• il y a 6 mois
Jean RAULT, artiste photographe, reçoit Evelyne ARTAUD, critique d'art, dans son atelier. Il parle de sa démarche artistique.
Dans cette deuxième partie, il parle de son oeuvre sur l'Orient.
Transcription
00:00 "Les gens qui ont fait le travail de la vie, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés" (M. J. M. de l'époque)
00:05 "Les gens qui ont fait le travail de la vie, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés" (M. J. M. de l'époque)
00:17 "Les gens qui ont fait le travail de la vie, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés, ils ont été éliminés" (M. J. M. de l'époque)
00:25 Quand je donnais ce titre "Sans vue du potager du roi", je manifestais mon désir de Japon en faisant un clin d'œil à Hokusai, bien sûr, "Sans vue du mont Fuji"
00:40 et je faisais aussi un clin d'œil à Dazai Osamu, qui est un écrivain que j'adore, un écrivain japonais, qui a donné "Sans vue du mont Fuji" comme titre à une de ses nouvelles, qui donne le titre à un recueil.
01:01 C'est-à-dire que c'est une sorte de cascade d'hommages, Dazai rendant hommage à Hokusai et à qui je rends hommage moi-même en me mettant au travail dans les jardins japonais.
01:16 C'est-à-dire que dans les jardins japonais, j'ai, de manière plus cruciale qu'avant, pu commencer à questionner la question de savoir si l'appareil de prise de vue était le meilleur outil pour parler de l'espace.
01:35 Il y a ici toutes les phases de mon brillant, c'est-à-dire qu'à la fois, dans une même image. Donc je m'en suis donné à cœur joie lorsque j'ai commencé à comprendre que, à la fois, je faisais un travail de photographie avec toute la sensibilité,
01:54 il y a des jardins qui m'ont fait pleurer de beauté, et en même temps j'ai pu abaisser la ligne d'horizon dans mon travail, un peu comme pour retrouver ce que les moines qui dessinent des jardins pratiquent dans les temples.
02:20 La ligne d'horizon descend, et je vais retrouver ça dans mes portraits japonais, puisque dans mes portraits japonais, je suis moi-même assis sur le tatami quand je photographie.
02:32 Le rapport au sol n'a absolument rien à voir, donc c'est un mélange Shinto-Bouddhiste qui préside à l'organisation des jardins.
02:51 Et la spiritualité imprègne la vie quotidienne.
02:58 Voilà, donc là c'est le Ginkaku-ji. Ginkaku, c'est intéressant parce que c'est de l'argent, ça veut dire argent, et c'est le jardin du temple du pavillon d'argent en fait.
03:11 Et donc c'est un sable qui a une luminosité un peu lunaire, un peu comme celle de l'argent, et c'est intéressant parce que ce jardin ne mesure que 25-30 mètres, on a l'impression d'une piste d'atterrissage,
03:32 dû au fait que je suis assis sur mon derrière dans le temple, dans un temple.
03:40 Donc on a un jardin du Dai-Zen-in, un temple très important à Kyoto, il y a 1900 temples quand même à Kyoto.
03:47 Et ce jardin mesure 15 mètres carrés par exemple, et donc il y a une monumentalité qui est liée à la position de la prise de vue.
03:59 Il y a toujours cette sorte de syncrétisme entre minéral, végétal, humain, spiritualité. Les éléments sont complètement mêlés, et les oratoires sont disséminés dans le jardin.
04:18 Dans les années 88-99, lorsque je suis allé aux Etats-Unis dans les déserts du sud-ouest, j'ai beaucoup mieux compris les photographes du 19ème siècle américains,
04:39 William and Louis Jackson, et tous ces photographes qui, à la fois très imprégnés par la Bible, photographiaient les terres qui étaient sacrées pour les indiens,
04:54 en y mettant toute l'arrière-pensée biblique, comme si c'était des paysages des origines.
05:01 Voilà l'exemple, ça c'est Boney Moon Valley, à la fois pour les indiens c'est une terre sacrée, c'est la terre des ancêtres, c'est la terre sacrée, avec le ciel masculin et la terre féminine,
05:15 ça c'est pour les indiens. Les photographes, les William Henry Jackson et autres grands photographes du 19ème siècle,
05:25 ils voyaient le paysage des origines bibliques, John Ford y a vu le décor pour un film, pour la conquête de l'Ouest,
05:36 et donc ce qui m'a intéressé c'est de voir comment se sont superposées ces couches de spiritualité en fonction...
05:49 On a détruit celle des indiens, par la destruction.
