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À la recherche du Schindler polonais est un documentaire français de 2019 réalisé par Barbara Necek. Le film explore l'histoire d'Eugène Lazowski, un médecin polonais qui aurait sauvé la vie de 8 000 Juifs pendant l'Holocauste en leur injectant un faux virus qui les a déclarés positifs au typhus.

L'histoire de Lazowski a été largement médiatisée au début des années 2000, et il a même été proposé pour le prix Nobel de la paix. Cependant, des recherches ultérieures ont jeté le doute sur ses affirmations, et le film de Necek examine les preuves pour tenter de déterminer si Lazowski était un véritable héros ou un fraudeur.

Le film a été salué par la critique pour son enquête approfondie et son sujet captivant. Il a été projeté dans des festivals de films du monde entier et a remporté plusieurs prix, dont le prix du meilleur documentaire au Festival international du film de Jérusalem.

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00:14À quoi reconnaît-on une Polonaise à l'étranger ?
00:21À l'aimant de Jean-Paul II, sur son frigo ?
00:24À sa réserve de cornichons ?
00:30Et à sa conviction d'avoir été du bon côté de l'histoire pendant la Seconde Guerre mondiale ?
00:39Les Polonais n'étaient pas tous des antisémites comme les nazis.
00:43Ma famille a même caché des Juifs, comme d'ailleurs d'autres de leurs compatriotes.
00:49C'était moi, il y a quatre ans, quand j'ai découvert cette histoire sur le site du Figaro, l'un des premiers quotidiens français.
00:57Eugène Lazowski et Stanisław Matulewicz, deux médecins polonais,
01:02auteurs d'une fausse épidémie de typhus pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui a sauvé 8 000 Juifs.
01:12Interloqués, je contacte l'auteur de l'article, Noémie Alioua.
01:18C'est tombé par hasard, c'est tombé par hasard sur cette histoire.
01:22Et puis j'avais cherché, j'avais dû trouver, je pense qu'il doit y avoir une fiche Wikipédia, monsieur.
01:27Quand on fait des articles pour le site, on s'inspire d'articles qui avaient déjà été faits.
01:32Ce que je sais, c'est qu'effectivement, mon article a une audience très, très, très importante.
01:36Il a fait partie, pendant plusieurs semaines, des articles les plus lus du site Figaro.
01:41Il y a tous les ingrédients d'une belle histoire, presque incroyable.
01:47C'est six fois plus qu'Oskar Schindler, le célèbre industriel nazi, me suis-je dit.
01:52Et personne n'en a encore entendu parler.
01:55À moi de montrer à Spielberg et au monde qu'ils étaient passés à côté de la vérité,
02:00qu'un Polonais avait fait mieux qu'un Allemand.
02:18J'ai décidé de mener l'enquête.
02:22Le docteur Lazowski est décédé en 2006 aux Etats-Unis.
02:27Mais il a consigné ses souvenirs dans une autobiographie intitulée « Ma guerre privée »,
02:33mémoire d'un médecin-soldat.
02:36Épuisé depuis longtemps, j'ai réussi à en trouver un exemplaire.
02:40Mais celui-ci n'est pas le seul.
02:44Mais suis-je la seule dans ce cas ?
02:47Les experts le connaissent-ils ?
02:50Très vite, je rencontre Agnieszka Haska.
02:53Elle travaille à l'Institut d'histoire juive de Varsovie
02:56sur les relations entre Polonais et Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
03:00Marek Wiatrowicz, du musée de Stalowa Wola en Pologne.
03:06Et surtout Jean-Yves Potel, chercheur et ancien diplomate.
03:10Il est l'un des plus grands experts internationaux de la Pologne.
03:13Donc voici le livre de Jean Lazowski.
03:15Est-ce que vous en avez déjà entendu parler de cette histoire,
03:17de ce médecin polonais qui aurait sauvé une Juif ?
03:22C'est un beau livre, mais je ne suis pas sûr que ce soit vrai
03:25parce que ça me paraît comme un peu douteux.
03:28Parce que « sauver une Juif », c'est une histoire qui n'a pas de sens.
03:32C'est un peu douteux.
03:34Parce que sauver 8 000 Juifs de cette manière, à ce moment-là,
03:39vu ce qu'était le climat, la grande répression qu'il y avait contre les Juifs à ce moment-là,
03:43la terreur contre les Polonais,
03:45penser qu'il ait pu faire ça, ça ne me paraît plus vraisemblable.
03:48Connaissez-vous ce livre ?
03:51Oui, je connais ce livre.
03:54C'est l'histoire typique de Polonais futés qui ont roulé les Allemands dans la farine.
04:01Ce chiffre de 8 000 ne me choque pas.
04:04En tant qu'historienne spécialiste de l'Holocauste,
04:07ma première réaction est de dire « il faut investiguer ».
04:12Les histoires qui parlent de l'Holocauste sont très souvent des histoires qui nous semblent improbables.
04:18Et pourtant, elles se sont vraiment produites.
04:22C'est le rôle de l'historien de vérifier tout ça.
04:26L'autobiographie est pour l'instant le seul document dont je dispose
04:30qui témoigne de l'histoire de ce médecin et de son opération de sauvetage.
04:37Première surprise.
04:39Dans ces pages, le docteur ne dit pas un mot sur les gens qu'il a sauvés.
04:47Était-ce des Polonais ? Des Juifs ? Combien y en avait-il ?
04:52Quelle confiance accordée à des mémoires écrite 50 ans après les faits ?
05:00Le livre du docteur, je le prendrai très au sérieux.
05:05Il nous apparaît comme quelqu'un d'intelligent, d'honnête et de précis sur les événements de l'époque.
05:11Il ne semble pas être enclin à la fabulation.
