Cynthia Fleury s'intéresse à la notion d'État de droit, elle en explique le sens et la place de l'individuation dans son établissement. Elle le définit comme « les outils dédiés à l'exercice libre de la rationalité publique ».En tant que philosophe et psychanalyste, Cynthia Fleury croise ces deux disciplines pour s'intéresser à la vulnérabilité. Pour ce faire elle met en place en 2016 une chaire de philosophie à l'hôpital GHU de Paris psychiatrie et neuroscience. Ainsi elle constate quotidiennement au sein de sa clinique « une porosité » entre les souffrances des jeunes actifs et « l'effondrement du monde ». Elle tente alors de remettre en perspective la réalité sociale dans laquelle nous sommes piégés grâce à une meilleure connaissance de soi-même et de ses vulnérabilités.Dès lors, en s'inspirant d'Alain Damasio et de Bruno Latour, Cynthia Fleury a participé avec Antoine Fenoglio à la rédaction de « la Charte du Verstolhen » qui met en avant « dix points non négociables pour habiter le monde » destinée aux citoyens. Ces principes ont par ailleurs été mis en place pour trois ans dans la commune de Saint-Médard-en-Jalles pour inventer une autre façon de vivre ensemble. De l'urbanisme à l'architecture en passant par la gestion des EHPAD et des écoles, c'est une nouvelle façon de se reconnecter à son environnement et faire face à ses vulnérabilités pour mieux les affronter.
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00:00Générique
00:02...
00:21Cynthia Fleury, bonjour.
00:23Vous êtes philosophe, psychanalyste,
00:26et vous mettez en oeuvre une éthique et une politique du caire
00:31à travers les chaires que vous avez créées,
00:33notamment la chaire de philosophie qui a vu le jour en 2016
00:37à l'hôpital du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences,
00:40qui fait plein de petits aujourd'hui.
00:42Vous mettez en place collectivement des dispositifs,
00:46des protocoles à la croisée de la philosophie,
00:49du soin, de la phénoménologie,
00:52du design, de l'urbanisme, etc.,
00:54et enfin, de la politique,
00:57pour prendre en compte la vulnérabilité
00:59et proposer d'autres types de relations
01:02que celles que la modernité politique, rationnelle
01:05et capitaliste a produites.
01:07Autrement dit, vous essayez de récréer des écosystèmes
01:11qui sont eux-mêmes créateurs,
01:13avec au coeur cette notion de vulnérabilité,
01:16qu'elle soit humaine et naturelle,
01:18puisque vous prenez en compte la vulnérabilité naturelle.
01:21On va essayer, aujourd'hui, si vous le voulez bien,
01:24de montrer le lien entre ce travail
01:28et la question de la démocratie,
01:30qui est au fond et au coeur de votre recherche.
01:33C'est de la recherche, mais aussi de la pratique.
01:36C'est ça qui nous intéresse.
01:38D'abord, vous portez une attention permanente
01:40sur l'articulation entre ce que vous appelez
01:43l'individuation et l'Etat.
01:45Est-ce que vous pouvez nous préciser
01:47de quoi il est question, en définissant
01:49peut-être l'individualisation
01:50par rapport à l'individualisme,
01:52qui n'est pas du tout la même chose,
01:54et pourquoi cette attention au sujet,
01:56au sujet que nous sommes,
01:58est centrale pour la réflexion politique ?
02:00Alors, sur la question de...
02:04Sur la question de l'Etat de droit,
02:06et sur la question du lien avec le principe d'individuation,
02:10c'est vrai que j'ai préféré ce terme,
02:12qu'on connaît, alors, depuis Jung
02:15jusqu'à Simondon, donc on ne va pas refaire
02:18une historiographie du concept,
02:20mais malgré tout, il est déjà positionné,
02:22et c'est vrai que j'ai pas posé le terme
02:24de subjectivation, qui pourrait être,
02:26parce que c'est un processus de subjectivation,
02:29aussi, bien sûr, le principe d'individuation,
02:33le principe d'une construction, d'une liberté,
02:35d'une autonomie, il y a plein de termes
02:38qui pourraient circonscrire ce qu'on appelle
02:40individuation, mais ce que je trouvais intéressant
02:43dans la continuation, entre guillemets,
02:45de cette histoire de la revendication
02:49du principe d'individuation, c'était de faire un sort
02:52à la notion d'individualisme, qui, souvent,
02:55vient recouper intégralement ce qu'est un individu.
