Mais ce n'est pas une raison, si vous voulez mon avis, pour finalement adopter le populisme comme solution.
00:42:49Parce que c'est ça vers quoi nous nous dirigeons.
00:42:51Et en particulier, je comprends très bien, et si vous voulez ça me peine, mais je ne veux pas leur jeter la pierre.
00:42:58Au fond, tous nos compatriotes de gauche et juifs, comme le couple des Époux-Papes, Clarsfeld,
00:43:09qui a mené une lutte si importante pour la République en traquant les nazis, en faisant connaître ce qu'a été la Shoah,
00:43:18qu'ils se sentent au fond...
00:43:20J'ai entendu comme tout le monde à la télévision le fils de Mireille Knoll qui s'est rescapé des camps qui a été assassiné.
00:43:29Et bien qu'au fond ils se disent, après tout, pourquoi ne pas s'appuyer sur le Front National qui va régler cette question musulmane, n'est-ce pas ?
00:43:40Avec une poigne de fer.
00:43:44Alors, c'est ça. Vous voyez, au fond, l'alternative qui est posée devant, et vous avez raison, un arc républicain qui est très réduit,
00:43:54et surtout qui est mal armé, qui n'a plus les anticorps nécessaires, c'est de se dire, essayons le Front National.
00:44:01Moi je vais vous dire pourquoi, malgré le respect que j'ai pour des gens qui peuvent adopter cette position, que je regrette, je ne les suis pas.
00:44:09Je les suis pas pour deux raisons. Trois raisons tout à fait fondamentales.
00:44:13La première, c'est qu'il n'y a qu'à voir le vocabulaire du Front National.
00:44:20C'est-à-dire qu'il ne reprend pas le vocabulaire de la République, mais le vocabulaire du populiste.
00:44:25Et il s'attaque directement à quelque chose qui est fondamental dans le droit politique républicain, c'est-à-dire les droits de l'homme.
00:44:34Au fond, il met le droit du peuple, la préférence nationale, et surtout avec sa proposition du droit du sol, au-dessus des droits de l'homme.
00:44:43Et dans la hiérarchie des valeurs, surtout dans un pays chrétien ou judéo-chrétien dont il prétend se réclamer, l'humanité c'est au-dessus du peuple.
00:44:52C'est au-dessus de la nation. Les droits de l'homme sont plus fondamentaux que les droits de la nation. Premier point.
00:44:58Et deuxièmement, si vous voulez, il met fin également à tous les accords internationaux que nous avons pu passer dans ce domaine en particulier, à nos liens avec l'Europe.
00:45:12Et donc, ça me paraît une chose effectivement très fondamentale. C'est pour ça que moi je pense que les citoyens que nous sommes...
00:45:22Alors, vous savez, on disait les Anglais, les Chartistes disaient « One human, one vote », n'est-ce pas ? « One woman, one vote », ce n'est qu'un vote.
00:45:31Mais un vote en conscience peut aider la République.
00:45:35Gilles, justement, vous faisiez en commençant la distinction entre la question du régime, c'est la République, et la question du gouvernement, c'est la démocratie.
00:45:47Si vous me permettez une chose, ce n'est pas moi qui fais cette distinction. Et d'ailleurs, en grec, ça se dit par des mots différents.
00:45:53« Politeia », c'est la République, et « Politeuma », c'est le gouvernement. Ce n'est pas la même chose.
00:45:58Alors, je voudrais justement revenir sur cette question de la démocratie, en la ramenant à la question de la situation actuelle.
00:46:07Non pas sur les causes de la dissolution, mais sur ses effets, puisque nous sommes donc en campagne électorale.
00:46:13Est-ce que vous avez le sentiment que c'est satisfaisant pour la démocratie, au sens où ça redonne la parole au peuple ?
00:46:20C'est, d'une certaine manière, le geste de confiance de la citation du président de la République.
00:46:25Il dit un geste de confiance républicain, il aurait pu dire, pour le coup, un geste de confiance démocratique.
