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À 9h20, Anna Wintour est l'invitée exceptionnelle de Léa Salamé. La directrice éditoriale mondiale de Vogue accorde sa première interview à une radio française pour l'évènement Vogue World, qui se tient ce dimanche à Paris. Très engagée politiquement, elle soutient Joe Biden à la présidentielle. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-jeudi-20-juin-2024-5778709

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00:00Bonjour Anna Wintour. Bonjour. Bonjour et merci d'être avec nous. C'est peu de dire que votre parole est rare
00:06puisque vous ne donnez quasiment jamais d'interviews. Vous avez donné très très rarement des interviews aux médias français.
00:12Alors merci d'avoir choisi France Inter. Anna Wintour, d'abord mes questions rituelles.
00:17Si vous étiez un roman, un homme d'état ou une femme d'état, un vice et un mot en français, vous seriez qui ? Vous seriez quoi ?
00:26Alors d'abord un roman. Je pense que je choisirais Orgueil et préjugé de Jane Austen.
00:34Après une personnalité politique, je prendrais trois personnes probablement. Hillary Clinton. Je choisirais Jill Biden et Michelle Obama.
00:48Trois premières dames que j'admire énormément. Mon vice maintenant ? Mon vice, le café. Le Starbucks en particulier et le tennis.
01:00Et puis après ce mot en français qui résumerait qui je suis ? Très occupée. Très occupée. Vous êtes toujours très occupée.
01:11Vous avez choisi Orgueil et préjugé de Jane Austen qui est votre roman préféré. Dans ce roman, elle dit « On ne réussit pas à m'influencer chaque fois que l'on me flatte ».
01:22Est-ce que vous êtes pareil ? Est-ce que vous aussi la flatterie ça marche pas ? Ça sert à rien de vous flatter Anna Wintour ?
01:27Absolument. Je suis d'accord avec ça. Et ce que j'admire beaucoup chez Jane Austen, c'est qu'elle était féministe, un esprit indépendant aussi.
01:37Et puis elle avait vraiment l'art du récit et en plus elle avait un sens de l'humour.
01:43Vous êtes féministe vous ? Oui, pas vous ?
01:47Si, si, je le suis mais… Of course !
01:51Anna Wintour, depuis 35 ans, vous dirigez le plus puissant magazine de mode, le Vogue américain.
01:56Vous êtes plus précisément la directrice des contenus éditoriaux de Condé Nast et la directrice éditoriale mondiale de Vogue.
02:03Et à ce titre, vous êtes la femme la plus puissante du monde, du monde de la mode et du monde de la presse.
02:09Je ne vous flatte pas mais c'est ainsi, vous êtes vraiment la femme la plus puissante, la plus iconique, la plus énigmatique aussi, la plus redoutée également.
02:17Bref, in French, vous êtes la papesse de la mode, inamovible et inégalée.
02:23Comment dans un secteur aussi concurrentiel que la mode, où on devient très vite ringard, dépassé,
02:29comment vous avez fait pour durer 35 ans, pour régner 35 ans ?
02:35J'adore ce que je fais, c'est sans doute le plus important.
02:41Je suis entourée de gens de qualité, des gens qui ont beaucoup de talent et qui m'inspirent au quotidien.
02:48Et ce qui est merveilleux aussi, c'est que je crois vraiment, quand on est journaliste,
02:54c'est qu'on reflète les évolutions de la culture, on répond à toutes les nouveautés du jour.
03:03Et pour moi, c'est quelque chose qui ne cesse de me fasciner, ça.
03:07Parce qu'en fait, ça donne la possibilité de regarder le monde d'un certain point de vue, bien particulier, d'y répondre immédiatement.
03:15Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on travaille dans un monde digital, numérique, de plus en plus.
03:20Tous nos titres ont des salles de presse qui fonctionnent, en fait, au plan global.
03:24C'est comme une salle de presse mondiale.
03:26Et grâce à ça, on a la possibilité d'aller très vite dans tout ce qu'on fait.
03:31Ce qui rend les choses encore plus intéressantes, encore plus excitantes aussi.
03:36Enfin, je veux revenir à ce que je disais au début de cette question tout à l'heure,
03:39c'est qu'en fait, au final, on fait les choses parce qu'on aime les gens avec qui on travaille,
03:43parce que c'est les gens qui vous inspirent au quotidien.
03:45Si vous devez qualifier la marque Vogue en trois mots ?
03:49Trois mots pour la qualifier ?
