Le collectif "Le Revers de la médaille" a dévoilé ce lundi un rapport qui dénonce une hausse des expulsions de sans-abris en Île-de-France à l'approche des Jeux olympiques. Ils dénoncent un "nettoyage social". Selon le collectif, 12.545 personnes ont été expulsées en Île-de-France entre avril 2023 et mai 2024.
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00:00 On est à 52 jours de la cérémonie d'ouverture, on va en parler avec Emmanuel Grégoire, le premier adjoint à la mairie de Paris.
00:05 Merci d'être en direct avec nous et Paul Allosy, le porte-parole du collectif Le Revers de la Médaille.
00:10 Bonjour, vous êtes également le coordinateur de la Veille sanitaire à Médecins du Monde
00:13 et c'est votre collectif Le Revers de la Médaille qui évoque donc ce nettoyage social avec des chiffres éloquents.
00:20 Plus de 12 500 personnes, dites-vous, ont été expulsées, notamment de leur habitat précaire, depuis un peu plus d'un an.
00:28 Caché ces SDF et ces pauvres que l'on ne saurait voir pendant les JO, c'est ça ?
00:33 Oui, exactement, on est en train de mettre la misère sous le tapis en fait.
00:36 Au lieu de prendre les choses par la question humanitaire, la question sociale, de se dire bon, on est quand même un grand pays, on a des moyens,
00:42 il y a des gens dans l'espace public avec des parcours de vie cabossés, il faudrait les prendre en charge et utiliser les JO comme levier
00:47 parce que c'est quand même une fête qui doit bénéficier à tout le monde, et bien là en fait on dispare, on expulse.
00:52 Et bien Paul, ce mouvement s'est accéléré ces derniers mois ?
00:54 Il s'est nettement accéléré. Là on parle d'une augmentation de 38%, donc c'était 9 000 personnes il y a deux ans, là on est à 12 500.
01:03 Et au niveau des expulsions de campements, moi ce que je connais bien, on est passé à 30 opérations en 2022, 37 l'année dernière,
01:09 et là en quatre mois on est à 26 opérations, donc c'est énorme, tous les chiffres sont à l'abri.
01:12 Mais vous voulez bien nous donner quelques exemples ? C'est des opérations qui ont lieu la nuit, au petit matin ?
01:18 Alors pour avoir été dans les deux plus grands squads de France quand il y a eu les expulsions, je peux vous le dire,
01:23 celui à côté du village olympique, à 6h du matin on était avec les habitants qui étaient prêts à partir, qui avaient fait leur valise,
01:28 la police arrive, elle nasse les lieux, elle nous aveugle avec des lampes, ils prennent des boucliers,
01:32 ils nous poussent à l'intérieur du bâtiment jusqu'à ce qu'on arrive à calmer les choses, à mettre en place une négociation,
01:37 et ensuite les gens ont un choix, soit ils montent dans des bus pour d'autres villes de France,
01:40 dans lesquelles ils seront pris en charge dans des centres de tri, sur 12 500 personnes, il y en a 5 200 qui ont été envoyés vers ces centres,
01:47 soit on leur dit "Ton lieu de vie là, il dérange, donc tu vas le quitter et tu vas trouver un autre endroit où aller vivre dans la rue".
01:52 Alors il y a plusieurs débats, parce qu'évidemment la situation humanitaire de ces gens, ces pauvres gens,
01:56 elle ne peut pas rester en l'état comme ça, on est bien d'accord.
02:00 Donc ça c'est un autre sujet, mais là on a vraiment le sentiment qu'il y a une opération volontaire pour effectivement "cacher la misère".
02:11 En fait il y a une logique de double dispersion.
02:13 Qui est le donneur d'ordre ?
02:15 C'est l'état qui organise ça, et ceux qui gèrent ça c'est la préfecture de région et c'est la préfecture de police.