00:46:31Donc, est-ce que c'est satisfaisant pour la démocratie, ou est-ce que c'est insatisfaisant pour la démocratie ?
00:46:35Parce que les conditions de cette élection, en 20 jours, font qu'on le voit, les débats sont précipités, sont improvisés.
00:46:43Il y a eu peu de débats sur la République. En fait, il y aura peu de débats sur quoi que ce soit.
00:46:48Et donc, est-ce que ça va combler, ou est-ce que ça va creuser le déficit démocratique que vous évoquiez ?
00:46:55Je ne vais pas vous répondre exactement sur votre interrogation, parce que je dirais que vous êtes mieux placé que moi pour répondre à cette interrogation.
00:47:02Mais je vais lui en substituer une autre, très simple, qui est au fond principielle.
00:47:07La logique de la démocratie ne se réduit pas à la loi majoritaire. C'est ça qui est fondamental. Pourquoi ?
00:47:14Alors, d'ailleurs, depuis quand nous le savons ? Parce qu'on ne l'a pas toujours su.
00:47:17Par exemple, Jean-Jacques Rousseau expliquait que la volonté générale ne peut pas errer, et donc elle a toujours raison.
00:47:22Eh bien, non. Nous le savons depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
00:47:26On s'est aperçu que par un vote majoritaire parfaitement légal, Hitler est monté au pouvoir.
00:47:32Que par un vote non moins légal et non moins majoritaire, issu et là de l'Assemblée du Front populaire,
00:47:38évidemment dans les conditions de l'occupation, le maréchal Pétain avait eu le pouvoir.
00:47:42Et quand il fait l'un comme l'autre, le lendemain de leur élection ou presque, ils ont aboli la République.
00:47:48Et donc, la logique de la démocratie n'est pas la logique de la majorité.
00:47:52Et c'est ça que les partis populistes prétendent nous imposer.
00:47:58Dire, au fond, le peuple a toujours raison, le peuple, quand il a voté, on n'a plus rien à dire.
00:48:04Non. Non. Parce que dans une République démocratique, parce qu'en fait, nous vivons dans des républiques démocratiques,
00:48:10aucune république démocratique, qu'on les appelle démocratie libérale ou démocratie illibérale, n'est fondée sur une démocratie pure.
00:48:17Ce sont des institutions plus complexes, parce que nous sommes dans des territoires beaucoup plus grands,
00:48:22beaucoup plus vastes et avec une population beaucoup plus nombreuse que dans les républiques antiques ou de la Renaissance.
00:48:28Et donc, on a des moyens de délégation, de représentation du pouvoir.
00:48:33Donc, évidemment, qu'est-ce qu'on a compris ? On a compris, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
00:48:39qu'il fallait absolument, pour obvier à un vote aux conséquences dramatiques de la logique majoritaire,
00:48:48il fallait mettre au préambule des Constitutions, ou à l'intérieur de la Constitution, des principes fondamentaux auxquels on ne pouvait pas toucher.
00:48:57Et c'est ça que veulent mettre en cause les blocs qui sortent de l'arc républicain.
00:49:03Ils veulent toucher, soit en justifiant la violence, le recours à la violence et à l'insurrection permanente,
00:49:12soit en mettant en cause les droits individuels, les libertés individuelles.
00:49:17Dans le premier volume de votre tétralogie, qui est donc une réflexion sur la République imaginaire, sur l'histoire de la République,
00:49:26et donc ce premier volume est consacré aux républiques italiennes, à Florence notamment,
00:49:31vous citez les humanistes qui ont pensé la République et vous parlez de l'humanisme civique,
00:49:39de la façon dont cet humanisme s'est développé en réfléchissant sur le bien commun.
00:49:43Vous citez Leonardo Bruni et vous expliquez qu'il avait la conviction, je cite,
00:49:48qu'il existe un lien décisif entre le développement culturel et la liberté politique.