05:22Pour faire le clair sur Eugène Lasowski et ses exploits,
05:26j'ai décidé de prendre au mot les paroles de l'historien.
05:31L'autobiographie du médecin sera mon point de départ.
05:40Écrit en 1993, ce livre va me conduire sur les traces de celui que j'espère être
05:46le Schindler polonais.
06:02À travers les mots d'Eugène Lasowski, je plonge dans la Pologne de mes grands-parents.
06:07Au début du 20ème siècle, je suis allée à l'étranger.
06:12Eugène Slavomir Lasowski naît en 1913 à Częstochowa.
06:17Il est le fils unique de Zofia et Kajimierz Lasowski.
06:23En 1933, la famille déménage à Varsovie,
06:27capitale d'un pays qui vient de recréer son propre pays,
06:31l'Allemagne.
06:34En 1933, la famille déménage à Varsovie,
06:38capitale d'un pays qui vient de regagner son indépendance
06:42après 123 années de partage entre l'Autriche-Hongrie, la Russie et la Prusse.
06:52Eugène évolue dans une Pologne multiethnique, à majorité catholique,
06:56où il y a aussi des Ukrainiens, des Allemands et aussi 3,2 millions de Juifs.
07:02C'est la plus importante minorité.
07:06Cette Pologne a été beaucoup structurée par une opposition
07:10entre deux visions de l'identité de la patrie polonaise.
07:13Il y a une vision qui considère la nation d'abord sur une base citoyenne,
07:19chacun est égal à l'autre et chacun est un citoyen,
07:22et quelle que soit son origine, sa culture, etc.
07:26Et puis en face, il y a la nationale-démocratie qui est un parti nationaliste
07:30et cette vision crée bien sûr des étrangers
07:34et un des étrangers le plus important, c'était le Juif.
07:38C'est pas quelque chose de spécifique à la Pologne,
07:40on a ça en France avec Maurras, on a ça dans tous les pays européens,
07:44on a cette vision de la nation.
07:50C'est l'option républicaine qui l'emporte sur les nationalistes.
07:53La première constitution polonaise garantit les mêmes droits à tous ses citoyens.
08:00Pourtant, dans les années 30, la Pologne succombe à la tentation antisémite
08:04qui se répand alors partout en Europe.
08:11C'est à cette époque que Jeanne intègre l'université de médecine de Varsovie.
08:18Et puis il va y avoir des actions discriminatoires à l'université,
08:23dans les écoles, où on va faire ce qu'on a appelé un ghetto des bancs,
08:27c'est-à-dire qu'on va faire des quotas,
08:31et on va dire qu'à l'université, il ne doit pas y avoir plus que 8%, 6%, 4% de Juifs.
08:39À l'université, Jeanne Lazowski a forcément été témoin du ghetto des bancs.
08:44Il a sûrement assisté à des manifestations antisémites de groupuscules d'extrême droite.
08:51Il existe des photos célèbres où l'on voit des banderoles à l'entrée
08:55réclamant des quotas pour les étudiants juifs.
08:58Il a certainement entendu les histoires, très connues à l'époque,
09:02de professeurs ou d'étudiants qui se faisaient tabasser
09:05parce qu'ils refusaient le ghetto des bancs.
09:08Ils ont essayé d'isoler les Juifs en les obligeant à s'asseoir du côté gauche de l'amphi.
09:13Nous, les étudiants en médecine, on s'était spontanément dispersés
09:17à travers toute la salle pour occuper le côté réservé aux Juifs.
09:22Mon intuition était la bonne.
09:25À le lire, Eugène ne s'est pas compromis.
09:30À cette époque, il faut dire, il a d'autres préoccupations.
09:36Pendant l'été 1939, l'insouciant fils de bonne famille
09:40fait un voyage à travers l'Europe avec sa fiancée, Maria, surnommée Murka.
09:46Rome, Venise, Paris, Vienne,
09:49le couple savoure sans le savoir ses derniers instants de paix.
10:04À l'aube du 1er septembre, les Allemands ont commencé leur œuvre de destruction
10:09dont nous ne mesurions pas encore l'étendue.
10:13Ce jour-là, j'étais de garde à l'hôpital.
10:16Le téléphone n'arrêtait pas de sonner.
10:19Les messages affluaient.
10:21Tout le monde avait la mine grave.
10:24C'était la guerre.
10:30J'ai reçu l'ordre de mobilisation.
10:33Je devais me tenir prêt.
10:42Comme si une guerre n'était pas assez,
10:45la Pologne est envahie le 17 septembre à l'est par l'Union soviétique.
10:51Une conséquence directe du pacte entre Hitler et Staline
10:54qui veulent se partager le pays.
11:01Prise en tenaille, l'armée polonaise est défaite fin septembre.
11:07Mobilisée, Lazowski est fait prisonnier par les Allemands.
11:12Il réussit pourtant à s'échapper d'un convoi en direction de l'Union soviétique
11:17et trouve refuge chez ses parents, à Varsovie.
11:23Mais sous le régime nazi, la terreur s'installe.
11:29La vie quotidienne pour un Polonais non-juif,
11:32mais les Juifs en parlons pas, c'est encore pire.
11:35Un homme, ce qui était terrible, c'est qu'il risquait de se faire arrêter à tout moment
11:40pour être envoyé au travail obligatoire en Allemagne.
11:43Mais ils ont quand même déporté plus de 2 millions de Polonais.
11:50Varsovie est devenue trop dangereuse pour Eugène.
11:53Fin 1940, il quitte ses parents pour la province avec sa fiancée Murka,
11:58qui deviendra bientôt sa femme.
12:10Je pars sur les traces du docteur, au sud-est de la Pologne.
12:19Il faut 3 heures de route pour arriver dans la petite ville de Rozwadów.
