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Le tragique attentat du 7 octobre en Israël et la riposte massive de l’Etat Hébreu à Gaza ont produit une onde de choc dans le monde entier.
Quel est son impact en France : un effet de radicalisation du débat ? Une transformation des positions de la gauche et de la droite ? Une montée de l’antisémitisme ou de l’islamophobie ? Et ces effets sont-ils conjoncturels ou définitifs ? Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 [Générique]
00:15 Bonjour et bienvenue dans "Ellémentaires", l'émission de Public Sénat qui essaye de donner
00:19 de la profondeur de champ aux éléments de l'actualité.
00:22 Depuis l'attentat terroriste épouvantable du 7 octobre en Israël
00:26 et les représailles extrêmement meurtrières de l'État hébreu à Gaza,
00:31 l'onde de choc n'en finit pas de produire ses effets,
00:34 entraînant ou révélant dans les pays occidentaux des évolutions politiques
00:39 dont certaines sont inattendues.
00:42 C'est aussi le cas en France où ce débat sur la question proche-orientale
00:47 s'est radicalisé et a radicalisé le débat politique lui-même.
00:52 Nous avons voulu éclairer ces nouveaux clivages ou ces nouvelles lignes de fracture
00:57 dans cette émission que nous avons intitulée "Gaza à Paris".
01:01 Et pour nous aider dans cette tâche, deux fins observateurs de la société française
01:04 et de la situation proche-orientale, Serge Julli, qu'on ne présente pas,
01:10 qui est le fondateur de Libération, qu'il a dirigé pendant 33 ans
01:15 et qui est aujourd'hui un éditorialiste encore lu et écouté.
01:18 Et Denis Charbi, professeur de sciences politiques en Israël
01:22 mais qui a aussi été professeur à Sciences Po.
01:25 Ça me conduit d'ailleurs par une fine transition à la première question
01:31 car on va partir de Sciences Po justement.
01:35 Les blocages de Sciences Po ont été très très visibles,
01:37 ils ont suscité des débats.
01:40 On en a beaucoup parlé et on a beaucoup parlé à leur propos
01:43 des comités vietnam des années 60-70.
01:47 – Serge Julli, vous avez été au cœur de ces mobilisations de l'époque.
01:53 Est-ce que cette comparaison entre la mobilisation pour la Palestine aujourd'hui
01:58 et la mobilisation des comités vietnam des années 60-70
02:01 vous paraît une comparaison juste et raisonnable ?
02:04 – Non, ce n'est pas pour autant que ce n'est pas important.
02:08 Dans le cas américain, les États-Unis étaient confrontés à un problème de conscription.
02:15 Et quand la conscription a débarqué dans les universités américaines,
02:20 c'est ça qui a déclenché la révolution hippie.
02:28 Tout est passé en même temps là-dedans,
02:31 et en particulier dans les universités, sur le fait, le droit à l'expression politique
02:36 qui a été la question centrale pour les campus.
02:41 Mais ils n'avaient pas envie de partir quand même dans les rizières.
02:48 Donc l'enjeu c'était ça.
02:51 Aujourd'hui il y a cet enjeu, il est pour les Israéliens,
02:57 pas pour les Français, pas pour les Anglais, pas pour les Américains,
03:03 personne n'est dans cette situation-là.
03:06 On sait bien que la conscription produit souvent,
03:11 on a l'exemple de l'Ukraine aujourd'hui, c'est très difficile.
03:16 Il y a beaucoup de gens qui cherchent à échapper à ça.
03:19 Quand en plus le sentiment est que c'est totalement injuste,
03:23 les échappatoires sont plus nombreuses.
03:27 – Mais pourtant il semble, Denis Charbi,
03:29 il semble que ce mouvement de solidarité de la jeunesse
03:34 avec la cause palestinienne, de la jeunesse étudiante,
03:38 y compris d'ailleurs dans une forme très radicale,
03:40 dans une forme de contestation de l'existence même de l'État hébreu,
03:45 de la rivière à la mer, le fameux slogan,
03:48 il semble que cette contestation, alors qu'il n'y a pas de conscription,
03:52 soit présente partout en Occident, y compris aux États-Unis.
03:55 Quelle est votre explication de ce mouvement de solidarité radical
04:00 avec la frange la plus dure de la cause palestinienne ?