02:58Or, l'individualisme a aussi ses démons,
03:02ses démons, c'est, je ne sais pas,
03:04sa tendance à la fragmentation,
03:07sa tendance à la sécession,
03:08et non pas simplement à la séparation,
03:11sa tendance, parfois, éventuellement,
03:13à une illusion de toute puissance,
03:15à l'égocratie, à tout ce qu'on connaît,
03:18et donc, là, l'enjeu, c'était de dire, attention,
03:21être, devenir un individu,
03:23c'est pas nécessairement basculer
03:26dans l'hypertrophie de soi-même et passer à côté du monde.
03:29Et, au contraire, devenir un individu,
03:32dans la préservation de qu'est-ce que c'est
03:34que devenir un individu, ce principe d'émancipation,
03:37en fait, il y a un coeur essentiel, au sens de principe,
03:40pour défendre la notion d'état de droit,
03:43parce que, sincèrement, si vous n'êtes pas un individu,
03:46au sens humaniste du terme,
03:49le désir de l'état de droit ne vous parle pas.
03:52Ca n'a pas de sens, si vous voulez.
03:54Donc, en fait, le fait que, qu'est-ce qu'un état de droit,
03:57c'est-à-dire de protéger, à un moment donné,
03:59des outils institutionnels, en amont, en aval,
04:02qui viennent accompagner un processus de subjectivation,
04:06qui viennent accompagner un processus d'individuation,
04:09pour moi, c'est ça, l'état de droit,
04:11c'est pas simplement la procédure, le régime, le vote,
04:15bien sûr, mais fondamentalement,
04:17c'est ce que Rawls, c'est ce qu'Amartya Sen,
04:21c'est ce que quantité d'auteurs ont défini
04:24comme les outils dédiés à l'exercice libre
04:28de la rationalité publique, en gros.
04:31C'est ça. En gros, fondamentalement,
04:33l'éducation, la culture,
04:35ce que Freud pourrait appeler
04:37les outils de sublimation des instincts pulsionnels, etc.
04:41Donc, c'est ça, l'état de droit.
04:43Après, la forme, un coup, c'est du vote,
04:45un coup, c'est pas du vote,
04:47demain, c'est un Sénat,
04:49ou alors, c'est de la représentation,
04:51c'est quelque chose qui va venir se combiner
04:54avec de la démocratie participative.
04:56Tout ça, ça bouge, c'est plastique.
04:58C'est absolument nécessaire,
05:01c'est absolument nécessaire de trouver les justes processus
05:05pour faire advenir la qualité de la décision démocratique.
05:09Mais ces processus, ils bougent.
05:12Vous comprenez bien qu'on ne peut pas utiliser
05:15les mêmes outils institutionnels au 18e, au 19e et au 20e,
05:18avec, comment dire, les failles systémiques
05:22qui, aujourd'hui, sont les nôtres,
05:24la question de l'anthropocène,
05:26la question de la numérisation du monde,
05:28la question du nombre.
05:30On est bientôt... On est 7 milliards.
05:32Donc, bien évidemment que les outils se transforment,
05:35mais l'esprit, entre guillemets, de la démocratie,
05:38qui est cet esprit de dire, tiens,
05:40la singularité d'un individu peut fabriquer
05:44un collectif digne,
05:46et ce collectif digne, en même temps,
05:48se constitue comme collectif digne,
05:50comme puissance de transformation,
05:52parce que seuls, on ne fait pas grand-chose,
05:54nous sommes tous interdépendants,
05:56mais respecte et considère qu'au fondement de son collectif,
06:00il y a le respect de la dignité humaine,
06:02et donc de la singularité humaine.
06:04Cette jonction très particulière de l'individu et du collectif,
06:08pour ma part, en théorie du moindre mal,
06:10je n'ai aucune vision idéaliste de la démocratie,
06:13donc, en théorie du moindre mal,
06:15j'ai le sentiment que l'Etat de droit
06:17est peut-être le cadre normatif
06:19le plus opérationnel, le plus efficient
06:22pour tenter cette articulation
06:24entre le collectif et l'individu,
06:27où chacun essaie de...