02:19 Et les gens dont on parle, c'est les personnes sans-abri qui sont aux abords des sites olympiques ou que vous pouvez voir dans les rues de Paris,
02:25 c'est les gens qui sont dans les campements de tentes, et c'est aussi tous les autres gens qui dépendent de l'espace public,
02:29 donc ça peut être les femmes travailleuses du sexe, ça peut être les gens usagés de drogue,
02:33 et donc on a des gens, ce qui compte c'est leur santé en fait, ce qui compte c'est des sorties dignes,
02:38 et là c'est majoritairement des solutions d'expulsion et de dispersion.
02:41 Emmanuel Grégoire, le rapporteur des Nations Unies sur le droit au logement a écrit il y a quelques jours
02:46 "les expulsions pour embellir Paris avant les Jeux Olympiques sont similaires à ce que la Chine, l'Inde et d'autres pays ont fait avant d'autres méga événements".
02:56 On savait qu'il allait falloir embellir Paris.
03:00 Vous assumez, vous reconnaissez l'existence de ce nettoyage social dans la capitale ?
03:07 Alors non on n'assume pas, mais oui on le reconnaît, on ne l'assume pas parce qu'on est en désaccord profond,
03:12 nous sommes évidemment totalement en ligne avec ce qui vient d'être dit par le représentant du collectif Le Revers de la Médaille,
03:19 on sait depuis des années qu'on organise les JO, et JO ou pas JO d'ailleurs,
03:23 on sait depuis des années que notre pays est confronté à des situations de précarité extrême,
03:28 et notre position c'est que les JO auraient dû être un levier sur un volet d'héritage social
03:34 permettant d'organiser beaucoup plus qualitativement la question de l'accueil et notamment la question des personnes en situation de rue,
03:42 et deuxièmement d'organiser de façon professionnelle avec en partie les associations qui composent ce collectif,
03:49 pour faire en sorte que lorsqu'il y a des évacuations et des dispersions,
03:52 parce que c'est la place de personne habitée dans un squat, mais que ça ne se fait qu'au prix de mise à l'abri,
03:58 et donc nous partageons le constat et nous regrettons que le gouvernement n'ait pas mis les moyens sur le volet social,
04:04 je redis que la ville y prend une part immense alors que ce n'est pas son rôle normalement,
04:09 nous hébergeons actuellement plus de 600 personnes qui sinon seraient également à la rue,
04:13 il est encore temps, à peu près 50 jours avant l'ouverture des JO, d'augmenter les capacités d'accueil,
04:19 pour faire en sorte que les JO aient aussi un volet d'héritage en matière d'accueil,
04:24 de prise en charge sociale et d'accompagnement de sortie de la précarité d'un certain nombre de nos concitoyens.
04:29 C'est trop tard, vous imaginez bien que c'est trop tard Emmanuel Grégoire, vous le savez bien,
04:33 à 50 jours des JO, rien ne peut changer, mais ce que la mairie...
04:35 Non ce n'est pas trop tard, non non.
04:37 Allez-y.
04:39 Non non ce n'est pas trop tard, on peut faire des choses, il y a des bâtiments qui sont vides,
04:42 il y a 250 logements qui sont vides à Paris et c'est le cas vraiment partout dans la métropole du Grand Paris,
04:48 et donc il y a des espaces vides et il y a des gens qui dorment à la rue,
04:51 et notre philosophie est assez simple, c'est de mettre les gens qui sont à la rue dans les bâtiments qui sont vides.
04:56 Et il y a en réalité un manque de volonté politique de la part du gouvernement,
05:01 et conséquemment un manque de moyens mis à disposition pour organiser des prises en charge correctes.
05:06 Ça fait des années que nous on se bat pour dire qu'il ne doit pas y avoir d'expulsion, de dispersion, d'évacuation,
05:12 sans solution pérenne de mise en protection des personnes vulnérables,
05:16 et là d'une certaine manière les JO donnent l'occasion de le mettre en visibilité,
05:20 et nous avons les moyens de le régler.