04:05 – Moi je dirais que pour essayer, comme vous le dites,
04:09 d'essayer d'analyser les choses avec profondeur,
04:12 je pense qu'on a là l'expression d'un changement de paradigme,
04:16 qui n'avait pas eu lieu en 1982 au moment de la guerre du Liban,
04:19 qui n'avait pas eu lieu au moment de la première intifada ou de la seconde,
04:22 et pour autant si on regarde les colonnes de nos journaux à l'époque,
04:25 on voit bien que c'est quelque chose qui touche beaucoup de monde,
04:28 y compris les jeunes, là j'y vois l'expression d'un changement de paradigme
04:34 entre les deux grands mots, M-A-U-X, le mal du XXe siècle,
04:40 qui était longtemps perçu comme Auschwitz,
04:44 et qui depuis une dizaine d'années environ, c'est le colonialisme,
04:49 c'est la relation dominant-dominée, et donc,
04:53 puisque effectivement j'ai interrogé mes étudiants
04:54 au campus de sciences Pomenton où j'ai enseigné le dernier semestre,
04:58 et qui me disaient "mais les camps de la mort, il n'y en a plus".
05:02 Donc Auschwitz, bien sûr, c'est pas qu'ils pensent
05:03 que c'était un phénomène marginal et sans importance,
05:06 et dont ils voient bien la succession avec un certain antisémitisme qui renaît,
05:12 mais à côté de la relation dominant-dominée dont il reste des traces,
05:19 ils considèrent que c'est cela qui doit aller…
05:23 et puis je pense également, et ça c'est une dimension un peu peut-être banale et ordinaire,
05:28 mais le conflit israélo-palestinien existe depuis longtemps,
05:31 mais c'était toujours à la fois limité dans le temps,
05:34 toutes les opérations militaires elles duraient quelques semaines.
05:37 – Ça ne durait pas.
05:38 – Ça ne durait pas, voilà, et si elles étaient comme la première intifada,
05:41 le bilan sanglant était relativement modeste.
05:45 Toute la seconde intifada, dont on ne peut pas nier l'importance,
05:49 c'est 5500 morts du côté palestinien, 1000 du côté israélien,
05:53 on n'est plus du tout dans ce rapport.
05:55 – Et ça produit le Hamas.
05:57 – Et ça produit le Hamas, voilà exactement.
05:59 – Il y a une autre chose que vous pouvez ajouter.
06:01 – Je vous en prie, je vous en prie, ajoutez.
06:02 – Quelque chose, j'essaye de lire la presse israélienne,
06:08 et dans le Mariv, j'ai trouvé cette phrase,
06:11 l'éditorialiste du Mariv que vous devez connaître, qui est Ben…
06:15 – Alou Ben ?
06:16 – Non.
06:17 – Ben Cassvit, pardon.
06:19 – Alors il dit cette phrase, en dehors de Karem Shalom,
06:25 de Rafa et de Jérusalem,
06:28 "il existe un monde qui n'aime pas voir des milliers de personnes bombardées,
06:34 affamées, assoiffées, errant d'un endroit à l'autre".
06:39 C'était l'éditorial du début de semaine dernière, voilà,
06:44 donc dans Mariv, voilà, qui n'est pas…
06:47 – C'est pas à l'heure, arrête, voilà, c'est pas le jour.
06:48 – C'est pas arrête, c'est pas le journal…
06:51 – Probablement d'ailleurs, il y a d'un côté l'augmentation,
06:55 l'arithmétique des morts que vous avez souligné,
06:58 mais il y a aussi le fait que, depuis les guerres que vous évoquiez jusqu'à aujourd'hui,
07:02 la société d'information immédiate a changé.
07:06 – Oui, bien sûr.
07:06 – Est-ce que la radite, parce que bon, il y a ses étudiants,
07:09 mais on observe globalement, on a le sentiment Serge,
07:12 d'une radicalisation des positions qui se révèlent,
07:15 et du débat, une grande difficulté au débat démocratique
07:19 qui se révèle à l'occasion de ces événements.
07:23 On interdit des manifestations,
07:25 on pourchasse pour apologie du terrorisme des militants politiques pro-palestiniens,
07:31 on empêche en sens inverse des étudiants juifs de participer à des débats,
07:35 on interdit à un ancien ambassadeur d'Israël en France,
07:40 Barnavi, qui est ultra modéré et très favorable à une solution pacifique…
07:44 – Oui, à deux États en fait.