06:28Allez, de faire un pas de deux.
06:31Je n'irai pas vers, comment dire,
06:34un délire individualiste, qui, d'ailleurs, mourra,
06:37parce que ça ne tiendra pas,
06:39et je n'irai pas non plus dans un délire totalitaire
06:42ultra-communautariste,
06:44qui est la négation de l'individu.
06:47De quoi souffre aujourd'hui l'individu ?
06:49Il faut qu'il y ait de psychanalyse,
06:51parce que vous êtes à la croisée de deux pratiques,
06:54deux types d'interrogations et de discours, d'ailleurs,
06:57celui qui est intime, singulier,
07:00et puis un discours plus théorique, on va dire.
07:03Je vais parler de l'individu que je connais un tout petit peu mieux,
07:08et malgré tout, ça a son importance,
07:10même si je ne fais pas que de la clinique franco-française,
07:13puisque la Chaire, notamment, est, si on veut donner un lieu
07:16qui n'est pas du tout franco-français,
07:19au Congo, chez Denis Mukwege, à l'hôpital de Panzi,
07:22en contexte d'hypertrauma
07:24auprès des survivantes victimes des violences
07:27de genre, de sexe, de guerre,
07:30qui viennent détruire le corps des femmes.
07:33Donc, c'est...
07:35Et là, il s'agit de savoir c'est quoi, un individu,
07:38dans ce contexte-là.
07:39Mais ma clinique quotidienne,
07:41c'est plutôt celle soit de la supervision de soignants
07:44et d'accompagnement de soignants.
07:46Quand je dis soignants, c'est pas des psychologues, des psychiatres,
07:50mais aussi des médecins, des infirmiers, etc.
07:53Comment on accompagne cet étos du soignant
07:55qui est malgré tout en crise vocationnelle,
07:58en épuisement professionnel, etc.
08:00Il souffre pas mal de ne pas pouvoir exercer son métier dignement,
08:04comme il dit régulièrement,
08:06alors même qu'il a la conscience chevillée au corps
08:09de cette défense de la dignité humaine.
08:12Et puis sinon, l'autre clinique,
08:14c'est les patients des sociétés occidentales,
08:17entre guillemets,
08:19plutôt des jeunes actifs.
08:22J'ai peu d'adolescents,
08:25quelques enfants, mais surtout beaucoup des jeunes actifs,
08:28et là, ils souffrent de beaucoup de choses.
08:30Je dirais d'abord qu'il y a un grand retour
08:33de la politisation de l'angoisse.
08:35C'est-à-dire que, ce que je vois,
08:37sur l'espace de 10, 15 ans, comme ça, de cliniques,
08:41on avait une clinique...
08:43Enfin, on avait, par exemple, un épuisement professionnel
08:46lié au monde de l'entreprise, extraordinairement présent,
08:50il y a déjà 10, 15 ans,
08:52et qui a explosé depuis.
08:55Je dirais qu'il est maintenant acté par tous,
08:58mais d'une certaine manière se déplace,
09:00puisque nous, on est toujours aux avant-postes
09:03de ce qui va se jouer dans 5 ans pour tout le monde.
09:06Et là, franchement, il y a une porosité
09:09avec l'effondrement du monde,
09:10avec le sentiment d'un effondrement du monde.
09:13C'est pas simplement le roman familial
09:15ni le roman de ma petite entreprise,
09:17c'est le roman du monde.
09:19C'est le roman du monde qui vacille,
09:21c'est le grand retour de l'effondrement possible
09:23par le nucléaire, par la guerre,
09:25les situations qui étaient jugées un peu éloignées
09:29type Ukraine,
09:31bien sûr, il y a le conflit israélo-palestinien,
09:34mais il y a la question du réchauffement climatique,
09:37il y a la question du vécu quotidien de la catastrophe,
09:41c'est-à-dire de la crainte de cela.
09:44Et ça, c'est assez...