05:54 Par la destruction, ça se superpose, et par la destruction quelquefois.
05:59 Quand je vais à Benares, évidemment, l'espace est complètement irrigué à la fois par le Gange et par la spiritualité,
06:11 puisque à Benares, j'ai passé un mois près de cet endroit où on brûle entre 100 et 200 corps par 24 heures,
06:24 et jour et nuit, depuis 5000 ans.
06:27 Donc, pour prolonger ce travail à partir de l'espace, j'ai entrepris un pèlerinage, le pèlerinage de l'île de Chikoku,
06:39 le pèlerinage des 88 temples.
06:41 Encore une fois, la vie et la mort sont complètement liées, puisque là c'est une rizière qui va donner la vie,
06:48 qui va nourrir la vie, et c'est des tombes.
06:50 Il y a des dizaines et des dizaines de milliers de tombes tout le long du chemin.
06:55 On fait tamponner son carnet de pèlerins.
06:59 Donc, 4 x 22 donne 88.
07:07 Et il y a un projet de livre dans lequel seront mises en relation à la fois les calligraphies,
07:18 puisque là c'est un livre d'artiste qui est fait par 88 moines différents,
07:24 puisque 88 moines ont fait des calligraphies à chaque passage,
07:30 donc il y a une réalité de la rencontre forte.
07:34 Et mes photos qui vont jalonner le parcours.
07:40 Tout ce parcours avec à chaque fois des espaces très imprégnés de spiritualité,
07:45 qui seraient le fil directeur un peu.
07:48 Le fil directeur d'une vision aussi du monde.
07:50 D'une vision du monde, c'est-à-dire que là...
07:53 Et d'un parcours de vie.
07:54 Et là il n'y a personne.
07:55 Ça c'est un parcours de vie.
07:56 Exactement.
07:57 En Inde, les dieux sont parmi nous, tous les 100 mètres il y a un oratoire,
08:01 et en même temps on a les pieds dans la merde.
08:04 Tous les sens sont convoqués.
08:06 Et donc le sens apparaît autrement.
08:10 Et là on s'aperçoit que la raison n'est pas le tout du monde.
08:13 Comment l'Orient m'a amené à travailler autrement ici en Occident ?
08:22 C'est-à-dire que mon rapport au modèle a changé,
08:26 entre ce que je faisais aux Etats-Unis et en France,
08:30 et ce que je fais depuis le Japon.
08:33 Puisque au Japon, je me suis retrouvé dans des espaces extrêmement petits.
08:39 Yojo-Rang, c'est 4 tatamis et demi.
08:42 4 tatamis et demi, puisqu'on mesure l'espace en tatamis,
08:47 4 tatamis et demi ça fait 7m² 87 de mémoire.
08:52 Quand je me suis retrouvé avec un modèle nu,
08:56 dans un espace de 8m²,
08:59 tout d'un coup j'ai le sentiment d'être propulsé
09:04 dans une autre manière de travailler.
09:08 Et donc je l'ai apprévoisé en quelque sorte.
09:12 Et donc maintenant je travaille autrement avec mes modèles occidentaux,
09:17 depuis que j'ai été confronté à ce rapprochement et ce rapport au sol.
09:28 Forcément, beaucoup plus près.
09:32 Et au sol.
09:34 Et là on est dans une auberge qui date du 19ème,
09:38 et cette dame de la bonne société de Kyoto,
09:42 dégage juste son kimono pour montrer son nagajuban,
09:47 c'est à dire c'est dessous en soi, mais il n'ira pas plus loin.
09:51 Et donc c'est très bien, mais c'est déjà très audacieux pour elle,
09:56 d'aller jusque là.
09:59 Derrière elle, elle a mis au mur un furoshiki.
10:03 Le furoshiki c'est le baluchon dans lequel on emporte ses affaires
10:06 pour aller au bain le soir.
10:09 Tout à fait typique du lieu japonais classique.
10:15 C'est à dire que cette jeune femme, elle porte un kimono,
10:20 donc c'est très intéressant parce que le kimono c'est une dizaine de pièces.
10:24 Kimono c'est choses qu'on porte, ça ne veut pas dire peignoir.
10:28 Et donc il y a une dizaine de pièces,
10:32 et donc c'est très intéressant, c'est très savant.
10:35 Il y a des petits capitons qui rattrapent les seins et les fesses
10:46 de manière à ne pas montrer aux inconnus l'anatomie.