07:45 – À deux États, de parler dans une université à Bruxelles.
07:48 On conspue…
07:49 – Qui est, dans laquelle il enseigne de manière permanente, pas du tout…
07:54 – On conspue, dans des images que j'ai trouvées moi très troublantes,
07:59 une malheureuse chanteuse israélienne à un concours de l'Eurovision.
08:03 Donc est-ce que cette crise est le révélateur d'un changement de paradigme chez nous,
08:11 de la montée de l'intolérance, du fanatisme, de la haine de la liberté ?
08:16 – Oui, c'est une bonne question,
08:19 d'autant que ce phénomène n'est pas propre à la France, c'est un phénomène planétaire.
08:25 On assiste alors plus dans les pays développés,
08:28 où justement l'expression est plus facile,
08:30 il n'y a pas de manifestation en Iran sur toutes ces questions.
08:36 Mais oui, dans ce qu'on appelle l'Occident profond,
08:39 ou pas ce qu'on appelle, ce que d'autres appellent l'Occident profond,
08:43 oui, c'est très répandu et il y a cette radicalisation.
08:48 Alors, on dit que le wok a joué un rôle,
08:53 puisqu'on dit la persistance de l'esprit colonial.
08:58 Ce que dit le wok, d'une certaine manière,
09:01 une manière de rester éveillé, c'est de penser qu'il y a un résidu,
09:06 où il y a une résistance de l'esprit colonialiste,
09:11 à travers des choses qui, dans d'autres temps,
09:15 étaient considérées comme banales ou totalement secondaires.
09:20 Je crois qu'il y a de la radicalité dans l'air en plus.
09:23 – Il y a un mot qui symbolise un peu cette radicalisation des positions,
09:27 c'est le mot "génocide", je vous interroge là-dessus,
09:29 parce que vous avez écrit là-dessus.
09:31 C'est vrai que le bilan de Gaza est monstrueux,
09:34 enfin il est terrible, les 35 000 morts, c'est épouvantable.
09:38 Mais si, dans une macabre comptabilité,
09:41 on le rapporte à la population de Gaza, à 2 millions d'habitants,
09:45 ou à la population palestinienne, entre 12 et 14 millions d'habitants,
09:50 c'est absolument pas comparable avec les 70% d'Arméniens
09:54 liquidés au moment du génocide, les 80% de Juifs européens,
09:58 les 40% je crois, ou les 25% de Kobotchiens, les 50% de Tutsis.
10:03 Donc on n'est pas dans le même ordre de grandeur,
10:06 et pourtant ce mot est au cœur de la bataille.
10:10 D'abord, est-ce que l'usage est un usage à mauvais escient,
10:17 et d'autre part, comment vous expliquez la prénuance du mot "génocide"
10:21 dans la discussion, dans le débat autour de la question moyenne orientale ?
10:25 – Alors ça, ça nous ramène, vous voyez, comme quoi il faut toujours nuancer ces propos,
10:28 je parlais d'un changement de paradigme,
10:29 cela montre quand même que la Shoah reste le paradigme,
10:32 voilà, d'une certaine manière, comme quoi les choses sont plus complètes.
10:36 Mais néanmoins, je dirais qu'il y a deux choses.
10:41 La première, c'est qu'il y a ici confusion entre la notion de génocide
10:48 sur le plan juridique, ou ni la Cour internationale de justice,
10:54 ni la Cour pénale, elle n'est pas là pour constater un génocide,
10:59 ce n'est pas sa vocation, elle est là pour le prévenir.
11:02 Mais bien entendu, cela entre en collision avec l'acceptation ordinaire,
11:11 si je puis dire, du mot "génocide" comme référent empirique pour le citoyen lambda,
11:17 il ne faut pas être polytechnique ni intellectuel pour le comprendre,
11:20 un génocide c'est plus qu'un crime de masse,
11:23 c'est la volonté d'extermination, c'est lié à une extermination.
11:26 Alors les juristes disent "mais attendez, un génocide tel qu'on l'entend,
11:29 ce n'est pas une extermination et donc à cet égard, ça peut être examiné".
11:34 Je retiens quand même qu'à propos des mandats d'arrêt de la Cour pénale,
11:40 c'est crème de guerre et contre l'humanité, pas génocide,
11:42 alors que Karim Khan aurait pu le décider.
11:45 Donc déjà ça exonère l'idée qui est ici.