09:45Ca crée une fatigue,
09:47ça crée un épuisement au long cours, comme ça,
09:50où le sentiment d'incertitude reprend la main.
09:54Et vous savez qu'en psychiatrie,
09:57la manière dont nous tolérons l'incertitude
10:00dit quelque chose de notre santé mentale.
10:03C'est-à-dire qu'en fait, il y a un niveau de tolérance
10:06à l'incertitude qui est un marqueur de bonne santé mentale.
10:11Tous ceux qui sont dans la psychorigidité
10:14et des troubles psychiatriques forts
10:16ont une intolérance à l'incertitude,
10:19donc ça, c'est clair,
10:20mais en même temps, ceux en bonne santé,
10:22ils ont une tolérance par rapport à l'incertitude,
10:25mais en même temps, ils métastabilisent,
10:27parce que, tous les jours, vivre au quotidien l'incertitude,
10:31ce n'est pas tenable.
10:32Ils génèrent aussi en eux cette métastabilité.
10:34Et cette métastabilité, comment on la génère ?
10:37On la génère par des liens.
10:39Des liens, par exemple, heureux avec quelqu'un qu'on aime.
10:42C'est de la métastabilité, l'amour.
10:44On la génère par du sens, par de l'action,
10:46par le sentiment de pouvoir faire des choses, etc.
10:49Donc moi, je suis un peu un générateur de métastabilité.
10:52-"Métastabilité".
10:55Alors, vous déclinez ce connaît-toi-toi-même d'Elphique,
10:59l'injonction d'Elphique,
11:02à différents niveaux, d'ailleurs,
11:04justement, au niveau, sans doute, analytique,
11:07mais également politique.
11:09Quelles sont les formes, aujourd'hui,
11:11que prendrait ce connaît-toi-toi-même ?
11:13Alors, le connaît-toi-toi-même, c'est vrai que moi,
11:16dans mon travail, en long cours,
11:18j'avais posé trois figurations possibles du connaît-toi-toi-même.
11:23Mais chacun, à un moment donné,
11:25donne à la fois ses équations mathématiques et poétiques.
11:29Et donc, dans ce connaît-toi-toi-même,
11:32dans tout mon travail, je vais le dire en latin,
11:34parce que j'ai, comment dire,
11:36posé, utilisé, entre guillemets,
11:39des allocutions latines pour le dire,
11:41c'est Imaginatio vera, je vais y revenir,
11:43Precium doloris et Viscomica.
11:45Imaginatio vera, c'est l'imagination vraie.
11:48L'imagination vraie, si vous voulez,
11:50c'est tout simplement... C'est un mot de Paracels,
11:53donc on est en amont de la Renaissance.
11:55Mais aujourd'hui, on pourrait parler d'imagination ageante.
11:59On peut même la trouver chez Kant,
12:01avec l'imagination transcendantale,
12:04on peut la trouver chez des auteurs plus soufis,
12:07qui ont été bien présentés par Henri Corbin
12:11autour de l'imagination créatrice, l'imagination noétique, etc.
12:14C'est tout simplement de dire que notre rapport au réel
12:17n'est pas le rapport à la réalité sociale.
12:20La réalité sociale est un voile du réel.
12:23C'est une construction,
12:25qui a sa vérité, mais qui a aussi son absence de vérité.
12:30On pourrait dire que c'est une caverne,
12:32si on voulait reprendre le vieil adage platonicien.
12:37De ne pas faire cette différence entre ce qu'est le réel,
12:40qui est une puissance phénoménologique,
12:42vous l'avez dit tout à l'heure en introduction,
12:45qui est une puissance de monde,
12:46et la réalité sociale, qui est un monde à un instant T,
12:50cet échappé possible, c'est l'imagination ageante.
12:53Il y a un déficit, aujourd'hui ?
12:55Il y a un déficit dans la mesure où nous sommes, oui,
12:59très vite piégés par la réalité,
13:02par la réalité sociale.
13:04Nous sommes en illusion de croire
13:07que cette réalité sociale fait monde pour toujours.
13:09C'est intéressant,
13:11dans la production littéraire, cinématographique,
13:14il y a cet effet de réalité qui est prédominant,
13:17y compris par rapport à la fiction, au sens littéral.