00:49:54Il était lui-même grammairien, latiniste, héléniste, etc.
00:49:57En fait, tous les personnages que vous citez ont cette conviction qui est au cœur de l'humanisme,
00:50:02que le développement culturel, le développement des savoirs est absolument essentiel.
00:50:07Qu'est-ce que ça vous inspire sur une époque où les gens se font leur opinion en regardant des vidéos TikTok
00:50:14et où finalement des entreprises américaines ou chinoises peuvent se substituer aux moyens de transmission culturelle ?
00:50:23Merci de cette évocation et de cette question.
00:50:25Je vais vous dire évidemment, on pourrait être extrêmement, exagérément, comme le sont un certain nombre de mes collègues, pessimistes.
00:50:31Mais je vais vous dire, au fond, je pense que d'une certaine façon, les artistes sont toujours visionnaires
00:50:37et c'est toujours eux qui ont raison.
00:50:39Or, je suis très frappée qu'au moment où il y a, au fond, ce développement de la communication immédiate dans le présent,
00:50:46c'est pas un présent qui nous envahit.
00:50:48À quoi s'intéressent, par exemple, aujourd'hui, nos metteurs en scène, nos réalisateurs de cinéma ?
00:50:55Eh bien, ils reviennent à Victor Hugo, Les Misérables.
00:50:58Je vois qu'on va tourner ou que va sortir, je crois, aujourd'hui même, Le Comte de Monte-Cristo, à Victor Hugo, à Alexandre Dumas.
00:51:07C'est-à-dire, au fond, déjà, oui, à la longue durée et surtout à un monde,
00:51:12au fond, de ce monde où est né les sentiments républicains qu'on considérait comme tout à fait perdus,
00:51:18minables, pas intéressants, la fraternité, au fond, des gens qui étaient des guerriers,
00:51:25qui étaient des combattants, qui étaient même aristocratiques ou aristocratisants,
00:51:28mais qui avaient, si vous voulez, en perspective, l'amélioration du sort du peuple.
00:51:35Eh bien, je pense que, donc, la bataille n'est pas complètement perdue en France.
00:51:38On n'est pas simplement pour la littérature, si vous voulez, réactionnaire,
00:51:43mais on est aussi pour une littérature qui se tourne et donc pour un imaginaire qui se tourne vers le peuple.
00:51:50Donc, je ne crois pas, d'ailleurs, je ne crois pas que La République,
00:51:53si je continue à réfléchir sur ce que nous disent les réalisateurs de cinéma,
00:51:58je crois, vous savez, par exemple, pour quelqu'un comme Georges Lucas, n'est-ce pas, qui a fait la série de Star Wars,
00:52:05ce combat entre la République et l'Empire, c'est un combat qui durera toute l'histoire de l'humanité.
00:52:10Eh bien, je ne crois pas qu'elle soit perdue, mais elle vit un moment très difficile.
00:52:15Voilà, elle vit un moment très difficile.
00:52:17Le Nouvel Obs titre cette semaine « La République assiégée ». Est-ce que c'est une expression que vous faites votre ?
00:52:23C'est très juste. J'ai acheté immédiatement, parce que votre collègue me l'a signalé,
00:52:28j'ai été lire immédiatement le numéro.
00:52:31Malheureusement, il n'y a pas une grande place pour la philosophie politique, si vous voulez, et dans ce numéro.
00:52:37Et je le regrette d'autant plus que la jeune génération, contrairement à ma génération,
00:52:40qui, au fond, s'est peu intéressée, il y a des grandes exceptions, en particulier parmi les femmes, n'est-ce pas,
00:52:45les oeuvres de Dominique Schnapper, Elisabeth Maninter, Mona Ozouf, qui ont vraiment, qui se sont tournées vers La République.
00:52:51Mais dans ma génération, elle est restée, cet intérêt est resté quand même marginal.