03:52Le changement, l'accès, l'autorité.
03:56Pourquoi autorité ?
03:58Parce que je pense que dans un monde tel que celui que nous avons aujourd'hui,
04:02il y a de l'information à peu près partout.
04:04Le public reçoit beaucoup d'infos de très nombreuses sources différentes.
04:09Mais lorsqu'ils entendent ce mot, Vogue, ils savent qu'ils peuvent nous faire confiance.
04:14Nous avons une certaine autorité, nous comprenons le monde.
04:18Ce monde dans lequel on vit, dont on parle, et qu'on peut nous faire confiance.
04:22Et pour moi, il n'y a rien de plus important dans ce monde actuel,
04:27où il y a l'intelligence artificielle, les fake news, où on peut manipuler tout.
04:33Et si vous deviez qualifier le style Anna Wintour, ce serait quoi ?
04:38Pas décoiffant.
04:41Je ne me change pas beaucoup, c'est plus simple pour moi de rester là-même.
04:46Vous ne l'avez jamais vos lunettes de soleil ? Votre coupe de cheveux, vous l'avez quoi depuis vos 20 ans ?
04:50Franchement, je ne me souviens pas.
04:52Depuis l'adolescence.
04:54Et puis les lunettes sont très pratiques, parce que ça permet de se cacher.
04:59Parfois aussi, ça nous rend invisibles.
05:01Et puis elles m'aident aussi à regarder sans être vue.
05:05Qu'est-ce que vous avez à cacher derrière vos lunettes ?
05:07Pas beaucoup.
05:11Jamais de sac à main, c'est vrai ? Vous ne mettez jamais de sac à main parce que ça alourdit la silhouette ?
05:16Non, j'ai des sacs à main que j'adore et que j'utilise assez souvent.
05:21C'est simplement que j'aime bien me sentir libre.
05:24Donc par exemple, lorsque je vais au défilé ou quand je travaille au quotidien, j'aime bien avoir les mains libres.
05:33Et vous êtes parfois en basket ? Je veux dire en dehors des terrains de tennis que vous adorez.
05:36Est-ce que parfois vous êtes en jean et en basket ?
05:39Mais oui, je porte des baskets quand je joue au tennis.
05:44Vous êtes avec nous ce matin en studio à la Maison de la Radio à l'occasion de l'événement Vogue World qui aura lieu à Paris ce dimanche.
05:53Place Vendôme, c'est le rendez-vous fashion le plus attendu de l'année.
05:56Seront présents 500 invités triés sur le volet.
06:00Des artistes, des créateurs, des sportifs, des mannequins de Pharrell Williams à Gigi Hadid.
06:05En passant par Isabelle Huppert, il y aura des surprises.
06:08Qu'est-ce que vous pouvez nous dire, qu'est-ce que vous pouvez nous révéler du show de dimanche ?
06:12C'est la troisième édition de Vogue World.
06:16Juste après le Covid, on a eu cette idée un peu dingue.
06:19On s'est dit qu'on voulait faire quelque chose pour soutenir la ville de New York.
06:23Parce qu'à ce moment-là, comme la plupart des grandes villes d'ailleurs, après le Covid, il n'y avait pas beaucoup de touristes.
06:29Les commerçants souffraient, les restaurants étaient vides.
06:33Et on a voulu faire quelque chose, une espèce d'ambiance dans New York qui ressemble à ce qu'on voit à Central Park le week-end.
06:42Et donc on a eu cette idée, on a fait une espèce de kermesse, parade, c'était un peu tout cela.
06:49Il y avait de la mode, du divertissement, des sports.
06:53Il y avait même des food trucks qui vendaient des hamburgers et des pizzas.
07:00C'était vraiment un mélange génial.
07:03Deux personnes célèbres, deux livreurs de pizzas.
07:06C'était très très éclectique et ça ressemble vraiment à New York.
07:10Ça a vraiment bien marché.
07:12Vous l'avez fait à New York ?
07:13Oui.
07:14Ensuite, effectivement, après on est allé à Londres.
07:17C'était en septembre dernier.
07:19Là encore, on voulait aider la ville.
07:21Parce que Londres, à ce moment-là, souffrait des réductions budgétaires du gouvernement.
07:28Pour les arts performatifs.
07:29Donc on s'est dit, on va faire là aussi une espèce de kermesse.
07:33Pas cette fois-ci, plutôt en faisant une espèce de grande première.
07:37Au théâtre, de la danse, du théâtre, de l'opéra, tout ça ensemble.