13:20On comprend, parce que chacun veut être au rendez-vous
13:24de, soi-disant, une vérité,
13:25mais justement, je pense qu'il est très important,
13:28et tous les grands théoriciens de l'imagination noétique,
13:31agentes, ont rappelé qu'être au rendez-vous de la vérité,
13:35ce n'est pas être au rendez-vous de la visibilité de cette vérité,
13:38c'est être au rendez-vous de son énigme,
13:41de ses mécanismes d'émergence,
13:44d'invisibilité, on l'a dit.
13:47Donc, c'est tout ça.
13:49C'est vrai que le connaît-toi-toi-même,
13:52c'est déjà le fait que, bien sûr,
13:54je me lis aux principes de réalité,
13:56donc il y a une négociation imminente avec le monde.
13:59C'est la métastabilité.
14:01Mais justement, pour aussi produire de la métastabilité,
14:04je suis obligée de me rappeler que le réel, c'est autre chose.
14:08Je sais pas forcément quoi, c'est la part d'humilité en nous,
14:11mais c'est aussi la part de création.
14:13C'est la part de lien avec ce qu'on connaît pas, etc.
14:17Donc, ça, c'est l'imagination vera, l'imagination vraie.
14:20Le deuxième point, qui est plus compliqué,
14:22mais qui est prescium doloris, le prix de la douleur,
14:25c'est le principe de réalité au sens où il y a de l'adversité,
14:29il y a des épreuves.
14:30On en parlait au début,
14:33les vulnérabilités, qui sont soit ontologiques,
14:35soit sociales, culturelles,
14:38les deux étant difficiles, pas drôles.
14:42Vulnérabilité de la maladie, de la vie, de la mort, etc.,
14:45de la naissance, de la fragilité de la naissance,
14:48et puis les vulnérabilités sociales.
14:50Donc, comment, à la fois, créer de la vérité,
14:54c'est nécessairement...
14:56prendre conscience de cette douleur, de cette douleur du monde,
15:00et puis, en même temps, en faire quelque chose,
15:02créer une transitivité possible de cette douleur,
15:05en faire quelque chose.
15:07Donc, là, c'est toute la question d'une éthique
15:09et de responsabilité et du risque de penser,
15:14parce que penser est un risque,
15:16c'est pas simplement une... Comment dire ?
15:19Je sais pas, une cerise sur le gâteau.
15:21C'est ce qui fait monde, demain.
15:24Si on n'arrive pas tout de suite à faire monde par la pensée,
15:27c'est pas grave, on travaille à construire
15:30les victoires de cette pensée et de ce monde pour demain.
15:33Et puis, le dernier point, parce que c'est tellement...
15:36C'est lourd.
15:37Imagination, Vera, Epressium, Dolores,
15:39donc vis comica, force comique.
15:41Un peu d'humour et un peu de légalité.
15:43De l'humour, de la déconstruction,
15:46du fait que, mon Dieu, on va pas juste s'effondrer
15:49devant l'absurde, voilà.
15:51Et donc, la vis comica, c'est une manière de faire espace-temps
15:55quand tout est fermé, quand tout est piégé,
15:57quand tout est impossible,
15:59quand le sens n'est plus.
16:02Donc, la vis comica, c'est pas simplement le rire,
16:04c'est le sourire au sens d'un possible oui,
16:08alors que la barbarie nous entoure.
16:10Donc, voilà.
16:12Moi, j'ai essayé de créer, comme ça,
16:14une éthique de l'irremplaçabilité,
16:18au sens où, non pas nous sommes indispensables,
16:21mais nous devons faire surgir cette singularité en nous
16:25pour, non seulement, préserver notre santé physique, mentale,
16:29mais je pense, demain, préserver les Etats de droit.
16:32Vous avez signé, avec Antoine Fenolio,
16:35un tract galimard intitulé
16:38Ce qui ne peut être volé, chartes du Verstollen.
16:42Je trouve ça tout à fait passionnant.
16:44Vous déployez, notamment, des méthodes d'action,
16:48comme le proof of care,
16:50alors pas pour l'accent pathétique,
16:52mais vous allez peut-être nous en parler,
16:55parce que, là, l'idée, c'est d'être dans une pragmatique,
16:58et pas seulement, justement, dans la théorie du philosophe.