11:49 – C'est même ce que j'ai trouvé le plus frappant dans le communiqué,
11:52 c'est évidemment volontaire,
11:55 mais ça dément complètement toutes les accusations.
12:00 – Exactement, tout à fait.
12:01 Et alors, bien entendu qu'il y a un deuxième élément,
12:05 et là bien sûr il n'échappe à personne,
12:07 c'est parce que les juifs ont été victimes d'un génocide
12:10 que retourner contre l'accusation permet de relégitimer l'antisémitisme,
12:19 alors ce qu'on appelle un antisémitisme secondaire,
12:21 c'est-à-dire nous ne vous pardonnerons jamais le génocide
12:25 que nous vous avons infligé il y a 75 et 80 ans,
12:30 et donc le meilleur moyen de ne pas leur pardonner,
12:33 c'est de dire "mais finalement vous êtes comme nous,
12:35 vous aussi vous commettez un génocide".
12:37 – Il y a un impact chez nous qui me paraît très frappant,
12:39 c'est qu'on voit la translation, la transition,
12:42 la migration idéologique d'une notion, la question juive,
12:49 la défense des juifs depuis l'affaire Dreyfus,
12:56 la défense de l'État d'Israël depuis sa fondation en 1948
13:02 était l'apanage de la gauche française,
13:04 en tout cas de la gauche sociale-démocrate.
13:06 C'était elle qui combattait l'antisémitisme,
13:09 c'est elle qui défendait l'existence de l'État,
13:11 c'était elle qui était l'amie d'Israël.
13:13 Et là on voit que la gauche, notamment sous l'effet de lfi,
13:17 non seulement est passée dans une hostilité à l'État d'Israël
13:20 qui parfois confine l'hostilité à l'existence même de l'État d'Israël,
13:24 mais à des propos qui pour le moins flirtent avec l'antisémitisme.
13:30 Il y a eu des formules sur Brunepivet, sur Moscovici.
13:33 Comment vous expliquez cette translation de la gauche,
13:39 de l'amitié pour les juifs et pour Israël,
13:42 à l'hostilité pour Israël
13:44 et une certaine forme d'inimitié pour les juifs ?
13:46 – Alors d'abord, la gauche a revendiqué très longtemps le fait,
13:53 un, que la Révolution a libéré les juifs,
13:57 que c'est en France qu'ils sont libérés,
13:59 ce n'est pas les autres copies de ce qui s'est passé en France, au mieux.
14:03 Et deuxièmement, l'affaire Dreyfus c'est en France
14:08 et c'est la corbeille de la gauche, si j'ose dire.
14:13 La vitrine de la gauche concernant à la fois la création d'Israël
14:20 et la Quatrième République aide Israël, l'aide militairement,
14:28 l'aide y compris sur le nucléaire, l'aide sur beaucoup de choses.
14:33 Et voilà, la gauche, on est dans un moment de confusion totale aujourd'hui.
14:40 La confusion, elle n'est pas que dans ce domaine,
14:44 elle est, moi je trouve, sur beaucoup de domaines de l'actualité,
14:49 on confond, on parlait de génocide tout à l'heure,
14:56 c'est la confusion la plus totale.
14:59 Alors c'est vrai que, et votre remarque que je trouvais très très juste,
15:05 c'est vrai que le 7 octobre a détruit quelque chose,
15:10 de fondamental.
15:11 C'est en ça d'ailleurs, je me souviens, c'était Barnaby,
15:15 quand je l'ai interviewé, il disait,
15:20 "Cet attentat est d'une intelligence diabolique."
15:22 Parce qu'il a visé dans l'âme israélienne, l'âme juive,
15:29 de manière terrible, il faut une imagination,
15:34 une sophistication pour faire un attentat de ce type,
15:39 qui détruit autant de choses.
15:41 Et vous avez raison sur le fait qu'on vit aussi,
15:45 maintenant c'est des choses détruites,
15:47 il y a des réactions qu'on pouvait attendre,
15:50 qu'on n'aura plus, qu'on ne connaît plus.
15:53 Et je trouve que dans le comportement même du gouvernement israélien,
15:57 il y a ça, on sent ça.
15:59 La question morale, on s'en fout.
16:02 C'est terrible, mais c'est un changement fondamental.