05:22 Mais on a l'impression que chaque fois qu'il y a un sujet sensible entre la mairie de Paris et l'État,
05:27 en fait vous vous renvoyez la balle.
05:29 La réponse n'est pas exactement celle-là, d'abord parce qu'on travaille très bien sur tous les aspects des JO,
05:36 mais ça n'empêche pas d'assumer les points sur lesquels nous considérons que nous devons faire mieux collectivement,
05:41 on ne se renvoie pas la balle, ça fait des années que c'est un sujet de différend
05:45 entre un certain nombre de collectivités, ce n'est pas la ville de Paris,
05:48 c'est bien d'autres collectivités qui sont concernées par ce phénomène,
05:51 c'est le cas de toutes les grandes villes françaises,
05:53 dans lesquelles il y a un manque de prise de conscience, voire même une passivité politique,
05:58 sur le sujet de la prise en charge des personnes en très grande précarité,
06:01 dans lequel se mêlent les gens qui sont durablement dans la précarité,
06:06 et puis également le sujet de la prise en charge des personnes qui sont primo-arrivants,
06:11 qui arrivent sur notre territoire, et qui sont des personnes qui viennent de pays étrangers.
06:15 Et cet impensé-là, il se traduit concrètement par une misère, une précarisation qui s'accroît,
06:21 parce qu'elle se double évidemment d'une crise sociale importante.
06:24 On est passé de 100 000 à 300 000 personnes à la rue en l'espace de 10 ans,
06:29 ce n'est pas la faute des Jeux Olympiques,
06:30 mais c'est incontestablement une occasion manquée de ne pas être saisi de l'événement,
06:35 pour le régler structurellement.
06:36 Physiquement, Paul, ces gens, ils sont où là ?
06:39 Alors ils se dispersent, il y en a qui vont dans des endroits de plus en plus éloignés.
06:43 Parce qu'il y avait des sas régionaux ?
06:44 Voilà, alors il y a les fameux sas régionaux,
06:46 donc il y a 10 villes de France qui vont recevoir ces personnes pour 3 semaines,
06:50 et après qui vont leur proposer des solutions,
06:52 souvent moyen terme dans ces régions.
06:54 Ils les ont déjà reçues d'ailleurs ?
06:55 Voilà, ils les ont déjà reçues, 5 200 personnes en un an.
06:58 Donc il en reste 7 000 ?
06:59 Oui, donc il reste 7 000 personnes.
07:00 Donc ils sont dans la nature ?
07:02 Ils sont dans la nature, qui vont reformer des campements de 100 mètres plus loin,
07:05 500 mètres plus loin, 2 kilomètres plus loin,
07:07 c'est vraiment juste de la dispersion, ce n'est pas efficace.
07:09 Et après ? Et après les Jeux, qu'est-ce qui va se passer ? Ces gens-là vont revenir ?
07:12 Et après les Jeux, ce qu'on présage, en fait c'est un héritage antisocial,
07:15 parce qu'on a une loi immigration, une loi anti-squat, une circulaire sas,
07:19 on a un pacte migration aussi de l'Europe.
07:21 Tout ce logiciel de l'action publique,
07:22 en fait il est maltraitant pour les personnes à la rue,
07:24 et il crée du sans-abris.
07:25 Donc ce rapport, et ce cri du collectif, c'est un cri de la société civile.
07:29 Ce n'est pas que les assos, c'est les parents d'élèves dans les écoles
07:32 qui ont des gamins qui sont aussi sans-abri et qui vont en classe avec leurs enfants,
07:35 c'est les collectifs de soignants à l'hôpital qui doivent remettre des femmes à la rue
07:38 alors qu'elles viennent d'accoucher, quels que soient les partis, les instances,
07:42 mairies, états, en fait sur le terrain on n'en peut plus.