07:44Et des arts performatifs.
07:45C'était donc Stephen Daldry et Baz Luhrmann, nos directeurs artistiques, qui ont orchestré tout cela.
07:50C'était une grande première au Théâtre Royal, un théâtre très connu à Londres.
07:55On a collecté près de 2 millions de livres qu'on a donnés ensuite au bénéfice des arts performatifs.
08:01Il y avait des compagnies qui avaient vraiment besoin d'argent à ce moment-là.
08:05Et Vogue World, c'est pour ça qu'on l'appelle World, c'est parce qu'on voulait que ça soit itinérant.
08:11Et on s'est dit, la troisième étape, ça sera forcément Paris.
08:15Pourquoi Paris ?
08:16Parce que Paris, tout simplement, c'est aussi le centre de la mode.
08:20On voulait célébrer 100 ans de mode française.
08:24Et on avait cette idée ambitieuse d'organiser toute sa place Vendôme,
08:30qui est vraiment le symbole de la ville, au cœur de la ville.
08:34Et sur la place Vendôme, il y a tous ces grands noms, Vuitton, Bulgarie,
08:40des noms vraiment iconiques, sans oublier aussi le Ritz, l'hôtel.
08:46Et donc, on voulait rendre hommage, vraiment, à toutes ces grandes maisons de culture parisiennes,
08:52Hermès, Chanel, Dior, Vuitton, tout le monde.
08:56Mais justement, quand vous venez à Paris, Anna Wintour,
08:59quand vous pensez à la mode française, à la première maison de couture française qui vous vient dans la tête,
09:04c'est quoi ? C'est Chanel ? C'est Dior ? C'est Saint-Laurent ?
09:07Le premier nom pour vous, s'il en restait un ?
09:09Impossible de choisir, franchement.
09:12Elles sont toutes brillantes, créatives, elles ont une très longue histoire, les unes comme les autres.
09:19Et en fait, pour nous, ce qui était vraiment intéressant, c'était de montrer à tous nos publics l'histoire de la mode à la française.
09:28Et on a remonté, donc, il y a 100 ans, et on a étudié cette mode par décennie, depuis 100 ans,
09:35en essayant de mettre en avant les moments importants dans cette histoire de la mode à la française.
09:41Et tous les grands couturiers sont concernés sur cette période de 100 ans.
09:46Donc, pour vous répondre, impossible d'en choisir un ou une en particulier.
09:50Nous sommes très reconnaissants à l'égard de toutes ces maisons qui travaillent avec nous sur cet événement.
09:55J'espère qu'elles sont ravies de ce que l'on va présenter dimanche.
09:58Mais bon, sans trop dévoiler non plus, je peux quand même vous dire que dimanche soir, on va voir la mode française, de A à Z.
10:07Tout le monde sera là.
10:09Tous, même les jeunes ? Même Jacquemus, même les jeunes ?
10:12Oui, oui, tous.
10:13Et quand vous venez en France, est-ce que vous avez une pensée pour Karl Lagerfeld, votre grand copain ?
10:17C'est vrai qu'il avait fait construire un terrain de tennis à Biarritz, dans sa maison, pour que vous puissiez jouer tous les jours, parce que c'est votre passion.
10:24Mais bien sûr, comme tout le monde, il me manque, à moi aussi.
10:30Non seulement, ça a été vraiment la force motrice de la mode dans le monde entier.
10:36Ça a été le plus créatif, un esprit brillant qui n'a jamais cessé de travailler, réfléchir.
10:42Il était aussi philosophe, illustrateur, couturier hors pair, écrivain, peintre, photographe, réalisateur.
10:54Il a tout fait.
10:57Mais pour moi, c'était mon ami surtout, et avant tout.
11:02Et on avait des traditions entre nous.
11:05Peut-être la plus marquante, et celle qui a vraiment perduré, je dirais, toujours, quoi qu'il arrive, c'était que le premier dimanche du défilé, on dînait ensemble, au Ritz,
11:19avec généralement deux, trois amis, Amanda Harlech souvent, qui travaillait avec Karl pendant des années.
11:25Et avec moi, il y avait généralement Andrew Bolton, qui était le génie qui a mis en place l'exposition au musée métropolitain.
11:35Et on parlait de tout et de rien, de ce qui se passait, de nos familles.
11:39Il me manque, j'aimerais pouvoir lui parler, bien sûr, de l'évolution du paysage politique, très rapide, ici en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis.