17:02C'est le philosophe qui est en action.
17:04Vous parlez de savoir expérientiel
17:08et vous déclinez les différents biens qu'on ne peut pas voler.
17:11Je vous en donne quelques-uns,
17:13parce que je trouve qu'ils sont merveilleux.
17:16Parmi ces biens qu'on ne devrait pas pouvoir voler,
17:18mais on y arrive quand même,
17:20il y a, par exemple, le silence.
17:22Le silence est un bien commun.
17:24L'horizon.
17:25Mais on voit comment l'horizon peut boucher.
17:27Le soin des morts.
17:28La liberté d'usage.
17:30Là, c'est plus littéralement les communs,
17:32et on va en dire un mot.
17:33La qualité de vie, la santé physique et psychique,
17:36le temps long,
17:37la possibilité de demeurer et de devenir.
17:40Voilà.
17:42Et puis, il y en a d'autres.
17:44Et puis, vous terminez sur la furtivité.
17:46C'est magnifique, ce mot.
17:49Est-ce que vous pourriez expliquer ce que ça veut dire ?
17:52D'ailleurs, ferchtollen, en allemand, c'est furtif, furtivement.
17:55C'est pour ça qu'on l'a nommé comme ça.
17:58Et aujourd'hui, on parle beaucoup de Alain Damasio,
18:00qui avait écrit un magnifique roman,
18:02qui s'appelle Les Furtifs.
18:04Et c'est un hommage direct,
18:06parce qu'il y a beaucoup de...
18:07Comment dire ?
18:08D'aînés, entre guillemets,
18:10qu'ils soient du monde littéraire
18:12ou des sciences humaines et sociales,
18:14dans cette charte du ferchtollen.
18:16J'en cite juste trois.
18:17Il y a Damasio,
18:19il y a Latour,
18:20il y a Bruno Latour, qui est très important.
18:22Il y a Patrick Bouchain, grand architecte,
18:25qui est également essentiel.
18:26La charte du ferchtollen, c'était une charte
18:29qui renvoie à un travail sur cinq ans,
18:31un séminaire de recherche au GHU Paris psychiatrie et neurosciences
18:34et au conservatoire, au National des arts et métiers,
18:37avec Antoine Fenolio,
18:39mais avec... Il y a dû y avoir 50 intervenants sur cinq ans,
18:42peut-être plus,
18:43et qui travaillaient aux nouvelles habitabilités de ce monde.
18:47Comment, demain, on crée du commun, vous l'avez dit,
18:49comment on recrée de la citoyenneté,
18:51comment on fait de la démocratie,
18:53de la santé démocratique,
18:55comment on recrée la confiance dans l'Etat de droit,
18:58des choses très basiques.
18:59Au lieu de se dire qu'ils vont lire
19:01ou qu'ils vont suivre les cinq ans du séminaire de recherche,
19:05on va peut-être faire une charte.
19:07C'est plus efficace.
19:08On s'est dit comme ça.
19:09Peut-être.
19:10Dix points non négociables pour habiter le monde.
19:13Quand tout d'un coup, quelqu'un qui fait des politiques publiques
19:16doit faire un règlement, un décret,
19:18peut-être se rappeler ce qu'on cherche à préserver.
19:21On fera toutes les procédures, tout ce qu'on veut,
19:24mais se rappeler, si vous voulez, ce coeur vaillant.
19:27Mais aussi, par exemple, quand vous voulez faire du fer Stollen,
19:30et je reviens sur la furtivité,
19:32et que vous êtes un directeur de prison,
19:34vous êtes intéressé, par exemple, pour dire,
19:36est-ce que le droit à l'horizon,
19:38quand on dirige un établissement pénitentiaire,
19:41est-ce que ça vaut quelque chose ?
19:43Est-ce que c'est intéressant, demain, de considérer
19:46que ça fait partie de la thérapeutique,
19:48de l'accompagnement, de recréer un droit à l'horizon
19:51pour les prisonniers ? C'est une question.