10:54 Et donc c'est pour ça qu'on voit dans les gravures anciennes,
10:58 dans les gravures japonaises, les ukiyo-e,
11:02 on voit tout ce bazar de kimono débraillé, défait,
11:09 et qui ne dégage quelquefois que les parties intimes.
11:14 Et tout le reste est en bazar.
11:17 Tout ça parce que c'est très très complexe comme vêtement.
11:20 Le vêtement lui-même est très complexe.
11:24 Alors ça c'est les essais que j'ai fait pour tester
11:27 les différentes qualités de papier.
11:30 A chaque fois c'est un A3 qui est plié en deux.
11:36 Oui, la même chose.
11:38 Il y a une semaine de façonnage pour 12 exemplaires.
11:43 Donc après je les cale, je les perce à la chignole,
11:50 je perce à la chignole avec une mèche de 2 mm pour métal,
11:56 parce que c'est très dur une masse de papier comme ça.
11:59 Et ensuite je fabrique un dos et je couds moi-même
12:06 à la fusée de cuisine à la japonaise.
12:09 Je sais que quelquefois elle est au bord du Gange, c'est la nuit.
12:13 Elle me dit "regarde, c'est la nuit".
12:17 Donc moi je suis dans mon atelier et elle me montre le Gange la nuit.
12:24 Quelquefois on ne me voit pas parce que c'est la nuit ici.
12:27 Il est 4 heures du matin, mais elle m'appelle
12:31 et pour elle le décalage horaire ce n'est pas un souci.
12:37 En réalité c'est aussi pour faire un peu signe sur le fait
12:42 que les savonaroles sont de retour.
12:45 Le feu éternel ouvre ce livre.
12:48 Ce feu ne s'est pas éteint depuis 5000 ans.
12:51 Il est veillé par 8 à 10 hommes jour et nuit
12:55 de manière à surtout ne pas s'éteindre.
12:58 Ça c'est la balance qui sert à peser le bois
13:03 puisque malgré la déforestation et la catastrophe
13:09 que représente la déforestation,
13:11 on continue à brûler les corps avec du bois
13:16 et du bois de centales pour les brahmanes.
13:19 Là c'est le frère aîné qui se fait raser la tête
13:23 sauf une minuscule petite touffe.
13:27 Ensuite 100 à 200 corps arrivent drapés
13:33 dans des magnifiques soirées, dans des très beaux saris.
13:38 Et donc peut commencer le rituel.
13:44 Il se désintéresse en général assez vite du rituel, du brasier
13:50 et le confie aux intouchables.
13:53 Ce sont les intouchables qui s'en occupent
13:57 parce que pour eux, quand le feu a commencé à faire son œuvre
14:02 une nouvelle vie est commencée déjà de toute façon
14:07 pour celle qui est partie.
14:11 Là aussi il y a une beauté absolument phénoménale des matières
14:18 il y a une dimension picturale absolument bouleversante.
14:23 Plus on va vers l'Orient et plus les symboles sont forts.
14:26 12 exemplaires.
14:28 "Diamonds are forever" est ce livre que j'ai consacré
14:32 à des amis artistes japonais.
14:36 Ici on peut voir le titre "Diamonds are forever" Jean Gros
14:42 et on peut voir ici puisque les japonais ouvrent le livre
14:47 par ce que nous appelons la quatrième de couverture.
14:50 Donc on peut voir ici Jean Gros, mon nom,
14:53 et "Diamonds are forever" en japonais, en katakana.
14:58 Il y a une citation à laquelle je tiens beaucoup
15:03 qui est de Timothy Leary qui est
15:06 "Who men who seek to be equal with men lack ambition"
15:11 qui veut dire "Les femmes qui cherchent à être les égales des hommes manquent d'ambition".
15:18 Son évènement de la nuit et ce qui renvoie au petit travail
15:24 au travail que je montrais tout à l'heure de Nikiti
15:28 la dame de coeur, la reine dame de coeur et moi le roi de coeur.
15:34 Et alors les Samizda c'est ce qui va prendre le relais des éditions
15:42 que je faisais jusqu'à maintenant.
15:46 Donc c'est cousu à la main et ce sont des petites publications
15:50 dans lesquelles on entre soi-même à l'ancienne avec un coup de papier.
15:56 Les moines vont au Népal et au Tibet recueillir les jeunes orphelins
16:03 dont les parents se sont fait tuer quelques fois par les chinois
16:08 ou bien les enfants dont les parents ne peuvent pas les élever par manque d'argent.
16:15 Et ils en font des moines mais pas forcément.
