Y a-t-il un espace de réalité dans le virtuel ? C'est en tous cas ce que pensent trois documentaristes qui ont réalisé plus de 900 heures d'immersion dans un jeu vidéo de survie pour comprendre les joueurs et les communautés qui le peuplent.
Quentin L'helgoualc'h a rencontré aux Beaux-Arts de Montpellier en 2016 Guilhem Causse et Ekiem Barbier et lancé avec eux le rapport au réel dans les jeux vidéo en ligne.
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Quentin L'helgoualc'h a rencontré aux Beaux-Arts de Montpellier en 2016 Guilhem Causse et Ekiem Barbier et lancé avec eux le rapport au réel dans les jeux vidéo en ligne.
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AmusantTranscription
00:00 Avec Fibre Tigre, vous n'êtes pas que la tête du jeu de rôle en France, vous développez
00:04 aussi des jeux vidéo.
00:06 Ça fait des mois qu'on essaye de trouver une occasion d'inviter des gens qui ont réalisé
00:09 un documentaire à propos de survivalistes, mais des survivalistes qui vivent à l'intérieur
00:14 d'un jeu vidéo.
00:15 C'est l'occasion.
00:16 Merci beaucoup Fibre Tigre.
00:17 C'est "Passion Survivalisme" sur France Inter, avec un extrait du documentaire de
00:20 notre invitée, où on l'entend l'échanger avec des co-réalisateurs et aller à la rencontre
00:25 d'une joueuse pour lui dire qu'ils sont perdus dans le jeu.
00:27 Et tout ça entre deux coups de feu.
00:28 Ça va, tu arrives ? J'essaie de changer de fréquence.
00:36 Hello ? Tu nous filmes, Quentin ? Ouais.
00:40 Hello ? J'enregistre un, du coup.
00:42 J'essaie de changer de fréquence.
00:44 Hello, Radio Tech, is anybody there ? Hello ? We are a group of documentarists.
00:50 Oh ! Well, good luck on your way.
00:53 Bye.
00:54 Bye.
00:55 Oh, putain, qu'est-ce qui se passe ?
00:56 Oh, putain, il se tue.
00:58 Attendez, attention.
00:59 Attendez, après, c'est là.
01:00 Arrêtez, arrêtez de bouger.
01:01 C'est quoi cette lumière ? C'est quelqu'un, non ?
01:02 Hey guys, hello.
01:03 Hey there.
01:04 How's it going ? Actually, we are a bit lost right now.
01:18 Quel bel accent.
01:19 Bonjour, Quentin Lelgoualch.
01:20 Bonjour.
01:21 Vous avez un nom de famille extrêmement breton, pourtant c'est au Beaux-Arts de Montpellier
01:24 que vous avez rencontré en 2016, Guilhem Coce et Ekiem Barbier et que vous avez lancé
01:28 un groupe de recherche sur le rapport au réel dans les jeux vidéo en ligne.
01:32 Pendant plus de 900 heures, vous vous êtes immergés tous les trois dans un jeu vidéo
01:37 de simulation de survie, ça s'appelle DayZ, et les avatars que vous avez créés sont
01:42 allés à la rencontre des joueurs et des communautés qui peuplent ce monde virtuel.
01:46 Ça donne un long métrage documentaire très étonnant, Neitz Island, l'île sans fin.
01:51 D'abord, Quentin Lelgoualch, il existe un grand nombre de jeux vidéo inspirés du jeu
01:55 de rôle où on se balade dans un univers et où on interagit avec d'autres joueurs.
01:59 Pourquoi avoir choisi DayZ plutôt que n'importe quel autre ?
02:02 Alors en fait, on avait commencé à faire des premières recherches dans un autre jeu
02:05 qui s'appelle GTA, qui est très connu, pour un court métrage.
02:08 Et pour ce film-là, on a trouvé DayZ comme un jeu qui permettait de se perdre dedans
02:13 parce qu'il est très très large.