12:23Devenue aujourd'hui un arrondissement de Stalowa Wola, la grande ville industrielle voisine,
12:28Rozwadów a gardé son charme d'antan.
12:32C'est à l'époque, et pour 4 ans, le lieu de vie du couple Lazowski,
12:36mais aussi le théâtre des exploits d'Eugène,
12:39de la fausse épidémie de typhus dont il serait l'auteur.
12:52Rozwadów était célèbre pour son grand marché qui avait lieu 2 fois par semaine.
12:57Les gens venaient de très loin pour y faire des affaires.
13:02Il y avait aussi un tribunal depuis de nombreuses années.
13:07Cela augmentait le prestige de la ville.
13:10Les gens venaient aussi pour des raisons administratives.
13:15Ca drainait pas mal de monde.
13:18Il y avait beaucoup d'animation.
13:25Rozwadów a décidément bien changé.
13:31Avant tout, je cherche l'ancienne clinique du docteur,
13:34au numéro 23 de la place centrale de Rozwadów.
13:38C'est ici qu'il travaillait et habitait avec sa femme.
13:45Il se trouve qu'un autre a prévu de venir en pèlerinage en même temps que moi.
13:51Marc Gérard, qui n'est autre que le petit-fils du docteur Lazowski,
13:55arrivé tout droit des Etats-Unis.
13:58Marc s'est trouvé un guide, appelé Marc lui aussi,
14:01un historien amateur de la ville, un Polonais à l'anglais parfait.
14:05Je me greffe à cette visite et pénètre avec eux dans l'ancienne clinique du docteur.
14:12Dans cette partie, il y avait son bureau.
14:17D'après ce que je comprends, la porte était de ce côté.
14:21Et ici était son bureau, un tout petit endroit.
14:25C'est beaucoup plus petit que ce que j'avais imaginé.
14:28Les temps étaient durs, on manquait de nourriture, de médicaments,
14:32et il y avait beaucoup de malades.
14:34Le docteur était partout.
14:36Il faisait des accouchements, des traitements en tout genre,
14:40et des blessures plus ou moins graves.
14:47Ici, c'était leur pièce de vie.
14:50Voici d'ailleurs l'actuel propriétaire, monsieur Skro.
14:53Bonjour.
14:54Bonjour.
14:55Voici le petit-fils du docteur Lazowski.
14:59C'est ici que votre grand-père avait sa chambre.
15:03Un poêle pour se chauffer.
15:05Donc là, il y avait le poêle.
15:07Leur lit était ici. C'est ici qu'ils dormaient.
15:11Leur lit.
15:13Et là, il y avait une porte.
15:17Et il y avait une porte qui menait à un couloir.
15:20Et là, c'était leur coin cuisine.
15:23Celle de votre grand-père et de votre grand-mère.
15:29C'était le cabinet médical du docteur Lazowski.
15:32Il était très populaire et très sollicité.
15:36C'était le seul médecin dans la région.
15:38Il n'y avait même pas de dentiste.
15:47À Rozwadów, Eugène soigne non seulement la population locale,
15:51mais aussi les nombreux réfugiés expulsés de Pologne occidentale,
15:55annexés par le Reich.
16:01La tâche du médecin est ardue.
16:03Les médicaments sont rationnés par l'occupant
16:06et les produits d'hygiène, le savon, manquent cruellement,
16:09favorisant la prolifération des bactéries
16:12et la propagation des virus.
16:15Il s'est retrouvé ici comme simple médecin de campagne.
16:20Pour moi, ce n'était pas ce qu'il avait en tête.
16:23Mais ça ressemble à ce que je m'étais imaginé.
16:27C'est émouvant pour moi.
16:30C'est étonnant de voir ça.
16:35Regardez sur cette photo.
16:37Ils sont en train de labourer le terrain.
16:41Et cette cour s'étendait jusque là-bas.
16:44Oui, oui, tout à fait, jusque là. Vous voyez ?
16:46Oui, jusqu'à cet immeuble.
16:48Ça, c'est la rue Koschanowska.
16:52Là-bas, il y avait un juif.
16:54Et là aussi, une famille juive.
16:59Les voisins du docteur étaient donc juifs.
17:03C'est la première fois que j'entends parler de la population juive ici.
17:09Elle est pourtant visible sur les anciennes photos de la ville.
17:14À Rozwadów, il y avait cette grande population juive.
17:17La population juive, c'est assez classique.
17:19On est dans une zone de la Pologne
17:22où la population juive était concentrée dans quelques grandes villes.
17:26Pas dans toutes les grandes villes.
17:28Et dans des petites villes et des villes moyennes.
17:31Par exemple, la ville d'Oświęcim,
17:33où les Allemands ont créé le camp d'Auschwitz à côté.
17:35Dans les années 1930, le maire était juif.
17:39C'est une ville où il y avait à peu près une majorité de juifs.
17:43Il y avait des gens très assimilés
17:46et des orthodoxes qu'on reconnaissait à leurs habits et à leurs kippahs.
17:53Il y avait une grande communauté de juifs rassidiques.
17:56Il y avait des avocats en costume
17:58ou des médecins qui ne se différenciaient pas des Polonais non-juifs.
18:02Certains parlaient parfaitement polonais.
18:05D'autres ne parlaient que le yiddish à la maison.
18:13J'apprends que deux tiers des habitants de Rozwadów étaient juifs avant la guerre.
18:27Aujourd'hui, pour retrouver leurs traces, je dois interroger la mémoire,
18:31faire jaillir les souvenirs des anciens.
18:34Se rappellent-ils de leurs voisins d'alors ?
18:43Je me souviens que les juifs étaient surtout des commerçants.
18:49En bas de l'immeuble où nous habitions, il y avait une épicerie juive.
18:55On pouvait y faire ses courses, même à minuit.