16:18 C'est à dire que vers 18 ans ces jeunes gens choisissent
16:23 et vont dans la vie civile et là comme ils ont une formation à la fois générale
16:30 à la fois de très haut niveau en mathématiques, lettres, langues
16:36 ils deviennent quelquefois traders ou businessmen
16:40 et ils ont un niveau largement supérieur aux petits indiens du même âge.
16:45 Et d'autres deviennent moines, certains deviennent des grands lamas
16:50 avec la crête jaune et deviennent soit des puits de science
16:56 soit des exégètes des textes anciens, soit des grands maîtres.
17:04 Donc ça c'est des épreuves de lecture.
17:08 Il y a plusieurs temples imbriqués les uns dans les autres
17:15 et au total il y a 6000 moines.
17:17 C'est le deuxième camp historique du Dalai Lama en fait.
17:22 C'est le deuxième camp, le premier c'est Dharamsala
17:25 et ça c'est le deuxième camp.
17:27 Donc là c'est le numéro, on va dire entre guillemets,
17:31 c'est le numéro 2 de l'ensemble.
17:35 C'est une grande pointure qui parle un anglais absolument parfait
17:38 et qui est une sorte de personnage avec une autorité naturelle.
17:44 Et puis là ce sont les jeunes moines.
17:49 Et ça c'est les rituels à 5h30 le matin
17:52 dans le grand temple, 800 gamins de 8 à 15 ans qui chantent.
18:01 C'est très très très fort.
18:04 C'est extrêmement fort.
18:06 Donc voilà des grandes rencontres
18:11 qui m'ont donné l'occasion de faire des portraits absolument magnifiques.
18:18 Enfin quand je dis magnifiques, par l'intensité que j'y ai trouvé,
18:29 c'est à dire que j'ai essayé de partager.
18:32 Donc là il s'agit de la même femme que j'ai emmenée à l'hôtel
18:38 et qui a bien voulu, qui a consenti à aller jusque là.
18:42 Donc j'ai bien senti que c'était le maximum que je pouvais lui demander.
18:49 Et voilà.
18:50 Là c'est un travail que j'ai fait à partir des rencontres que j'ai faites avec les saddous, les renonçants.
18:59 Donc ce sont des guerriers de Shiva.
19:02 Et je commence par une femme parce qu'elle est allée rejoindre son bourrou
19:11 et c'est une Roumaine, c'est objectivement une femme occidentale,
19:18 de type caucasien net quoi.
19:21 Mais elle est Roumaine et elle a quitté sa famille et ses enfants pour rejoindre son gourou.
19:27 A partir du moment où j'avais amorcé avec deux ou trois saddous,
19:32 les autres sont venus très facilement.
19:35 Ils ont... j'ai réussi à me faire une sorte de... oui à me faire admettre tout simplement
19:42 et à ne pas me comporter en prédateur quoi.
19:45 Là c'est un maître dans son ashram.
19:51 Et j'ai tenu à y aller justement une année de Kumbh Mela.
19:57 La Kumbh Mela c'est une fête qui se produit tous les quatre ans.
20:02 Et donc là il y a des milliers de saddous qui viennent à Benares de leurs ashrams d'hiver.
20:07 Ils descendent de la montagne, ils viennent de partout.
20:10 Et donc c'est tous ces guerriers de Shiva qui sont nus sur les bords du Ganges,
20:14 sous des bâches et ce sont des gens qui n'ont rien.
20:19 Ils n'ont rien, ils ne vivent que de la mendicité.
20:22 Et des bénédictions qu'ils vous donnent.
20:25 Ça m'a permis d'approcher la nudité, en particulier la nudité masculine
20:31 parce que là ils sont comme ça sur les bords du Ganges,
20:34 c'est-à-dire au sud et au sud de tout le monde.
20:36 Et c'est une nudité qui est en même temps un costume.
20:40 C'est le costume du renoncement.
20:42 Il y en a qui sont légèrement, qui ont un pagne.
20:44 C'est très varié, il y a beaucoup de sectes
20:46 et je ne suis pas encore entré dans tous les détails qui caractérisent chaque secte en fait.
20:52 Donc ça c'est un geste de bénédiction.
20:55 Et ils sont recouverts de la cendre des bûchers.
20:59 Et quand ils meurent, eux ne sont pas brûlés parce qu'ils sont censés être déjà purs.
21:05 Les bâches, qui sont des bâches en plastique extrêmement vulgaires et modestes,
21:14 ont des couleurs extraordinaires et contrastent avec le gris du corps.
21:18 Oui.
21:19 [SILENCE]

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