02:15 C'est les grands paysages dans lesquels on se balade.
02:17 Et en fait, les rencontres, du coup, sont très très exceptionnelles.
02:20 Et en fait, quelque chose de l'ordre du documentaire par rapport à la rencontre exceptionnelle,
02:23 ça faisait sens pour nous.
02:25 Et il y avait une petite chose, c'est que lors du repérage qu'on a fait pour ce jeu vidéo,
02:30 c'est qu'on est tombé sur une vidéo de joueurs qui lisaient des livres entre eux,
02:34 autour d'un feu, dans un jeu vidéo, et se racontaient des histoires.
02:38 Et on s'est rendu compte qu'il y avait quelque chose à faire par rapport à cet univers.
02:41 Vous connaissez DayZ de Fibre Tigre ?
02:43 Oui, tous les joueurs connaissent DayZ.
02:45 Pardon pour cette question.
02:46 Désolé.
02:47 Non, je ne vous ai pas du tout méprisant, je suis désolé, c'est vraiment très connu.
02:52 D'accord.
02:53 Moi je connaissais.
02:54 Et c'est un mensonge.
02:55 C'est un jeu où il y a des beaux paysages, mais présent, c'est un jeu d'une extrême violence.
02:58 C'est-à-dire qu'il y a même des rapports de force entre joueurs
03:01 qui sont possibles par le gameplay, qui sont parfois terrifiants.
03:06 Quentin Lelgwalch, ce qui frappe au visionnage du documentaire,
03:10 c'est la beauté de l'univers dans lequel vous évoluez, le réalisme des paysages,
03:13 mais aussi les voix des joueurs.
03:15 C'est un jeu où l'on parle depuis chez soi dans un micro,
03:17 où on échange avec les autres avatars que l'on rencontre avec sa vraie voix.
03:21 C'est cette idée entre autres de témoignage direct que vous aviez envie d'obtenir ?
03:24 Oui, il y avait quelque chose comme ça, presque du micro-trottoir,
03:27 comme ça qu'on aurait pu amener dans un jeu vidéo.
03:29 Et comme vous dites, il y avait quelque chose de l'ordre de la violence dans un premier abord.
03:32 On arrive là-dedans, et en fait c'est la guerre,
03:34 c'est une guerre apocalyptique comme ça de ces joueurs qui s'affrontent.
03:37 Et en même temps, on sent que plus on creuse par ce biais du micro qui est une réalité,
03:41 vers une fenêtre de leur réalité à eux,
03:43 on peut accéder à quelque chose de l'ordre de l'intime,
03:46 d'un vrai échange qui peut aller en profondeur avec eux.
03:49 Moi ce qui m'a assez amusée, c'est quand vous parlez des contraintes de tournage,
03:52 parce que voilà, on se dit "ah là là, c'est les mecs,
03:54 ils sont tranquilles au fond de leur canapé en train de faire des petites interviews".
03:57 Et en fait c'est super galère, parce qu'à cause d'une mise à jour,
03:59 de la buée sortait de la bouche des personnages quand il faisait froid,
04:02 et on voyait plus rien à l'écran, donc c'est vrai que pour tourner c'est pas pratique.
04:05 Donc vous avez dû faire du feu en permanence à côté des personnages
04:08 pour obtenir des images exploitables,
04:10 et aussi aller tuer quelques moutons pour ne pas mourir de faim en pleine interview.
04:14 - Oui c'est ça, il fallait apprendre à jouer,
04:16 parce qu'on n'était pas joueurs aussi nous à la base, tous les trois,
04:18 et du coup il fallait apprendre à jouer pour pouvoir faire un film dedans.
04:21 Donc il fallait se mouiller en quelque sorte, et aller jouer aux jeux vidéo,
04:24 et apprendre à tuer certains animaux pour pouvoir survivre.
04:28 - Pour pouvoir tourner tranquillement votre film.