19:04À quoi ressemblait la cohabitation entre les juifs et les Polonais ?
19:10Comment ça se passait, le quotidien ?
19:17Il y avait beaucoup de concurrence et les juifs étaient maîtres en la matière.
19:24Dans une ville de la région, il y avait deux boulangeries juives.
19:33Et un Polonais avait décidé d'ouvrir la sienne.
19:37À partir de ce moment-là, les juifs ont commencé à baisser leurs prix
19:44pour éliminer leurs concurrents polonais.
19:49Voilà la concurrence déloyale qui régnait.
19:54C'est un ami boulanger qui m'a raconté cette histoire.
20:00Ça montrait à quel point les juifs étaient perfides.
20:07C'est la première fois que j'entends ces mots de la bouche d'un Polonais.
20:12Sont-ils le reflet de l'ambiance qui régnait alors entre juifs et non-juifs,
20:17pourtant citoyens d'un même pays ?
20:21Le climat, en 1939, quand commence la Seconde Guerre mondiale,
20:26est un climat très tendu.
20:29Il y a le catholicisme qui joue un rôle très important dans cette histoire.
20:33L'Église a une vision très nationale-démocratique de la nation.
20:38Dans le milieu rural, même dans les villes,
20:43il y avait une puissance très forte de cette tension antisémite.
20:56Quand le docteur arrive à Rosvadou,
20:58en 1941, l'occupant nazi est déjà bien installé.
21:04Les grandes exploitations agricoles sont sous gestion allemande.
21:10La population polonaise réduite en esclavage.
21:15Ils sont, ce qu'Hitler appelle, des sous-hommes, des Untermenschen.
21:19Quant aux juifs, ils ne sont même pas considérés comme des êtres humains par les nazis.
21:24A Varsovie, ils se retrouvent parqués dans un ghetto.
21:28Partout en Pologne occupée, ils sont privés de leurs droits,
21:32subissent humiliation, torture.
21:35Leur extermination a commencé.
21:38Formellement, il n'y a jamais eu de nazis dans cette ville.
21:42C'est la raison pour laquelle les nazis sont venus ici.
21:46Formellement, il n'y a jamais eu de ghetto à Rosvadou.
21:50Mais les juifs n'avaient pas le droit de quitter la ville.
21:54Ils obtenaient des rations ridicules de nourriture,
21:57et les Allemands exploitaient leur force de travail.
22:01Il y avait une synagogue à Rosvadou.
22:06Dans mes souvenirs, c'était un bâtiment magnifique.
22:12Les Allemands ont obligé les juifs à la détruire.
22:16Quand ils les amenaient travailler,
22:22les nazis obligaient les juifs à scander ce slogan.
22:28Nos dirigeants ne nous ont rien appris.
22:32Notre cher Hitler, lui seul, nous a appris à travailler.
22:40Alors comment réagit le docteur Fazloui ?
22:43Comment réagit le docteur face à la terreur qui s'abat sur ses voisins juifs ?
22:49Sur ceux qui habitent juste derrière sa clôture.
22:55Un trou dans la clôture de mon jardin était devenu très utile.
22:59Il a donné à mes voisins juifs un accès aux soins médicaux.
23:04C'est moi qui allais de leur côté.
23:07Ce n'était jamais l'inverse, pour des raisons de sécurité.
23:11Nous avions un code.
23:13Un torchon accroché à la clôture signifiait qu'on avait besoin de moi.
23:19Les nazis, dès qu'ils ont organisé les ghettos,
23:23interdisaient tout contact entre les juifs et les polonais non-juifs.
23:31Et donc interdisaient tout contact sanitaire.
23:34Donc il n'y avait normalement pas de lien.
23:36Ils risquaient deux choses.
23:37La première chose, ils risquaient que le juif en question soit assassiné.
23:44Et lui, il risquait d'être arrêté.
23:47Je pense que c'est tout à fait possible,
23:50et c'est tout à fait même à son honneur,
23:53s'il a pu aider des juifs.
23:56Mais c'était effectivement très dangereux.
23:58Personne n'avait intérêt à inviter des témoins.
24:00Il était absurde d'espérer trouver des témoignages directs.
24:03Ce genre d'opération se faisait dans le plus grand secret.
24:08À le lire, le médecin a le profil du juste,
24:13d'un homme qui a sauvé des juifs au péril de sa vie.
24:16Il est peut-être vraiment mon Schindler polonais.
24:21Parce qu'il était courageux, Eugène.
24:24Il avait rejoint la résistance, l'Armia Krajowa, l'AK.
24:30Rassemblant jusqu'à 300 000 membres, souvent d'anciens militaires,
24:34l'AK fut le plus grand mouvement européen de résistance
24:37de la Seconde Guerre mondiale.
24:40Elle recevait ses ordres de Londres par le gouvernement polonais en exil.
24:49Notre visite se poursuit dans les locaux secrets de l'unité locale de l'AK,
24:53dans ce bâtiment, laissé à l'abandon.
24:57Avant la guerre, il y avait un cinéma dans ce bâtiment.
25:00Et pendant l'occupation, le grenier servait d'abri pour une unité de l'AK,
25:04l'unité KEDIV.
25:10Ils étaient chargés des missions de sabotage.
25:15Ils sabotaient les trains, le travail dans les usines,
25:19notamment la production de fusils.
25:23Ils liquidaient des Allemands, mais aussi des collabos polonais.
25:30Faites attention ici, je vais vous éclairer avec ma lampe torche.
25:35Voici la cachette de l'AK.
25:47Regardez, voilà une pièce intéressante.
25:50Une casquette de soldat polonais de 1939.
25:54Elle est très abîmée, mais c'est le genre d'objet qu'on trouve ici.
25:57L'histoire s'est arrêtée dans ce bâtiment.