19:53Est-ce que, quand j'ai un centre d'émigrants,
19:55la question du silence, de ceci, de cela,
19:58la générativité du vulnérable, je vais y revenir,
20:00voilà, donc, en gros, aujourd'hui, si vous voulez,
20:03on a plusieurs personnalités qui font du fer Stollen,
20:07personnalités, institutions.
20:09Là, on a mis en place, pour trois ans,
20:11Saint-Médard-en-Jale,
20:13ce fer Stollen,
20:15avec Stéphane Delperrat,
20:17le maire de Saint-Médard-en-Jale,
20:19la métropole et toutes les parties prenantes
20:22pour essayer d'inventer, autrement,
20:24avec les citoyens,
20:27une autre façon de vivre
20:29et créer la première,
20:31mais on s'en fiche de terme premier,
20:33la première ville-forêt.
20:34Donc, vous voyez, c'est très concret.
20:37C'est de l'urbanisme, c'est de l'architecture.
20:39C'est une autre manière de se reconnecter à...
20:42Comment dire ?
20:43L'articulation ville et forêt, nature.
20:46Exactement. C'est une gestion particulière de l'eau,
20:49donc les communs de l'eau.
20:50C'est un travail particulier, peut-être,
20:52enfin, pas peut-être, avec les EHPAD,
20:54avec les écoles.
20:56C'est un travail particulier sur les espaces naturels
20:59à relier par des trames silencieuses,
21:01comme les trames vertes et bleues.
21:03Vous voyez, donc, voilà.
21:05Alors, furtivité, c'était intéressant pour deux raisons.
21:08Ca nous permettait, je dirais,
21:10d'abord de défendre la liberté,
21:14qui est quand même dans cette société d'ultrasurveillance,
21:18de rationalisme gestionnaire, de quanti, de data.
21:22Aujourd'hui, on s'intéresse beaucoup plus
21:25à faire parler les datas qu'à écouter un être humain.
21:28Si vous voulez, écouter un être humain,
21:30d'abord, il peut raconter n'importe quoi,
21:33c'est long, c'est pas objectivable, etc.
21:36Préférons la data.
21:37Donc, le problème, c'est que ce monde,
21:40c'est un monde de monitoring, c'est un monde sécuritaire.
21:43Donc, la furtivité, déjà, c'était la revendication,
21:46dans le sens d'Amazio, du terme, de sous les radars.
21:49Et non, quand on parle de liberté,
21:52ce n'est pas la traçabilité.
21:55La liberté, c'est la liberté,
21:56c'est-à-dire, bien sûr, dans le respect, bien évidemment,
22:00de l'Etat de droit, mais je n'ai pas à être géocalisable
22:03à chaque instant, chaque moment, etc.
22:05Donc, ça, cette revendication de la furtivité,
22:08c'est un droit essentiel.
22:09Deuxième temps, la furtivité au sens plutôt de comment on pèse
22:14sur la nature, les externalités négatives.
22:17Donc, le furtif, plutôt, au sens de sobre.
22:20Le furtif, au sens de calmer un peu
22:23ces externalités négatives de nos modèles de production
22:26et de consommation qui sont terriblement extractivistes,
22:30prédateurs, etc., etc.
22:32Donc, réfléchir à d'autres manières
22:35d'être en connexion avec notre écosystème.
22:39Donc, voilà. Et puis, dernier point,
22:42à l'Europe, vous avez tous vu la Commission européenne
22:45parler du new Bauhaus
22:47et appelant les uns et les autres à faire du new Bauhaus.
22:50Donc, nous, c'était un petit coucou en disant,
22:53voilà, nous, on fait du fershtollen
22:55et on fait, entre guillemets, du new Bauhaus.
22:59Et voilà. Aujourd'hui, on a,
23:01tous ceux qui peuvent être intéressés,
23:03un labo furtif qui a été mis en place
23:05par, comment dire, une ancienne de nos étudiantes.
23:10Si vous tapez sur le net, labo furtif fershtollen,
23:13vous verrez tous ceux qui font du fershtollen.
23:15Et donc, ça, on est vraiment dans la proof of care ?
23:18Exactement. Le proof of care, c'est ça.
