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Charles Norman Shay, 99 ans, est l’un des 500 Amérindiens à avoir participé au Débarquement à Omaha Beach, le 6 juin 1944.

Il avait seulement 19 ans quand Charles Norman Shay a débarqué, le 6 juin 1944 au matin, à Omaha Beach. "J’ai vu la côte de loin. La plage était pleine d'Allemands, se souvient le vétéran, je ne dirais pas que j'avais peur, mais ça n'avait pas l'air très accueillant." Charles Norman Shay, infirmier lors du débarquement, est l’un des cinq cents Indiens d’Amérique à participer au Débarquement.

"Beaucoup d'hommes sont morts noyés, car les soldats d'infanterie étaient trop chargés", raconte-t-il. "Les armes, les mortiers, et beaucoup de munitions. Ils portaient chacun beaucoup trop de poids quand ils sautaient dans la mer. Si l’eau était trop profonde, ils coulaient dans la mer."

traduction : Harold Manning

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Transcription
00:00 Bonjour Charles Norman Shay.
00:02 Votre bateau atteint la côte normande à l'aube.
00:06 Quelle fut votre première image d'Omaha Beach ?
00:09 Ma première image ?
00:12 J'ai vu la côte de loin,
00:19 et j'approchais sur le bateau.
00:24 Ce bateau que nous avions monté en sortant du bateau de transport des troupes.
00:38 Et on avait quitté le bateau de transport des troupes et on était monté sur des péniches qui nous permettaient d'approcher de la plage.
00:58 Et je voyais que la plage était vraiment occupée par beaucoup d'Allemands.
01:11 Je ne dirais pas que ça me faisait peur, mais ce n'était pas très encourageant.
01:25 Il y avait les moteurs des bateaux, les tirs des mitrailleuses, les détonations, les explosions.
01:32 Est-ce que le souvenir de votre arrivée à Omaha Beach, c'est aussi un souvenir de bruit, de vacarme ?
01:39 Non, pas vraiment.
01:44 J'ai oublié beaucoup de choses qui se sont passées ce jour-là, mais je me souviendrai toujours.
01:54 Je ne me souviendrai jamais des bruits et des explosions qui se sont passées ce jour-là.
02:06 Et au moment où vous devez sauter à l'eau, Charles, à ce moment-là, à quoi vous pensez ?
02:15 Nous avions emprunté la bateau de la plage sur laquelle nous avions débarqué.
02:26 Et quand nous sommes arrivés très près de la plage, il y avait beaucoup de feu qui venait de l'anglais.
02:42 Du côté des Allemands, des mortiers, de l'artillerie légère.
02:53 Il y avait énormément de tirs partout.
03:03 Et on savait très bien que dans quelques mètres, en approchant, on allait se trouver au milieu de ces feux.
03:08 Vous aviez peur ?
03:14 Peur. J'étais bien entraîné.
03:20 Je n'avais pas été entraîné à avoir peur. J'avais entraîné à faire du travail dans des situations données.
03:29 Et j'avais un boulot à accomplir.
03:37 Je ne peux pas dire que j'avais peur.
03:42 Inquiet, sans doute, par ce qui m'entourait.
03:45 Mais vous aviez 19 ans seulement. Est-ce qu'à 19 ans, en arrivant à Omaha Beach, vous saviez pourquoi vous vous battiez ?
03:54 Vous saviez pourquoi vous alliez risquer votre vie ?
03:58 Notre formation aux Etats-Unis, quand je suis entré dans l'armée, était déjà à ce propos.
04:12 Et en Angleterre, l'entraînement consistait à nous mettre dans des situations où on devait avancer sous les feux ennemis, sous l'artillerie, sous les mortiers.
04:32 Mais on avait été vraiment préparé. On avait vraiment reçu un entraînement.
04:46 C'est pour ça que je peux dire que j'avais peut-être un peu peur, mais je n'étais pas effrayé.
04:53 Parce que ce n'était pas le sentiment pour lequel j'avais été vraiment formé.
04:58 J'avais été entraîné à rester actif, quel que soit le feu autour de moi.
05:06 Beaucoup de G.I. se sont noyés avant même d'atteindre le rivage.
05:11 Quel souvenir vous gardez de ces quelques mètres que vous avez dû parcourir dans l'eau ?
05:17 C'est vrai que beaucoup d'hommes sont morts à ce moment-là.
05:24 Parce que les soldats de l'infanterie étaient beaucoup trop chargés.
05:32 Des armes, des mortiers, et beaucoup de munitions.