26:07Quand le KEDIV se réunissait ici pour partir en mission,
26:11ils étaient une cinquantaine d'hommes à dormir ici, au grenier.
26:15Et beaucoup d'entre eux revenaient blessés par balles.
26:19C'est pour ça qu'on a trouvé cette cachette ici.
26:21Votre grand-père était certainement très souvent ici pour les soigner.
26:52Ce bâtiment est remarquable.
26:55C'est un morceau d'histoire.
26:57C'est intéressant pour moi de voir comment les parcours des résistants
27:01concordent avec le récit du livre de mon grand-père.
27:06Ces gens-là ont eu des vies incroyables.
27:09Certains ont survécu, d'autres sont morts.
27:13Quelle époque !
27:16Cette pièce va vous intéresser.
27:18Voici une ordonnance écrite par votre grand-père en 1941.
27:26C'est la seule preuve qui montre que votre grand-père était médecin dans cette ville.
27:33Le reste a été détruit ou peut-être pas encore trouvé.
27:42Et si ces fioles avaient aussi servi à lancer la fausse épidémie de typhus ?
27:48Celle qui aurait permis au docteur de sauver 8 000 juifs ?
27:53L'idée de cette opération de sauvetage va naître avec l'arrivée d'un ami de fac de Gênes dans la région.
27:59Le docteur Stanisław Matulewicz.
28:04A Varsovie, Matulewicz a mené des recherches sur le typhus, une maladie ravageuse.
28:11Faute de traitements efficaces, le typhus terrorise l'occupant nazi.
28:17Le typhus à cette époque-là était une maladie mortelle.
28:21Voilà pourquoi les Allemands en avaient une peur bleue.
28:25Ils ne voulaient pas qu'elle se propage dans l'armée, ni dans la population civile allemande.
28:32Matulewicz a fait une découverte spectaculaire.
28:35En injectant à un patient en bonne santé la bactérie Proteus OX19, inoffensive pour l'organisme,
28:42il arrive à obtenir ce qu'on appelle un faux positif au test de dépistage du typhus.
28:50Ainsi, par ce truchement, il peut faire passer un patient sain pour un malade du typhus.
28:59Matulewicz n'est donc pas seul.
29:02Matulewicz fait part de sa découverte à son ami Eugène, dans le secret.
29:08Celui-ci a alors une idée qui va changer le cours de son histoire.
29:18Nous pouvions créer une fausse épidémie de typhus pour faire peur aux Allemands,
29:23pour qu'ils arrêtent de nous harceler, de déporter des travailleurs forcés dans le Reich.
29:27Peut-être que nous arriverons à stopper les arrestations et les confiscations.
29:32La fausse épidémie va mettre la pagaille dans l'ordre allemand.
29:37Créer une fausse épidémie de typhus pour tenir les nazis loin de ses patients.
29:42L'idée d'Eugène est géniale.
29:45Résister avec son arme à lui, sa seringue, la médecine.
29:4940 ans plus tard, les deux docteurs publieront un article sur leur opération clandestine
29:54dans la revue scientifique de l'American Society for Microbiology, validée par leur père.
30:02En Pologne, je rencontre la docteure Dominika Dziewiecka, à l'université de Lodz.
30:11Spécialiste en microbiologie, elle a fait partie de l'équipe de l'université de Lodz.
30:16Spécialiste en microbiologie, elle s'est passionnée pour cette histoire.
30:25Pour que cette fausse épidémie soit crédible aux yeux des Allemands,
30:30il fallait injecter la bactérie Proteus OX19 à des gens qui étaient déjà un peu malades.
30:36Ils devaient avoir au moins un rhume ou présenter les symptômes suivants.
30:40Fièvre, maux de tête, frissons, etc.
30:50Les docteurs opèrent sur plusieurs villages.
30:59Après avoir injecté la bactérie, ils envoient une prise de sang du patient
31:04à un laboratoire de la région, alors sous contrôle allemand.
31:11Les résultats des analyses reviennent tous positifs.
31:15Pour les nazis, une épidémie est à l'oeuvre.
31:22Pour rendre l'épidémie plus crédible, ils ont dû respecter certains critères.
31:29Ils savaient en tant que médecins que les épidémies de typhus se développaient
31:33surtout pendant l'automne et l'hiver, alors c'est à ce moment-là
31:37qu'ils ont augmenté le nombre d'injections.
31:41En plus de ça, ils ont aussi pris soin de faire évoluer leurs fausses épidémies
31:46le long des voies de communication.
31:50On sait bien que le typhus se transmet d'homme à homme
31:54par des pousses infectées, notamment lors de voyages,
31:58dans des trains et des lieux de rassemblement de manière plus générale.
32:11Nous agissions bien sûr dans le plus grand secret.
32:16Personne ne devait être au courant de notre opération.
32:20Absolument personne, même pas nos propres femmes.
32:26Nous ne pouvions pas non plus mettre nos patients dans la confidence.
32:30Il y en avait trop, c'était trop dangereux.
32:35C'est difficile de savoir s'il tenait un registre des personnes vaccinées.
32:39C'est très peu probable, parce que ce qu'il faisait
32:43était un acte de résistance face à l'occupant.
32:46Il ne fallait surtout pas laisser de preuves.
32:52Des villageois sauvés malgré eux.
32:55Dans ces conditions, comment trouver des témoins de cette histoire ?
33:00Il n'empêche, en hiver 1943, les laboratoires allemands donnent l'alerte.
33:04Les cas de typhus se multiplient à tel point
33:07que l'occupant se résout à prendre des mesures.
33:11Âgé de 12 ans à l'époque, Kazak Jaskowski a gardé
33:15des souvenirs de la fébrilité des nazis.
33:19Quels sont tes souvenirs de cette épidémie ?