23:21Pour le dire un peu de manière peut-être trop pompeuse,
23:25c'est de la générativité du vulnérable.
23:28Ca veut dire quoi ? Ca veut dire, tout simplement,
23:31que tous nos protocoles de soins
23:34ou de, comment dire, nos dispositifs,
23:37c'est de la théorie de la conception
23:39à partir du point de vue du plus vulnérable.
23:42Au GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences,
23:44nous avons mis en place, à la demande,
23:46puisque c'est le travail de l'ACHER,
23:48des chantiers importants de l'ACHER,
23:50le protocole SISUCO, on le passe,
23:52qui est, en fait, de créer des protocoles
23:55alternatifs à la contention mécanique et chimique.
23:58La contention mécanique et chimique,
24:00c'est tout ce qui vient, entre guillemets,
24:02contenir, mais en coercition,
24:05en complication,
24:08là, l'enjeu, c'est de faire de la contenance volontaire
24:11et donc de produire des protocoles
24:13de contenance volontaire.
24:15Par exemple, quand on invente ces protocoles,
24:17on le fait nécessairement avec les patients,
24:20les schizophrènes, les autistes,
24:22ceux qui sont dans du réfractaire dur
24:25sur la question de la dépression, etc.
24:28On le fait avec les soignants,
24:29mais on ne fait des prototypes
24:31que construits avec les patients, les familles, les soignants.
24:35On part de là.
24:36Donc, ça, c'est de la générativité du vulnérable,
24:38c'est de considérer que la vulnérabilité
24:41doit être, demain, notre approche capacitaire.
24:43C'est de considérer que le patient a quelque chose à dire
24:46de différent sur la maladie, sur les hôpitaux patients,
24:49enfin, tout ce qui a été développé, notamment, avec le SIDA.
24:53C'est le grand enfant de la clinique du SIDA.
24:55La chaire de philosophie à l'hôpital
24:57est reliée à l'Université des patients
25:00de Sorbonne-Université,
25:01créée par le professeur Tourette-Turgis,
25:03qui est l'Université des patients splendide,
25:06qui, maintenant, va passer ses dix ans.
25:08On est ensemble, justement,
25:11on crée un groupement d'intérêts scientifiques
25:14qui s'appelle Générativité des vulnérabilités,
25:17porté par Sorbonne-Université, le GHU, le CNAM, etc.,
25:20et qui est dédié à ça, au fait que, demain, oui,
25:24ceux qui traversent les épreuves
25:27ont quelque chose à nous dire sur l'épistémologie,
25:30sur le diagnostic, sur, demain, les protocoles
25:34à mettre en place pour la question de la résilience, etc.,
25:37et d'autant plus dans un contexte de failles systémiques,
25:41parce que c'est quand même un peu ça devant,
25:43et donc de croire qu'ils ne sont pas pionniers en quelque chose,
25:47c'est manquer un tout petit peu de discernement.
25:50Mais pour ça, il faut mettre en place des liens institutionnels,
25:54créer des écosystèmes.
25:55Il faut créer des écosystèmes.
25:57En fait, c'est faire de la politique.
25:59C'est faire de la politique au sens premier du terme,
26:02de l'enseignement, de la formation.
26:04C'est créer... C'est nous former, tout simplement,
26:07parce qu'encore une fois, c'est une compétence, si vous voulez.
26:11Le juste diagnostic des vulnérabilités,
26:13c'est la première des compétences.
26:15Et ensuite, le vecteur de résilience, d'inventivité,
26:18c'est de la générativité du vulnérable,
26:20c'est-à-dire, en gros,
26:22qu'est-ce qu'on va inventer
26:24pour, justement, être au rendez-vous
26:27de la transformation, sublimation,
26:30dépassement de cette vulnérabilité ?
26:32Je ne suis pas du tout dans l'essentialisation
26:35de la vulnérabilité. Je ne m'intéresse pas.
26:37Je suis comme tout le monde, je n'ai pas du tout envie...
26:41Mais je sais, en revanche,
26:42que le déni des vulnérabilités les renforce.
26:45Bien sûr.
26:46Merci beaucoup, Cynthia Fleury.
26:48Merci à vous.
27:00Sous-titrage ST' 501