11:47On parlait de tout, et pas tellement de la mode, en fait.
11:53C'était une vraie amitié, une vraie conversation, de vrais échanges, on parlait de tout.
11:59Il n'y avait pas de sujet qu'il ne puisse aborder, je me souviens.
12:03Parfois, je me disais, tiens, allez, je vais aller le tester, on va voir, est-ce qu'il connaît ça ?
12:07Est-ce qu'il a vu telle chose ? Est-ce qu'il a vu telle exposition ?
12:10Et toujours, il avait tout vu et tout lu.
12:13Il était au contact de tout et de tout le monde.
12:16Il me disait toujours, Karl, ce qu'il faut faire dans cette vie, c'est qu'il faut marcher dans la rue.
12:22Ce qui était très difficile pour lui, parce qu'il était très célèbre.
12:25Mais il adorait déambuler dans la rue, voir comment les gens s'habillaient, ce qu'ils portaient.
12:31Et c'était quelqu'un de très ouvert.
12:34Toujours, dans ses studios, que ce soit ici à Paris, ou à New York, ou à Rome, ou à Milan, pour Fendi,
12:43toujours, il était entouré de jeunes.
12:45Et il écoutait, toujours.
12:47C'est quelqu'un qui ne s'est jamais mis sur le côté ou à part.
12:50Il aimait la vie.
12:51Il était aussi impitoyable, Karl Lagerfeld, comme vous.
12:54On dit que vous êtes aussi impitoyable.
12:56Est-ce qu'il faut aussi l'être dans la vie ?
12:59Karl, c'était vraiment une des personnalités les plus ouvertes que j'ai rencontrées.
13:05D'une gentillesse exceptionnelle.
13:07Un homme extrêmement généreux.
13:10Un des plus généreux que j'ai rencontrés.
13:13Je n'ai jamais vu cette partie de lui que vous évoquez.
13:15Moi, je l'aimais.
13:16C'était mon ami vraiment, vraiment.
13:18Il me manque d'autant plus quand je suis à Paris.
13:20Les Français, vous les appréciez ou vous les trouvez trop râleurs, jamais contents ?
13:24Les Français, ce que je dirais, c'est que les Français ont une vraie exigence d'excellence.
13:31J'y crois.
13:32Et c'est quelque chose que je respecte.
13:34Et c'est peut-être leur moteur, après tout.
13:37Donc moi, je n'y vois pas le côté râleur.
13:40Je pense que c'est vraiment l'exigence d'excellence.
13:42Anna Wintour, j'ai fait un podcast il y a quelques temps où j'ai interviewé beaucoup de femmes.
13:47Beaucoup de femmes puissantes.
13:48Dans leur relation à l'ambition, dans leur relation aux hommes, à la féminité, au féminisme.
13:53Et je commençais chaque interview par cette question-là.
13:55Si je vous dis que vous êtes une femme puissante.
13:57Et la plupart des femmes que j'ai interviewées avaient du mal à dire oui, je suis une femme puissante.
14:02Elles avaient du mal à assumer leur ambition.
14:04Alors je vous pose la question ce matin.
14:06Anna Wintour, si je vous dis que vous êtes une femme puissante, vous me répondez quoi ?
14:11Je pense que, si vous voulez, dans la position que j'occupe, c'est une position de pouvoir.
14:17Et j'en suis très reconnaissante, d'ailleurs.
14:21Et ce que j'essaie de faire avec cette plateforme, celui où je me trouve, c'est d'essayer de faire le bien.
14:26Dans le monde.
14:28Vous savez, c'est toujours important, qui qu'on soit, c'est toujours important,
14:35lorsqu'on a une certaine position qu'on occupe, de s'en servir.
14:39Pour vraiment faire avancer les choses qui comptent pour vous, vos valeurs.
14:44En ce qui me concerne, par exemple, évidemment, ce qui m'importe, c'est soutenir la communauté de la mode,
14:49aider les designers, les couturiers, pour qu'ils puissent s'avancer, faire leur chemin.
14:55Et aussi, je tiens beaucoup à aider l'Institut du costume aux métropolitaines.
15:01J'essaie aussi beaucoup les jeunes qui sont confrontés à des problèmes de santé mentale.
15:06Je pense qu'il faut choisir vos priorités, ce qui compte,
15:12et ce qu'on peut faire, là où on se trouve, pour faire avancer ces idées-là.
15:18Au fond, vous êtes plus une personne qui a de l'influence, presque une personne très engagée,
15:23presque une personne politique, que vous cantonnez au milieu de la mode.