05:42 Ils portaient chacun beaucoup trop de poids.
05:49 Et quand ils sautaient dans la mer, si l'eau était trop profonde, ils sombraient complètement, ils coulaient.
05:57 Parce qu'ils étaient beaucoup trop chargés.
06:03 Avec les mitraillettes et l'équipement, les mortiers.
06:11 Et toutes ces munitions qu'ils devaient chacun porter, ça faisait trop.
06:17 Et donc impossible de nager.
06:21 Et donc ils sautaient dans l'eau et ils coulaient dans la mer.
06:28 Vous aviez déjà vu un homme mort avant de voir les morts d'Omaha Beach ?
06:33 Non, pas vraiment.
06:38 Mais quand je suis arrivé à Omaha Beach, j'ai vu beaucoup de cadavres, des hommes jeunes,
06:47 qui avaient à peine atteint l'âge adulte.
06:56 Ils étaient destinés à mourir, parce qu'ils étaient vraiment trop chargés.
07:06 Ils ne pouvaient pas avoir une autre issue, c'était vraiment triste.
07:12 Vous avez raconté un jour que vous-même vous avez été paralysé, pas par votre équipement,
07:18 mais par la tristesse, par la violence du choc de ce que vous voyez se faire à Omaha Beach.
07:28 Oui, tout à fait.
07:33 Bien sûr, on était très formés, très entraînés.
07:39 Mais quand le jour est arrivé, quand le jour de la bataille s'est déclaré,
07:47 on allait se battre contre les Allemands.
07:52 Les Allemands étaient très bien équipés.
08:02 Je ne dirais pas qu'ils aient une puissance de feu supérieure à la nôtre,
08:07 mais ils étaient dans une meilleure position.
08:11 Nous étions à l'air libre et eux, ils étaient protégés.
08:16 Ils avaient l'avantage de tirer depuis des points couverts, des protégés.
08:24 C'était extrêmement triste de voir tous ces hommes américains se noyer, paralysés.
08:40 Tués par les balles aussi.
08:44 Mais on nous avait préparés à ne pas nous attrister et nous apesantir.
08:55 Il fallait tenter de tirer un avantage de la situation.
09:00 On nous avait dit de « tourner la table » comme on dit,
09:09 c'est-à-dire de changer la situation face aux Allemands.
09:13 Au final, ça a été un succès. Tout le monde le sait.
09:20 Et quel a été votre rôle en tant qu'infirmier militaire ?
09:24 Mon boulot, c'est dans le nom, c'est effectivement d'être infirmier,
09:33 de soigner les blessés et d'essayer de sauver des vies.
09:40 J'ai l'impression d'avoir réussi, d'avoir fait à mon mieux.
09:48 J'ai sauvé bien des vies.
09:52 Je me souviens qu'un ami à moi, qui lui aussi était infirmier,
09:59 on avait été formés ensemble, on avait suivi les mêmes cours.
10:05 Quand on a débarqué sur la plage, il avait une blessure par balle à l'abdomen.
10:16 Et quand je l'ai vu, j'ai su qu'il allait mourir.
10:22 Parce qu'il avait cette blessure à l'abdomen et moi je ne pouvais pas l'opérer.
10:29 Je ne pouvais pas le soigner.
10:34 Donc j'essayais de l'aider, de le soulager.
10:38 Et il est mort, je ne dirais pas dans mes bras, je ne veux pas en faire tout un théâtre,
10:49 mais il est mort vraiment dans mes bras.
10:54 Bien sûr, j'étais désolé de le voir partir ainsi.
11:04 Je ne connaissais pas du tout sa famille à l'époque.
11:07 C'est plus tard, avec le temps, que j'ai appris plus de choses sur lui.
11:16 Il s'appelait Edward Morozovitz.
11:22 Sa blessure à l'abdomen était vraiment sérieuse.
11:31 Et quand j'ai tenté de le soigner, j'ai tout de suite su qu'il n'en réchapperait pas.
11:38 Et il est mort pendant que je lui prédiguais des soins.
11:41 Comment on peut soigner quelqu'un quand les balles fusent de partout ?
11:44 Comment on peut soigner quelqu'un quand on est sous le feu de la mitraille ?
11:48 C'était mon boulot.
11:56 Ma formation, c'était vraiment d'apprendre de ne pas me protéger moi-même.
12:02 Mon boulot était de protéger les hommes qui étaient blessés et qui avaient besoin d'aide médicale.
12:15 De toute façon, je ne pensais même pas à moi-même. Je soignais les gens autour de moi.