33:25Les Allemands ont durci les règles.
33:30Ils ont interdit les rassemblements aux Polonais
33:32pour éviter la contagion.
33:38Ils ont fermé l'école.
33:43Les cours se sont arrêtés et les professeurs ne venaient plus.
33:51Le cinéma et les églises étaient également fermés.
33:56Tous les lieux publics étaient ciblés.
33:59Avec ces mesures, les Allemands voulaient éviter
34:02la propagation de l'épidémie.
34:08Les autorités allemandes ont arrêté les déportations
34:11aux travaux forcés dans le Reich.
34:14Les habitants ont pu souffler et se sont sentis plus en sécurité.
34:19Les quotas de production ont été réduits.
34:24Pour nous, chacune de ces affiches était comme un diplôme
34:28qui reconnaissait l'efficacité de notre opération.
34:36Sauf que les autorités allemandes commencent à avoir des doutes.
34:40Cette épidémie ne fait pas assez de morts.
34:47Début 1944,
34:50une équipe médicale allemande débarque alors
34:53dans le village de Tourbia, placé sous quarantaine.
34:55Ils veulent voir les malades de leurs propres yeux.
35:00Alertés par le médecin responsable de la région,
35:03Lazowski met en scène sa fausse épidémie.
35:09Lazowski a soigneusement choisi les patients
35:12qu'il devait montrer aux Allemands.
35:15Il a commencé par les patients les plus maigres,
35:18les plus âgés, les plus misérables,
35:21ceux qui souffraient véritablement de maladies graves
35:23comme la pneumonie.
35:26Auparavant, il leur avait bien sûr injecté
35:29le protéus OX19.
35:33Il n'arrêtait pas de mettre en garde
35:36les médecins de la commission allemande
35:39des risques de contagion.
35:42Il leur a montré les foyers les plus pauvres,
35:45les plus délabrés, mal éclairés, sales.
35:49Ça a fait peur à la commission.
35:51Elle a demandé à Lazowski de faire lui-même
35:54les prises de sang.
36:00Les médecins SS se laissent convaincre
36:03par la mise en scène et décrètent officiellement
36:06que l'épidémie est bien réelle.
36:14Dans son livre, Lazowski jubile.
36:17Notre guerre immunologique, nous l'avons gagnée.
36:22Voilà une fin aux allures hollywoodiennes.
36:25Les nazis, roulés dans la farine par ces Polonais futés.
36:36Si les traces écrites de cette histoire,
36:39souvent détruites, sont minces,
36:42une rencontre va être décisive pour mon enquête.
36:45Celle avec l'historien Dionysius Gerbatch.
36:48Il s'est penché sur l'histoire des deux docteurs
36:51en épluchant les archives de la région.
36:54Un travail fastidieux.
36:57Dans sa pochette, le témoignage du prêtre
37:00de la commune de Turbia, le village où les Allemands
37:03ont envoyé leur commission de médecins SS.
37:09J'ai trouvé un témoignage du prêtre Blaire,
37:12fait dans le cadre d'une enquête
37:14ordonnée par l'évêché de la région en 1945.
37:19Voilà ce qu'il écrit.
37:22Une commission allemande est arrivée
37:25pour vérifier des cas de typhus.
37:28La commission allemande a reconnu la véracité de l'épidémie.
37:31L'armée allemande ne s'arrêtait pas à Turbia
37:34à cause du typhus.
37:37Les gens n'étaient pas obligés de donner
37:40leur quota de production de lait aux Allemands
37:42et la population des travailleurs forcés se sont arrêtés.
37:45Certains jeunes des environs ont trouvé refuge à Turbia
37:48pour éviter de se faire déporter.
37:51Aux alentours de Pâques, les autorités sanitaires
37:54à Cracovie ont officiellement décrété
37:57la fin de l'épidémie.
38:00Selon eux, il n'y avait pas assez de décès.
38:04Le prêtre Blaire et le docteur Lazowski
38:07décrivent la même histoire.
38:09Exactement la même histoire.
38:12En tant que spécialiste, vous confirmez les faits ?
38:15Aucun doute.
38:18C'est sûr.
38:21Le médecin a sauvé ses compatriotes
38:24en inoculant son faux virus.
38:27C'est un héros de la résistance.
38:30Reste pour moi une question centrale
38:33qui fera ou non de lui mon Schindler polonais.
38:36Y avait-il déjà un médecin
38:39qui aurait sauvé 8 000 Juifs parmi eux ?
38:42Et combien ?
38:45Les affirmations que l'on trouve sur le net
38:48et qui prétendent que les docteurs auraient sauvé 8 000 Juifs
38:51sont totalement sans fondement.
38:54D'abord, il n'y a jamais eu 8 000 Juifs ici.
38:57Même jusqu'en 1942.
39:00Il y en a eu seulement quelques centaines à Rozwadów.
39:03En plus, à l'été 1942,
39:06les Allemands ont rassemblé les Juifs sur la place principale.
39:09Ils les ont emportés dans des wagons.
39:16Deuxièmement,
39:19les Juifs qui étaient testés positifs
39:22étaient condamnés à mort.
39:25Personne ne les soignait
39:28et ils étaient exécutés tout de suite par les nazis.
39:31Cette épidémie n'était pas destinée à sauver des Juifs.
39:34Le docteur ne pouvait pas les aider de cette façon-là.
39:39Eugène n'est donc pas le Polonais
39:42qui détrônera l'Allemand Oskar Schindler.
39:50Il est un héros de la résistance, certes,
39:53mais il n'a pu sauver 8 000 Juifs comme le relaient les sites,
39:56y compris ceux d'organisations juives.
39:59Mais d'où vient cette rumeur insensée, dangereuse ?
40:03Je décide de partir sur la piste
40:06de ceux qui les premiers ont publié cette information.