15:26Vous êtes profondément quelqu'un de politique, vous étiez engagée dans les élections présidentielles américaines,
15:32vous avez levé des fonds pour Barack Obama, pour Hillary Clinton.
15:37Vous êtes clairement engagée.
15:39Je ne pense pas qu'on peut s'engager dans le monde et ne pas défendre ses valeurs.
15:47Particulièrement actuellement avec la situation qu'on vit aux Etats-Unis,
15:52qui est une société où tout est très polarisé.
15:56Moi, je ne me vois pas me regarder dans le miroir le matin
16:01si je ne me bats pas pour les valeurs auxquelles je crois.
16:05Or, je pense vraiment que le président Biden et la vice-présidente Kamala Harris
16:10seront ceux qui vont être les prochains dirigeants de notre pays au mois de novembre,
16:15lorsqu'on va se rendre aux urnes.
16:17Pourquoi ? Parce qu'ils représentent les valeurs des Etats-Unis, la liberté et la démocratie.
16:23Mais Donald Trump, il monte, il monte, Donald Trump. Comment vous expliquez ça ?
16:27Je ne crois pas aux enquêtes, aux sondages d'opinion.
16:31Ça bouge jusqu'au dernier moment, vraiment.
16:34Et je pense vraiment que le peuple américain va voter pour ce qui est bien et ce qui est juste,
16:40c'est la liberté des femmes.
16:41Liberté des femmes, par exemple, de se décider par rapport à l'avortement.
16:45Liberté aussi de vivre en démocratie.
16:50Et l'autre candidat menace de mettre ses adversaires en prison
16:55pour retirer tous ces droits, que ce soit les droits des femmes,
16:58ceux de la communauté LGBTQ+, tous ceux qui ne sont pas d'accord.
17:02Alors, on est obligé de se positionner face à ça, c'est tellement méprisable.
17:06Vous auriez aimé faire de la politique, vous ?
17:09Non, non. Je fais tout ce que je peux pour soutenir les candidats auxquels je crois.
17:14Mais je ne suis pas une personnalité politique, en tant que telle.
17:19Ce que je fais, c'est que j'essaie de travailler à leur côté,
17:22donner un coup de main à ma manière.
17:24Mais moi, c'est chez Condé Nast que je travaille.
17:26Anna Wintour, vous définissez les tendances de la mode depuis 35 ans.
17:29Vous décidez quel est le créateur qu'il faut suivre, celui qui est dépassé.
17:33Quel est le style, le vêtement du moment, celui qui est démodé.
17:36Vous faites et vous défaites les réputations, et c'est pour ça que les gens vous craignent.
17:40Quelle est votre plus grande fierté, de tous les créateurs que vous avez mis en lumière pour la première fois,
17:45duquel ou de laquelle vous êtes le plus fière ?
17:48Je suis fière de tellement de gens dans ce métier.
17:52Et puis aussi, je suis très fière du fait que nous soutenions chez Vogue les jeunes créateurs.
18:00Au moment du 11 septembre, il se trouve qu'on a été complètement détruits.
18:10On ne comprenait pas ce qui se passait, ce qui se passait dans le monde.
18:14Et je pense que lorsque les choses sont compliquées, lorsqu'il y a des tragédies,
18:22lorsqu'on est confronté à quelque chose qui semble complètement inexplicable,
18:26la manière de faire, c'est d'agir pour s'y confronter.
18:29Ce qu'on a fait à ce moment-là, ce n'est pas grand-chose, mais quand même.
18:33Il se trouve que c'était le tout premier jour des collections à New York.
18:38Tous les jeunes créateurs ont perdu à ce moment-là tout leur fonds.
18:42Ils ont perdu tout ce qu'ils avaient.
18:44Ils étaient complètement perdus, ils ne savaient plus quoi faire,
18:46ils ne savaient plus comment aller de l'avant.
18:48Et donc Vogue les a aidés à ce moment-là.
18:50On a mis en place le fonds CFDA pour la mode.
18:53On a aidé à financer leur défilé.
18:57On les a aidés à repartir du bon pied.
19:00Donc on a fait à notre petite mesure ce qu'on pouvait pour aider les gens
19:04dont la vie a été complètement bouleversée par des événements tragiques.
19:08Et après cette tragédie, le fonds CFDA, qui a été créé à ce moment-là,
19:14continue de travailler, il existe toujours d'ailleurs.