16:08 – Est-ce qu'inversement, parce qu'on dit que les repères de la gauche
16:15 se perdent un peu sur la question, est-ce qu'inversement,
16:19 comme le disent beaucoup de défenseurs de la cause palestinienne,
16:22 on fait un usage abusif du terme d'antisémitisme ?
16:26 Est-ce qu'il n'y a pas une façon de disqualifier
16:28 tout adversaire à la politique de l'État hébreu ?
16:31 Est-ce qu'il n'y a pas un mésusage ?
16:33 Tout à l'heure on parlait du mésusage du mot génocide,
16:35 du mésusage du mot colonial,
16:36 est-ce qu'il n'y a pas un mésusage du mot antisémitisme ?
16:40 Est-ce qu'on peut, bien sûr, être critique à l'égard de l'État hébreu
16:44 sans être antisémite, mais même au-delà de ça,
16:45 est-ce qu'on peut être un critique virulent de l'État hébreu
16:48 sans se faire accuser d'antisémitisme ou pas ?
16:49 Est-ce que vous, vous avez le sentiment que les deux se sont confondus ?
16:53 – Alors, j'ai employé la formule suivante,
16:58 l'antisémitisme doit être l'arme du dernier cours.
17:02 C'est-à-dire qu'une fois qu'on a épuisé tous les arguments,
17:06 on peut conserver cet argument-là, mais l'employer en dernière instance.
17:11 Pourquoi ? Parce que si on l'utilise trop tôt, trop prématurément,
17:16 il apparaît pour ce que vous dites,
17:18 c'est-à-dire une volonté de censurer le débat,
17:21 puisque si on dit que c'est de l'antisémitisme, le débat est terminé.
17:24 – Il est clos. – Voilà, il est clos.
17:26 Or, justement, c'est pour ça que j'exhorte, j'invite mes corréligionnaires
17:32 et d'autres, pas forcément juifs, à être très prudents
17:38 dans l'emploi de cet argument, parce qu'il est contre-productif.
17:42 Il faut bien comprendre, la grande différence entre l'antisémitisme d'hier
17:46 et celui d'après 1945, ou même aujourd'hui,
17:51 c'est qu'à l'époque, on s'affichait antisémite,
17:53 on n'avait pas besoin de dénoncer ou de débusquer, de dire "regardez",
17:57 ils l'affichaient eux-mêmes, les partis s'appelaient
17:59 "partis antisémites", "partis social antisémites", etc.
18:02 De nos jours, et pas simplement à cause de la criminalisation,
18:05 de la pénalisation depuis la loi de 1972,
18:08 de nos jours, personne ne veut s'afficher antisémite,
18:11 personne, tout le monde va faire de la dénégation.
18:14 Moi, ce que je dis, ce que je reproche, notamment à des leaders du LFI
18:18 que j'ai entendus s'exprimer là-dessus, c'est quand ils disent
18:22 "ça n'a rien à voir".
18:24 Non, quand vous prenez une position pas simplement ferme,
18:31 pas simplement impitoyable, tout ça,
18:33 je veux dire, les Israéliens sont très bons de ce point de vue-là,
18:36 dans une critique impitoyable contre Netanyahou
18:38 et contre l'extrême droite et contre les religieux,
18:40 mais quand c'est une condamnation qui, comme vous dites,
18:43 touche à l'existence, où on voit bien que, comme je dis,
18:47 ça devient une passion irrationnelle,
18:49 c'est-à-dire qu'il n'y a plus une seule chose de positive,
18:51 on ne trouve rien à défendre d'Israël,
18:55 je pense qu'on ne peut plus à ce moment-là dire "ça n'a rien à voir"
19:00 parce qu'Israël, ils vivent presque la moitié des Juifs dans le monde
19:05 et on va dire, allez, deux tiers à trois quarts des Juifs en diaspora
19:10 soutiennent Israël.
19:11 Donc, avoir une position, pas contre le gouvernement,
19:15 mais une position qu'on va définir comme "antisioniste",
19:18 c'est-à-dire qu'il s'en prend à l'existence,
19:19 même à la légitimité de l'État d'Israël,
19:23 là, vous êtes dans un sable mouvant,
19:26 que la personne puisse me démontrer que son propos
19:31 ne fait pas d'elle, de cette personne, un antisémitisme,
19:35 ça je veux complètement l'entendre,
19:36 mais la dénégation là-dessus n'est pas admissible.