40:09Aux États-Unis, en août 2001,
40:12le Chicago Sun-Times,
40:15l'un des plus grands quotidiens américains,
40:18publie en première page un article au titre accrocheur,
40:21Chicago's Schindler,
40:24le Schindler de Chicago.
40:31Mais en réalité,
40:34ce n'est pas le cas.
40:36C'est l'histoire incroyable
40:39d'un docteur polonais arrivé aux USA en 1958,
40:42Eugène Lazowski,
40:45qui aurait sauvé 8 000 personnes,
40:48Juifs et non-Juifs.
40:51L'auteur de cet article s'appelle Art Golab.
40:54Il est journaliste.
40:57Mais alors, d'où tient-il ces sources ?
41:00Je décide de l'appeler.
41:03Bonjour, vous êtes Art Golab ?
41:07J'ai lu la version polonaise
41:10de l'autobiographie du docteur.
41:13Et à aucun moment, il ne mentionne avoir sauvé des Juifs.
41:16Alors je me suis demandé d'où vous teniez cette information.
41:18Votre titre est très accrocheur.
41:21Tout le monde sait qui a été Schindler.
41:24Comment cette idée vous est-elle venue ?
41:48Une déclaration qui me laisse sans voix.
42:19Et si les Etats-Unis étaient la clé du secret ?
42:23Après tout, sa famille y vit encore.
42:26C'est là qu'Eugène s'est installé après la guerre,
42:29avec sa femme et sa fille Alexandra,
42:32née en 1942 à Rosvadov.
42:35Après avoir résidé 40 ans à Chicago,
42:38où il exerça comme pédiatre dans un hôpital et à l'université,
42:41il s'est installé dans l'Oregon.
42:44C'est ici que je rencontre sa fille Alexandra
42:47et son mari Don.
42:53Mon père et moi, nous avions une relation très difficile.
42:56Il ne m'a jamais rien raconté de ce qui s'était passé.
42:59Il n'en a jamais parlé.
43:02Il n'a jamais parlé de ce qu'il avait fait avec les injections.
43:05Avant que ça ne sorte dans le livre.
43:08Jusqu'à ce qu'il sorte son livre.
43:10Le héros méconnu deviendra pourtant bientôt célèbre.
43:19Le grand tournant, c'est vraiment cet article
43:22qu'il a surnommé le Schindler de Chicago.
43:25À partir de ce moment-là,
43:28d'autres journaux ont repris l'histoire,
43:31le téléphone n'arrêtait pas de sonner.
43:34Comment a-t-il réagi à l'engouement des médias ?
43:37Il a lui-même répondu.
43:40Il a littéralement tout absorbé.
43:43Il était très heureux de tout cet intérêt qu'on lui portait.
43:46Il était l'homme le plus heureux de la Terre.
43:49Heureux d'être enfin célèbre pour quelque chose.
43:55Mais Eugène savait-il qu'on essayait de faire de lui
43:58un héros de l'Holocauste ?
44:04Je pense que mon père s'en est rendu compte,
44:07mais il aimait trop la publicité.
44:11Il n'a pas mesuré l'impact de tout ça.
44:15C'est ce qu'il dira plus tard.
44:20Mais en même temps, c'est cet élément
44:23qui a fait vivre l'histoire.
44:32Mon enquête m'a mise sur la piste d'une jeune femme
44:35qui a rencontré le docteur à la même époque.
44:40À Chicago, j'ai rendez-vous avec Alissa Parchem.
44:45Étudiante en histoire en 2001,
44:48elle tombe sur l'article du Chicago Sun-Times
44:51et décide d'écrire son mémoire sur les exploits du docteur.
44:56Je pensais qu'il avait fait quelque chose de très similaire
44:59à ce qu'avait fait Oskar Schindler.
45:02Qu'il avait trouvé un moyen de sauver beaucoup de personnes juives de l'Holocauste.
45:05Le fait qu'il était docteur rendait son histoire
45:07encore plus intrigante à mes yeux.
45:10Il n'avait pas d'usine, il n'avait pas d'endroit pour cacher des gens.
45:13J'ai donc contacté Art Golab du Chicago Sun-Times
45:16pour lui demander ses sources, mais il m'a envoyé sur les roses.
45:22Alissa décide alors de rencontrer Eugène en personne.
45:28Après cinq minutes de discussion,
45:31j'ai découvert que cette histoire n'avait rien à voir
45:34avec ce que le docteur Lazowski avait fait en réalité.
45:37Il compte que son récit ait été falsifié.
45:40Il était fâché de voir qu'on avait détourné ces informations.
45:45Après s'être entretenue avec Lazowski,
45:48Alissa rappelle le Sun-Times et demande le rédacteur en chef.
45:54Le rédacteur en chef m'a simplement dit
45:57« Bon, d'accord, on est désolés, mais on ne va pas publier d'erratum. »
46:01Les médias m'ont vraiment déçue.
46:04Tout ce qui les intéressait était de vendre du papier.
46:07Ils voulaient entendre une vraie histoire.
46:18Alors où se situait Eugène dans cette histoire ?
46:21S'indignait-il réellement qu'on lui prête des actes héroïques
46:24dont il n'était pas l'auteur ?
46:31Lazowski est mort le 13 décembre 2006,
46:34quelques jours avant son 93e anniversaire.
46:38Quant au docteur Matulevic,
46:41il a fait carrière à l'Université du Congo au Zaire.
46:44Après son retour en Pologne, sa trace s'est perdue.
46:48Reste leur belle histoire, qui ne leur appartient plus.
46:54Les histoires découvertes tardivement,
46:57comme celles de Lazowski, racontées dans l'article,
47:00nous montrent à quel point on aime romancer l'Holocauste
47:04et la Seconde Guerre mondiale.