12:20 Charles Norman Say, vous êtes issu d'une tribu amérindienne de la côte est des États-Unis.
12:27 Est-ce qu'il y avait d'autres Amérindiens, d'autres Américaines natives dans votre division ?
12:33 Je ne me rappelle pas. Je n'ai jamais vu personne.
12:39 Je ne me rappelle pas vraiment, je n'ai pas l'impression.
12:42 Les Amérindiens étaient nombreux dans les forces d'invasion.
12:50 Donc peut-être qu'il y avait des Indiens d'Amérique avec moi.
13:00 Il y avait un certain Melville Neptune, qui était un Américain.
13:09 Je le connaissais depuis l'enfance. Il venait de la même tribu que moi, les Penobscots.
13:18 Ce sont des Indiens d'Amérique qui viennent des îles.
13:26 Il avait servi à l'armée en Sicile, en Afrique du Nord.
13:35 Et maintenant, il servit à l'invasion de Normandie.
13:44 Heureusement pour lui, il a survécu.
13:49 On s'est retrouvés après la guerre dans la réserve indienne.
13:57 Et on a pu partager des choses ensemble, discuter de ce qu'on avait traversé.
14:09 On n'a pas non plus trop insisté là-dessus.
14:16 Nos souvenirs étaient sanglants et difficiles.
14:23 Justement, pendant des décennies, vous n'avez rien raconté du D-Day, du 6 juin 1944.
14:32 Pourquoi ce silence ? Parce qu'il n'y avait pas de mots pour décrire un tel carnage ?
14:39 Le D-Day. J'ai l'impression que...
14:46 que tout le monde connaît l'histoire. Les Allemands étaient extrêmement bien préparés. Ils nous attendaient, en fait.
14:57 Naturellement, ils ont rapidement pris un avantage sur ces troupes qui arrivaient et qui envahissaient la Normandie.
15:12 Mais je ne peux pas me concentrer et vous raconter tant de choses.
15:26 Parce que je ne sais pas le nombre de morts qu'il y a eu. Je ne connais pas les chiffres, mais ce que je sais, c'est que j'ai vu ces gens blessés.
15:39 Et beaucoup d'entre eux qui sont morts, ça je les ai vus.
15:43 On parle beaucoup du D-Day et on parle beaucoup moins de ce qui s'est passé les jours suivants dans le bocage normand.
15:50 Est-ce que ça a été aussi dur, est-ce que ça a été aussi terrible que le débarquement à Omaha Beach ?
15:56 Naturellement, la tuerie a continué du côté allemand et aussi du côté américain.
16:09 Ça ne s'est pas arrêté au moment où on a débarqué. Les tueries ont continué.
16:24 Les jours suivants, les jours qui ont suivi le débarquement lui-même.
16:29 On avait perdu beaucoup d'hommes et ça nous donnait beaucoup de problèmes.
16:39 Il nous fallait prendre des villages, prendre des villes.
16:51 Il y avait aussi des relations avec les Français, il y avait des problèmes avec les Allemands.
16:59 Et donc c'était tout un processus.
17:02 Vous avez été prisonnier de guerre en Allemagne, vous avez été libéré.
17:06 Bien plus tard, vous vivrez en Autriche où vous avez accompagné les troupes d'occupation américaines.
17:13 Vous y avez vécu, vous vous y êtes marié.
17:15 Et puis voilà qu'à la fin de votre vie, Charles Normand Shaye, vous faites le choix de revenir en Normandie.
17:23 Et pourquoi revenir en Normandie alors que peut-être ces terres, vous auriez pu ne jamais vouloir les revoir ?
17:33 Beaucoup d'hommes sont revenus en Normandie après la fin de la guerre.
17:42 Mais moi pas.
17:45 J'étais en Autriche, j'avais fait ma vie.
17:53 J'avais une mission vraiment, je travaillais pour les Nations Unies.
18:04 Et j'avais un travail là-bas.
18:09 Et je n'avais pas le temps, je ne trouvais pas le temps de quitter mon poste pour visiter de nouveau les plages de Normandie.
18:20 C'est pour ça que je ne suis jamais revenu en Normandie à ce moment-là.
18:27 J'ai été en Normandie en 2007 ou 2009, et donc c'est un long moment qui a passé.
18:42 Avant ma première visite de retour en Normandie.
18:49 J'ai vu les plages de Normandie, ça a ramené chez moi énormément de souvenirs.
18:57 Ces plages.
19:00 Il y a tant d'hommes qu'on a perdus là.