19:17On a des initiatives similaires en Chine, au Royaume-Uni, en Italie.
19:22Et je pense que c'est vraiment très important de regarder vers l'avenir.
19:26Et il faut aider les jeunes, qui sont notre avenir aussi.
19:30Mais je sais que vous n'aimez pas choisir.
19:32Mais de tous ceux que vous avez découverts, John Galliano,
19:35tous ceux que vous avez mis en lumière, est-ce qu'il y en a un ?
19:38Ce n'est pas moi qui les ai découverts.
19:40Ils se sont découverts tout seuls.
19:42On les a aidés, on les a accompagnés sur le chemin.
19:45Mais c'est eux, c'est eux qui ont fait le travail.
19:49Ce sont eux qui ont cette vision créative.
19:52On les a accompagnés.
19:53C'est vrai que quand le défilé d'un couturier vous déçoit,
19:56que vous trouvez qu'il était raté ou qu'il a été trop paresseux,
19:59vous ne le critiquez pas dans Vogue.
20:01Mais en revanche, vous n'en parlez pas, vous n'en parlez plus.
20:04Vous appelez ça « Death by anonyme », la mort par anonyme.
20:09Vogue est là pour rendre hommage à la mode.
20:14Et non pas pour la dénigrer, pour la célébrer.
20:17Donc on est toujours contents d'avoir des échanges dans la coulisse,
20:22sur des sujets dont on pense qu'il faut parler.
20:24Mais nous sommes ici, et la voie de Vogue, c'est pour célébrer la mode.
20:29Et pour moi, c'est très important.
20:31Et il y a tellement dont on peut se réjouir.
20:33En 30 ans, qu'est-ce qui a le plus changé dans la mode, Anna Wintour ?
20:37Est-ce que ce n'est pas tout simplement la diversité ?
20:40On a vu les mannequins, c'était des mannequins grandes, blondes, jeunes, fines.
20:45Et quelle bonne nouvelle !
20:47Il y avait le défilé de Pharrell Williams chez Vuitton hier soir, et on a vu une diversité incroyable.
20:53Il y avait vraiment de l'inclusion.
20:56C'est magnifique que LVMH ait fait confiance à Virgil Abloh et maintenant à Pharrell Williams.
21:04C'est très important pour Vogue.
21:07Et nous souhaitons être leaders par rapport à cette volonté.
21:11Nous voulons qu'il y ait une diversité corporelle, certes, mais aussi faire participer des gens de tous les milieux.
21:17Et des âges différents, c'est plus que des jeunes, des jeunes, des jeunes.
21:21La diversité, c'est ça.
21:23C'est décliné dans toutes ces acceptions.
21:26Mais quand vous me demandez ce qui a vraiment changé,
21:29il y a la diversité et l'inclusion qui font partie de ce changement, certes.
21:33Mais il y a une autre chose qui a vraiment changé depuis que j'ai commencé, il y a des millénaires.
21:39C'est qu'aujourd'hui, on parle à tellement plus de gens.
21:44Aujourd'hui, autrefois, on avait l'édition papier, simplement,
21:48qui paraissait 12 fois par an et qui atteignait une certaine cible.
21:53Alors certes, le papier reste important pour nous,
21:57mais on a la capacité aujourd'hui, avec la vidéo, les événements,
22:01comme celui qui va avoir lieu dimanche.
22:03On a la capacité aussi, par l'action philanthropique, de parler à beaucoup de gens.
22:09C'est ça qui a changé, fondamentalement ?
22:11Oui.
22:12On rencontre aujourd'hui des centaines de millions de personnes,
22:16là où elles se trouvent, et c'est très important.
22:19Comment vous voyez la presse magazine et la presse de mode ?
22:22Est-ce que vous pensez que Vogue existera toujours dans 20 ans, dans 30 ans ?
22:25Le magazine papier en lui-même, où tout se passe sur les réseaux sociaux ?
22:28Vous savez, 20 ans, c'est très, très, très, très loin.
22:31C'est impossible de dire ce qui se passera à ce moment-là.
22:34En revanche, j'ai vraiment confiance, je suis absolument certaine,
22:38que Vogue continuera d'exister à ce moment-là,
22:41alors sous différentes formes, sous des formes diversifiées.
22:46Comment, je ne sais pas, on ne peut pas le dire, c'est trop tôt.
22:49Vous n'êtes pas sur les réseaux sociaux, vous n'avez pas de compte Instagram.
22:52Il n'y a pas de compte Instagram Anna Wintour, pourquoi ?