19:41 – En fait, la différence c'est que quand vous reprochez
19:44 à l'ensemble des Juifs du monde la situation en Israël
19:47 et aux Israéliens, la politique de leur gouvernement,
19:50 là vous vous franchissez une étape,
19:51 vous avez une expression très drôle, provocatrice dans un de vos papiers,
19:54 vous avez dit "l'antisémitisme c'est la haine excessive des Juifs
19:58 et l'antisionisme c'est la haine excessive d'Israël".
20:02 Si on prend un peu de distance, en sens inverse,
20:04 si on compare la situation de la France et des pays anglo-saxons,
20:07 notamment Serge, on voit que, on a l'impression
20:11 que notre système républicain unitaire est plus efficace
20:14 pour contenir les passions que le système communautariste
20:17 du monde anglo-saxon.
20:19 On n'a pas vu en France les immenses manifestations islamiques,
20:23 voire islamistes, qu'on a vues dans d'autres pays.
20:26 Donc ça c'est plutôt le système démocratique républicain français,
20:30 il tient pas mal de ce point de vue.
20:31 – Oui, c'est plutôt… la différence est en notre faveur,
20:36 ce qui n'est pas toujours le cas, la différence est plutôt…
20:41 – Mais malgré tout, pour compléter ce que vous venez de dire,
20:46 là aussi, on voit bien que Jean-Marie Le Pen nous manque,
20:51 parce qu'il était le référent antisémite,
20:55 donc quand il s'exprimait, il en faisait toujours une.
20:59 Donc il y avait cette…
21:04 il y avait une sorte de feu rouge, feu vert qui s'allumait,
21:10 et donc pour tout le monde, pour toute la société, ça fonctionnait.
21:14 – Je me permets de commenter, parce que je dirais,
21:17 de ce point de vue-là, la situation française
21:19 est une situation effectivement meilleure qu'ailleurs,
21:21 parce qu'à partir du moment où c'est Mélenchon, en quelque sorte,
21:24 qui a pris la succession de Le Pen,
21:26 ça permet à la classe politique tout entière de rester clean.
21:29 Donc quelque part, je dirais que le fait qu'un seul parti,
21:33 un seul leader ait pris sur lui la responsabilité
21:36 d'endosser cette cause palestinienne,
21:39 mais avec des relents,
21:40 c'est pas qu'elle soit pro-palestinienne, pourquoi pas,
21:42 mais qu'elle devienne anti-israélienne à ce degré-là,
21:46 là c'est plus dangereux,
21:48 mais ça a permis fonctionnellement de faire que le reste du discours
21:52 a été plutôt audible.
21:53 – Il y a même en miroir, Serge, de la translation vers la gauche
21:57 de l'antisionisme vraiment violent qui était l'apanage.
22:02 Par exemple, Le Pen était sur cette ligne-là,
22:05 on voit que la droite, et même l'extrême droite,
22:07 est devenue aujourd'hui le premier avocat et le premier défenseur
22:11 des juifs d'un côté et de l'État d'Israël de l'autre.
22:14 Comment vous expliquez cette mutation génétique
22:18 de la droite et de l'extrême droite française ?
22:20 – Alors tous les partis politiques ont énormément de mal à se situer,
22:26 c'est incroyable dans le panorama idéologique français,
22:32 on voit bien de se trouver avec Mélenchon qui prend plutôt la cause antisémite,
22:40 c'est invraisemblable, un laïc comme lui, franc-maçon,
22:45 qui se lance là-dedans, alors on sait pourquoi,
22:50 parce qu'il y a cette théorie de la conflictualité
22:55 qui est à l'origine de la plupart des partis populistes,
23:01 c'est le populisme là, c'est pas exactement la même chose,
23:04 qui opère cette translation dont vous parlez,
23:09 mais c'est la base du populisme, la base du populisme,
23:13 il faut avoir une bagarre, si on n'est pas dans la bagarre,
23:17 il n'y a rien, il ne se passe rien, ventre mou.
23:21 – Vous pensez l'un et l'autre que tout ça a un impact sur la campagne européenne ?
23:26 – De quoi vous parlez ?
23:27 – Ou les efforts violents de LFI pour mettre ce sujet au centre seront sans incidence ?