04:30 Juste quand même, quand on dit que vous faites un film dessus,
04:32 vous filmez votre écran en fait ?
04:34 - C'est une capture d'écran en fait.
04:35 Donc comme ça, ça paraît simple,
04:36 mais il y a un petit aspect technique qui n'était pas assez évident à faire.
04:39 - Et Kiem Barbier qui a réalisé le documentaire avec vous,
04:41 il explique que selon lui, le virtuel c'est un espace qui fait désormais partie de notre réalité.
04:45 Vous êtes documentariste, le principe d'un documentaire c'est de filmer le réel,
04:49 vous parlez de vraies relations créées avec les joueurs, de vrais souvenirs.
04:52 Vous en pensez quoi ? Vous en pensez de quoi ?
04:55 Vous avez compris ma question fibre-tigre.
04:57 - Je suis tout à fait d'accord, mais pour le...
05:01 Enfin, par exemple, prenons Twitter.
05:03 Twitter c'est un jeu vidéo, puisqu'il y a des metrics qui vont évoluer
05:06 en fonction de vos actions et de ce que vous allez mettre dedans.
05:08 Et Twitter, par essence, c'est quelque chose qui influence énormément le réel.
05:12 Donc je suis en phase avec vous.
05:14 - C'est quand même incroyable pour un documentariste,
05:16 mais c'est ce que vous vouliez interroger en tout premier,
05:18 cette idée que vous filmez normalement le réel,
05:20 et que là vous filmez une fiction dans laquelle les gens sont vrais.
05:23 - Oui, mais en fait, on s'est rendu compte très vite que c'est des joueurs
05:25 qui passent pour la plupart énormément de temps dans ces jeux.
05:28 Donc d'une certaine manière aussi, pour eux, c'est une réalité.
05:31 C'est une seconde réalité dans laquelle ils passent du temps,
05:33 ils habitent et ils créent des relations, des vrais liens en fait.
05:36 - L'enjeu de votre documentaire, c'est aussi de comprendre
05:38 ce qui mue ces communautés qui se constituent,
05:40 ces gens qui n'aiment pas assez du temps dans un monde survivaliste
05:42 ou la loi du plus fort vraiment prévaut, c'est ce que vous disiez, Fibre-Tigre.
05:45 Est-ce qu'ils souhaiteraient ça en réalité dans leur existence,
05:47 les gens que vous avez rencontrés ?
05:49 - Non, c'est plus un fantasme, un imaginaire,
05:51 une fiction dans laquelle ils ont envie de s'amuser,
05:54 de pouvoir expérimenter des choses.
05:56 C'est aussi un monde de chaos où on peut construire ce qu'on veut.
05:58 Donc en fait, c'est un espace de liberté aussi,
06:01 chose que rarement on a sur Internet finalement.
06:03 Donc c'est dans cet espace de liberté
06:05 où on a peut-être pu essayer de rencontrer des gens
06:07 qui eux créent ces liens si forts
06:09 qu'ils sont presque dépendants de ces liens
06:11 et c'est pour ça qu'ils reviennent autant de temps.
06:13 - Et il y a des choses qui vous ont particulièrement étonné,
06:15 sur lesquelles vous avez fait un rapport d'étonnement par exemple ?
06:18 - On a eu plein de choses différentes.
06:20 Moi, j'ai eu une grande émotion par rapport à un couple
06:23 qui joue tous les soirs, qui ont un enfant,
06:26 mais qui utilise ce jeu comme un jardin secret en fait de leur couple
06:29 et qui vont vivre des aventures nocturnes comme ça à travers ce monde.
06:32 Et pour moi, ça faisait partie d'une grande poésie
06:35 que pouvaient ouvrir ces mondes.
06:36 - Phil Bredtig, on pourrait imaginer un jeu survivaliste
06:38 où ce n'est pas la loi du plus fort qui prévaut,
06:40 dans un imaginaire moins guerrier par exemple,
06:42 où une fin du monde serait un peu plus utopique, plus sympa ?