22:54Pour rester énigmatique ?
22:55Parce que je travaille pour Vogue, je ne travaille pas pour Anna Wintour.
22:59Ok, ça s'est fait, c'est dit.
23:01Anna Wintour, vous êtes née et vous avez grandi à Londres.
23:04Votre père, Charles, a été le très respecté rédacteur en chef de L'Evening Standard,
23:08qui est un quotidien conservateur britannique, bourreau de travail.
23:11Il était surnommé « Chilly Charlie », Charlie le glaçon par ses collaborateurs.
23:15C'est lui qui vous a appris la volonté, le goût du travail, l'amour de la presse
23:20et aussi ce côté, dont on a beaucoup parlé, froid, distant,
23:25qu'on a vu dans « Le diable s'habille en Prada ».
23:28Ce personnage-là, ça vient de votre père ?
23:31Mon père, c'était mon père.
23:34Il n'était ni froid, ni rien de tout cela, ni distant.
23:37C'était un père aimant et qui était très fier, aussi, et qui m'a beaucoup appris.
23:43Il m'a appris l'engagement, il était un homme qui exigeait l'excellence.
23:50C'est aussi quelqu'un qui m'a appris à m'appuyer sur les autres.
23:53Il faut comprendre qu'il avait quand même un poste important,
23:57ce qui est mon cas aujourd'hui et j'ai beaucoup de chance d'ailleurs.
24:00On a de telles fonctions, c'est important de confier les responsabilités aux autres.
24:05Les gens travaillent mieux s'ils savent que vous leur faites confiance
24:08et qu'ils ont la capacité de prendre des décisions.
24:11Et de votre mère, vous tenez quoi de votre mère ?
24:14Ma mère était exceptionnelle, extraordinaire.
24:17Elle a été critique de films dans ses jeunes années,
24:20qui a connu un grand succès.
24:22Après, elle a eu six enfants.
24:24Et après cela, elle a mené une action sociale,
24:28puisqu'elle s'est occupée de jeunes femmes, de jeunes mères,
24:32jeunes mères célibataires, qui souvent étaient des jeunes adolescentes.
24:37Et elle a aimé ces jeunes filles,
24:39et a trouvé des foyers ou des lieux d'accueil pour ces enfants,
24:42où elle les a aidées à pouvoir élever les enfants quand elle le souhaitait.
24:45Donc, c'était une femme remarquable, à bien des égards.
24:50Vous aviez quatre frères et soeurs, mais il y a un drame qui marque votre enfance.
24:54Votre grand frère meurt subitement d'un tragique accident de vélo quand il a dix ans,
24:57et vous aviez deux ans.
24:59Qu'est-ce que ce drame a marqué dans votre vie ?
25:02Évidemment, ça a été très, très dur pour mes parents et pour mon grand frère.
25:10C'est quelque chose dont il ne s'est jamais remis, je pense, complètement.
25:16Mais j'ai deux frères incroyables, une soeur exceptionnelle aussi.
25:20J'ai mes enfants, mes petits-enfants, des neveux, des nièces.
25:27Ils sont très nombreux, donc on est une famille aimante, soudée.
25:32Et je pense que la perte de Gérald nous a peut-être montré une chose,
25:36c'est que la famille est très importante.
25:38Quelle mère vous êtes ?
25:39Sévère, dure ou cool ?
25:41J'adore mes enfants et je suis très fière de tous les deux.
25:46Ils mènent une vie professionnelle exceptionnelle l'un comme l'autre.
25:50Ils ont des conjoints que j'apprécie énormément, des enfants géniaux, donc j'ai beaucoup de chance.
25:54C'est vrai que quand vous étiez jeune, vous étiez rebelle, vous supportiez pas l'autorité.
25:58A l'école, vous avez dit, je sais pas si c'est une légende,
26:01quand on vous a demandé quel métier vous ferez plus tard à dix ans,
26:03vous avez dit « je serai rédactrice en chef de Vogue ».
26:05Vous savez, on est toujours rebelle à l'adolescence, après on s'en remet.
26:12C'est vrai que votre père vous dit « vous voulez vous inscrire dans une école de mode »
26:16et vous lui avez dit « la mode, ça ne s'apprend pas ».
26:20Mon père était quelqu'un de très ambitieux et il avait des ambitions pour ses enfants,
26:26sans aucun doute aussi.
26:29On était entouré de rédacteurs, de journalistes, de photographes, de personnalités politiques.