00:52:55Mais néanmoins, dans la jeune génération, je pense à mes jeunes collègues de l'université,
00:53:01il y a un beaucoup plus grand intérêt pour La République.
00:53:04Et là, je vais dire, la France a pris un très grand retard, parce que dans les démocraties d'Europe du Nord,
00:53:10en Hollande, en Angleterre et aux États-Unis, et je dirais en Amérique du Nord et du Sud,
00:53:16il y a depuis maintenant 30 ans ou 40 ans des bataillons de chercheurs qui travaillent sur la généalogie de La République.
00:53:22Ce n'est pas le cas en France, et c'est ça dont nous aurions absolument besoin.
00:53:26Gilles, alors faisons un peu de philosophie politique appliquée.
00:53:30Il y a eu, pendant, depuis des années, il y a un débat pour savoir s'il faut continuer de caractériser le Rassemblement National
00:53:39comme un parti d'extrême droite, ce que je crois, et il y a un autre débat, disons de second rang,
00:53:45mais qui est peut-être plus important encore, savoir si c'est un parti républicain ou un parti anti-républicain.
00:53:50Donc je voudrais savoir quel est votre jugement, et est-ce que le fait qu'il trie entre les Français,
00:53:56notamment en ciblant les binationaux, est-ce que le fait qu'il distingue entre les Français et les étrangers,
00:54:04pas sur les droits civils et politiques, mais sur les droits économiques et sociaux,
00:54:08est-ce que ça, ce sont pour vous des critères qui permettent de faire la distinction entre les républicains et les anti-républicains ?
00:54:15Et je rappelle, Blandine Crigel, que vous avez dirigé pendant quelques années le Haut Conseil à l'intégration.
00:54:20Oui, oui, alors là, évidemment, c'est un point, vous avez raison, tout à fait important.
00:54:26D'abord, la première chose, n'est-ce pas, mais vous le reconnaissez tous, nous oblige à reconnaître que,
00:54:32impontestablement, Marine Le Pen, ce n'est pas son père, n'est-ce pas ?
00:54:36Elle a évolué, et toutes ses déclarations sur, au fond, l'antisémitisme sont impeccables.
00:54:44On ne peut pas lui reprocher ça, et c'est une évolution qu'il faut remarquer.
00:54:49Maintenant, est-ce que c'est suffisant pour lui accorder une entrée complète dans, au fond, le droit politique républicain ?
00:55:03Je ne le crois pas, et je vais vous dire pourquoi.
00:55:05D'abord, en raison de ce que vous avez évoqué, d'abord parce qu'elle remet en cause,
00:55:12d'abord la première chose, parce qu'elle donne une préférence, qui était celle d'ailleurs de la pensée nationaliste allemande,
00:55:19vous voyez un fiche, enfin dans toute l'Allemagne du 19e et du 20e siècle.
00:55:24Elle met le droit du peuple au sommet de la hiérarchie des normes, avant l'état de droit, avant le droit de l'Etat, et les droits de l'homme.
00:55:36Elle met ça, pour elle, c'est ce qu'il y a de plus important.
00:55:39Les intérêts nationaux sont ce qu'il y a de plus important.
00:55:41Vous savez, un philosophe comme fiche disait, je parle à des Allemands rien qu'à des Allemands, et je m'adresse à des Allemands rien que des Allemands.
00:55:48Et bien, c'est le discours du Front National aujourd'hui.
00:55:52Deuxièmement, en quoi ça impacte quelque chose qui est absolument fondamental et central, et qui n'est pas extérieur, qui ne s'est pas surajouté,
00:56:00qui est lié au droit politique républicain ?
00:56:02Là, je résume, n'est-ce pas, deux siècles de philosophie politique du 17e et du 18e siècle.
00:56:09Les droits de l'homme, la sûreté, l'égalité, la liberté, la propriété, et même, on a ajouté le droit à la recherche du bonheur.
00:56:17Eh bien, ça, ce n'est pas superfétatoire.
00:56:19Avant, et avec, les droits du citoyen et les droits du peuple.