07:45 Moi quand il y a un orage de la nuit, que je me réveille,
07:46 la première chose à laquelle je pense c'est les patients qu'on suit à Médecins du Monde
07:50 qui sont dehors au moment où il pleut,
07:51 mais c'est complètement dingue qu'on vive cette situation.
07:54 Alors ce qui est, enfin étonnant non, pas étonnant,
07:57 mais intéressant c'est que votre collectif, l'action de votre collectif
08:01 rencontre beaucoup d'échos à l'étranger.
08:03 Tout à fait, il y avait encore un article dans Le Guardian hier,
08:07 et puis là c'est un peu vertigineux parce que encore ABC Australia,
08:11 l'énorme télé australienne la semaine dernière qui nous disait
08:14 les Jeux arrivent à Brisbane en 2032, qu'est-ce que vous dites à la population australienne ?
08:18 Mais est-ce que les organisateurs des Jeux sont sensibles à ce que vous dénoncez ?
08:22 Parce que c'est un pouvoir, c'est un moyen de pression important le Cojo.
08:26 Alors au Cojo on a des interlocuteurs qui à un niveau personnel sont très soucieux de ça,
08:30 après on leur a demandé un fonds de solidarité olympique, on ne l'a pas obtenu.
08:33 Ils nous ont ouvert la porte de certains ministères,
08:35 maintenant c'est notre rôle aussi et c'est leur rôle de vigie de savoir
08:38 qu'il y a un impact social et un héritage antisocial, il faut que ça arrive.
08:41 Mais justement le ministère des Solidarités, un ministère des Solidarités, il dit quoi ?
08:44 On est en négociation avec eux sur des histoires pour l'AME, la CSS,
08:49 la facilitation dans les transports et surtout pour rencontrer le ministère de l'Intérieur
08:52 qui ne serait-ce que jamais répondu à nos mails ou fait un courrier,
08:55 il faut qu'il nous ouvre leur porte là parce qu'il y a vraiment des sujets d'urgence.
08:58 Parce qu'au bout du compte c'est quand même l'image des Jeux Emmanuel Grégoire et de Paris
09:01 qui est aussi un peu en jeu dans cette histoire.
09:04 Oui c'est l'image des Jeux Olympiques mais plus fondamentalement c'est l'image de notre pays.
09:09 En réalité c'est un pays comme ça vient d'être dit qui s'enfonce dans une forme de démagogie
09:14 vis-à-vis de ce sujet de la très grande précarité car rien de ce qui a été voté,
09:18 qui n'a rien à voir avec les JO, mais rien de ce qui a été voté ne permettra de régler la solution.
09:22 On cache la précarité, on fait semblant qu'elle n'existe pas
09:26 et qu'un discours de fermeté la fera disparaître par magie.
09:29 C'est faux, c'est une certitude absolue et donc c'est l'occasion aussi les JO
09:34 de porter cette volonté d'un héritage social.
09:37 Nous on propose deux mesures, il y a le sujet évidemment de la réquisition des bâtiments qui sont vides
09:42 à l'échelle du territoire national, c'est immense les bâtiments qui sont vides
09:46 permettant d'organiser des prises en charge qui soient qualitatives
09:49 et permettent de remettre les personnes dans des parcours d'insertion, de réintégration.
09:53 Et puis deuxièmement, il y a le sujet également de la question de comment on régularise
09:59 un certain nombre de travailleurs sans-papiers qui aujourd'hui ne peuvent pas,
10:03 alors qu'ils payent des impôts, alors qu'ils sont salariés,
10:05 qui sont sans droit d'une certaine manière, par des vagues de régularisation,
10:10 comment on permet de désengorger les filières d'hébergement d'urgence en fait.
10:13 Il y a des moyens qui sont mis sur la table, mais ils sont totalement saturés
10:16 parce qu'on n'arrive pas à les libérer.
10:18 Et il faut se mettre tous ensemble pour porter cette demande auprès du gouvernement,
10:22 qu'il l'entende, qu'il mette des moyens et qu'il ajuste son logiciel.