19:04 Il existe des très belles photos de vous sur ces plages de Normandie, en train d'effectuer un rituel indien.
19:12 Avec des herbes aromatiques, avec un totem.
19:19 Vous aviez besoin de faire se réunir vos racines indiennes, et ce que vous aviez vécu là pendant la guerre ?
19:26 Tout ça c'était bien après la guerre.
19:33 J'avais un but quand je suis revenu à Omaha Beach.
19:38 Mon but était de rendre hommage, de prier et d'envoyer de l'espoir à tous ces hommes qui étaient morts pendant l'opération d'Omaha Beach.
19:53 J'avais eu la chance moi de survivre à tout ce que j'avais vécu, à toutes ces batailles entre les Allemands et les Américains, et aussi les Français.
20:18 J'ai essayé d'oublier tous ces moments terribles que j'ai traversés.
20:32 Mais ça n'a pas été possible, bien sûr. J'ai fait de mon mieux.
20:39 Quand je suis retourné à Omaha Beach, moi vous savez je suis un Américain.
20:50 Je suis un Indien et je suis né dans l'état du Maine.
20:55 Et la première fois que je suis retourné à Omaha Beach, c'était bien après la guerre, 2008 ou 2009.
21:05 Et c'est la première fois que j'ai vraiment remis les pieds sur cette plage. Je n'étais jamais revenu.
21:16 Quand je suis arrivé sur la plage, j'ai rejoint le cimetière et j'ai vu toutes ces tombes.
21:30 J'ai traversé le cimetière de nouveau, je suis redescendu à la plage.
21:37 Il y avait des passages qui menaient à la plage.
21:45 Et là, quand je suis arrivé sur la plage, j'ai fait une prière pour ces hommes qui étaient morts.
21:57 Et j'ai organisé une petite cérémonie indienne pour ces hommes, pour prier pour eux, pour leur souhaiter le meilleur.
22:17 J'ai essayé de rentrer en contact avec eux, de converser avec eux, mais ce n'était pas possible.
22:24 Je pensais que je pourrais dialoguer avec eux.
22:30 J'ai prié pour eux et j'espère qu'ils n'ont pas survécu, mais que là où ils sont, ils sont bien.
22:52 Ils étaient dans un autre monde, j'ai prié pour eux et j'espère qu'ils seront bien tenus.
23:04 Mais vous vous êtes aussi battu pour qu'on honore la mémoire des soldats amérindiens
23:10 qui ont été quand même nombreux à prendre part au débarquement en Normandie, pour ne pas qu'on les oublie.
23:16 Est-ce que selon vous, les Amérindiens ont été les grands oubliés de l'armée américaine ?
23:23 C'est difficile pour moi de vous répondre là-dessus, parce que personnellement, je n'ai pas rencontré de problème.
23:40 Je me suis senti reconnu. Nous faisions vraiment partie de l'armée et des forces américaines.
23:51 Et dans tous mes souvenirs, nous faisions vraiment partie de ces corps d'armée.
23:58 Il y a eu des cas, peut-être, qu'effectivement nous avons été écartés, mais je ne sais pas.
24:08 Je crois qu'on se souvient de nous pour tout ce qu'on a accompli et j'espère que ça restera comme ça.
24:18 Et vous avez été décoré d'une médaille de très très haute distinction militaire, la médaille d'argent.
24:29 D'ailleurs, on est ici dans votre bureau, il y a la lettre de l'armée américaine qui vous remet cette médaille.
24:38 Vous-même, vous portez votre ruban. C'est une grande fierté ?
24:43 Non, ce n'est pas de la fierté. J'étais dans le souci, l'inquiétude.
24:55 La pensée de tous ces gens qui n'étaient plus avec nous, tous ces gens qui sont morts.
25:02 Vous allez retrouver quelques anciens vétérans pour la cérémonie du 80e anniversaire.
25:10 Est-ce que vous êtes resté en contact les uns avec les autres ?
25:14 Non, j'ai perdu contact avec tout le monde. Parce qu'après la guerre, je ne suis pas retourné aux Etats-Unis.
25:23 Je suis allé vivre en Autriche et j'y ai vécu plus de 40 ans, 45 ans.
25:37 Bien sûr, je n'ai pas trouvé beaucoup de vétérans américains en Autriche, à Vienne, à Salzbourg.
25:49 J'étais plus ou moins seul avec mes souvenirs.
25:57 Et j'ai perdu contact, tout en perdant aussi le souvenir, quand les souvenirs s'éloignaient, le souvenir de ces hommes que j'avais connus.
26:11 Merci beaucoup.

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