23:34 – Non, de toute façon, pour l'instant, sans être un grand visionnaire,
23:39 quand on voit LFI dans les sondages, on n'a pas le sentiment que ça marche,
23:46 alors, je veux dire, ça a marché dans le passé,
23:50 parce que, je veux dire, ils se sont fait élire quand même
23:54 par une partie de la population musulmane en France,
23:58 je veux dire, dans les départements de la couronne française,
24:05 ils ont fait des scores exceptionnels.
24:08 – Vu d'Israël, vous avez le sentiment que la France est beaucoup plus anti-israélienne,
24:15 je ne remonte pas à l'époque de Gaulle où elle n'était pas très favorable à Israël,
24:20 la France, l'opinion publique et les gouvernements sont beaucoup plus anti-israéliens
24:25 qu'ils ne l'étaient au cours des 20 ou 30 dernières années,
24:27 et vous avez le sentiment qu'il y a une montée de l'antisémitisme,
24:31 en effet, vu de votre fenêtre, c'est sensible ou c'est un débat français ?
24:37 – Je dirais que ce que l'on perçoit d'Israël, effectivement,
24:41 c'est le côté décomplexé du discours,
24:45 je crois que ce qui trouble les Israéliens,
24:48 c'est de se rendre compte à quel point leur légitimité,
24:52 qu'ils pensaient bâtie sur un roc, sur un socle solide, s'est effritée.
24:58 Alors la question c'est, est-ce que véritablement ça représente
25:02 toute la population française, est-ce que ça représente une partie des élites seulement,
25:06 est-ce que dans 10 ans, pour prendre une expression que vous connaissez bien,
25:09 dans 10 ans ils seront tous des notaires,
25:11 et qu'ils auront oublié, enfin ils se souviendront que quand ils étaient jeunes,
25:14 ils étaient pro-palestiniens et anti-sionistes, et puis qu'après ça va se fondre.
25:20 Ce qui est, pour moi, dangereux dans ce qui se passe aujourd'hui en Israël,
25:26 c'est que cette tentation, qui est pour nous toujours très mauvaise,
25:30 de penser que tout le monde est contre nous, voilà.
25:32 Et en ce sens, ce qui s'est passé dans les universités, je dirais,
25:36 est considérable, enfin l'impact négatif est considérable,
25:40 parce que c'est la trahison par les citadels de la connaissance, de la rationalité,
25:45 de l'esprit critique, du débat ouvert,
25:48 là où on assiste malgré tout à une formidable régression.
25:51 Et je n'ai pas besoin de vous dire que politiquement, bien entendu,
25:53 ça sert Nathaniel Hou, ses alliés qui jouent là-dessus.
25:57 Et donc c'est vrai que de ce point de vue-là,
25:58 on a un travail énorme pour essayer d'apaiser le…
26:03 – Je suis malheureusement obligé de vous arrêter parce que cette émission s'achève.
26:08 Dans un remarquable article qui était paru au lendemain des attentats du 11 septembre,
26:13 Pierre Hasner, qui était un disciple brillantissime de Raymond Aron,
26:19 disait, je vous résume en substance,
26:21 "Nous pensions que nous étions entrés dans le monde de la jouissance pacifique et civile,
26:27 des libertés collectives et individuelles et du bien-être matériel.
26:32 Et en fait, nous voilà revenus au monde du ressentiment,
26:35 du fanatisme et de la violence", écrivait-il au lendemain du 11 septembre.
26:40 Il disait, "On pensait qu'on était dans le monde de Kant et de Locke,
26:42 et en fait, on est dans le monde de Marx, de Hobbes et de Nietzsche".
26:47 À l'époque, on pouvait se dire, mais Hasner se trompe, il est trop pessimiste.
26:51 Je crains que les événements du 7 octobre ne fassent que renforcer ce sentiment
26:59 que les valeurs du progrès, de la modernité, qui sont celles de l'Occident,
27:02 sont de plus en plus contestées.
27:05 Espérons que nous ne nous trompions.
27:06 En tout cas, merci à vous, Serge Julli.
27:08 Merci, Denis Charbis, de nous avoir éclairé de vos lumières sur l'impact,
27:12 l'onde de choc en France et dans l'Occident de la crise actuelle du Moyen-Orient.
27:19 Merci à vous de nous avoir suivis.
27:23 Vous pouvez revoir cette émission sur publicsenat.fr, la plateforme.
27:29 Et moi, je vous dis à la prochaine émission.
27:33 Bonsoir et merci.
27:34 [Musique]

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