47:08Ce n'est pas un phénomène uniquement américain.
47:11Nous voulons que ces histoires soient toujours extraordinaires.
47:17Et nous y ajoutons somme de détails.
47:20On voit ça dans les films, dans les livres.
47:24Selon moi, on peut parler d'un kitsch de l'Holocauste.
47:38Aujourd'hui, les gardiens du Temple
47:41sont peut-être les membres de la famille de Gênes.
47:44Dans l'Oregon, autour d'un repas,
47:47je retrouve Marc, son petit-fils rencontré à Rosevadou.
47:50Loin de me servir la légende, il s'en tient aux faits.
47:55L'histoire de mon grand-père est extraordinaire.
47:59Et elle est extraordinaire si on s'en tient à la stricte vérité.
48:03Le Holocauste, c'est une notion sacrée.
48:05On ne peut pas se permettre de mentir là-dessus.
48:08Et c'est ce qui aurait été important pour mon grand-père.
48:11La vérité sur son histoire.
48:15Malheureusement pour Marc,
48:18l'article du Chicago Sun-Times paru en 2001 a fait boule de neige.
48:22Reproduit à l'infini sur Internet,
48:25sans que quiconque prenne jamais la peine de vérifier.
48:29Italie, Grande-Bretagne,
48:32et finalement, la France.
48:35Dans le Figaro, où moi-même je l'avais découvert il y a quatre ans.
48:47Après être tombé dans l'oubli pendant des années,
48:50la légende de Gênes intrigue aujourd'hui dans son propre pays.
48:56Sa redécouverte coïncide en effet avec les efforts des pouvoirs publics
49:01pour promouvoir les justes Polonais dans le pays et à l'étranger.
49:06Peu de gens savent en effet
49:09que la Pologne en compte le plus grand nombre au monde.
49:12Presque 7000.
49:20Leur comportement était véritablement héroïque.
49:23Peu importe leurs motifs,
49:26ils ont pris des risques pour leur vie et celles de leur famille.
49:29Mais c'était des exceptions, pas la règle.
49:32Tous ces rescapés, tous ces Juifs
49:35qui ont vécu la guerre, très souvent,
49:38qui l'ont vécu en Pologne,
49:41ont un souvenir
49:45ambigu de l'attitude des Polonais.
49:48Souvent ils ont été sauvés à cause de Polonais,
49:51ou ils ont pu s'échapper.
49:54Mais ils ont tous, pour un Polonais qui les a aidés,
49:57tant d'histoires de Polonais qui les ont trahis.
49:59On a tendance à traiter l'histoire comme un buffet
50:02dont on choisit les meilleurs morceaux.
50:05On choisit les justes, mais on oublie les collaborateurs,
50:08on oublie les nuances
50:11qui étaient faites d'indifférence, de peur.
50:16Alors qu'est devenue la mémoire d'Eugène Lasowski
50:19dans sa propre région ?
50:22À Stalowa Wola, j'ai rendez-vous au lycée de Cyprien de Norvide
50:25avec le club de cinéma des élèves.
50:27Ils m'ont invité à regarder un petit film
50:30qu'ils ont réalisé pour la journée internationale
50:33de la commémoration de l'Holocauste.
50:36Le thème imposé par la mairie est
50:39l'histoire de la fausse épidémie du Dr Lasowski.
50:42Ce qui m'a impressionnée, c'est que le docteur a pris des risques.
50:45Je me demande ce que, moi, j'aurais fait à sa place.
50:48Ni mes amis, ni moi ne connaissions cette histoire.
50:51Je voulais surtout toucher les gens de ma génération.
51:11En tant que professeur d'histoire,
51:14j'ai l'obligation de vérité.
51:17Je pense que ce genre de film devrait être montré
51:20aussi dans les écoles israéliennes.
51:23Il montre une personne qui ne fait pas la différence
51:26entre juifs et non-juifs,
51:29mais qui réagit uniquement en fonction de son éthique de médecin.
51:32Ce genre d'attitude doit être promue
51:35de manière générale en Israël.
51:41Vous avez un moustique, mais c'est juste du pain.
51:50Mais, docteur, on ne va pas mourir ?
51:53Non, enfant, pas ici.
51:57L'enseignante et ses élèves ont vraisemblablement,
52:00comme d'autres avant eux, pris à la lettre
52:03la légende du Schindler polonais.
52:06Il était résistant, mais impossible de prouver qu'il fut injuste.
52:11C'est ce qu'il a fait.
52:18Mon voyage prend fin en Israël,
52:21où je fais une ultime découverte.
52:24A Yad Vashem, où sont consignés les Justes,
52:27il y a bien des Lazowskis.
52:30Ce n'est pas Eugène, mais ses parents,
52:33Kajimir et Zofia.
52:36Ils ont obtenu cette haute distinction en 1995,
52:38pour avoir sauvé six Juifs à Varsovie.
52:45A Jérusalem, je retrouve une personne
52:48qui peut témoigner de leur action,
52:51Ilana Elling,
52:54fille et petite-fille d'une famille cachée par le couple
52:57à partir de 1943.
53:00C'était un acte héroïque à l'époque,
53:03c'est sûr, car la plupart des gens n'ont pas eu ce courage.
53:05C'était des héros à leur manière.
53:11Ironie de l'histoire donc,
53:14un héros peut encacher un autre.
53:17Mais Eugène et Stanisław ont eux aussi réalisé une action remarquable.
53:20Une action ternie finalement
53:23par les appétits médiatiques des uns,
53:26les agendas des autres.
53:29Poursuivons donc toujours le travail de mémoire sans concession,
53:32pour ne pas trahir le réel.
53:35C'est ce qu'il y a de plus important dans l'histoire de l'Histoire.
54:05Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
54:35Abonnez-vous !

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