06:45 - Il y a beaucoup de jeux survivalistes,
06:47 mais de bonne facture, ils sont solos.
06:49 Je pense à Subnautica,
06:51 un très beau jeu dans lequel on est sur une planète d'océans
06:53 et il faut repartir.
06:55 Même si la planète, elle est hostile,
06:57 un requin a l'air hostile, mais un requin finalement,
06:59 c'est un animal qui a...
07:00 - Un être vivant.
07:01 - C'est un animal qui vit et il ne veut pas être dérangé.
07:03 Donc il y a déjà plein de choses qui se...
07:05 De toute façon, je milite pour un jeu vidéo non violent,
07:08 qui porte de bonnes valeurs,
07:09 et des valeurs européennes voire françaises
07:11 qui est très compliquée dans un marché
07:12 qui est dominé par la Chine et les Etats-Unis.
07:14 - Et qu'est-ce que vous en retirez au final,
07:17 Quentin Lelgouelch, de cette expérience ?
07:19 Quand vous en parlez avec des gens,
07:20 j'imagine que c'est toujours un peu compliqué à expliquer
07:22 ou à décrire.
07:24 - C'est très compliqué, c'est parce que du coup, on en retire...
07:26 On a fait une intrusion dans un espace de vie
07:29 qui a toutes ces complexités,
07:31 qui a des complexités de gens
07:33 qui ont créé des liens qui font que
07:35 s'ils quittent le jeu, ils les perdent.
07:37 Et les joueurs qu'on a rencontrés, ils ont arrêté le jeu.
07:39 Donc ils ont perdu ces liens qu'ils avaient créés
07:41 qui étaient pour nous comme assez forts en fait.
07:43 On s'est rendu compte que c'était assez fort.
07:45 Donc il y a une sorte de quelque chose en lien
07:47 avec la disparition dans ces univers qui nous a frappés.
07:50 - Vous pouvez... Oui ?
07:51 - Moi j'avais une question sur la façon de faire du cinéma.
07:54 C'est-à-dire que d'un coup,
07:55 moi je ne m'étais jamais dit avant de découvrir votre histoire
07:58 qu'on pouvait faire du cinéma dans un jeu vidéo.
08:01 Est-ce que c'est quelque chose que vous allez continuer ?
08:04 C'est votre spécialité en quelque sorte ?
08:06 - Non, je ne pense pas qu'on veut que ça soit une marque de fabrique
08:08 ou quelque chose comme ça.
08:09 En fait, il existait quelques prémices de choses comme ça
08:12 qui s'appellent le machinima
08:13 et qui est plus de l'ordre de la fiction généralement.
08:15 C'est utiliser le jeu vidéo comme un moteur de rendu 3D,
08:18 on va dire presque.
08:20 Nous, on a juste fait un décalage qui est un peu à côté
08:22 dans le sens où c'est vraiment documentaire
08:24 où on visite ce monde comme une réalité
08:27 et on vient à la recherche des gens qui y habitent
08:29 et non pas créer une fiction à partir de ce monde.
08:31 Mais voilà, c'est quelque chose qui...
08:34 On continue à faire des projets comme ça,
08:36 mais on est aussi réalisateur,
08:37 on a d'autres projets en route dans le réel.
08:40 - Quentin Lelgoël, je te remercie beaucoup d'être venu nous parler
08:43 de votre documentaire "Needs Island".
08:45 C'est en immersion dans un jeu vidéo de survie.
08:47 C'est réalisé avec Ékiem Barbier et Guilhem Coz.
08:49 On peut surtout aller le voir encore.
08:51 On ne peut que vous conseiller de le faire.
08:53 C'est possible de le voir en salle pour quelques jours
08:55 à Paris, Strasbourg, Marseille,
08:56 en Marseille ou encore Toulouse.