26:35Ça, c'est mon enfance. J'ai grandi là-dedans et donc ça m'a formé, évidemment.
26:40Et mon jeune frère aussi est journaliste, d'ailleurs.
26:43Donc on a baigné dans ce milieu qui nous a influencé ce qu'on a vu à la maison
26:49et ce qu'on a vu notre père faire aussi, jour après jour.
26:54Et le plus important, je dirais, en ce qui concerne mon père, c'était un père extraordinaire déjà,
27:00mais aussi il adorait ce qu'il faisait.
27:02Et voir quelqu'un d'épanoui dans sa vie professionnelle, c'est quelque chose qui inspire.
27:08Et l'amour ? Vous avez eu le temps pour l'amour au milieu de tout ça dans votre vie, ça a été important ?
27:14Ma vie privée reste ma vie privée.
27:17J'étais sûre que vous alliez me répondre ça.
27:20Le temps qui passe Anna Wintour, ça vous angoisse ou vous gérez ?
27:25De toute façon, on ne peut rien faire. Le temps passe, on n'y peut rien.
27:29Donc j'essaie de faire de mon mieux, profiter de chaque instant.
27:34Et je me réjouis de dimanche d'ailleurs.
27:37Le documentaire qui vous a été consacré il y a quelques années à la question
27:41« Quand arrêterez-vous Vogue ? », vous avez répondu « Quand la colère l'emportera ».
27:46Oui, ça c'est ce que disait mon père.
27:49Je me souviens, il disait ça toujours.
27:52Lorsqu'on lui posait cette question, il disait « Lorsqu'on est en colère, c'est le moment de s'arrêter ».
27:56Voilà, je n'ai jamais oublié.
27:58Mais vous n'êtes pas en colère. Vous n'êtes pas encore en colère.
28:01Il y a des jours, mais je n'en suis pas là encore.
28:03On termine avec les impromptus si vous voulez bien.
28:05Question rapide, vous ne réfléchissez pas trop.
28:07Côte Est ou Côte Ouest ?
28:09New York.
28:11Donc Paris ou Milan ?
28:13Je les adore ces deux villes.
28:15Mais aujourd'hui, Paris.
28:17La dernière fois que vous avez souri ?
28:19À l'instant, je souris.
28:21La qualité que vous préférez chez vos collaborateurs ?
28:24L'honnêteté, l'humour et l'engagement.
28:29La loyauté, c'est très important pour vous.
28:31Comment vous appelez vos petits-enfants ?
28:33Comment ils m'appellent ?
28:35J'ai beaucoup de chiens.
28:37Et donc, quand ils étaient tout petits, avant de comprendre que j'étais leur grand-mère,
28:41ils m'appelaient « Chien ».
28:43Et maintenant, ils m'appellent « Anna ».
28:46Jim Harrison ou Bret Easton Ellis ?
28:49Plutôt une femme.
28:51Jane Austen ?
28:53Encore.
28:54Beyoncé ou Rihanna ?
28:55Les deux. Elles sont brillantes.
28:57Roger Federer ou Rafael Nadal ?
29:00Roger est un ami vraiment très proche.
29:04Je les admire tous les deux énormément.
29:07Mais à titre personnel, je me dois de choisir Roger.
29:12Quand Netflix réalisera une série sur vous, sur Anna Wintour, vous voyez qui pour l'incarner ?
29:19Meryl Streep.
29:20Meryl Streep encore ?
29:21Anna Hathaway.
29:22Meryl Streep et Anna Hathaway.
29:23On reprend le même casting que le diable Sabian Prada.
29:25Vous l'avez vu combien de fois, ce film ?
29:27Je l'ai vu une fois. Je suis allée à la première.
29:30Et c'est tout ?
29:31Oui.
29:32Et vous en avez marre qu'on vous en parle ?
29:34Oui, j'en ai vraiment marre d'en parler, en effet, de ce film.
29:40Mais bon, j'admire énormément Meryl Streep.
29:44Et si on fait un film sur vous, on ne peut pas rêver mieux quand même.
29:48Personne que Meryl Streep.
29:50Et pour terminer, la dernière question que je pose à chaque fois.
29:52Est Dieu dans tout ça ?
29:54Je suis athée.
29:55Merci beaucoup, Anna Wintour, d'avoir été avec nous dimanche à Paris.
30:01Le Vogue World, l'événement fashion le plus attendu.
30:04Merci beaucoup d'avoir été à la radio sur Inter.
30:06Merci.

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