00:56:23Dans la tradition républicaine française, on est citoyen et national en même temps.
00:56:32Il n'y a pas de séparation entre la citoyenneté et la nationalité.
00:56:38Pour elle, il y a une différence fondamentale entre les Français qui ont, si vous voulez, quatre générations de Français derrière eux,
00:56:44et puis ceux qui viennent d'arriver.
00:56:46Et évidemment, le risque, et c'est pour ça qu'elle veut changer, n'est-ce pas, notre droit, qui est un droit du sol et pas un droit du sang.
00:56:54Malheureusement, il a été réclamé dans certaines de nos anciennes colonies.
00:56:59C'est une...
00:57:01Un maillot, oui.
00:57:02Oui, ça fait mal au cœur. Enfin, c'est ainsi.
00:57:04Mais il...
00:57:06Ça, c'est un très grand changement.
00:57:08Mais le plus grave de tout cela, le plus grave de ce que fait le Front National aujourd'hui,
00:57:13c'est de substituer dans la logique du bouquet muséaire, n'est-ce pas, le signifiant musulman au signifiant juif.
00:57:22Et de mettre tous les musulmans, quels qu'ils soient, du fait qu'ils ont une confession musulmane, dans le même paquet,
00:57:30et de proposer, au fond, qu'ils aient un statut autre, n'est-ce pas, qu'ils aient un statut autre.
00:57:36Alors, avec son idée de la préférence nationale, n'est-ce pas, qu'elle veut mettre dans la Constitution.
00:57:42Ça, c'est absolument contraire à la tradition républicaine.
00:57:45Car dans la tradition républicaine, il y a, en vérité, en ce qui concerne non seulement les droits de l'homme,
00:57:52mais aujourd'hui des droits sociaux, les droits du travailleur, n'est-ce pas,
00:57:55on peut être un travailleur français, on peut être un travailleur étranger, on a les mêmes droits sociaux.
00:58:02Si on fait deux catégories de personnes, c'est-à-dire des gens qui ont des droits sociaux et pas les autres,
00:58:08ça veut dire qu'est-ce qui va être retiré à la deuxième catégorie ?
00:58:11Eh bien, le droit à l'emploi, le droit à la santé, le droit à l'éducation.
00:58:19Ça fait beaucoup. Et donc, pour l'intégration des migrants, là, on aborde le problème des migrants.
00:58:27Personnellement, je pense qu'il faut qu'on régule les migrations,
00:58:31parce qu'elle est trop importante aujourd'hui pour pouvoir intégrer bien et honorablement les migrants.
00:58:37Ça, c'est une chose.
00:58:39Mais deuxièmement, il ne faut pas, pour cela, changer nos lois et mettre à la porte
00:58:47de ceux qui, par leur travail, leur sang versé, leur talent, n'est-ce pas,
00:58:53ont contribué à l'édification de la France telle qu'elle est.
00:58:56Merci.
00:58:57Et ça, c'est pas possible.
00:58:58Merci beaucoup, Blandine Criégel, d'avoir été notre invitée.
00:59:01Vous venez de publier, je le précise, Fleurs et Couronnes aux éditions du CERF,
00:59:05un livre qui rassemble les différents éloges qu'on vous a demandé d'écrire
00:59:09tout au long de votre vie professionnelle.
00:59:11Merci, Gilles.
00:59:12Et merci, Natacha.
00:59:13Merci à l'équipe du Grand Face-à-Face, Mathilde Klatt, pour la préparation de l'émission.
00:59:17Merci, Marie Merrier, pour la réalisation.
00:59:19Aujourd'hui, Guillaume Faucheux était à la technique d'une émission que vous pouvez réécouter en podcast
00:59:23sur l'appli Radio France et sur franceinter.fr.
00:59:35On est forcé de répéter des choses qu'on a établies depuis 30 ans et qui ne sont pas passées dans le domaine du livre.
01:00:05Merci.

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